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- 336. Les plaintes sont contenues dans des communications adressées directement à l'OIT: deux d'entre elles datées des 19 janvier et 17 février 1973 présentées par le Secrétariat professionnel international de l'enseignement (SPIE), une troisième du 10 avril 1973, par la Confédération mondiale du travail (CMT). La CMT a fourni des informations complémentaires, dans une communication du 18 avril 1973. Le texte de ces communications a été transmis au gouvernement qui, par une communication du 24 mai 1973, a fourni les observations du gouvernement de la province du Québec.
- 337. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais non la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 338. Le présent cas se rapporte au développement d'une situation sur laquelle le comité a déjà eu à se pencher dans le cadre d'une affaire dont il avait été saisi précédemment. A cette occasion, le comité, au paragraphe 196 de son 133e rapport, a présenté ses recommandations définitives sur le cas au Conseil d'administration. Les plaignants font état d'éléments nouveaux qui devraient, selon eux, être pris en considération dans le même contexte.
- 339. Le comité rappelle que le cas en question avait trait à une grève dans le secteur public de la province du Québec. Un juge de la Cour supérieure avait décerné une injonction pour y mettre fin dans une cinquantaine d'hôpitaux. Par la suite, une loi no 19 avait été promulguée qui ordonnait la reprise du travail dans tout le secteur public et prescrivait au gouvernement, si aucun accord n'intervenait, de réglementer par décret les conditions de travail dans ce secteur. Le comité avait recommandé au Conseil d'administration d'exprimer l'avis que la procédure d'injonction ne constituait pas, en l'espèce, une violation des droits syndicaux, mais avait signalé que l'interdiction ou les restrictions à la grève, dans le cadre de ladite loi no 19, devaient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, ce qui n'était pas le cas.
- 340. Le SPIE allègue que la position défendue par le gouvernement du Québec auprès du comité, à l'occasion du cas précité, ne correspondrait pas à la réalité, car, contrairement à ses assertions, le gouvernement aurait en fait émis un premier décret le 15 octobre 1972 pour réglementer les conditions de travail en vertu de la loi no 19; en outre, ni celui-ci, ni le décret postérieur du 15 décembre 1972 ne prévoiraient de mécanisme destiné à compenser la perte du droit de grève, contrairement à ce qu'avait recommandé le comité.
- 341. Dans sa communication du 10 avril 1973, la CMT allègue que, sur la base de la loi québécoise no 19, des poursuites de plus en plus nombreuses seraient engagées contre des syndicats et des dirigeants syndicaux; elle présente également d'autres allégations qui sont reprises d'une manière plus détaillée dans une note d'information annexée à sa communication du 18 avril 1973.
- 342. Dans ce mémorandum, la CMT explique qu'au cours de la période suspensive de leur peine de prison, les trois présidents de centrales, Marcel Pépin, Louis Laberge et Yvon Charbonneau, ont conduit des négociations qui ont repris entre l'ensemble des travailleurs de la fonction publique et de l'enseignement, d'une part, et le gouvernement du Québec, d'autre part. Ces négociations ont abouti à la conclusion d'une convention collective couvrant quelque 140.000 travailleurs de la fonction publique et donnant satisfaction à leurs revendications. Or, malgré ce fait, les recours en appel présentés par les trois présidents ont été rejetés, et ils ont de nouveau été incarcérés, le 2 février 1973, pour purger le reste de leur peine, soit environ 11 mois et demi.
- 343. Contrairement à l'espoir exprimé par le comité dans le cas précité, continue la CMT, les enseignants (environ 40.000) n'ont pu arriver à un accord collectif et leurs conditions de travail ont été déterminées par décret, sur la base de la loi no 19, à l'égard de laquelle la CMT renouvelle ses réserves et ses critiques.
- 344. La CMT affirme que le gouvernement du Québec n'a pas seulement maintenu et appliqué intégralement la loi no 19, mais a saisi le Parlement d'un projet de loi no 89 qui donnerait en fait au gouvernement la possibilité d'interdire l'exercice du droit de grève dans le secteur public et l'enseignement et qui rendrait même illusoires la liberté et le droit de négociation collective de ces travailleurs.
- 345. La CMT ajoute que les amendes exorbitantes prononcées contre les syndicats de la fonction publique et de l'enseignement ont été maintenues. Pour la seule Confédération des syndicats nationaux, elles atteignent un total de 232.100 dollars et, si les autres décisions judiciaires en cours sont prises dans le même sens, les amendes se monteraient à un total de 507.850 dollars. Pour ce qui est de la Centrale des enseignants du Québec et des syndicats affiliés, des amendes dont le total s'élève à 1.500.000 dollars leur sont réclamées dans les procédures engagées contre eux.
