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- 506. Le comité a déjà examiné ce cas à sa réunion de février 1982 au cours de laquelle il a présenté un rapport intérimaire au Conseil d'administration. Depuis lors, plusieurs organisations ont transmis des informations et des allégations supplémentaires: la Confédération démocratique du travail (CDT) (24 et 29 avril, 25 mai et 15 juin 1982), la Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) (24 mai 1982) et l'Organisation de l'unité syndicale africaine (OUSA) (10 juillet 1982). Le gouvernement a communiqué certaines observations dans des lettres des 27 juillet et 1er octobre 1982.
- 507. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; en revanche, il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Examen antérieur du cas
A. Examen antérieur du cas- a) Allégations des plaignants
- 508 Les plaintes des trois grandes confédérations internationales de travailleurs, la CISL, la CMT et la FSM, de la Confédération nationale, dénommée la Confédération démocratique du travail (CDT), et de diverses organisations syndicales internationales faisaient état de la très grave préoccupation desdites organisations face à la répression qui a frappé plusieurs dirigeants et militants syndicaux au Maroc, à la suite de la grève générale du 20 juin 1981 à Casablanca.
- 509 Les organisations plaignantes avaient expliqué les événements du 20 juin 1981 de la manière suivante:
- La Confédération démocratique du travail, qui déclarait être l'organisation des travailleurs la plus représentative du Maroc, disait avoir organisé une grève générale dans tout le pays. La CDT expliquait dans sa plainte initiale que l'appel à la grève, largement suivi par les travailleurs, faisait suite à plusieurs tentatives auprès du gouvernement visant à l'ouverture d'un dialogue constructif et responsable. Un cahier de revendications avait été présenté à ce sujet au Premier ministre, demandant essentiellement une augmentation générale des salaires de 50 pour cent en raison de l'augmentation vertigineuse des prix des denrées essentielles (de 14 à 74 pour cent); une augmentation du salaire minimum pour le porter à 1.200 dinars; la garantie de l'emploi et le respect des libertés syndicales avec arrêt des licenciements et réintégration des travailleurs licenciés. Selon la CDT, le gouvernement avait refusé d'entamer des consultations avec les représentants des travailleurs, et la CDT avait dû, dans le cadre de l'article 14 de la Constitution nationale, qui reconnaît expressément le droit de grève, convoquer une grève générale. La CDT précisait que le but visé n'était nullement l'agitation ou l'incitation à la violence mais, au contraire, l'affirmation des droits des travailleurs et l'ouverture d'un dialogue.
- 510 Cependant, selon la CDT, dès le 18 juin 1981, des locaux syndicaux avaient été encerclés par les forces de l'ordre et plusieurs syndicalistes avaient été arrêtés le 19 juin, la répression s'était poursuivie par une vague d'intimidation, filature policière, contrôle à domicile, menace ouverte par la voie de la radio et de la télévision, contre les travailleurs, dont certains auraient été contraints de s'engager par écrit à ne pas faire grève. Le secrétaire général de la CDT, Noubir Amaoui, et les membres du bureau exécutif avaient alors été convoqués à la préfecture de Casablanca puis arrêtés. Enfin, plus d'un millier d'arrestations avaient été opérées au cours des manifestations et il avait fallu déplorer des dizaines de morts, parmi la population.
- 511 L'ensemble des organisations plaignantes avaient d'ailleurs dénoncé les arrestations massives de syndicalistes. La CMT, pour sa part, faisait en plus état de 600 morts, de plusieurs centaines de blessés et de milliers d'arrestations. Selon la CMT, certaines personnes auraient été poursuivies et tuées à l'intérieur de leur domicile. Des cadavres n'auraient pas été rendus à leurs familles et auraient été emportés dans des lieux inconnus. La plupart des victimes, toujours selon la CMT, auraient été atteintes par des balles de pistolet ou de mousqueton, ce qui contredirait l'information donnée par le gouvernement selon laquelle les victimes (66 morts et 110 blessés officiellement) auraient été touchées par des armes blanches, des objets contondants ou des jets de pierres.
- 512 La FMS, quant à elle, joignait à sa plainte un livre blanc publié par la CDT qui retraçait l'historique des événements et dressait un bilan des manifestations qui se serait soldé, selon la CDT, par plus de 700 tués, des milliers de blessés, plus de 8.000 arrestations, 100 procès expéditifs, de nombreux licenciements d'ouvriers et mutations arbitraires de fonctionnaires. Ce livre blanc contenait également la lettre adressée le 11 juin 1981 par le bureau exécutif de la CDT au Premier ministre dans laquelle cette confédération revendiquait une hausse des salaires équivalant à la hausse des prix, l'application de l'échelle mobile et la révision du salaire minimum, ainsi que l'ouverture d'un dialogue sur le "dossier revendicatif suspendu depuis des années". Il ressortait en outre de ce dossier que le tribunal de première instance s'était déclaré incompétent dans les procès de quatre dirigeants nationaux de la CDT, à savoir Noubir Amaoui, secrétaire général, Chennaf Abderahman, Mohammed Lamrani, Lakbir Bazzaoui, membres du bureau exécutif.
