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Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent une série de violations de la liberté syndicale et du droit de négociation collective par la province de Santa Cruz
- 54. La plainte figure dans une communication de la Confédération des travailleurs de l’enseignement de la République argentine (CTERA) datée de mars 2018.
- 55. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans des communications datées des 12 mars et 11 octobre 2019 et du 4 mars 2021.
- 56. L’Argentine a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 57. Dans la communication qu’elles ont présentée en mars 2018, les organisations plaignantes allèguent que le Conseil provincial de l’éducation (CPE) de la province de Santa Cruz a retenu des cotisations syndicales, limité le droit de grève, élaboré des listes noires, retardé l’octroi de congés syndicaux et modifié unilatéralement les accords paritaires, violant ainsi systématiquement les droits syndicaux et de négociation collective de l’Association des enseignants de Santa Cruz (ADOSAC).
- 58. En premier lieu, les organisations plaignantes dénoncent le fait que, depuis 2011, le CPE, qui effectue les retenues correspondant aux cotisations syndicales convenues, n’en a pas transféré le montant sur le compte de l’ADOSAC, ou n’en a transféré qu’une partie, ou a tardé à le faire. Les organisations plaignantes indiquent que, en mars 2018, le montant qui était dû aux travailleurs de l’enseignement au titre des cotisations syndicales s’élevait à 36 480 713 pesos argentins. Elles affirment que, au niveau individuel, le fait de retenir indûment les cotisations syndicales est une atteinte à l’intégrité du salaire des travailleurs et une violation de leur volonté dans la mesure où leur adhésion et affiliation au syndicat de leur choix ne sont pas reconnues. Au plan collectif, le fait de ne pas transférer ces fonds est une atteinte à l’autonomie financière de l’organisation syndicale, qui est empêchée de disposer des fonds pour mener ses activités syndicales. Les organisations plaignantes considèrent que ce comportement est une ingérence de l’État qui est en même temps l’employeur et l’autorité qui effectue les retenues. Elles dénoncent en outre le refus du CPE de communiquer les informations dont il dispose sur le prélèvement des cotisations syndicales, empêchant ainsi l’organisation syndicale de présenter une réclamation auprès des instances judiciaires.
- 59. Les organisations plaignantes dénoncent en deuxième lieu la limitation du droit de grève que constitue l’imposition d’une conciliation obligatoire et, ensuite, d’une amende élevée de la part de l’administration du travail de la province de Santa Cruz. Elles signalent qu’en 2017, du fait que les cotisations syndicales étaient toujours retenues ou qu’elles n’étaient reversées qu’en partie, l’ADOSAC a déposé un préavis de grève auprès du Secrétariat au travail et à la sécurité sociale de la province de Santa Cruz (ci-après dénommé Secrétariat au travail). Elles expliquent que ce préavis a entraîné l’adoption de la résolution nº 294, du 3 avril 2017, par laquelle le Secrétariat au travail a imposé une conciliation obligatoire entre les parties dans le but d’empêcher l’ADOSAC d’exercer son droit de grève. Les organisations plaignantes ajoutent que l’ADOSAC a présenté un recours en annulation de la résolution nº 294 auprès du Secrétariat au travail pour violation de la procédure régulière et conflit d’intérêts, mais sa requête a été rejetée le 25 avril 2017. Les organisations plaignantes signalent que, au vu de la poursuite des mobilisations, le Secrétariat au travail a adopté, le 28 décembre 2017, la résolution nº 1271, par laquelle il a condamné le syndicat à une amende de 8 300 000 pesos argentins, menaçant d’engager une procédure de recouvrement judiciaire si le montant n’était pas versé dans les trois jours ouvrables. L’ADOSAC a présenté un recours administratif pour dénoncer l’inconstitutionnalité du versement demandé, mais ce recours a été rejeté le 28 février 2018 par le Secrétariat au travail.