- 346. Selon la CMT, toutes ces mesures constituent, sous des formes habiles, un ensemble de mesures de répression antisyndicale et cherchent à atteindre les syndicats dans leur substance même; hors de toute proportion avec les événements d'avril 1972, elles ne tiennent aucun compte du règlement du conflit, pour sa plus grande part, par une solution négociée. La CMT répète que les dispositions appropriées avaient été prises par les syndicats pour veiller au fonctionnement des services essentiels, qu'il y ait eu ou non accord avec la direction des entreprises ou des hôpitaux à cet égard; elle signale que les peines prononcées dans le cas de grèves antérieures dans des circonstances similaires - celle des médecins et celle de la police - ont été immédiatement rapportées, et que ces peines sont hors de proportion avec celles infligées dans le cas d'autres grèves.
- 347. La CMT déclare qu'apparemment le gouvernement du Canada a laissé la situation se développer au Québec sans intervenir avec assez d'autorité et que toutes les démarches entreprises par elle, par le SPIE et la Confédération internationale des syndicats libres (toutes trois directement intéressées au conflit), en vue de négocier et d'obtenir une solution amiable se sont heurtées à l'intransigeance du gouvernement du Québec et à l'inertie de celui du Canada.
- 348. En conclusion, la CMT demande au comité de bien vouloir inviter formellement les gouvernements du Québec et du Canada à prendre les dispositions nécessaires pour que: 1) soit prononcée la remise des peines de prison de MM. Pépin, Laberge et Charbonneau; 2) soient supprimées les lourdes amendes frappant les syndicats intéressés; 3) la loi no 19 et le projet de loi no 89 fassent l'objet, dans les plus brefs délais, d'une négociation entre le gouvernement du Québec et les centrales syndicales intéressées; 4) les gouvernements du Québec et du Canada cherchent "loyalement" et de commun accord avec les syndicats concernés les moyens de garantir l'exercice de la liberté syndicale et le respect des droits démocratiques en matière de négociations collectives et de conflits du travail.
- 349. Le gouvernement a fait tenir sa réponse aux allégations dans une communication du 24 mai 1973, à laquelle il joignait le texte de deux lettres du gouvernement du Québec qui contenaient les informations pertinentes.
- 350. En ce qui concerne la première allégation du SPIE, relative à l'adoption du décret du 15 octobre 1972, pour fixer les conditions de travail en vertu de la loi no 19, le gouvernement rappelle les termes de sa communication du 30 octobre 1972, repris au paragraphe 182 du 133e rapport précité du comité: bien que ce décret eût pu être en vigueur depuis le 15 octobre 1972, il n'était pas envisagé de le publier avant le début de décembre, pour permettre ainsi aux parties intéressées d'en venir à une entente par voie de négociation et évitant d'avoir à promulguer un décret. Le gouvernement ajoute que cette possibilité de retarder l'entrée en vigueur dudit décret au mois de décembre 1972 (et même de l'abandonner complètement au profit d'un accord négocié) est fondée sur l'article 10, paragraphe 7, de la loi no 19, modifiée par l'article 2 de la loi no 53 (sanctionnée le 30 juin 1972): "le Lieutenant-gouverneur en conseil peut ainsi procéder par décret à toute date qu'il juge appropriée mais non antérieure au 3 août 1972 ni postérieure au 15 septembre 1972, à moins que les deux parties habilitées à négocier et à agréer une convention collective ne conviennent de continuer leurs négociations jusqu'à une date ultérieure qu'elles déterminent avec l'approbation du ministre ...". Le gouvernement en conclut, tenant compte des dates mentionnées, que la possibilité d'adopter un décret le 15 décembre 1972, pour tenir lieu de convention collective, était connue lors de la 188e session du Conseil d'administration du BIT.
- 351. Quant au second point de la plainte du SPIE, c'est-à-dire l'absence de mécanisme de remplacement compensant la perte du droit de grève, le gouvernement déclare que le décret du 15 décembre 1972 n'est que la suite logique de celui du 15 octobre 1972 (traitant particulièrement des conditions de travail qui n'avaient pas fait l'objet de ce dernier décret), que le décret du 15 octobre 1972 avait été adopté avant les recommandations du Comité dans le cas no 699 précité et qu'il était dès lors "dans le temps et par le truchement des décrets du 15 octobre et du 15 décembre 1972 physiquement impossible que le décret du 15 décembre 1972 puisse, contenir un mécanisme pour compenser le droit de grève".