- 513 Enfin, les plaignants joignaient à leurs communications la liste de presque 200 dirigeants et militants syndicaux arrêtés à la suite de ce conflit du travail, dont la plupart ont été condamnés à des peines d'un à 12 mois de prison, une dizaine à 36 mois de prison; certains, toutefois, ont été acquittés. En outre, à la suite d'appels, certaines peines ont été augmentées et d'autres ont été diminuées. Les plaignants se sont également référés au licenciement de 39 dirigeants syndicalistes dans les secteurs de l'eau, de l'électricité, des transports, des postes et télécommunications, des mines et de l'industrie.
- b) Demande d'une mission sur place
- 514 Face à la gravité des événements survenus lors de la grève générale du 20 juin 1981, le Bureau international du Travail avait demandé au gouvernement, dans une lettre du 18 août 1981, de bien vouloir faire connaître ses intentions sur la possibilité d'une mission sur place d'un représentant du Directeur général. Cependant, en l'absence de réponse du gouvernement sur ce point, le comité, en novembre 1981, l'avait prié une première fois de fournir d'urgence des observations ainsi qu'une réponse à la demande d'une mission sur placez.
- c) Réponse du gouvernement
- 515 Dans sa communication du 3 décembre 1981, le gouvernement, répondant sur le fond, avait rappelé que le droit de grève est garanti par l'article 14 de la Constitution et ajouté que l'exercice de ce droit ne signifie nullement la menace, la pression et l'entrave à la liberté du travail.
- 516 A propos des événements du 20 juin 1981, le gouvernement avait estimé que les véritables motivations des instigateurs de la grève générale étaient beaucoup plus d'ordre politique que syndical. Selon lui, le mot d'ordre de grève avait été lancé par un parti politique aux côtés d'un syndicat et c'était ce parti politique qui avait mobilisé les moyens humains et matériels importants pour l'organisation de la grève. La grève était éminemment politique et, d'ailleurs, les autres syndicats, l'Union marocaine du travail et l'Union générale des travailleurs du Maroc, s'y étaient opposés, avait déclaré le gouvernement.
- 517 Au dire du gouvernement, le motif de la hausse des prix invoqué pour justifier la grève n'était pas fondé puisque quelques jours auparavant, après consultation des partis politiques et des organisations syndicales, il avait été décidé de réduire de moitié le montant de la hausse et d'augmenter les salaires des fonctionnaires de 13 pour cent à la suite d'une augmentation du salaire minimum de 20 pour cent. En outre, cette grève du 20 juin intervenait deux jours seulement après celle lancée par l'Union marocaine du travail à laquelle s'était associée la CDT. Ce premier mouvement s'était déroulé dans le calme, et les autorités n'avaient pas eu à intervenir.
- 518 Le gouvernement estimait que l'appel à la grève du 20 juin avait été un échec, les instigateurs du mouvement n'ayant pas hésité à inciter des enfants à commettre des actes d'agression et de vandalisme (jets de pierres sur les autobus, menaces, pressions, violences sur les personnes refusant de participer à la grève, début d'incendie d'édifices publics, tentatives de destruction de canalisations d'eau et mise en place de barricades en pierre, atteintes à la vie de personnes innocentes ainsi qu'à leurs biens). Tous ces actes, selon le gouvernement, avaient eu pour conséquence la mort de 66 personnes, dont la plupart parmi les forces de l'ordre, ainsi que des dégâts matériels importants. Les autorités avaient donc dû intervenir pour rétablir l'ordre, assurer la sécurité des citoyens, protéger les biens publics et privés à Casablanca. Elles avaient arrêté et déféré à la justice les auteurs des troubles ainsi que les instigateurs de la grève qui avaient été incapables de la contrôler: sur les 2.800 personnes qui avaient été arrêtées, 1.700 avaient été libérées les 1.100 restantes avaient été déférées à la justice. Soixante-dix pour cent des personnes poursuivies avaient été déférées en correctionnelle en raison de la nature délictuelle des actes qui leur étaient reprochés. Tous les inculpés avaient bénéficié des garanties prévues par le Code de procédure pénale. Ils avaient été jugés en séance publique et en présence de leurs avocats. Tous les jugements prononcés en première instance avaient fait l'objet d'un recours en appel. Beaucoup avaient été revus dans le sens d'une réduction de peine. D'autres avaient même été annulés et remplacés par des acquittements.
