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Definitive Report - Report No 388, March 2019

Case No 3247 (Chile) - Complaint date: 02-AUG-16 - Closed

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Allégations: Le projet de loi portant création du système d’enseignement public constituerait une atteinte à la liberté syndicale, la situation des syndicats n’y étant pas expressément réglementée; il constituerait un recul pour les travailleurs qui, à ce jour, jouissent, par une disposition légale exceptionnelle, du droit de négociation collective et de grève, question non abordée dans l’ordre juridique national s’agissant des fonctionnaires

  1. 259. Les plaintes figurent dans deux communications de la Fédération nationale des syndicats d’assistants d’éducation des entités municipales de l’enseignement du Chili (FENASICOM) et de la Fédération nationale des travailleurs de l’éducation du Chili (SUTE CHILE)), en date des 2 août et 17 septembre 2016 respectivement. La SUTE CHILE a envoyé des renseignements supplémentaires par des communications en date des 21 février 2017 et 24 janvier 2018.
  2. 260. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par des communications en date des 31 juillet et 12 décembre 2017.
  3. 261. Dans la mesure où les plaintes portent sur des problématiques identiques, les cas nos 3246 (FENASICOM) et 3247 (SUTE CHILE) seront examinés conjointement par le Comité de la liberté syndicale.
  4. 262. Le Chili a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes

    Cas no 3246

  1. 263. Dans une communication en date du 2 août 2016, la Fédération nationale des syndicats d’assistants d’éducation des entités municipales de l’enseignement du Chili (FENASICOM) allègue que le projet de loi portant création du système d’enseignement public et modification de diverses dispositions légales, présenté à la Chambre des députés en novembre 2015, ignore le droit d’organisation du personnel non enseignant des établissements éducatifs et son droit de négocier collectivement, de même que le droit à la grève qui en découle. L’organisation plaignante explique que, en vertu de la loi no 19464 du 24 juillet 1996, les assistants d’éducation travaillant dans des établissements d’enseignement relevant d’entités privées à but non lucratif créées par les municipalités pour administrer l’enseignement municipal jouissent du droit de négocier collectivement leurs conditions de travail, d’emploi et de rémunération, ce qui constitue une exception par rapport aux assistants d’éducation des établissements d’enseignement dépendant des départements de l’administration de l’enseignement assujettis à la loi no 19296 sur les associations de fonctionnaires.
  2. 264. La FENASICOM fait valoir que le projet de loi – dont l’objectif est de créer un système unique régi par des organismes publics décentralisés, ce qui implique le transfert du personnel relevant des entités privées susmentionnées – viole le droit à la liberté syndicale du fait que son article 39 dispose qu’un délai de deux ans, à compter de la date du transfert du service éducatif, est accordé pour que les syndicats représentant le personnel transféré puissent fusionner et modifier leurs statuts conformément aux dispositions de la loi no 19296, pour être ensuite régis par ses dispositions à toutes fins légales à compter du dépôt desdits statuts auprès de l’Inspection du travail. Selon l’organisation syndicale, cela signifie que les syndicats disposent d’un délai de deux ans pour dissoudre leurs organisations – leur action n’ayant plus d’effet – et devenir des associations de fonctionnaires, en violation de l’article 4 de la convention no 87.

    Cas no 3247

  1. 265. Dans une communication du 17 septembre 2016, la Fédération nationale des travailleurs de l’éducation du Chili (SUTE CHILE) indique que le projet de loi portant création du système d’enseignement public (bulletin no 10368-04) vise à doter le système d’enseignement public d’un nouveau cadre institutionnel. L’organisation plaignante explique que, par l’entremise de cette réforme législative, le système d’enseignement public institue trois instances: i) la Direction de l’enseignement public, un service public centralisé relevant du ministère de l’Education; ii) les services locaux de l’enseignement public, qui seront des services publics décentralisés, dotés d’une personnalité juridique et d’un patrimoine propres; et iii) les établissements d’enseignement (professionnels de l’enseignement et assistants d’éducation). A cet égard, elle explique que les établissements d’enseignement existants dépendent des municipalités soit directement par l’intermédiaire du Département de l’administration de l’enseignement municipal (DAEM) (organisme public), soit indirectement par l’intermédiaire de leurs entités municipales (entités de droit privé) et qui, avec l’entrée en vigueur de la loi, seront transférées aux services locaux; sur cette base, les professionnels de l’enseignement et les assistants d’éducation sont organisés en associations de fonctionnaires ou en syndicats, selon que leur lien contractuel est avec une municipalité, par l’intermédiaire du DAEM, ou avec une entité municipale. Avec le projet de loi, le successeur légal du DAEM ou de l’entité municipale sera le service local respectif.