- 352. Au surplus, le gouvernement affirme qu'un principe du droit du travail, consacré par différentes législations nationales et par l'article 95 du Code du travail, interdit la grève pendant la durée d'une convention collective, que les décrets précités tiennent lieu de convention collective et qu'il n'y a donc pas à s'occuper de créer un mécanisme compensatoire du droit de grève tant que ne prendront pas fin ces conventions ou les décrets en tenant lieu puisque pendant ce temps le droit de grève n'existe pas.
- 353. Le gouvernement ajoute que le moyen légal pour créer ce mécanisme de remplacement ne pouvait être formulé dans le décret du 15 décembre 1972 dont le cadre était déjà défini dans le décret du 15 octobre 1972; un tel mécanisme aurait été légalement ultra vires par rapport aux pouvoirs de réglementation accordés par la loi no 19, loi reconnue par le comité, poursuit le gouvernement, comme non contraire aux droits syndicaux.
- 354. Le gouvernement conclut sur la plainte du SPIE dans son ensemble que les faits invoqués ne sont pas nouveaux et que leur interprétation, proposée par le plaignant, "ne résiste pas à l'analyse de la loi alors en vigueur au Québec et des événements qui s'y sont déroulés".
- 355. A propos des allégations de la CMT relatives à l'incarcération de MM. Pépin, Laberge et Charbonneau à partir du 2 février 1973, le gouvernement déclare que le comité s'est déjà prononcé sur ce point. Il ajoute, en s'étendant longuement sur ce point, que la situation dans les hôpitaux psychiatriques ou pour malades chroniques était très grave, qu'il est inexact que les dispositions appropriées avaient été prises par les syndicats pour fournir les services essentiels, que la plupart des syndiqués avaient refusé de reprendre le travail à l'incitation des trois dirigeants syndicaux et que les tribunaux ont jugé, dans ces circonstances, que la peine d'un an de prison n'était pas exagérée.
- 356. La décision étant judiciaire, continue le gouvernement, il ne lui appartient pas d'intervenir. Il aurait pu user de sa prérogative royale du pardon, mais cela ne se justifiait pas et les détenus avaient d'ailleurs déclaré publiquement qu'ils ne demanderaient pas le pardon; ceux-ci ont toutefois bénéficié du régime des absences temporaires à partir du 15 mai 1973.
- 357. En ce qui concerne les amendes imposées aux syndicats, pour contravention à une injonction judiciaire, le gouvernement se réfère à ce qu'il a dit à propos des chefs syndicaux et déclare qu'il est exact que la totalité des amendes s'élève à environ un demi-million de dollars, mais que les juges ont, lorsqu'ils ont fixé ces amendes, pris en considération le nombre d'employés faisant partie du syndicat et qu'en moyenne ces amendes représentent 60 dollars par syndiqué.
- 358. Quant aux poursuites intentées par le gouvernement du Québec, pour violation de la loi no 19, contre ceux qui n'ont pas repris le travail, le gouvernement déclare que le comité a reconnu que la promulgation de cette loi ne constitue pas une violation des droits syndicaux et qu'il y a donc "chose jugée"; il ajoute que les articles 2 et 16 de la loi ne lui permettent pas de fermer les yeux sur ces infractions et invoque l'article. 8, paragraphe 1, de la convention no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, selon lequel les travailleurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité.
- 359. Toutefois, poursuit le gouvernement, le Procureur général a annoncé son intention de retirer les plaintes contre les syndicalistes pour n'agir que contre les syndicats eux-mêmes, si bien que, dans le cas où les plaintes seraient maintenues, l'amende minimum serait de 85.000 dollars et l'amende maximum de 850.000 dollars (si cette décision n'avait pas été prise, les amendes auraient pu s'élever entre 295.000 et 2.950.000 dollars).
- 360. En ce qui concerne le dépôt du projet de la loi no 89 à l'Assemblée nationale du Québec, le gouvernement soutient qu'il ne s'agit encore que d'un projet et non d'une loi, et que ce projet ne constitue pas légalement un acte dont il est responsable, qu'il n'y a donc pas de dérogation à la convention no 87 et que la plainte est prématurée.
- 361. Le gouvernement poursuit que ce projet vise justement à éviter de recourir aux injonctions dans les conflits futurs et qu'il fera l'objet d'un débat en commission parlementaire, où toutes les parties intéressées, y compris les syndicats, pourront "venir faire leurs représentations et leurs suggestions", mais qu'il ne peut être question pour le gouvernement de négocier un projet de loi avec les centrales syndicales ou d'autres organismes.