- 519 En outre, dans sa communication du 22 décembre 1981, le gouvernement avait rappelé que l'augmentation des prix décidée pour des raisons budgétaires impérieuses avait fait l'objet d'un large débat avec les organisa ions politiques et syndicales et qu'à la suite du dialogue qui s'était instauré il avait été décidé de réduire de 50 pour cent l'enveloppe globale des augmentations. L'Union socialiste des forces populaires (USFP) et son syndicat, la CDT, qui avaient pourtant pris part au dialogue avaient alors distribué illégalement des tracts à la veille de la grève du 20 juin s'attaquant au gouvernement et appelant à la grève. Le gouvernement avait dû arrêter les distributeurs de tracts surpris en flagrant délit; de plus, d'après le gouvernement, la période et la date choisies pour déclencher la grève démontraient le caractère douteux des intentions des organisateurs: le Roi du Maroc ayant, peu auparavant, annoncé son intention de se rendre au sommet de l'Organisation de l'unité africaine, à Nairobi, porteur d'un projet de solution dans le conflit du Nord-Ouest africain. La journée choisie pour déclencher la grève avait été un samedi, ce qui s'expliquait par la portée restreinte de l'audience de la CDT qui avait caché la maigre participation des travailleurs en orientant son action vers la rue déjà animée ce jour-là. Les instigateurs étaient alors passés à la phase de violence par des actes de vandalisme et les responsables de la grève s'étaient fait remarquer par leur absence, démontrant la faiblesse de leur encadrement et leur incapacité à dominer la situation. En conclusion, le gouvernement avait affirmé que la CDT n'était qu'un "pantin" du Parti d'union sociale des forces populaires qui l'utilisait pour servir ses propres desseins. Il avait déclaré aussi que le dialogue restait toujours ouvert dans le cadre de la voie de la démocratie.
- 520 Enfin, à propos de la demande de mission sur place, dans une communication du 14 janvier 1982, le gouvernement avait déclaré qu'il n'était pas nécessaire d'envoyer une mission au Maroc compte tenu des observations détaillées qu'il avait fournies.
- d) Conclusions antérieures du comité
- 521 A sa session de mars 1982, le Conseil d'administration, sur proposition du comité:
- - avait dû exprimer sa préoccupation devant la gravité des événements survenus lors de la grève générale du 20 juin 1981 organisée par la confédération démocratique du travail;
- - au sujet de la demande d'une mission sur place, il avait estimé qu'une telle mission contribuerait à une meilleure connaissance de la situation syndicale et à un examen utile des solutions à apporter aux problèmes posés. Il avait donc exprimé l'espoir que le gouvernement pourrait, à la lumière des considérations du comité, donner dans un proche avenir son consentement à ce qu'un représentant du Directeur général se rende sur place afin de s'entretenir des questions en instance;
- - au sujet des motifs de la grève générale du 20 juin 1981, il avait constaté que les revendications avancées par la CDT portaient essentiellement sur des questions économiques et sociales. Il avait souligné à cet égard que les organisations de travailleurs doivent pouvoir manifester, le cas échéant, leur mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres;
- - concernant la mort de nombreuses personnes lors des manifestations, il avait prié le gouvernement d'indiquer si une enquête avait été effectuée sur les circonstances de ces décès et, dans l'affirmative, il l'avait prié d'en fournir le résultat;
- - au sujet de l'arrestation et de la condamnation de syndicalistes, il avait prié le gouvernement de fournir des informations détaillées sur les chefs d'inculpation retenus contre les syndicalistes détenus mentionnés dans les plaintes et sur les faits précis à l'origine de leurs condamnations ainsi que sur la situation actuelle de ces personnes, et en particulier de Noubir Amaoui, Chennaf Abderahman, Mohammed Lamrani et Lakbir Bazzaoui, dirigeants nationaux de la CDT, pour lesquels les tribunaux se seraient déclarés incompétents;
- - au sujet des autres allégations concernant le licenciement des syndicalistes et la fermeture des locaux de la CDT, il avait prié le gouvernement de fournir ses observations sur ces questions.
B. Développements ultérieurs
B. Développements ultérieurs- a) Informations complémentaires transmises par les plaignants
- 522 Avec une lettre de couverture du 24 avril 1982, le bureau exécutif de la CDT, ayant noté que le Comité de la liberté syndicale avait prié le gouvernement de "fournir des informations sur la situation de Noubir Amaoui, Chennaf Abderahman, Mohammed Lamrani et Lakbir Bazzaoui, dirigeants nationaux de la CDT, pour lesquels les tribunaux se seraient déclarés incompétents", a versé au dossier un rapport juridique de 27 pages, établi le 5 avril 1982, relatif à ces quatre dirigeants syndicaux.