  2. 266. En ce qui concerne le transfert du personnel, l’organisation plaignante explique que le projet de loi, dans ses dispositions transitoires, réglemente trois situations différentes: i) le transfert du personnel municipal; ii) le transfert du personnel municipal régi par le statut du personnel enseignant aux niveaux internes des services locaux; et iii) le transfert du personnel des établissements d’enseignement. En ce qui concerne le dernier type de transfert, l’organisation plaignante insiste sur le fait qu’il se fera «sans solution de continuité», puisque par fiction juridique le transfert des professionnels de l’enseignement et des assistants d’éducation de la municipalité ou de l’entité municipale aux services locaux n’affectera ni l’ancienneté du travailleur ni le régime juridique qui lui est applicable. Ainsi, les professionnels de l’enseignement continueront d’être régis par la loi no 19070 sur le statut des professionnels de l’enseignement et par le statut du personnel enseignant, et les assistants d’éducation resteront régis par la loi no 19464, qui prévoit que le régime juridique applicable à ces travailleurs est le Code du travail.
  3. 267. Selon l’organisation plaignante, le projet de loi susmentionné est totalement muet sur la liberté syndicale des travailleurs de l’enseignement, en ce qui concerne les relations syndicales tant actuelles que futures, et elle s’inquiète donc de l’avenir incertain des syndicats, une fois le transfert réalisé. L’organisation plaignante est également préoccupée par le fait que, une fois que les professionnels de l’enseignement et les assistants d’éducation seront transférés dans les services locaux, ils relèveront d’une institution publique, de sorte que tous, sans distinction, ne pourront être organisés que conformément aux dispositions de la loi no 19296, réglementation spécifique aux travailleurs publics qui ne prévoit ni le droit à la négociation collective ni le droit à la grève. Les travailleurs du secteur de l’enseignement ne se verront donc reconnaître qu’un aspect limité de la liberté syndicale (le seul aspect organisationnel). L’organisation allègue donc qu’il leur sera interdit d’exercer leurs droits à la négociation collective et à la grève.
  4. 268. En ce qui concerne les organisations syndicales existantes, en vertu du principe de continuité consacré à l’article 4 du Code du travail, l’organisation plaignante explique qu’elles seront maintenues. Toutefois, l’application du principe de continuité en matière de droits collectifs se heurtera au caractère public du nouvel employeur – les services locaux –, ce qui obligera les syndicats de travailleurs à se transformer en une association de fonctionnaires et soulèvera des questions au niveau: i) de la reconnaissance par l’employeur des droits acquis par la négociation collective; ii) de l’exercice du droit à la négociation collective dont jouissaient les assistants d’éducation des entités municipales, en vertu de la législation précédente; et iii) de l’exercice de la négociation collective par les professionnels de l’enseignement relevant des entités municipales.
  5. 269. L’organisation plaignante se réfère à l’article 39 du projet de loi (article 43 de la loi no 21040) en lien avec les associations de fonctionnaires, en indiquant que les travailleurs, une fois transférés dans un service public, ne pourront constituer des associations qu’en vertu de la loi no 19296 (règlement spécifique aux travailleurs publics) et que les syndicats existants disposeront d’un délai de deux ans pour modifier leurs statuts et devenir des associations de fonctionnaires et, une fois transformés, auront un an pour se conformer au quorum prévu par l’article 13 de la loi no 19296.