- 362. A l'occasion de l'examen du cas no 699 dans son 133e rapport, le comité a constaté que l'injonction, décernée le 1er avril 1972 pour mettre fin à la grève par un juge de la Cour supérieure, ne visait que quelque 14.500 travailleurs occupés dans une cinquantaine d'hôpitaux pour malades chroniques ou pour malades mentaux et qu'elle interdisait à ces travailleurs de se mettre en grève avant le 9 juin 1972. D'après le jugement de la Cour supérieure, presque tous les travailleurs de ces établissements refusèrent d'obtempérer à l'injonction et, cette grève ayant désorganisé les services hospitaliers, le Procureur général décida de poursuivre pour outrage au tribunal certains chefs syndicalistes et les syndicats eux-mêmes, ce qui provoqua l'arrestation de certains chefs syndicalistes et leur incarcération après jugement.
- 363. Le comité a recommandé au Conseil d'administration, pour ce qui est des allégations relatives à la procédure d'injonction, d'exprimer l'avis que ces mesures prises par le gouvernement pour obtenir du tribunal une injonction en vue de mettre provisoirement fin à une grève dans le secteur public ne constituaient pas une violation des droits syndicaux et, pour ce qui est des allégations concernant l'arrestation et l'emprisonnement des dirigeants syndicaux Marcel Pépin, Louis Laberge et Yvon Charbonneau, de décider que cet aspect du cas n'appelait pas un examen plus approfondi.
- 364. Le comité estime que les allégations des plaignants relatives à l'emprisonnement desdits dirigeants syndicaux et aux amendes imposées pour contravention à une injonction judiciaire ne contiennent pas d'éléments nouveaux susceptibles de l'inciter à modifier ses conclusions sur ces points.
- 365. Des informations communiquées par le gouvernement sur les autres allégations, il ressort que deux décrets (en date des 15 octobre et 15 décembre 1972), pris en vertu de la loi no 19 assurant la reprise du service dans le secteur public et modifiés par la loi no 53, sont effectivement entrés en vigueur et qu'ils tiennent lieu de convention collective. Il en ressort également qu'un projet de loi no 89 a été déposé à l'Assemblée nationale du Québec et qu'il vise à éviter le recours aux injonctions dans le cas de conflits futurs.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 366. Lorsqu'il a examiné le cas no 699 précité, le comité a tout d'abord pris note du fait que, suite à l'adoption de la loi no 19, les travailleurs du secteur public avaient été empêchés de se mettre en grève avant le 30 juin 1972 et que si les parties n'étaient pas parvenues à régler le différend qui subsistait à propos des enseignants et à se mettre d'accord, le gouvernement réglerait d'autorité les conditions de travail ce même jour au plus tard.
- 367. Le comité a rappelé que dans le cas des agents de la fonction publique, la reconnaissance du principe de la liberté d'association n'implique pas nécessairement aussi le droit de grève. Il a toutefois insisté à nouveau sur l'importance qu'il attache - lorsque les grèves sont interdites ou qu'elles souffrent de restrictions dans la fonction publique et les services essentiels - à l'existence de garanties adéquates destinées à sauvegarder pleinement les intérêts des travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de promouvoir leurs intérêts professionnels; il a également relevé que de telles restrictions devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et que les sentences rendues devraient, dans tous les cas, lier l'une et l'autre partie; après avoir été rendues, ces sentences devraient être appliquées intégralement et rapidement.
- 368. A ce propos, le comité a estimé que, puisqu'en vertu de la loi no 19, l'exercice du droit de grève est interdit ou souffre des restrictions, cette interdiction ou ces restrictions devraient, pour qu'il n'y ait pas violation des droits syndicaux, aller de pair avec des garanties suffisantes et notamment avec l'existence d'un système spécial et impartial de conciliation et d'arbitrage pour sauvegarder pleinement les intérêts des travailleurs. Il a ajouté que dans le cas d'espèce, on n'avait pas recouru à la procédure d'arbitrage régulière, qui est de toute manière volontaire, et que la loi no 19 ne contenait aucune disposition concernant le règlement du conflit au moyen d'une procédure impartiale de conciliation et d'arbitrage. Le comité a recommandé au Conseil d'administration de noter que cette loi n'avait pas encore été appliquée et d'appeler l'attention du gouvernement sur les considérations qui précèdent.