- 523 Il ressort des informations contenues dans ce rapport que les dirigeants nationaux de la CDT: Noubir Amaoui, secrétaire général, Chennaf Abderahman, trésorier général et secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement, Lakbir Bazzaoui, membre du bureau exécutif et membre du Bureau national du syndicat national de l'enseignement, Mohammed Lamrani, membre du bureau exécutif et membre du Bureau national du Syndicat national de l'énergie, se sont rendus successivement, à partir de 11 h 30, au siège de la préfecture de Casablanca, le samedi 20 juin 1981, jour de la grève générale décrétée par la CDT, pour répondre à une convocation du gouverneur de Casablanca. Ils ont alors été arrêtés dans les locaux de la préfecture et conduits au Commissariat central de Casablanca sans être informés des motifs de leur arrestation; Mohamed Karam, secrétaire régional de l'Union socialiste des forces populaires et avocat au bureau de Casablanca, et Mustapha Karchaoui, membre de la commission administrative de l'USFP, rédacteur en chef du quotidien Al Mouharrir (organe de l'USFP) et président du Conseil municipal de la commune Ain Diab Casablanca, ont, eux, été arrêtés le dimanche 21 juin 1981.
- 524 Les démarches effectuées par les familles et les avocats auprès des autorités policières pour se renseigner sur le sort des personnes arrêtées n'ont donné aucun résultat. Un mutisme total leur a été opposé. Seul le gouverneur de la ville de Casablanca, M. Ahmed Fizazi, a reconnu implicitement le fait de l'arrestation lors de l'audience qu'il a accordée à MM. Mohamed Mensour et Mohamed Habib, députés de Casablanca, le 29 juin 1981.
- 525 Les intéressés ont été maintenus en garde à vue pendant dix-huit jours. La CDT rappelle qu'en vertu des articles 68 et 82 du Code de procédure pénale le délai de garde à vue peut être porté à 144 heures, à condition que la prolongation du délai minimum soit appuyée par une autorisation écrite et motivée du procureur du Roi. Or le dossier ne contenait aucun acte de prolongation.
- 526 Sur le plan des faits, déclare la CDT, le contenu des procès-verbaux de police prouve que l'arrestation a eu lieu le samedi 20 juin 1981 pour les quatre membres du bureau exécutif de la CDT. Ils ont été interrogés sur leur emploi du temps avant le déclenchement des événements jusqu'aux heures respectives de leur arrestation (Noubir Amaoui: 11 h 30, les autres durant l'après-midi). Or les événements de Casablanca ont connu des développements inquiétants à partir du début de l'après-midi du samedi 20 juin. Ils se sont poursuivis le lendemain dimanche 21 juin et le lundi 22 juin 1981. Les deux derniers jours ont d'ailleurs été marqués par l'intensification de la répression.
- 527 D'autre part, insiste la CDT dans son rapport, les détenus ont été présentés "en flagrant délit" au procureur du Roi le 8 juillet 1981, alors que les événements remontent au samedi 20 juin. Pourtant, la loi marocaine exige, pour l'application de la procédure du flagrant délit, des conditions très précises, à savoir que le fait délictuel se commet ou vient de se commettre, que l'auteur est encore poursuivi par la clameur publique ou se trouve porteur d'armes, etc.
- 528 Sur ces points, la CDT conclut que les syndicalistes et leurs compagnons n'ont pas été arrêtés sur les lieux des manifestations et que le constat exigé par la loi en matière de flagrant délit n'a pas été établi.
- 529 Toujours selon le dossier de la CDT, le 8 juillet 1981, les dirigeants de la CDT et leurs compagnons ont été inculpés d'atteinte à l'ordre public, d'incitation à des manifestations non autorisées, de distribution de tracts subversifs, de menaces et violences contre un fonctionnaire en service.
- 530 Les procès-verbaux d'instruction de cette phase du procès ne contiennent aucune précision ou aucun témoignage sur les "déplacements„ et "contacts" suspects ni aucune allusion à leur "participation" aux manifestations.
- 531 Les prévenus ont été traduits devant le tribunal de première instance de Casablanca, le 11 juillet 1981, statuant en matière de flagrant délit. Le juge y a ordonné un complément d'information et le maintien des inculpés en état d'arrestation.