  6. 270. Selon l’organisation plaignante, ce projet de loi constitue un recul, car: i) les travailleurs de l’enseignement, qui ont historiquement exercé le droit à la négociation collective, seront privés d’un droit reconnu et garanti par la Constitution et par divers traités internationaux ratifiés; ii) la continuité des organisations syndicales existantes n’est pas prescrite après modification de la figure de l’employeur; et iii) non seulement les organisations syndicales doivent devenir des associations de fonctionnaires, mais elles sont également tenues de respecter le quorum prévu par la loi sur les associations de fonctionnaires, sachant que le transfert au service local augmentera le nombre des travailleurs et en conséquence les exigences en matière de quorum.
  7. 271. Dans une communication en date du 21 février 2017 faisant référence à la «Position du ministère de l’Education sur la situation de l’emploi des assistants d’éducation relevant des entités municipales dans le cadre du projet de loi portant création du système d’enseignement public» (mai 2016, bulletin no 10368-04), le SUTE CHILE souligne que, à la suite d’un transfert dans une nouvelle institution publique, les travailleurs organisés en syndicats sont tenus de dissoudre leurs organisations syndicales et perdent le droit à la négociation collective. Il allègue en outre que le projet de loi dénie aux assistants d’éducation (ainsi qu’aux professionnels de l’enseignement) le statut de fonctionnaire, c’est-à-dire qu’ils deviendraient des travailleurs exerçant une fonction publique sans disposer d’aucune garantie accordée dans le secteur public aux fonctionnaires.
  8. 272. Dans une communication en date du 24 janvier 2018, le SUTE CHILE réitère ses critiques concernant la loi no 21040, telle que promulguée le 24 novembre 2017, au motif que: i) elle viole le principe de continuité et de stabilité du travail (articles 36, 37 et 38 transitoires de la loi no 21040); ii) elle viole le droit à la liberté syndicale (article 43 transitoire de la loi no 21040), puisqu’elle consacre une nouvelle cause de dissolution des organisations syndicales; le droit de négociation collective et de grève n’est pas reconnu aux associations de fonctionnaires de l’enseignement, qu’il s’agisse des associations de fonctionnaires existantes ou des syndicats qui devront passer par une transformation en raison de leur transfert vers les services locaux de l’enseignement; et iii) les droits acquis par la négociation collective par les syndicats de travailleurs de l’enseignement ne sont pas reconnus. En ce qui concerne les assistants d’éducation, l’organisation réaffirme que la réglementation les régissant actuellement n’est pas respectée, ceux-ci bénéficiant légalement du droit de négocier collectivement et du droit de grève. Enfin, l’organisation allègue que, durant la période qui a suivi l’adoption de la loi no 21040, elle a reçu de nombreuses plaintes de travailleurs de l’enseignement relatives à des licenciements massifs.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 273. Dans ses communications en date des 31 juillet et 12 décembre 2017 portant sur les deux cas, le gouvernement fournit des informations sur: i) le système scolaire chilien et les raisons d’améliorer le système municipalisé d’enseignement public; ii) la situation particulière des assistants d’éducation du secteur municipal faisant l’objet des présentes plaintes; et iii) la protection du personnel concerné en matière de droits syndicaux et de négociation collective. En annexe à sa réponse figure la note de mai 2016: «Position du ministère de l’Education sur la situation professionnelle des assistants d’éducation relevant des entités municipales dans le cadre du projet de loi portant création du système d’enseignement public (mai 2016, bulletin no 10368-04)».