- 60. Les organisations plaignantes considèrent que le Secrétariat au travail n’a pas l’impartialité requise pour jouer le rôle d’intermédiaire dans le conflit puisque c’est un organe de l’administration publique provinciale. D’après les organisations plaignantes, la conciliation obligatoire imposée n’était pas une procédure indépendante ni impartiale et elle n’inspirait pas confiance aux parties. Elles considèrent, d’une part, que l’administration du travail n’a pas voulu entendre les réclamations insistantes de l’organisation syndicale au sujet des cotisations syndicales retenues par le CPE, et que, d’autre part, elle était d’accord avec les prétentions des autorités provinciales, ce qui a totalement corrompu le mécanisme de convocation à une procédure de conciliation obligatoire. Elles considèrent de la même façon que, même si l’OIT admet les limitations à l’exercice du droit de grève dans les administrations publiques, ce droit ne peut être restreint par une décision d’une autorité administrative qui ne fait qu’imposer la volonté de l’une des parties. Les organisations syndicales font en outre valoir qu’elles sont en butte aux persécutions de l’autorité administrative qui, à leur avis, en leur appliquant une amende de plus de 8 millions de pesos argentins, chercherait à étouffer financièrement l’ADOSAC et à l’empêcher ainsi d’exercer son rôle syndical. De plus, elles affirment que le Secrétariat au travail n’a pas autorité pour imposer des amendes aux organisations syndicales et que, en outre, les dispositions législatives en vertu desquelles l’organisation plaignante a été sanctionnée étaient destinées aux employeurs et non aux travailleurs.
- 61. En troisième lieu, les organisations plaignantes dénoncent le retard avec lequel les congés syndicaux ont été octroyés aux personnes élues pour siéger au comité directeur de l’ADOSAC. Elles expliquent que le comité directeur (élu le 19 octobre 2017) est entré en fonctions le 2 janvier 2018, que le congé syndical auquel ils avaient droit ne leur avait toujours pas été octroyé un mois après la notification et que les représentants élus n’ont pu commencer à travailler librement qu’à partir du 7 mars 2018. Au vu de ce qui précède, elles considèrent que le retard dans l’octroi des congés aux représentants légitimes des travailleurs pour leur permettre d’exercer leurs fonctions syndicales constitue à lui seul une violation de la protection qui doit être accordée aux représentants syndicaux et une restriction à l’exercice de la liberté syndicale.
- 62. En quatrième lieu, les organisations plaignantes affirment que le 22 mars 2016, à la suite des actions de mobilisation, le CPE a ordonné aux établissements scolaires de communiquer les fiches de paie du personnel ayant participé aux actions de mobilisation convoquées par l’ADOSAC et l’Association des enseignants de l’enseignement technique (AMET) des 21 et 22 mars 2016. Plus tard, en juillet 2017, face à la poursuite des mesures de pression exercées par le personnel enseignant, il a été demandé aux établissements scolaires de communiquer le relevé des absences mensuelles du personnel. Les organisations plaignantes affirment qu’à ces deux occasions il a été dit aux établissements scolaires que, s’ils n’obtempéraient pas, ils encouraient des sanctions administratives et des poursuites pénales, et elles considèrent que ces relevés d’absences équivalent à des listes noires. Elles signalent que le CPE a intimidé en particulier les directeurs d’établissements scolaires, leur disant que du fait de leur position hiérarchique ils ne pouvaient adhérer aux actions de mobilisation, et elles ajoutent que le Comité de la liberté syndicale a déclaré à plusieurs occasions que personne ne devait faire l’objet de sanctions ou de mesures discriminatoires pour avoir mené ou tenté de mener une grève légitime, et qu’en outre l’imposition de sanctions pénales pour des faits de grève est incompatible avec le droit de liberté syndicale.