- 532 Au cours de la nouvelle enquête, le juge a informé la défense qu'il avait été saisi d'une requête du ministère public aux fins d'"entendre des éléments de la police qui ont vu les inculpés en train d'accomplir les faits qui leur sont reprochés" et a ordonné une enquête de police à l'officier de police judiciaire qui avait déjà conduit la première enquête de police d'une manière que la CDT estime illégale, puisqu'il a maintenu les dirigeants emprisonnés en garde à vue pendant dix-huit jours. A partir du 29 juillet, des policiers ont témoigné prétendant que Chennaf Abderahman aurait fait son apparition dans une première manifestation pour susciter l'enthousiasme des manifestants et les encourager à commettre des actes de violence, qu'il se serait éclipsé subitement pour réapparaître et jouer le même rôle d'instigateur dans une seconde puis une troisième manifestation. Ses compagnons de prison auraient fait - selon lesdits témoignages - la même chose dans d'autres quartiers de la ville. Le choix des moments où les inculpés auraient fait leur apparition dans les diverses manifestations a été fait par les témoins policiers de telle sorte que ces moments puissent s'insérer - avec une certaine vraisemblance - dans l'emploi du temps minuté qui avait été exigé par le juge au début de l'instruction.
- 533 La CDT estime que l'enquête n'a servi qu'à donner au parquet le temps de réunir des communiqués syndicaux et des coupures d'articles de presse jugés subversifs et de les produire à l'appui de l'accusation. Ces documents - seules pièces à conviction - ont été remis au juge dans une enveloppe ouverte non cachetée. La CDT affirme que ces publications ne contiennent aucun appel à la violence ni aux manifestations, qu'elles visent à soutenir la grève et les revendications de la CDT, qu'elles ont été rédigées, imprimées et diffusées avant les événements du 20 juin 1981, dans le cadre du respect des conditions exigées par la loi et que leur légalité a été reconnue par les autorités pour n'avoir suscité de leur part ni observations ni poursuites. Ce n'est qu'un mois après l'arrestation des responsables de la CDT qu'il a été découvert que ces publications pouvaient être suspectées d'avoir exercé une "influence psychologique sur les manifestants" et qu'on pouvait en faire des preuves pour appuyer une accusation défaillante. Ces témoignages ont permis l'aggravation des pou suites et d'ajouter à l'encontre des dirigeants syndicaux emprisonnés tous les chefs d'inculpation attribués aux manifestants.
- 534 Les responsables de la CDT et leurs compagnons sont désormais poursuivis sous les chefs d'inculpation suivants: incendie volontairement provoqué sur des bâtiments appartenant à autrui (crime prévu par l'article 581 du Code pénal et puni de la réclusion de dix à vingt ans), destruction de bâtiments appartenant à autrui (crime prévu par l'article 590 du Code pénal et puni de la réclusion de cinq à dix ans), entrave à la circulation des véhicules sur la voie publique (crime prévu par l'article 591 du Code pénal et puni de la réclusion de cinq à dix ans), destruction par le feu des registres ou actes originaux de l'autorité publique, des effets de commerce ou de banque (crime prévu par l'article 592 du Code pénal et puni de la réclusion de deux à dix ans), pillage et dévastation de denrées, marchandises et autres biens mobiliers, commis en bande et à force ouverte (crime prévu par l'article 594 du Code pénal et puni de la réclusion de dix à vingt ans). Le tribunal de première instance a été déclaré incompétent et l'affaire a été renvoyée devant le tribunal compétent en matière de crimes par décision de la Chambre criminelle de la Cour d'appel où, selon la CDT, le 14 octobre 1981, le ministère public a déclaré que la grève était dirigée contre l'Etat, donc politique et contraire aux intérêts de la nation en guerre (conflit du Sahara). La loi garantit, certes, le droit de grève mais n'en garantit pas l'exercice; les dirigeants de la CDT, en décrétant la grève, ont donc été responsables de ses conséquences. Bien que la défense se soit insurgée contre les violations de la loi, la Cour a approuvé les moyens invoqués par le ministère public et affirmé que l'incitation à la grève et aux manifestations justifiait les poursuites au titre de crimes de dévastation, destruction, pillage. Elle a donc ordonné une enquête, et les dirigeants syndicalistes emprisonnés encourent des peines de cinq à vingt ans de prison. Selon la CDT, les inculpés auraient dû comparaître devant la Chambre criminelle de la Cour d'appel de Casablanca le 17 mai 1982.
- 535 Par ailleurs, dans une nouvelle communication, la CDT a dénoncé l'interdiction qui lui a été faite par les autorités marocaines de célébrer le 1er mai 1982 alors que tous les autres syndicats ont bénéficié des facilités et des autorisations pour ce faire. La CDT a également affirmé, dans une communication du 25 mai 1982, que ses locaux étaient encore fermés dans trois villes, les autres ayant été rouverts à la veille du 1er mai.
- 536 Elle a aussi précisé qu'à la suite d'une conférence de presse que son bureau exécutif a organisée le 6 mai 1982, deux responsables nationaux ont été arrêtés, sous le regard des journalistes, MM. Bouzabaa et Kafouni. Le premier a été relâché cinq jours après son arrestation et il est poursuivi en justice, le second a été libéré le jour même.