  2. 274. S’agissant du système scolaire du pays, le gouvernement explique qu’il s’agit d’un système mixte public-privé dans lequel coexistent, selon le lien de dépendance, quatre types d’établissements: les établissements municipaux (publics), les établissements privés subventionnés, les établissements privés rémunérés et les établissements à administration déléguée. Les établissements municipaux visés par le présent cas sont administrés par deux types de structures de gestion: les départements de l’administration ou directions de l’enseignement municipal (DAEM ou DEM), d’une part, et les entités municipales, d’autre part. Les DAEM ou DEM sont des structures appartenant directement à la municipalité et leurs fonctions se limitent à l’administration des établissements d’enseignement municipal, y compris la gestion des ressources humaines et pédagogiques et la gestion administrative. Les entités municipales, quant à elles, sont des personnes morales de droit privé, sans but lucratif, dotées d’une personnalité juridique propre. Le conseil d’administration de ces entités est présidé par le maire de la commune concernée et son objectif général est d’administrer l’enseignement, la santé et le développement social de la commune en assumant des fonctions dans différents domaines de la vie municipale (éducation, santé, enfance, etc.). Se référant à diverses études sur le sujet, le gouvernement considère que la municipalisation de l’enseignement public n’est pas en mesure de garantir, d’une manière pérenne et sur l’ensemble du territoire, des conditions de gestion et d’utilisation des ressources propres à assurer la qualité, l’amélioration et la projection future de l’enseignement public. C’est la raison pour laquelle la proposition contenue dans le projet de loi – qui a été adopté le 24 novembre 2017 (loi no 21040) – envisage la création d’un système national d’enseignement public articulé autour des services locaux de l’enseignement public. Ces organismes appartiennent donc à l’administration de l’Etat et ont un caractère de service public décentralisé, spécialisés dans la gestion de l’enseignement et dans l’appui technique, pédagogique et administratif aux écoles sous leur responsabilité. Enfin, le gouvernement déclare avoir maintenu un dialogue permanent avec la quasi-totalité des acteurs et organismes impliqués dans l’enseignement scolaire, notamment en lien avec le projet de loi portant création du système d’enseignement public. Parmi ces organismes figure le Conseil national des assistants d’éducation, en tant que principal représentant de ce segment de travailleurs de l’enseignement municipalisé, composé de diverses fédérations et confédérations d’associations et de syndicats d’assistants d’éducation de tout le secteur municipal chilien (y compris la FENASICOM).
  3. 275. Se référant à la situation des assistants d’éducation avant la réforme, le gouvernement rappelle que ces assistants travaillent dans un ou plusieurs établissements d’enseignement et exercent des fonctions autres que l’enseignement, qui peuvent être de nature professionnelle, technique, administrative, auxiliaire et de service. Les assistants d’éducation de l’ensemble du secteur municipal sont régis par la loi no 19464 et à titre supplétif par le Code du travail. En ce qui concerne le droit d’association de ces travailleurs, la législation distingue l’exercice de ce droit selon l’entité employeuse. Dans le cas des assistants d’éducation employés par les DAEM ou les DEM – à savoir directement par les municipalités –, l’article 60 de la loi no 19464 dispose qu’ils sont soumis à la loi no 19296 sur les associations de fonctionnaires. Dans le cas des entités municipales, l’article 14 de la même loi no 19464 octroie aux assistants d’éducation le droit à la négociation collective tel qu’établi par le Code du travail et accorde à ce groupe de travailleurs une dérogation à l’interdiction prévue à l’article 304 du même texte législatif. Pour le gouvernement, le nouveau système d’enseignement public prévu par la loi ne modifie ni le régime contractuel ni le régime du travail des assistants d’éducation qui travaillent dans les établissements d’enseignement sous la responsabilité des entités municipales ou sous la responsabilité directe des municipalités. Il n’établit pas non plus d’exigences ou de concours pour procéder au transfert de tous les assistants d’éducation entre les municipalités ou les entités et les futurs services locaux de l’enseignement public. Le gouvernement déclare que la principale modification proposée par le projet de loi concernant ce secteur de travailleurs consiste à changer l’employeur en charge du contrat de travail des assistants d’éducation: l’employeur a désormais un caractère unique (public), ce qui met fin à la dichotomie en cours entre entités municipales et municipalités. Pour le gouvernement, il convient de souligner que l’un des principaux objectifs de la loi est d’assurer la continuité du travail de tous les travailleurs associés à la fourniture d’un service public d’enseignement, ce qui implique qu’il n’y ait pas d’interruption dans le travail du personnel transféré, leurs salaires et droits à pension étant maintenus. Le gouvernement souligne que la formule de transfert «sans solution de continuité», établie dans le projet de loi, signifie que les travailleurs ne perdent pas leurs droits légaux et conventionnels convenus antérieurement au transfert avec la municipalité ou l’entité municipale concernée, y compris, ceux qui ont été tacitement convenus. Le gouvernement précise que, en plus du statut administratif, diverses lois ou règles spéciales s’appliquent aux travailleurs du secteur public, selon la spécificité de leur activité. Ainsi, l’objet des règles propres aux assistants d’éducation est qu’ils aient leur propre statut.
