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A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 320. La plainte de la Confédération internationale des syndicats chrétiens est contenue dans un télégramme du 14 décembre 1956 qui est ainsi conçu « Confédération internationale des syndicats chrétiens proteste vigoureusement contre arrestation membres conseils ouvriers par autorités hongroises. Porte plainte contre gouvernement hongrois pour ses nouvelles violations flagrantes liberté syndicale et droits fondamentaux travailleurs. Demande intervention immédiate Organisation internationale du Travail et Organisation Nations Unies auprès gouvernement hongrois et examen urgent sur place par toute voie possible même sans invitation et approbation gouvernement hongrois. »
- 321. La Confédération internationale des syndicats chrétiens a été informée, par une lettre en date du 26 décembre 1956, de son droit de présenter, dans le délai d'un mois, des informations complémentaires à l'appui de sa plainte. L'organisation plaignante n'a pas fait usage de ce droit. La plainte a été communiquée au gouvernement hongrois par une lettre en date du 28 décembre 1956.
- 322. Le gouvernement de la Hongrie a présenté ses observations sur la plainte de la C.I.S.C dans une lettre en date du 11 février 1957, dont le texte suit:
- 1) La Confédération internationale des syndicats chrétiens s'élève contre l'arrestation de certains membres des conseils ouvriers par les autorités hongroises, arrestation qu'elle estime constituer une violation des droits syndicaux. Avant de traiter du fond de la question, le gouvernement hongrois désire attirer l'attention sur les points suivants:
- Le décret-loi no 25 de 1956 sur les conseils ouvriers, émanant du Conseil présidentiel de la République populaire de Hongrie (le texte anglais de ce décret-loi figure en annexe à la présente communication), définit le champ d'activité des conseils ouvriers. Aux termes de ce mandat, le conseil ouvrier se prononce sur toutes les questions importantes intéressant l'entreprise et contrôle l'ensemble de son activité. Il découle de cette conception que le conseil ouvrier est un organe économique et de contrôle chargé d'assurer la participation directe des ouvriers et des employés à la gestion des usines alors que le syndicat, en tant qu'organisation indépendante de la classe laborieuse ayant pour but la sauvegarde de ses intérêts, protège les intérêts des travailleurs même s'il lui faut pour cela aller à l'encontre de mesures impropres prises par le conseil ouvrier.
- Il est donc évident que le fonctionnement des conseils ouvriers n'a pas de rapport avec l'exercice des droits syndicaux, et l'étude des problèmes intéressant les conseils ouvriers ne saurait en aucun cas relever de la compétence du Comité de la liberté syndicale.
- 2) En ce qui concerne le fond de la question soulevée par la Confédération internationale des syndicats chrétiens, le gouvernement hongrois désire faire valoir ce qui suit:
- Le décret-loi mentionné plus haut investit les conseils ouvriers de pouvoirs étendus afin de permettre - conformément au principe de la gestion ouvrière - aux ouvriers et aux employés de participer au contrôle du fonctionnement des usines. L'activité économique des conseils ouvriers n'a commencé qu'il y a quelques semaines dans des conditions particulièrement difficiles ; toutefois, les premières difficultés une fois surmontées, les conseils sont tous les jours plus à même d'accomplir les tâches qui leur incombent en ce qui concerne la gestion des entreprises. Il convient de souligner ici que les conseils ouvriers ont été constitués à une époque où sévissaient encore certains éléments contre-révolutionnaires qui avaient pour but de renverser l'ordre légalement établi et s'efforçaient de s'infiltrer au sein des organes administratifs. C'est ainsi que certains éléments étrangers à la classe ouvrière - et même nettement hostiles à cette dernière - réussirent à s'infiltrer dans les conseils ouvriers. Plusieurs d'entre eux se livrèrent à des activités subversives dirigées contre l'ordre établi de la République populaire de Hongrie, cachèrent des armes et menèrent contre le régime une campagne de sédition. Il convient d'insister sur le fait que les autorités hongroises compétentes ont engagé des poursuites contre ces personnes, conformément aux dispositions de la législation pénale hongroise.
- Etant donné qu'il relève du droit souverain de chaque Etat d'engager des poursuites pénales dans le cadre de ses prérogatives criminelles contre les personnes qui se sont rendues coupables d'actions subversives dirigées contre l'ordre établi, c'est la ferme conviction du gouvernement hongrois que la question de l'arrestation de certains membres des conseils ouvriers entre exclusivement dans le cadre des affaires internes de la République populaire de Hongrie et que, par suite, l'examen de ladite question sort du champ de compétence des organisations internationales.