- 537 La CMOPE, dans une communication du 24 juin, confirme les faits et joint un communiqué de presse de la CDT d'où il ressort que M. Bouzabaa, secrétaire général du Syndicat national de la santé, a été condamné à un an de prison ferme et à 1.000 dinars d'amende par le Tribunal de première instance de Rabat pour ^tenue d'un rassemblement public sans autorisation.
- 538 Enfin, l'Organisation de l'unité syndicale africaine (OUSA) s'est jointe aux autres organisations plaignantes pour demander la libération des quatre membres du bureau exécutif de la CDT emprisonnés depuis la grève générale de juin 1981 et la libération du dirigeant syndical Bouzabaa. Elle demande également que le gouvernement marocain laisse librement fonctionner la CDT et autorise la réouverture des locaux syndicaux de Kentra, Taza, Meknès, Klaat S. Raghna et Bengir.
- b) Ajournement du cas en mai 1982
- 539 A sa réunion de mai 1982, le comité, en l'absence de réponse du gouvernement, avait dû ajourner l'examen du cas. Il avait rappelé néanmoins qu'en février 1982 il avait exprimé sa préoccupation devant la gravité des événements survenus lors de la grève générale du 20 juin 1981 et il avait prié le gouvernement de fournir des informations et des observations complémentaires, en particulier à propos de la mort de nombreuses personnes, de la détention de syndicalistes et de la fermeture des locaux de la CDT. Le comité avait donc prié instamment le gouvernement de transmettre le plus rapidement possible les observations et informations demandées. Il avait également exprimé l'espoir que le gouvernement réponde de façon positive à la demande que lui-même et le Conseil d'administration avaient formulée au sujet d'une mission sur place par un représentant du Directeur général%.
- c) Réponse du gouvernement
- 540 Dans une communication du 27 juillet 1982, le gouvernement répond au sujet des personnes qui ont été suspendues ou révoquées à la suite de la grève du 20 juin 1981 que certaines ont été suspendues pour un à trois mois et qu'elles exercent actuellement leur travail et que deux d'entre elles, MM. Marrakchi de Rabat et Badlil de Fez, sont inconnues de l'Administration des postes. M. Bounnit, de Casablanca, demeure absent de son travail. Le gouvernement déclare que les mesures de suspension ont été prises en application de l'article 5 du décret du 5 février 1956. En outre, M. M. Askari, de Jerada, est suspendu depuis septembre 1981 en raison d'une absence injustifiée de son travail qui a duré cinq jours consécutifs, en application de l'article 13 du dahir du 24 décembre 1960 relatif au statut du personnel des entreprises minières, et M. Oukhrif, également de Jerada, est suspendu depuis le 21 novembre 1981 pour incapacité professionnelle, en application de l'article 8 du dahir précité. S'agissant de la révocation de certains employés d'entreprises ou régie sous tutelle du ministère de l'Intérieur, il convient de préciser, ajoute le gouvernement, que ces mesures ont été prises en application des règles régissant ces entreprises qui prévoient de telles sanctions en cas de grève sans préavis et que l'atteinte à la continuité des services publics peut également être sanctionnée par la révocation de la personne responsable.
- 541 Le gouvernement déclare en outre que les autorités marocaines n'ont pas eu recours à la fermeture des locaux syndicaux, n'ont pas ordonné son exécution et que toute affirmation contraire relève de la propagande et de propos malintentionnés.
- 542 A propos de M. Bouzabaa, dans une communication plus récente du 1er octobre 1982, le gouvernement précise que le communiqué de presse de la CDT, qui a été transmis par la CMOPE, a été distribué illégalement par M. Abdelmajid Bouzabaa, membre du bureau exécutif de la CDT, au cours d'une réunion organisée sans autorisation préalable. A la suite de cet acte contraire à la loi, l'intéressé a été inculpé pour atteinte à la loi régissant les libertés publiques et jugé conformément aux lois et procédures en vigueur au Maroc, conclut le gouvernement.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 543. Compte tenu du temps écoulé depuis la première proposition de mission sur place adressée au gouvernement en août 1981, le comité déplore vivement l'absence de consentement du gouvernement à ce qu'un représentant du Directeur général ait pu se rendre sur place pour examiner les questions en instance le comité est convaincu qu'une telle mission contribuerait à une meilleure connaissance de la situation syndicale et à un utile examen des solutions à apporter aux problèmes posés. Le comité recommande au Conseil d'administration de charger le Directeur général d'effectuer une nouvelle démarche auprès des autorités gouvernementales pour que la mission puisse avoir lieu dans un bref délai.