- 63. Enfin, les organisations plaignantes dénoncent ce qu’elles considèrent être une atteinte au droit de négociation collective de la part de l’employeur. Elles expliquent que l’ADOSAC, confrontée au refus permanent opposé par le gouvernement provincial à la tenue de négociations paritaires pour négocier les salaires et les conditions de travail, a sollicité l’intervention du gouvernement central. En date du 22 août 2017, ce dernier a décidé de mettre à la disposition des autorités du CPE des fonds destinés à augmenter les salaires, à raison de 5 pour cent à partir du mois d’août 2017, allant progressivement jusqu’à 8 pour cent en décembre 2017. Elles allèguent que, à partir de décembre 2017, le gouvernement national et le CPE auraient cessé d’appliquer les augmentations de salaires ayant fait l’objet des accords paritaires susmentionnés. Elles affirment en outre que le CPE a adopté, en date du 28 décembre 2017, la résolution nº 2575/17 par laquelle il annule et révoque la résolution nº 038/13. Les organisations plaignantes dénoncent non seulement le recul illégal opéré par la résolution nº 2575/17 mais aussi le fait que cette dernière foule aux pieds la négociation collective puisque la résolution nº 038/13 avait été adoptée à l’issue de négociations paritaires consignées dans les comptes rendus datés du 1er novembre, 28 novembre, 7 décembre, 18 décembre 2012, et 7 mars 2013. Les organisations plaignantes considèrent par conséquent que le CPE ne peut de façon unilatérale modifier une condition ayant fait l’objet d’un accord paritaire et que, en agissant ainsi, il contrevient aux principes de la négociation collective.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 64. Dans ses communications en date des 12 mars et 11 octobre 2019, et du 4 mars 2021, le gouvernement signale, à propos des allégations de retenue des cotisations syndicales de l’ADOSAC, que normalement le transfert des montants à l’organisation syndicale est effectué comme il se doit et dans les délais requis. Il admet cependant qu’il a pu y avoir, certains mois, un retard, notamment au moment où les enseignants et le personnel administratif menaient des actions de mobilisation, et que la possibilité d’une dette envers l’organisation syndicale était analysée dans le cadre de l’évaluation que réalisait une équipe technique et que, une fois ce travail achevé, le montant de la dette serait payé, si dette il y avait. Il souligne que les transferts de cotisations syndicales s’élèvent à quelque 37 millions de pesos par an, au regard de quoi le montant de la dette qui serait éventuellement réclamé était insignifiant et ne suffisait pas à établir l’existence d’une atteinte à la liberté syndicale.
- 65. Concernant la supposée restriction à l’exercice du droit de grève que constitueraient l’imposition d’une conciliation obligatoire et l’imposition d’une amende par le Secrétariat au travail de la province, le gouvernement signale que le conflit avec l’ADOSAC est ancien et que, depuis 2008, cette organisation syndicale a organisé des grèves qui ont entraîné, pour les enfants, la suppression de périodes de cours de plus de cent jours. Le gouvernement explique qu’il y a des antécédents à la fois d’abus dans l’exercice du droit de grève de la part de cette organisation syndicale, sous forme d’occupation d’édifices publics et de gisements pétroliers, et de non-respect des mesures de conciliation obligatoire par le corps enseignant (procédure judiciaire nº 23189/2011). Il est d’avis que les principes de la liberté syndicale ne protègent pas les abus dans l’exercice du droit de grève qui sont des délits. Il ajoute que les établissements scolaires servent aussi de cantines et qu’en suspendre le fonctionnement pendant une longue période porte préjudice à ceux qui en sont les bénéficiaires, tant du point de vue éducatif que psychologique et physique, puisque les mobilisations privent les enfants et les adolescents les plus vulnérables de la province de la nourriture qui ne peut leur être fournie par leur famille. En outre, ces mobilisations ont des répercussions sur la vie professionnelle des parents et des tuteurs des enfants puisque, ne pouvant envoyer les enfants à l’école, ils sont contraints de trouver des solutions pour concilier leurs obligations professionnelles et familiales. Le gouvernement indique que, dans le cadre du cas nº 3257, le Comité de la liberté syndicale a reconnu l’importance accordée aux cantines scolaires dans l’imposition de mesures telles que la conciliation obligatoire et il souligne que cette situation a même été prise en compte par les juges aux affaires familiales qui sont intervenus pour imposer l’arrêt des mobilisations au bénéfice des élèves. Au vu de ce qui précède, le gouvernement considère que les raisons évoquées précédemment constituent une limitation raisonnable du droit de grève, ce qui est appuyé par le fait que, jusqu’à ce jour, aucune organisation syndicale n’a remis en question la constitutionnalité des lois administratives qui réglementent les procédures relatives aux relations du travail ou qui font du ministère du Travail la plus haute autorité en matière de relations du travail dans la province de Santa Cruz.