- Pour les raisons exposées ci-dessus, le gouvernement hongrois rejette énergiquement la demande contenue dans la plainte de la Confédération internationale des syndicats chrétiens, demande qui constitue une atteinte à la souveraineté de la République populaire de Hongrie, selon laquelle l'affaire en question devrait faire l'objet d'une « enquête sur place, même sans invitation et approbation du gouvernement hongrois ».
- Sur la base de ce qui précède, je vous prie, Monsieur le Directeur général, de porter la teneur de la présente communication à la connaissance du Comité de la liberté syndicale et exprime l'espoir qu'un examen objectif de la question, effectué à la lumière des données fournies par mon gouvernement, incitera les organes compétents de l'Organisation internationale du Travail à conclure que la plainte - par ailleurs sans fondement - de la Confédération internationale des syndicats chrétiens ne relève pas de la compétence de l'Organisation internationale du Travail et moins encore de celle du Comité de la liberté syndicale.
- 323. En annexe à sa réponse, le gouvernement hongrois a communiqué le texte, en traduction anglaise, du décret-loi no 25 de 1956 du Conseil présidentiel de la République populaire de Hongrie sur les conseils ouvriers. Ce texte est reproduit ci-dessous:
- La démocratie socialiste ne peut être réalisée en pratique que si les usines, mines et ateliers (mentionnés ci-après comme entreprises industrielles) constituant la propriété du peuple tout entier sont administrés par des conseils ouvriers élus par les travailleurs des entreprises industrielles.
- En ce qui concerne l'élection, le mandat et les règles de procédure des conseils ouvriers, le Conseil présidentiel de la République populaire de Hongrie a promulgué le décret suivant, qui a force de loi:
- Article 1. 1) Des conseils ouvriers seront élus dans toutes les usines, entreprises industrielles, mines, fermes d'Etat, y compris les entreprises de production industrielle des diverses institutions d'Etat (chemins de fer de l'Etat, services postaux, etc.).
- 2) Les travailleurs employés dans les bureaux, les institutions et les organisations qui ne contribuent pas à la production proprement dite ainsi que dans les chemins de fer, les postes, les transports routiers en commun, les tramways, les transports aériens, la batellerie, n'éliront pas de conseils ouvriers.
- 3) Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas à l'artisanat, au travail à domicile ni aux coopératives agricoles et autres dont les affaires sont administrées par des organes élus (assemblée générale, conseil d'administration, etc.).
- Election des conseils ouvriers
- Article 2. 1) Des conseils ouvriers permanents peuvent être élus si deux tiers au moins de l'ensemble des travailleurs sont présents. Dans les entreprises où des conseils ouvriers seront élus conformément à l'article 1, les conseils ouvriers provisoires continueront à fonctionner sur la base de la résolution gouvernementale no 6/1956/XI.12 jusqu'à l'élection des conseils ouvriers permanents.
- 2) Le nombre des membres des conseils ouvriers variera de 11 à 71 et celui des membres suppléants de 3 à 15 selon le nombre des travailleurs employés par l'entreprise.
- Article 3. 1) Les travailleurs de l'entreprise éliront les membres du conseil ouvrier lors d'une assemblée des travailleurs de l'usine au scrutin direct et secret. L'élection sera préparée par le syndicat de l'usine avec la participation la plus large des travailleurs.
- 2) A l'assemblée d'usine pour les élections, tous les travailleurs de l'entreprise auront droit à une voix, et tout travailleur employé par l'entreprise depuis un an au moins sera éligible.
- Le directeur, l'ingénieur en chef et le chef comptable ne seront pas éligibles. Toutefois, le directeur de l'entreprise pourra participer aux réunions du conseil ouvrier avec droit consultatif.
- Article 4. 1) Lorsque cela sera possible, l'élection aura lieu lors d'une assemblée générale des travailleurs de l'entreprise. Dans les entreprises où cela n'est pas possible en raison du nombre des travailleurs ou de la dispersion des ateliers, les membres des conseils ouvriers seront élus au cours de réunions de chacune des sections ou de chacun des ateliers. En pareil cas, les travailleurs éliront les membres des conseils en nombre proportionnel de celui des travailleurs de la section ou de l'atelier.