- 544. Le comité, par ailleurs, tout en prenant note des informations et observations communiquées par le gouvernement sur certains aspects du cas, déplore, en ce qui concerne la mort de nombreuses personnes lors des manifestations, que le gouvernement n'ait pas communiqué les informations qu'il lui avait demandées pour savoir si une enquête a été effectuée sur les circonstances de ces décès et les résultats d'une telle enquête si elle a eu lieu. Le comité rappelle en effet que, selon les allégations, il y aurait eu 600 morts et plusieurs centaines de blessés, que des cadavres n'auraient pas été rendus à leurs familles, que la plupart des victimes auraient été atteintes par balles de pistolet ou de mousqueton et que des personnes auraient été poursuivies et tuées à l'intérieur de leur domicile. Le comité prie à nouveau instamment le gouvernement, étant donné la gravité des allégations, d'indiquer si une enquête judiciaire impartiale a été effectuée et, dans l'affirmative, d'en communiquer les résultats.
- 545. Au sujet de l'arrestation et de la condamnation des syndicalistes, le comité avait demandé au gouvernement de fournir des informations détaillées sur les chefs d'inculpation retenus contre les syndicalistes mentionnés dans les plaintes ainsi que sur les faits à l'origine de leur condamnation et sur la situation actuelle des quatre dirigeants nationaux de la CDT, dont Noubir Amaoui, pour lesquels les tribunaux se seraient déclarés incompétents. Le comité constate que le gouvernement n'a fourni aucune information nouvelle sur cet aspect du cas. Néanmoins, le comité relève que dans sa communication initiale le gouvernement avait reproché aux responsables de la grève de s'être fait remarquer par leur absence, démontrant la faiblesse de leur encadrement et leur incapacité à la contrôler.
- 546. Sur cet aspect du cas, le comité prend note des informations détaillées contenues dans le rapport de la CDT d'où il ressort que les quatre dirigeants nationaux arrêtés qui avaient été convoqués à la préfecture de Casablanca le jour même du début de la grève, le samedi 20 juin 1981, s'y seraient rendus à partir de 11 b 30 et y auraient été arrêtés. D'après la CDT, Noubir Amaoui aurait été arrêté à 11 h 30, les autres durant l'après-midi. on toujours au dire de la CDT, les événements de Casablanca ont connu des développements inquiétants à partir du début de l'après-midi du samedi 20 juin, ils se sont poursuivis le 21 et le 22, les deux derniers jours étant marqués par l'intensification de la répression. Le comité note également d'après les informations de la CDT, que le tribunal de première instance s'est effectivement déclaré incompétent et que les intéressés sont maintenant poursuivis par décision de la Chambre criminelle de la Cour d'appel, en correctionnelle, et qu'ils encourent des peines de cinq à vingt ans de prison.
- 547. En l'absence des observations demandées au gouvernement sur la situation des syndicalistes détenus mentionnés par les plaignants, le comité ne peut que constater que les quatre dirigeants nationaux de la CDT sont en détention préventive depuis plus d'un an (juin 1981) pour avoir appelé à une grève.
- 548. Le comité réitère les conclusions auxquelles il était parvenu dans son 214e rapporte où il déclarait qu'en examinant les documents fournis par les plaignants, et en particulier le "mémoire revendicatif" de la CDT ainsi que la lettre qu'elle avait adressée le 11 juin 1981 au Premier ministre, force était de constater que les revendications portaient sur les augmentations de salaires, la garantie de l'emploi et la défense des libertés syndicales, toutes questions qui entrent dans la compétence normale des organisations syndicales. C'est sur la base de ces revendications que la CDT avait organisé la grève générale du 20 juin, concluait le comité.
- 549. Rappelant que la détention préventive de syndicalistes implique un grave danger d'atteinte à la liberté syndicale, le comité prie à nouveau le gouvernement de fournir des informations détaillées sur la situation actuelle de tous les syndicalistes emprisonnés.
- 550. Au sujet de la fermeture alléguée des locaux de la CDT, le comité note que, selon le gouvernement, les autorités n'y ont pas eu recours. Compte tenu de la nature contradictoire des informations sur cet aspect du cas, le comité ne peut qu'insister sur l'importance qu'il attache à l'inviolabilité des locaux syndicaux de manière générale et exprimer le ferme espoir que la CDT puisse maintenant exercer sans entrave ses activités syndicales à travers tout le pays.