- 369. Le comité note que la loi no 53, sanctionnée le 30 juin 1972, modifie la loi no 19 précitée. Les amendements portent notamment sur les points suivants: la limite du 30 juin 1972 à l'interdiction de la grève est supprimée; le gouvernement ne pourra procéder par décret avant le 3 août 1972 ni après le 15 septembre 1972, à moins que les parties ne conviennent de continuer les négociations jusqu'à une nouvelle date, avec l'accord du ministre. En ce cas, c'est à cette dernière date que le gouvernement pourra adopter un décret. Sur la base de ces deux lois, deux décrets ont été pris les 15 octobre et 15 décembre 1972, qui tiennent lieu de convention collective et qui règlent d'autorité les conditions de travail dans le secteur intéressé.
- 370. Le comité constate en outre qu'un projet de loi no 89, assurant le bien-être de la population en cas de conflit du travail, a été déposé à l'Assemblée nationale du Québec. En vertu de ce projet, le gouvernement pourrait interrompre une grève dans les services publics et charger une commission de trois membres, nommés par lui, de vérifier si le conflit compromet ou est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être publics ou l'éducation d'un groupe d'élèves. Dans ce cas, le gouvernement pourrait interdire la grève et déférer le conflit à une commission parlementaire qui entendrait les parties et ferait rapport au gouvernement. A défaut de règlement du conflit, un scrutin secret serait tenu parmi les salariés qui devraient se prononcer sur les dernières offres patronales. Ce scrutin serait tenu par un personnage officiel nommé en permanence par l'Assemblée nationale aux deux tiers des voix de ses membres. Si les offres patronales étaient refusées à ce scrutin secret, le conflit pourrait être soumis à l'Assemblée nationale qui le trancherait sur résolution. La même procédure pourrait être suivie si le nombre de salariés en grève était tel que la population ou l'employeur n'avait plus accès aux services de ces salariés de façon habituelle.
- 371. Le projet contient des dispositions sévères et prévoit des peines d'amende de 5.000 à 50.000 dollars, à charge des syndicats et des syndicalistes pour chaque jour ou partie de jour pendant lequel une personne a contrevenu aux articles pertinents; ces peines peuvent être imposées sur poursuite sommaire et tout syndiqué est présumé avoir contrevenu à l'interdiction de faire grève au cours d'une journée dès qu'il est prouvé prima facie que ce syndiqué n'a pas exercé ses fonctions au cours de cette journée.
- 372. En ce qui concerne ce projet, il a été dit au paragraphe 360 du présent rapport que le gouvernement signalait qu'il ne s'agissait pas encore d'une loi. Sur ce point, le comité croit devoir rappeler qu'il a estimé par le passé que, lorsqu'il est saisi d'allégations précises et détaillées concernant un projet de loi, le fait que ces allégations se rapportent à un texte n'ayant pas force de loi ne devrait pas, à lui seul, l'empêcher de se prononcer sur le fond des allégations présentées. Le comité a été d'avis qu'il y a en effet intérêt à ce que, en de tels cas, le gouvernement et le plaignant aient connaissance du point de vue du comité à l'égard d'un projet de loi avant l'adoption de celui-ci, étant donné que le gouvernement, à qui revient l'initiative en la matière, a la faculté de lui apporter d'éventuelles modifications.
- 373. Le comité constate que, en vertu du projet de loi no 89, comme de la loi no 19 (modifiée par la loi no 53), l'exercice du droit de grève dans les services publics est interdit ou souffre des restrictions. Il tient à souligner une nouvelle fois que cette interdiction ou ces restrictions devraient aller de pair avec des garanties suffisantes, et notamment avec des procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et que les sentences rendues devraient, dans tous les cas, lier l'une et l'autre partie.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 374. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de rappeler une nouvelle fois l'importance qu'il attache au principe selon lequel l'interdiction d'exercer le droit de grève ou des restrictions à ce droit dans la fonction publique et les services essentiels devraient aller de pair avec des garanties suffisantes, et notamment avec des procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et que les sentences rendues devraient, dans tous les cas, lier l'une et l'autre partie;
- b) de prendre note du fait qu'au Québec, la manière dont a été réglé dans le passé le différend dans l'enseignement et la façon dont se trouveraient réglés les conflits dans les services publics, si le projet de loi no 89 était adopté tel que, ne correspondent pas pleinement aux exigences découlant de l'application du principe auquel se réfère l'alinéa précédent;
- c) d'exprimer l'espoir qu'une solution satisfaisante au problème soulevé dans les plaintes sera trouvée dans un proche avenir, et de prier le gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de toutes les mesures qui seront prises ou envisagées à cette fin.