- 2) Au sein des conseils ouvriers, chaque catégorie de travailleurs de l'entreprise sera représentée. Les deux tiers des membres des conseils seront choisis (élus) dans les rangs des travailleurs participant directement à la production (manoeuvres, contremaîtres, techniciens, ingénieurs).
- 3) Lors de l'élection, les travailleurs voteront pour une personne et non pour une liste. Les travailleurs auront le droit de modifier la liste à eux soumise ou d'y apporter des adjonctions. En votant (au scrutin secret), les travailleurs auront le droit de biffer ou d'ajouter tous les noms qu'ils voudront.
- 4) La liste des noms des personnes élues aux conseils ouvriers sera annoncée aux travailleurs si possible le jour même de l'élection ou, en tout cas, dans les 24 heures qui suivront cette élection.
- Article 5. 1) Le conseil ouvrier se réunira dans les 24 heures qui suivront son élection et élira parmi ses membres un présidium de 5 à 15 membres, un président, un vice-président et un secrétaire.
- 2) En sus du directeur de l'entreprise, le représentant du comité du syndicat, le représentant des organismes étatiques de contrôle compétents et le délégué du centre syndical ont le droit de participer aux réunions des travailleurs avec voix consultative.
- Article 6. 1) Les membres du conseil ouvrier seront élus, la première fois, pour une durée d'un an. Le président du conseil ouvrier pourra être élu deux fois de suite au plus.
- 2) Le mandat d'un membre du conseil ouvrier peut être interrompu avant qu'un an se soit écoulé. Pour interrompre ce mandat, une majorité des deux tiers des voix des travailleurs qui l'avaient élu sera nécessaire.
- Présidium des conseils ouvriers
- Article 7. 1) Le présidium sera l'organe exécutif subalterne du conseil ouvrier. Le président du conseil ouvrier fera des propositions quant aux membres du présidium basées sur les recommandations des travailleurs.
- 2) Le représentant du comité du syndicat de l'usine et le directeur de l'entreprise participeront aux réunions du présidium ; le président du conseil ouvrier pourra également inviter l'ingénieur en chef et le chef comptable à participer aux réunions avec voix consultative.
- Article 8. 1) Le conseil ouvrier se prononcera sur toutes les questions importantes intéressant l'entreprise et guidera l'ensemble de son activité. A cette fin:
- 1° il s'assurera de la continuité de la production et veillera à ce que l'entreprise fonctionne de la façon la plus économique possible ;
- 2° il veillera à ce que les travailleurs obtiennent le salaire et autres formes de rémunération qui leur sont dus ;
- 3° il veillera à ce que soient remplies les obligations de l'entreprise à l'égard de l'Etat ;
- 4° il veillera à ce que soient remplies les obligations contractées dans la convention collective adoptée par les travailleurs et élaborée avec la participation des syndicats et assistera le directeur dans ses efforts pour maintenir la discipline du travail ;
- 5° il déterminera les programmes de l'entreprise et le nombre des travailleurs nécessaires ;
- 6° il déterminera la structure de l'entreprise et fixera le fonctionnement des organes de direction de l'entreprise et des ateliers ;
- 7° dans le cadre des dispositions législatives applicables, il déterminera les salaires minima des ouvriers et des employés, approuvera la répartition des tâches parmi les ouvriers et les employés et déterminera les formes de rémunération et leurs sphères d'application au sein de l'entreprise ;
- 8° il se prononcera sur l'utilisation des gains de l'entreprise qui dépassent la part destinée à l'Etat, et dont la proportion sera ultérieurement fixée par la loi. Il déterminera la proportion et le montant des sommes devant être consacrées à la production, aux oeuvres sociales et culturelles, ainsi que la part des bénéfices revenant aux travailleurs, etc. Il établira un fonds de réserve prélevé sur le solde ;
- 9° il fera des recommandations au gouvernement tendant à permettre à l'entreprise d'effectuer directement des transactions d'importation ou d'exportation ;
- 10° il sera responsable de la gestion interne de l'entreprise:
- a) dans le cadre des dispositions législatives en vigueur, il disposera des fonds de roulement et de réserve de l'entreprise ;
- b) il autorisera l'obtention de prêts et de crédits ;
- c) il approuvera le relevé des comptes de l'entreprise.