- 551. Au sujet des licenciements survenus à la suite de la grève de juin 1981 dans divers secteurs, notamment l'administration des postes, les entreprises minières et le ministère de l'Intérieur, le comité note qu'au dire même du gouvernement certaines personnes ont été licenciées pour absence injustifiée, grève sans préavis ou atteinte à la continuité des services publics. Le comité, rappelant d'une manière générale l'importance qu'il attache au droit de grève comme l'un des moyens essentiels dont doivent pouvoir disposer les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels, invite le gouvernement à réexaminer la situation des travailleurs licenciés pour fait de grève en vue de rétablir un meilleur climat de relations professionnelles.
- 552. Au sujet des allégations nouvelles, à savoir l'interdiction faite à la CDT de célébrer le 1er mai 1982 et la condamnation à un an de prison ferme d'un dirigeant de la CDT, M. Bouzabaa, pour avoir tenu une conférence de presse sur la situation syndicale, le comité note que le gouvernement ne fournit ses observations que sur la condamnation de l'intéressé. Le gouvernement admet que l'intéressé a été condamné pour avoir distribué un communiqué de presse au cours d'une réunion organisée sans autorisation préalable et avoir porté ainsi atteinte à la "loi sur les libertés publiques".
- 553. A cet égard, le comité doit insister sur le principe selon lequel le droit d'exprimer des opinions par voie de presse ou autrement est l'un des éléments essentiels des droits syndicaux, le plein exercice des droits syndicaux exigeant la libre circulation des informations, des opinions et des idées le comité exprime le ferme espoir que le gouvernement adoptera une attitude clémente à l'égard de ce dirigeant syndical condamné pour avoir distribué un communiqué de presse au cours d'une réunion organisée sans autorisation préalable, et prie le gouvernement de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
- 554. Enfin, le comité prie le gouvernement de communiquer les informations sur l'allégation à laquelle il n'a pas répondu relative à l'interdiction de célébrer le 1er mai 1982 qui aurait été faite à la CDT.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 555. Le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport intérimaire et, en particulier, les conclusions suivantes:
- a) Compte tenu du temps écoulé depuis la première proposition de mission sur place adressée au gouvernement (août 1981), le comité déplore vivement l'absence de consentement du gouvernement à ce qu'un représentant du Directeur général ait pu se rendre sur place pour examiner les questions en instance. Le comité est convaincu qu'une telle mission contribuerait à une meilleure connaissance de la situation syndicale et à un examen utile des solutions à apporter aux problèmes posés. Le comité recommande au Conseil d'administration de charger le Directeur général d'effectuer une nouvelle démarche auprès des autorités gouvernementales pour que la mission puisse avoir lieu dans un bref délai.
- b) En ce qui concerne les allégations relatives à la mort de nombreuses personnes lors des manifestations, le comité déplore que le gouvernement n'ait pas fourni les observations complémentaires qui lui avaient été demandées sur ce point. Il prie instamment à nouveau le gouvernement d'indiquer si une enquête judiciaire a été effectuée sur les circonstances de ces décès et, dans l'affirmative, d'en fournir le résultat.
- c) Pour ce qui est de l'arrestation des syndicalistes mentionnés par les plaignants et, en particulier, des quatre dirigeants nationaux de la CDT en détention préventive depuis plus d'un an pour avoir appelé à une grève, et qui, au dire des plaignants, encourent des peines de cinq à vingt ans de prison, le comité prie à nouveau le gouvernement de fournir des informations détaillées sur leur situation actuelle, ainsi que sur celle de toutes les personnes détenues mentionnées en annexe au 214e rapport du comité.
- d) Au sujet des allégations concernant le licenciement de syndicalistes à la suite de la grève de juin 1981, le comité invite le gouvernement à réexaminer la situation des travailleurs licenciés pour fait de grève en vue de rétablir un meilleur climat de relations professionnelles.
- e) A propos de la fermeture alléguée des locaux syndicaux de la CDT, le comité, notant les assurances données par le gouvernement selon lesquelles les autorités n'ont pas eu recours à la fermeture des locaux syndicaux, exprime le ferme espoir que la CDT continuera à exercer sans entrave ses activités à travers tout le pays.
- f) S'agissant de la peine d'un an de prison ferme, qui a frappé le dirigeant national de la CDT, M. Bouzabaa, pour avoir distribué un communiqué de presse au cours d'une réunion organisée sans autorisation préalable et donc, au dire du gouvernement, porté atteinte à la "Loi sur les libertés publiques", le comité insiste sur l'importance du droit d'exprimer ses opinions par voie de presse comme un moyen essentiel d'exercer ses droits syndicaux. En conséquence, le comité exprime le ferme espoir que le gouvernement adoptera une attitude de clémence à l'égard de ce dirigeant syndical et le prie de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
- g) Enfin, le comité prie le gouvernement de communiquer ses observations sur l'allégation à laquelle il n'a pas répondu relative à l'interdiction qui aurait été faite à la CDT de célébrer le 1er mai 1982.