- 66. En ce qui concerne plus particulièrement la décision imposant la conciliation obligatoire à laquelle les organisations plaignantes font référence (résolution nº 294/2017), le gouvernement signale que: i) le droit de grève n’est pas absolu, en particulier quand les actions de protestation se prolongent, portant atteinte à d’autres droits, tels que le droit à l’éducation; ii) la loi provinciale nº 2987 stipule que l’autorité administrative en matière de négociation collective est le ministère du Travail et qu’à ce titre celui-ci a autorité pour décider d’une procédure de conciliation obligatoire; et iii) la loi provinciale nº 2450 réglementant la procédure administrative stipule que les parties doivent soumettre à l’autorité administrative tout différend les opposant avant de recourir à des actions de mobilisation, et que les parties ne peuvent conduire des actions de mobilisation si une conciliation obligatoire a été décidée. Toutefois, le gouvernement estime qu’il n’apparaît pas raisonnable d’affirmer, comme les organisations plaignantes le font, que la procédure de conciliation obligatoire décidée en application de la législation nationale en vigueur peut entraver la liberté syndicale ou l’exercice du droit de grève, car cette procédure a une durée maximale de vingt jours environ et, une fois ce temps écoulé, les organisations syndicales sont en droit de déclencher les actions qu’elles jugeront pertinentes. À propos de l’amende dont le règlement est en cours d’exécution, le gouvernement considère que, si une information judiciaire a été ouverte pour violation des articles 47 et 48 de la loi nº 2450 pour obstruction à l’autorité du travail, c’est parce que l’ADOSAC n’a pas respecté la convocation de conciliation obligatoire et nie qu’il y ait eu, à quelque moment que ce soit, atteinte à la liberté syndicale des travailleurs. À ce propos, le gouvernement indique que l’ADOSAC a présenté un recours en appel sur la base de l’article 66 du Code de procédure civile et commerciale de la nation, qui n’a pas été admis car elle n’avait pas effectué au préalable le dépôt prévu par la loi, et que, plus tard, l’ADOSAC a introduit une plainte en appel qui a été déclarée caduque le 21 février 2019 suite à l’inaction du requérant.
- 67. À propos de l’élaboration supposée de listes noires comme mesure de représailles envers les personnes ayant exercé leur droit de grève, le gouvernement déclare que le contrôle des présences des enseignants et de l’ensemble du personnel fait partie des responsabilités du CPE et que ce contrôle est exercé par les chefs d’établissement qui y sont obligés de par leurs fonctions. Le gouvernement indique que, dans ce contexte de relation conflictuelle entre l’employeur et le syndicat, le CPE a été témoin d’un certain nombre d’actes tels que la falsification des listes de présence, l’introduction d’informations erronées dans le système de saisie des données et d’autres comportements qui ont déclenché des mesures disciplinaires de sa part. Le gouvernement considère par ailleurs que les organisations plaignantes tentent de déformer le sens d’une demande qui relève des obligations des chefs d’établissement en la présentant comme une persécution, ce qui ne repose sur aucune base factuelle ni juridique. Il nie catégoriquement l’existence de listes noires.
- 68. À propos de l’octroi tardif du congé syndical aux membres du comité directeur de l’ADOSAC, le gouvernement signale que le retard est dû au fait que l’un des membres élus, M. Raúl Amancio Viltes, siégeait en tant que premier titulaire élu de la majorité au sein du comité de classement de l’enseignement primaire, raison pour laquelle il devait renoncer à ce poste pour pouvoir occuper celui de secrétaire administratif de l’ADOSAC. En vertu de quoi, le gouvernement considère que si le congé syndical a été octroyé avec du retard, ce n’est pas dû à une violation des droits syndicaux, mais à un problème administratif du fait de l’irrégularité de la situation dans laquelle se trouvait un de ses membres.
- 69. À propos des allégations d’atteintes à la négociation collective, le gouvernement explique que, dans le contexte du conflit étendu qui existe entre la province et le corps enseignant par suite des revendications d’augmentations de salaires que la province de Santa Cruz ne peut, par manque de moyens financiers, satisfaire, l’administration centrale a décidé d’apporter des fonds. Il explique que l’augmentation de 8 pour cent initialement convenue a été versée de décembre 2017 à mars 2018 grâce à des fonds nationaux. Puis, quand l’administration centrale a cessé d’envoyer des fonds, la province a été contrainte d’interrompre les versements auxquels elle s’était engagée. C’est dans ce contexte que, pour remédier à ce manquement, il a été décidé, comme consigné dans le procès-verbal no 15/18 du 17 décembre 2018, que la dette cumulée du fait de l’absence de transfert des fonds de la part de l’administration centrale commencerait à être payée avec le salaire du mois de décembre 2018. Les 8 pour cent correspondant au mois d’avril 2018 seraient ainsi payés avec les 8 pour cent du mois de décembre 2018 et ainsi de suite jusqu’à ce que tous les retards de paiement aient été versés. Le gouvernement explique que l’interruption du transfert de fonds est dû à la crise économique qui a touché tout le pays et que, même si les revendications ont perdu leur raison d’être puisqu’un accord a été conclu avec les organisations, il considère que les représentants syndicaux ont eu un comportement abusif.