- 2) Le conseil ouvrier aura le droit de déléguer certains des pouvoirs dont il est investi au présidium ou au directeur, qui seront tenus de faire rapport au conseil.
- Mandat du présidium des conseils ouvriers
- Article 9. 1) Le présidium fonctionnera conformément aux décisions du conseil ouvrier et instruira le directeur de l'entreprise des tâches qu'il doit accomplir.
- 2) Entre les sessions du conseil ouvrier, c'est le présidium qui prendra les décisions relatives aux questions intéressant l'entreprise qui ne relèvent pas de la seule compétence du conseil ouvrier.
- 3) L'engagement ou le licenciement de travailleurs des postes impliquant des responsabilités sera soumis à l'approbation du présidium.
- 4) Le présidium pourra accorder crédit sur la base d'une autorisation du conseil ouvrier.
- 5) Le présidium pourra prendre des décisions sur les questions se rapportant directement aux conditions de vie et de travail des ouvriers (salaires, avantages sociaux, questions culturelles, etc.), mais il devra, ce faisant, tenir compte des avis du comité du syndicat de l'entreprise. S'il ne tenait pas compte de cette obligation, l'affaire serait soumise au conseil ouvrier pour décision.
- 6) Il contrôlera l'exécution des décisions adoptées par le conseil ouvrier.
- 7) Il demandera au directeur, à l'ingénieur en chef et au chef comptable de fournir des rapports à intervalles réguliers.
- Relations entre le conseil ouvrier, le présidium et le directeur
- Article 10. 1) Le directeur exécutera les décisions du conseil ouvrier et du présidium. Au cas où une décision du conseil ouvrier ou du présidium violerait une loi, un décret ayant force de loi ou un décret législatif, le directeur sera tenu de refuser de l'exécuter et devra faire rapport sur la décision en question auprès des autorités supérieures.
- 2) Le directeur de l'entreprise organisera la continuité de la production en se fondant sur les prescriptions de la loi, sur les décisions du conseil ouvrier et du présidium et sur les instructions provenant des autorités supérieures; il contrôlera l'exécution des programmes de l'entreprise.
- 3) Le directeur signalera les travailleurs qui ne font pas ou font mal les tâches qui leur ont été assignées.
- 4) Dans la mesure où le présidium néglige de prendre les mesures nécessaires pour assurer la continuité de la production de l'entreprise et l'exécution de son programme, le directeur prendra sur lui de combler cette lacune dans la mesure de sa compétence. Le directeur fera rapport à ce sujet au présidium à la séance la plus rapprochée du présidium.
- 5) En cas de désaccord entre le directeur et le conseil ouvrier, la question en litige sera portée devant les autorités supérieures, si nécessaire, directement au ministère.
- Article 11. Le directeur de l'entreprise sera nommé et licencié par l'autorité publique supérieure désignée par disposition statutaire.
- Questions de procédure
- Article 12. 1) Le conseil ouvrier tiendra ses assises une fois par mois, si possible en dehors des heures de travail ; la participation des membres du conseil sera obligatoire. Dans les cas où cela sera justifié, le président pourra excuser un membre.
- 2) Il appartiendra au président de convoquer la séance et de fixer l'ordre du jour ; il tiendra les membres du conseil au courant de l'ordre du jour.
- 3) Le conseil ouvrier discutera de points préalablement déterminés ; toutefois, sur la proposition d'un membre et sur la base d'une décision du conseil, des points non déterminés à l'avance pourront être inscrits à l'ordre du jour.
- Article 13. 1) Le conseil ouvrier pourra prendre une décision si deux tiers au moins de ses membres sont présents.
- 2) Les décisions du conseil ouvrier seront prises à la majorité des voix.
- Article 14. 1) Lorsque cela sera jugé nécessaire, le président pourra inviter des experts à prendre part aux réunions (ouvriers ou employés).
- 2) A chaque réunion, le président fera rapport sur le travail de l'entreprise depuis la dernière réunion. Ce rapport pourra être fait par le directeur au lieu du président.
- 3) Le conseil ouvrier pourra soumettre les questions importantes affectant l'ensemble de l'entreprise pour décision à une réunion des travailleurs de l'entreprise.
- Article 15. 1) Les dispositions des articles 12 à 14 s'appliqueront aux réunions du présidium.
- 2) En principe, le présidium tiendra une réunion par semaine.
- 3) Le présidium fera trimestriellement rapport sur son action au conseil ouvrier.