  4. 276. En ce qui concerne la protection du personnel concerné en matière de droits syndicaux, le gouvernement indique clairement que les travailleurs ont avant tout le droit de constituer des syndicats, ce qui est prévu à l’article 19, no 19 de la Constitution nationale. La loi prévoit toutefois une exception pertinente pour le secteur public à l’article 84 du statut administratif, qui interdit aux fonctionnaires de s’organiser ou d’adhérer à des syndicats dans le cadre de l’administration de l’Etat. Le gouvernement considère cependant que l’Etat reconnaît et respecte la liberté d’association des travailleurs de l’administration de l’Etat, qui jouissent du droit de constituer des associations de fonctionnaires, à la seule condition de se conformer à la loi et à leurs statuts, comme le prévoit la loi no 19296 relative aux associations de fonctionnaires. Selon le gouvernement, ces associations ont dans la pratique fonctionné de la même manière que les syndicats, de sorte que le droit des travailleurs de s’organiser a également été respecté dans la sphère publique. Ainsi, selon le gouvernement, la liberté d’association et la représentation des intérêts des travailleurs du secteur public sont exercées différemment des travailleurs du secteur privé, mais cela ne signifie pas que ce droit n’existe pas ou que les mécanismes pour l’exercer ne sont pas établis. De même, sur la base de cette réglementation différente et des diverses caractéristiques du système d’emploi public, la nouvelle loi établit que, compte tenu du changement de régime du travail qu’implique cette réforme, il est opportun pour les travailleurs de transformer leurs syndicats en associations de fonctionnaires. Ainsi, la loi accorde un délai de deux ans à compter de la date du transfert du service éducatif pour que les syndicats représentant le personnel transféré puissent fusionner et modifier leurs statuts conformément aux dispositions de la loi no 19296 sur les associations de fonctionnaires et soient ainsi régis par ses dispositions à toutes fins légales à compter du dépôt de leur statut correspondant auprès de l’Inspection du travail. A cet égard, le gouvernement souligne que la loi accorde aux syndicats existants la possibilité de s’adapter aux normes du secteur public. Ainsi, à aucun moment durant le processus de transfert, les assistants d’éducation ne sont privés de protection pour ce qui a trait à leur organisation et à leur représentation devant les autorités et leur employeur. Le gouvernement souligne que les syndicats qui ne feront pas valoir ce droit et qui persisteront à demeurer comme tels ne perdront ni leur personnalité juridique ni leur existence juridique, dans la mesure où la législation nationale ne permet pas la dissolution des syndicats par décision d’une autorité administrative. Pour le gouvernement, ce qui change, ce ne sont pas les droits syndicaux, mais la manière de les garantir. Lorsque les assistants deviennent employés de l’Etat, la réglementation du droit d’organisation change et est régie par la loi no 19296, qui établit les règles relatives aux associations de fonctionnaires de l’administration de l’Etat. L’article 7 a) de cette loi dispose expressément que les associations de fonctionnaires ont pour objet principal de promouvoir l’amélioration économique de leurs membres et de leurs conditions de vie et de travail.