- 70. À propos de la résolution nº 2575/17, le gouvernement affirme que ladite résolution a, du point de vue du CPE, permis de rétablir l’ordre juridique qui avait été modifié par la résolution nº 038/13. D’après le gouvernement, la résolution dont il est fait mention ne bénéficiait qu’à sept enseignants, qui ont présenté des recours en protection des droits (acciones de amparo) une fois qu’ils ont été informés de la résolution nº 2575. Le gouvernement signale que, même si les tribunaux de première et de deuxième instance ont invalidé la résolution, ils ont prononcé un avis favorable au maintien de la situation de travail fictive du fait que le CPE n’a pas autorité pour révoquer ses propres décisions. Ainsi, les salaires perçus par ces travailleurs en application de la résolution no 038/13 étaient protégés, et le CPE ne pouvait rétablir la décision antérieure que si une procédure pour préjudice causé (acción de lesividad) était engagée devant le Tribunal supérieur de justice. Le gouvernement considère donc la chose jugée puisque la question a été résolue par les tribunaux et signale qu’en décembre 2018 une procédure pour préjudice causé a été engagée par le CPE devant le Tribunal supérieur de justice. Enfin, le gouvernement considère que, en introduisant la présente plainte, l’ADOSAC cherche à se présenter en victime et à éviter de payer l’amende qui lui a été imposée pour non-respect des résolutions administratives évoquées, laquelle n’a toujours pas été payée en octobre 2019.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 71. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations plaignantes dénoncent une série de violations de la liberté syndicale et du droit de négociation collective dans l’enseignement public de la province de Santa Cruz (retenue de cotisations syndicales, limitation du droit de grève par l’imposition de la conciliation obligatoire et d’une amende, élaboration présumée de listes noires, retard dans l’octroi de congés syndicaux et limitation du droit de négociation collective).
- 72. S’agissant de l’allégation de retenue des cotisations syndicales, le comité note que les organisations plaignantes affirment que depuis 2011 le gouvernement provincial, qui continue d’effectuer les déductions des cotisations syndicales, n’en a pas transféré le montant sur le compte de l’ADOSAC, ou l’a fait partiellement ou avec retard, et qu’en mars 2018 le montant de la dette envers les travailleurs de l’enseignement au titre des cotisations syndicales s’élevait à plus de 36 millions de pesos argentins. En outre, les organisations plaignantes dénoncent le fait que le CPE refuse de communiquer certains documents en sa possession concernant la retenue des cotisations syndicales, empêchant ainsi les organisations plaignantes de présenter une réclamation devant les tribunaux. Le comité note que, de son côté, le gouvernement reconnaît qu’il a pu y avoir un retard de paiement, notamment pendant les mois au cours desquels les enseignants menaient leurs actions de mobilisation. Le gouvernement indique que l’existence éventuelle d’une dette envers l’organisation était analysée et que si des montants restaient dus, ils seraient payés, et il insiste sur le fait que, tous les ans, le montant des cotisations syndicales transférées est d’environ 37 millions de pesos argentins, au regard de quoi la somme restant éventuellement due est insignifiante et ne suffit pas à établir l’existence d’une atteinte à la liberté syndicale. Le comité rappelle que, à propos d’une affaire dans laquelle les autorités n’avaient pas versé à l’organisation concernée les cotisations syndicales qui avaient été déduites des salaires des fonctionnaires publics, le comité avait considéré que les cotisations syndicales n’appartiennent pas aux autorités et ne constituent pas des fonds publics, qu’il s’agit de sommes que les autorités ont en dépôt, mais dont elles ne peuvent disposer sous aucun prétexte autre que celui de les remettre sans délai à l’organisation concernée. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, 2018, sixième édition, paragr. 699.] Prenant note des indications du gouvernement selon lesquelles l’éventuelle dette envers l’ADOSAC était étudiée, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que l’existence de cette dette soit vérifiée dans les meilleurs délais et que, le cas échéant, les sommes dues soient immédiatement remboursées.