- Dispositions diverses et dispositions finales
- Article 16. 1) Les membres des conseils ouvriers exerceront leurs fonctions sur une base volontaire ; ils ne seront pas exemptés du travail.
- 2) Tant qu'il sera en fonctions, un membre élu du conseil ouvrier ne pourra pas être licencié.
- Article 17. 1) Le président sera tenu de convoquer une réunion du conseil ouvrier si un tiers de ses membres, le directeur ou le comité du syndicat en font la demande. 2) Aux réunions du conseil ouvrier ou du présidium, les votes auront lieu au scrutin secret si un tiers des membres le désirent ; aux réunions générales des travailleurs de l'entreprise, le vote aura toujours lieu au scrutin secret.
- Article 18. Le présent décret, qui a force de loi, entrera en vigueur le jour de sa publication.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- Question préalable relative à la compétence du Comité
- 324 Dans sa réponse, le gouvernement hongrois soutient que l'examen de la plainte de la Confédération internationale des syndicats chrétiens n'est pas de la compétence du Comité de la liberté syndicale et donne plusieurs raisons à l'appui de ce point de vue.
- 325 L'une de ces raisons réside dans « le droit souverain de chaque Etat d'engager des poursuites pénales dans le cadre de ses prérogatives criminelles contre les personnes qui se sont rendues coupables d'actions subversives dirigées contre l'ordre établi ». Le Comité a eu souvent l'occasion par le passé d'examiner des affirmations gouvernementales, selon lesquelles telle ou telle plainte se rapporterait à des questions purement politiques. Dans de tels cas, il a toujours adopté la position selon laquelle, alors qu'il serait inopportun pour l'O.I.T de discuter des questions dont le caractère est exclusivement politique, des situations dont l'origine est purement politique peuvent comporter certains aspects ayant trait aux droits syndicaux que l'O.I.T pourra être appelée à examiner. Le Comité considère qu'il devrait s'inspirer de ce principe dans l'examen du cas présent, examen qu'il bornerait donc aux seuls aspects syndicaux.
- 326 Le gouvernement hongrois déclare également que les conseils ouvriers - dont il admet l'arrestation de certains membres - n'étant pas des syndicats, la question est hors du champ de compétence du Comité. Dans son premier rapport, le Comité avait eu l'occasion d'étudier la signification des termes « organisation de travailleurs » pour déterminer quelles organisations étaient habilitées à présenter des plaintes au Comité. Il avait alors adopté à cette fin un critère inspiré des conclusions adoptées à l'unanimité par le Conseil d'administration en 1937, au sujet d'une réclamation du Parti travailliste de l'île Maurice présentée conformément à l'article 23 de la Constitution (actuellement article 24). Dans cette affaire, le Conseil avait affirmé que ce qu'il lui appartenait de rechercher, dans chaque cas d'espèce, c'était la qualité que possédait en fait une organisation, quelle que soit la dénomination qui lui est attachée et qui peut être commandée par des circonstances locales sans rapport avec son caractère réel. Dans le rapport qu'il avait approuvé, on lit notamment : « Dans un pays où l'organisation professionnelle des travailleurs et des employeurs ne serait pas entièrement libre, de véritables syndicats peuvent exister sous un nom dissimulant leur exacte identité. Dans un autre pays, une organisation professionnelle peut porter un nom qui paraîtrait l'apparenter à un parti politique. Le rôle du Conseil est, dans chaque cas, de rechercher, derrière l'apparence terminologique, si, quel que soit le nom que lui imposent les circonstances ou qu'elle a choisi, l'organisation dont émane la réclamation est une « organisation professionnelle ouvrière ou patronale » d'après le sens naturel de ces mots. En particulier, le Conseil ne saurait se laisser arrêter, en considérant le caractère professionnel d'une organisation, par aucune définition nationale du terme « organisation professionnelle ». Dans le cas de l'île Maurice, le Conseil d'administration avait déclaré que « si, pour décider du caractère professionnel ou non professionnel d'une organisation auteur d'une réclamation, le Conseil d'administration possède, dans les limites de la Constitution, une entière liberté d'appréciation et n'est pas lié par la terminologie législative ou coutumière de l'Etat intéressé, il n'en doit pas moins, avant de considérer éventuellement une réclamation comme « recevable », avoir la conviction que l'organisation qui en est l'auteur est effectivement une « organisation professionnelle ». Le Comité a réaffirmé ces principes à propos du cas no 137 (Brésil).