  5. 277. En ce qui concerne le droit à la négociation collective, le gouvernement établit une distinction entre le droit à la négociation et la négociation collective régie par le Code du travail. Les travailleurs du secteur public négocient de manière centralisée, dans certains cas, et au niveau sectoriel, dans d’autres. Lorsque les négociations portent sur les conditions générales de travail – qui sont établies par la loi –, il est raisonnable que la négociation tende à être centralisée. Le gouvernement souligne que, dans le secteur public, à la différence du secteur privé, la plupart des conditions de travail des travailleurs sont régies par la loi. Les rémunérations ou les conditions générales d’emploi sont ainsi négociées erga omnes. Pour le gouvernement, ce point est de la plus haute importance afin d’éviter l’iniquité entre les travailleurs, par exemple en termes de rémunération. Ce principe risquerait d’être violé si une négociation atomisée était acceptée. Ainsi, le régime légal assure une certaine stabilité dans l’emploi qu’il est nécessaire de maintenir et que le régime de droit privé n’assure pas. En outre, le gouvernement rappelle que le Chili a ratifié la convention no 151 en 2000 et que des négociations de facto sont en cours avec les travailleurs du secteur public dans un cadre solide. Le gouvernement considère enfin que le processus de changement institutionnel visé par la loi respecte les accords qu’auraient conclus les personnels concernés avec leurs employeurs précédents au moment du transfert du service éducatif des entités municipales vers les futurs services locaux de l’enseignement public.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 278. Le comité note que le présent cas concerne l’instauration, par voie législative, d’un nouveau système national d’enseignement public impliquant des changements structurels. La réforme implique le transfert d’un système d’enseignement mixte et municipalisé – dans lequel des départements de l’administration (publics) ou des directions de l’enseignement municipal (DAEM ou DEM) coexistent avec des entités municipales (personnes morales de droit privé à but non lucratif et dotées de leur propre personnalité juridique) – à un système d’enseignement public national articulé autour de services locaux de l’enseignement public. Ces organismes appartiennent donc à l’administration de l’Etat et ont un caractère de service public décentralisé. La plainte concerne notamment les assistants d’éducation du secteur municipal qui, bien que passés sous la direction d’un employeur public, restent régis par le Code du travail.
  2. 279. Le comité note que tant les plaintes initiales que la réponse du gouvernement ont trait au projet de loi sur le système d’enseignement public. Il convient de noter que ce projet a été adopté le 24 novembre 2017 (loi no 21040) et que le SUTE CHILE, dans une communication en date du 24 janvier 2018, a réitéré ses critiques et ses revendications concernant la loi, estimant que celle-ci viole le droit à la liberté syndicale.
  3. 280. Le comité note que, selon les organisations plaignantes, le projet de loi – et la loi y relative – violerait la liberté syndicale en ne réglementant pas expressément la situation des syndicats, ce qui ne respecterait ni la continuité des organisations syndicales ni les accords qu’elles ont conclus avec leurs employeurs du moment. Pour les organisations plaignantes, le projet de loi signifierait un recul pour les travailleurs qui jouissent aujourd’hui d’une disposition légale exceptionnelle leur accordant le droit de négocier collectivement et de faire la grève, question qui n’est pas abordée dans l’ordre juridique national s’agissant des agents de la fonction publique.
  4. 281. Le comité note que le principal objectif de la loi en question est de doter l’enseignement public d’une base institutionnelle unique sur l’ensemble du territoire national et qu’elle vise plus particulièrement à harmoniser la relation contractuelle des assistants d’éducation et à leur accorder un régime statutaire: l’employeur devient une entité (publique) unique, et il est mis fin à la dichotomie en cours entre entités municipales et municipalités, sans que cela n’affecte le régime de travail des assistants. Le comité note également que le gouvernement indique que l’un des principaux objectifs de la loi est d’assurer la continuité de l’emploi de tous les travailleurs associés à la fourniture d’un service public d’enseignement, ce qui implique une absence d’interruption dans l’emploi du personnel transféré par le maintien de sa rémunération et de ses droits à pension.