- 73. À propos de la limitation du droit de grève du fait de la conciliation obligatoire et ensuite de l’imposition d’une amende de la part de l’administration provinciale du travail, le comité note que tant les organisations plaignantes que le gouvernement ont expliqué que, après l’annonce des actions de mobilisation engagées par l’ADOSAC, le Secrétariat au travail de la province a imposé, par la résolution nº 294 du 3 avril 2017, une conciliation obligatoire et que, au vu de la poursuite des mobilisations, l’administration provinciale du travail a condamné l’ADOSAC à payer une amende de quelque 8,3 millions de pesos argentins. Le comité prend note des allégations des organisations plaignantes, selon lesquelles: i) le Secrétariat au travail, dans la mesure où il fait partie de l’administration publique de la province, n’a pas l’impartialité nécessaire pour jouer le rôle d’intermédiaire dans le conflit; ii) bien que le Comité de la liberté syndicale reconnaisse que l’exercice du droit de grève puisse être limité, ce dernier ne peut être restreint par une mesure d’un organe administratif qui ne fait qu’imposer la volonté de l’une des parties; iii) le Secrétariat au travail n’est pas habilité à imposer des amendes; et iv) le montant excessif de l’amende imposée aurait pour objectif d’enfoncer financièrement l’ADOSAC et de l’empêcher de mener son action syndicale. Le comité note que, pour sa part, le gouvernement indique: i) que le conflit avec l’ADOSAC est ancien; ii) qu’il y a des antécédents d’exercice abusif du droit de grève et de non-respect des mesures de conciliation obligatoire de la part de cette organisation; iii) que le droit de grève n’est pas absolu, en particulier lorsque les actions de protestation se prolongent dans le temps et portent atteinte à d’autres droits; et que, depuis 2008, l’organisation syndicale a mené des grèves qui ont entraîné la perte de plusieurs périodes scolaires équivalant à plus de cent jours d’école; iv) que les écoles de la province servent de cantines scolaires, de sorte que leur paralysie porte préjudice à ceux qui en sont les bénéficiaires, tant du point de vue éducatif que psychologique et physique; v) que le Comité de la liberté syndicale a reconnu l’importance accordée aux cantines scolaires dans l’imposition des mesures de conciliation obligatoire, et que même les tribunaux de famille sont intervenus pour imposer l’arrêt des mobilisations; vi) aucune organisation syndicale n’a remis en question la constitutionnalité des lois administratives qui régissent les procédures de travail ou qui font du ministère du Travail la plus haute autorité du travail de la province de Santa Cruz; vii) que la loi provinciale nº 2450 sur la procédure administrative a établi que les actions de mobilisation ne pouvaient avoir lieu pendant la période de conciliation obligatoire; viii) que c’est le non-respect de cette mesure qui a donné lieu à une amende pour obstruction à l’administration du travail; ix) qu’il ne semble pas raisonnable de soulever, comme le font les organisations plaignantes, que la conciliation obligatoire prévue dans le cadre de la législation en vigueur dans le pays puisse porter atteinte à la liberté syndicale ou à l’exercice du droit de grève, puisque cette procédure dure au maximum vingt jours, et, une fois ce délai écoulé, les organisations syndicales sont légitimement habilitées à mettre en œuvre les mesures qu’elles estiment pertinentes; et x) que le recours engagé par l’ADOSAC contre l’amende n’a pas été admis du fait que l’ADOSAC n’avait pas effectué au préalable le dépôt prévu par la loi, et plus tard la plainte en appel introduite par l’organisation syndicale est devenue caduque suite à l’inaction du requérant.