- 327 Le Comité considère que les principes qui sont applicables en vue de déterminer si une organisation est habilitée à présenter une plainte au Comité sont également applicables aux fins de déterminer si une organisation, dont l'indépendance constitue l'objet de la plainte soumise au Comité, est une organisation à laquelle devrait s'appliquer la procédure pour l'examen des plaintes en violation de la liberté syndicale. Dans le cas présent, les liens qui unissent les conseils ouvriers et les syndicats sont à ce point étroits que des mesures qui restreignent la liberté des uns restreignent également la liberté des autres. Il ressort du texte du décret-loi no 25 du 24 novembre 1956, communiqué au Comité par le gouvernement hongrois, que ce texte prévoit une intervention importante des syndicats dans les conseils ouvriers : les élections des conseils ouvriers sont organisées par le syndicat de l'entreprise (article 3 1)); les représentants du Comité du syndicat participent aux réunions du conseil ouvrier (article 5 2)) ainsi qu'aux réunions du présidium des conseils (article 7 2)); le présidium du conseil ouvrier doit consulter le comité du syndicat avant de prendre une décision (article 9 5)). Il appartient, enfin, aux conseils ouvriers de veiller à l'application des conventions collectives élaborées avec la participation des syndicats (article 8 4)). Dans ces conditions, le Comité se considère comme compétent pour présenter un rapport au Conseil d'administration en ce qui concerne les allégations relatives à l'arrestation de membres des conseils ouvriers.
- 328 En troisième lieu, le gouvernement hongrois fait également valoir que la demande tendant à ce qu'il soit procédé à une enquête sur place sans le consentement du gouvernement intéressé, formulée par l'organisation plaignante, constitue une atteinte à la souveraineté de la République populaire de Hongrie. Le Comité estime qu'il n'est pas appelé à examiner la question des rapports qui peuvent exister entre cette demande et la notion de souveraineté, question de caractère abstrait sur laquelle il pourrait n'être pas en mesure de se former une opinion, mais d'examiner le problème dont il est saisi à la lumière des règles qui gouvernent sa propre compétence. Ce faisant, il suit l'exemple de la Cour permanente de Justice internationale, qui, dans le cas relatif à la compétence de l'Organisation internationale du Travail en matière de travail agricole, avait écarté l'argument selon lequel, étant donné que la création de l'Organisation internationale du Travail impliquait un abandon des droits dérivant de la souveraineté nationale, la compétence de l'Organisation devait être interprétée de façon restrictive et avait estimé que la question soulevée « doit être résolue en interprétant littéralement les termes du Traité ». Dans le même esprit, le Comité a examiné la demande qui lui est faite uniquement à la lumière des règles qui gouvernent sa compétence conformément à la procédure pour l'examen des plaintes en violation des droits syndicaux définie par le Conseil d'administration et le Conseil économique et social et approuvée par la Conférence. Cette procédure ne prévoit pas d'enquête sur place sans le consentement du gouvernement intéressé, et le Comité estime qu'il serait en dehors de sa compétence de faire une recommandation dans ce sens, laquelle, d'ailleurs, dans les circonstances présentes, resterait sans effet. Toutefois, le Comité se rappelle que, par une décision prise à sa 133ème session (Genève, novembre 1956), le Conseil d'administration avait informé l'Assemblée générale des Nations Unies que l'Organisation internationale du Travail était disposée à collaborer à toute mesure qui pourrait être prise en vue d'établir les faits inhérents à la situation présente en ce qui concerne la liberté syndicale en Hongrie. Aucune mesure n'a été prise dans ce sens.
- 329 Dans ces conditions, le Comité a examiné la plainte quant au fond, d'autant plus que le gouvernement lui-même a présenté des observations quant au fond.
- Allégations relatives à l'arrestation de membres des conseils ouvriers
- 330 La Confédération internationale des syndicats chrétiens allègue que certains membres des conseils ouvriers auraient été arrêtés par les autorités hongroises en violation de la liberté syndicale. Le gouvernement reconnaît qu'un certain nombre de membres des conseils ouvriers ont été arrêtés et déclare que des éléments contre-révolutionnaires hostiles à la classe ouvrière se sont infiltrés dans les conseils ouvriers et ont été poursuivis conformément aux dispositions pénales hongroises. Le gouvernement déclare que ceux qui ont participé à cette action subversive se sont rendus coupables de recel d'armes et d'activités séditieuses contre l'ordre établi dans la République populaire de Hongrie. Le gouvernement déclare que, puisque les poursuites criminelles engagées contre les personnes qui commettent des actes subversifs relèvent du droit souverain de chaque Etat, la question de l'arrestation de certains membres des conseils ouvriers ne rentre pas dans le champ de la compétence des organisations internationales.