  5. 282. En ce qui concerne les droits syndicaux, le comité note que l’article 43 transitoire de la loi no 21040 permet aux syndicats de modifier/adapter leurs statuts à la nouvelle situation afin qu’ils puissent défendre leurs membres dont l’employeur est désormais une entité publique (les services locaux). Il note que la conversion des membres du personnel éducatif concerné (professionnels de l’enseignement et assistants relevant des entités municipales (de droit privé)) en employés de l’Etat modifie les conditions du droit d’organisation régi désormais par la loi no 19296, qui définit les règles des associations de fonctionnaires de l’administration de l’Etat. En effet, l’article 7 a) de cette loi dispose expressément que les associations de fonctionnaires ont pour objet principal de promouvoir l’amélioration économique de leurs membres et de leurs conditions de vie et de travail. Au vu de ce qui précède et en ce qui concerne le droit d’organisation, le comité considère qu’une disposition législative invitant les syndicats du secteur privé de l’enseignement à modifier leurs statuts afin de se regrouper et de pouvoir défendre les travailleurs dans les structures publiques n’est pas incompatible avec le droit des travailleurs de constituer les organisations de leur choix, étant entendu qu’il s’agit simplement de déclarer la modification requise sans autorisation préalable. Le comité espère que les droits de représentation collective de ces travailleurs seront pleinement garantis.
  6. 283. En ce qui concerne la négociation collective, le comité note que, dans le système éducatif précédent, la négociation collective était une règle exceptionnelle. Il note que, pour le gouvernement, une telle situation n’était justifiée que tant que la condition qui avait donné lieu à une telle différence de traitement subsistait, puisque cette condition résultait de la nature juridique différente des DAEM/DEM et des entités et que, une fois les travailleurs transférés dans un service public – le service local d’enseignement public –, la distinction entre travailleurs exerçant la même fonction ne se justifie plus, en application du principe constitutionnel d’égalité devant la loi.
  7. 284. Tout en rappelant qu’il n’appartient pas au comité de se prononcer sur la nature du système éducatif du pays ni sur le régime juridique applicable au personnel du secteur de l’éducation transféré dans le cadre de la réforme institutionnelle (étant entendu que les assistants ne sont pas des fonctionnaires mais des agents de la fonction publique disposant d’un statut particulier), le comité note que la loi adoptée établit une nouvelle structure – publique – d’enseignement, qui constitue l’objet principal des plaintes quant à ses effets sur les droits syndicaux. D’une part, les organisations plaignantes déplorent avoir perdu la possibilité de négocier collectivement et directement avec l’employeur au sein du système municipalisé; d’autre part, le gouvernement considère que dans le secteur public, contrairement au secteur privé, la plupart des conditions de travail des travailleurs sont régies par la loi sans pour autant que la négociation collective soit exclue, mais reconnaît que l’une des caractéristiques de la fonction publique au Chili est que la négociation « réglementée » fait défaut.
  8. 285. Au vu de ce qui précède, tout en notant la nécessité de mettre en place un système national cohérent d’enseignement public sous l’égide d’une entité commune et ses conséquences pour la réinstallation du personnel concerné, le comité note que, désormais, les droits syndicaux des assistants d’éducation sont déterminés conformément au système en vigueur pour les fonctionnaires. A cet égard, le comité tient à rappeler qu’il a à plusieurs reprises attiré l’attention sur l’importance de promouvoir la négociation collective dans le secteur de l’éducation au sens de l’article 4 de la convention no 98. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 1265.] Notant que le Chili a ratifié les conventions nos 98 et 151, le comité renvoie le suivi des aspects législatifs du présent cas à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations.
  9. 286. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle ni le droit de négociation collective ni le droit de grève qui en découle pour les associations de fonctionnaires du secteur de l’éducation ne sont reconnus, le comité note que le gouvernement ne fournit aucune information sur la question de la grève. Rappelant que le droit de grève peut être restreint, voire interdit, dans la fonction publique, uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat [voir Compilation, op. cit., paragr. 828], le comité prie le gouvernement de prendre des mesures pour veiller à ce que les restrictions au droit de grève soient en conformité avec la décision précise de la Compilation.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 287. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les conclusions suivantes:
    • a) Le comité confie le suivi des aspects législatifs du présent cas à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations.
    • b) Le comité prie le gouvernement de prendre des mesures pour veiller à ce que les restrictions au droit de grève soient en conformité avec la décision mentionnée dans ses conclusions.
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