- 74. Tout en notant que la fourniture d’aliments à des élèves en âge scolaire peut être considérée comme un service essentiel [voir Compilation, paragr. 840], le comité rappelle que, dans le présent cas, les allégations se réfèrent à des limitations du droit de grève dans l’enseignement en général et pas uniquement à la fourniture d’aliments. À ce sujet, même s’il prend note des préoccupations exprimées par le gouvernement à propos de la prolongation de la grève dans l’enseignement et des répercussions que celle-ci pourrait avoir du point de vue éducatif mais aussi psychologique et physique sur les enfants et les adolescents, du fait que les établissements scolaires de la province servaient de cantines scolaires, le comité rappelle aussi que, par le passé, il a indiqué que, en cas de grèves de longue durée dans le secteur de l’enseignement, des services minima peuvent être établis en pleine consultation avec les partenaires sociaux. [Voir Compilation, paragr. 898.] Le comité rappelle de la même façon que, ces dernières années, il a examiné plusieurs cas relatifs à l’Argentine dans lesquels le plaignant dénonçait la convocation de procédures de conciliation obligatoire des parties en conflit dans l’enseignement public par l’autorité administrative alors que celle-ci était elle-même partie au conflit, et qu’il a considéré qu’il serait désirable, dans ces cas, que la décision d’engager une procédure de conciliation dans les conflits collectifs revienne à un organe indépendant des parties en conflit. [Voir Compilation, paragr. 796; 336e rapport du Comité de la liberté syndicale, cas nº 2369, paragr. 213.] Le comité rappelle en outre que les procédures de conciliation et de médiation doivent avoir pour seule finalité de faciliter la négociation et ne devraient donc pas être si complexes ou entraîner des délais si longs qu’une grève licite devienne impossible en pratique ou soit privée de toute efficacité. [Voir Compilation, paragr. 795.] Le comité, tout en notant que les arrêts d’activité de l’organisation plaignante de Santa Cruz durent depuis longtemps et sont durables, affectant le niveau d’enseignement et la fourniture alimentaire aux enfants mineurs dans les écoles, considère que, dans le présent cas, le service de l’enseignement est essentiel. À cet égard, le comité considère que la convocation de l’autorité administrative pour faire avancer une procédure de conciliation obligatoire entre les parties, avant la grève, est raisonnable pour la protection supérieure des mineurs avec l’alimentation scolaire et l’enseignement en temps opportun. Elle est également proportionnée aux demandes formulées par l’organisation plaignante de Santa Cruz, dans la mesure où elle a pour objectif de résoudre le différend par le dialogue social, sans affaiblir la possibilité du recours à la grève. S’agissant de l’imposition d’une amende, le comité, tout en considérant que les amendes doivent être proportionnelles aux faits qui ont donné lieu à leur imposition, note que celle-ci était due au non-respect par l’organisation plaignante d’une ordonnance de l’autorité administrative, découlant de l’application de la législation en vigueur dans la province de Santa Cruz et que ladite décision a fait l’objet d’un recours du syndicat. Ce dernier n’ayant pas respecté les règles et étapes de la procédure, le délai de recours a expiré. Dans ces conditions, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette question.
- 75. À propos de l’allégation selon laquelle des listes noires auraient été établies à la suite des grèves, le comité note que les organisations plaignantes affirment que, en mars 2016 et juillet 2017, le CPE a ordonné à tous les établissements scolaires de transmettre la liste des membres du personnel ayant adhéré aux mouvements de protestation ou les relevés d’absences, indiquant que tout refus serait passible de sanctions administratives et de poursuites pénales. Le comité note que d’après les organisations plaignantes ces relevés d’absences équivalent à des listes noires et que, pour cette raison, elles sont incompatibles avec la liberté syndicale. Elles dénoncent de la même façon le fait que le CPE ait intimidé en particulier les directeurs des établissements administratifs, leur disant que du fait de leur position hiérarchique ils ne pouvaient adhérer à la mobilisation. Le comité retient aussi des observations du gouvernement que: i) le contrôle des présences des enseignants et du personnel administratif fait partie des obligations du CPE qui sont confiées aux chefs d’établissements; ii) pendant que les actions de protestation étaient en place, le CPE a été témoin d’un certain nombre d’actes tels que la falsification des listes de présence, l’introduction d’informations erronées dans le système de contrôle des présences et d’autres comportements qui ont déclenché des mesures disciplinaires de sa part; et iii) le gouvernement nie catégoriquement les allégations de persécution et l’élaboration de listes noires. Observant que si l’employeur veut savoir quels sont les travailleurs qui ont fait usage de leur droit de grève et quels sont ceux qui ont continué de remplir leurs fonctions, son objectif peut être légitime et cela ne constitue pas, en soi, un acte antisyndical, et constatant en outre que les organisations plaignantes n’ont pas présenté d’éléments concrets à propos de l’usage antisyndical qui aurait été fait de ces informations, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