- 331 Le gouvernement hongrois reconnaît l'arrestation de certains membres des conseils ouvriers en raison de prétendues activités subversives. Toutefois, la Confédération internationale des syndicats chrétiens n'a pas mentionné de cas précis de syndicalistes arrêtés et n'a pas présenté d'informations complémentaires, bien que la possibilité lui en ait été offerte.
- 332 Dans plusieurs cas dont le Comité a eu à connaître et dans lesquels il était allégué que des syndicalistes ou des dirigeants syndicaux avaient été placés en détention préventive, le Comité avait exprimé l'opinion que les mesures de détention préventive pouvaient impliquer une grave ingérence dans les activités syndicales, qui semblerait devoir être justifiée par l'existence d'une crise sérieuse et qui pourrait donner lieu à des critiques, à moins qu'elle ne soit accompagnée de garanties juridiques appropriées, mises en oeuvre dans des délais raisonnables. Dans le cas présent le gouvernement déclare que les arrestations en question ont eu lieu dans des circonstances exceptionnelles, en ce sens que des éléments contre-révolutionnaires se seraient efforcés de renverser le régime de la République populaire. Les personnes arrêtées, indique le gouvernement, sont poursuivies pour activités subversives dirigées contre l'Etat par les autorités hongroises compétentes et conformément à la législation pénale hongroise. Tout en notant la déclaration du gouvernement selon laquelle les personnes arrêtées seraient poursuivies par les autorités compétentes, le Comité observe qu'il ne possède aucune information sur le point de savoir si ces autorités sont des autorités judiciaires indépendantes et, par suite, il tient à réaffirmer l'importance qu'il a toujours attachée dans des cas semblables à ce que soient respectées les garanties d'une procédure judiciaire régulière. De plus, dans le passé, lorsque, répondant à des allégations selon lesquelles des travailleurs ou des dirigeants syndicaux auraient été arrêtés en raison de leurs activités syndicales, les gouvernements faisaient valoir que les arrestations avaient été effectuées à la suite des activités subversives des personnes arrêtées, le Comité a toujours estimé que les gouvernements devraient être priés de fournir des informations complémentaires aussi précises que possible au sujet des arrestations et, en particulier, de la nature des procédures engagées ainsi que du résultat de ces procédures. Le Comité a également souligné l'importance qu'il attache aux garanties d'une procédure judiciaire régulière, y compris la garantie de non-application rétroactive d'une loi pénale.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 333. La présente plainte a une portée très limitée. Mise à part une accusation de caractère général portant sur de « nouvelles violations flagrantes des libertés syndicales et des droits fondamentaux des travailleurs », pour laquelle le plaignant n'a pas exercé son droit de présenter des informations complémentaires destinées à l'appuyer, elle traite uniquement de l'arrestation de certains membres des conseils ouvriers. Elle ne soulève donc pas les problèmes plus vastes sur lesquels les vues exprimées par le Comité dans son vingt et unième rapport ont déjà été approuvées par le Conseil d'administration. En conséquence, le Comité considère que la meilleure voie à suivre en ce qui concerne la présente plainte consiste pour lui à recommander au Conseil d'administration:
- a) de réaffirmer l'importance qu'il a toujours attachée à ce que, dans tous les cas, y compris lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étant étrangers à leurs fonctions syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante ;
- b) de réaffirmer l'importance qu'il attache, dans de pareils cas, à ce que soit respectée la garantie de non-application rétroactive d'une loi pénale ;
- c) de déclarer que ces principes sont pleinement applicables dans le cas des arrestations de membres des conseils ouvriers effectuées par les autorités hongroises ;
- d) de réaffirmer que l'Organisation internationale du Travail est prête à participer et désire vivement participer à tous arrangements pris afin de déterminer quelle est la situation actuelle en ce qui concerne le respect de la liberté syndicale en Hongrie.
- Genève, le 2 mars 1957. (Signé) Henry HAUCK, Président.