- 76. S’agissant de l’allégation de retard dans l’octroi de congés syndicaux aux membres du comité directeur de l’ADOSAC qui est entré en fonctions le 2 janvier 2018, le comité note que les organisations plaignantes dénoncent le retard de deux mois dans l’octroi des congés, considérant qu’il s’agit d’une violation de l’immunité syndicale. Le comité note que le gouvernement, de son côté, signale que le retard est dû au fait que l’un des membres élus siégeait alors en tant que premier titulaire élu de la majorité au sein du comité de classement de l’enseignement primaire, raison pour laquelle il devait renoncer à ce poste au sein de la direction pour pouvoir occuper celui de membre du comité directeur de l’ADOSAC. Observant que les organisations plaignantes, dans leurs allégations, ne mentionnent pas d’actions précises de nature antisyndicale qui auraient été engagées à l’encontre de membres du comité directeur de l’ADOSAC, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
- 77. En ce qui concerne l’accusation d’atteinte au droit de négociation collective, le comité note que les organisations plaignantes allèguent en premier lieu que le CPE a cessé de respecter, à partir du mois de décembre 2017, les augmentations de salaires prévues dans l’accord du 22 août 2017, en vertu de quoi les salaires devaient être augmentés de 5 pour cent à partir d’août 2017, avec une augmentation graduelle qui devait atteindre 8 pour cent en décembre 2017. Le comité prend note des explications du gouvernement selon lesquelles l’interruption des paiements est due à la crise économique qui a touché tout le pays et il a été décidé, comme consigné dans le procès-verbal 15/18 du 17 décembre 2018, que la dette cumulée du fait de l’absence de transfert des fonds de la part de l’administration centrale commencerait à être payée avec le salaire du mois de décembre 2018. Notant que le gouvernement signale, comme indiqué dans le procès-verbal 15/18, qu’il a prévu de s’acquitter de la dette qui a été cumulée du fait de l’absence de transfert des fonds, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette allégation.
- 78. Concernant les supposées atteintes au droit de négociation collective du fait de l’adoption de la résolution nº 2575/17, le comité note que les organisations plaignantes allèguent que le CPE, en adoptant cette résolution et en révoquant la résolution nº 038/13, dont le contenu avait fait l’objet de négociations paritaires, aurait de façon illégale opéré un recul en modifiant unilatéralement des accords qui avaient été négociés, ce qui constituait une violation des principes de la négociation collective. Se fondant sur des informations qui sont de notoriété publique, le comité comprend que c’est dans le cadre de la réorganisation du système d’enseignement public de la province de Santa Cruz que le gouvernement de la province a adopté la résolution nº 038/13 par laquelle il s’est engagé à payer les salaires des enseignants qui, par suite de la réorganisation, avaient perdu leur poste et à leur confier des tâches technico-pédagogiques en attendant qu’ils soient réaffectés à d’autres postes. Il comprend également que la résolution nº 2575/17 visait à révoquer la résolution nº 038/13 et à mettre fin à l’application de cette mesure pour les enseignants concernés. Le comité note que le gouvernement fait savoir que: i) la résolution nº 2575/17 se limite à rétablir l’ordre juridique antérieur; ii) la résolution nº 038/13 n’a bénéficié qu’à sept enseignants; iii) les enseignants concernés par la résolution ont présenté un recours en protection des droits (amparo); iv) même s’il a invalidé la résolution nº 038/13, le tribunal de deuxième instance s’est prononcé en faveur du maintien de la situation de travail fictive établie par ladite résolution au motif que le CPE n’était pas habilité à révoquer ses propres décisions et que l’ordre antérieur ne pouvait être rétabli par cette institution que par le biais d’une procédure pour préjudice causé (acción de lesividad); et v) en décembre 2018, le CPE a engagé une procédure pour préjudice causé devant le Tribunal supérieur de justice. Le comité rappelle que le respect mutuel des engagements pris dans les accords collectifs est un élément important du droit de négociation collective et qu’il doit être sauvegardé pour fonder les relations professionnelles sur des bases solides et stables. [Voir Compilation, paragr. 1336.] Observant que le CPE a engagé une procédure pour préjudice causé devant le Tribunal supérieur de justice et que la décision est en attente, le comité demande au gouvernement de lui communiquer la décision qui sera prise à cet égard.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 79. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Concernant la retenue supposée des cotisations syndicales, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, dans le cas où des cotisations syndicales resteraient dues, pour les restituer immédiatement à l’organisation syndicale et de le tenir informé à cet égard.
- b) En ce qui concerne les allégations d’atteintes au droit de négociation collective du fait de l’adoption de la résolution nº 2575/17, le comité prie le gouvernement de lui communiquer la décision qui sera rendue dans le cadre du recours pour préjudice causé (acción de lesividad) introduit par le Conseil provincial de l’éducation (CPE) devant le Tribunal supérieur de justice.