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- 584. La plainte figure dans une communication du 7 mai 2007 envoyée conjointement par la Confédération des syndicats de la zone Poniente de Santiago (CONFESIMA) et la Fédération des syndicats du génie civil (FESIN), organisations ayant fait parvenir des informations complémentaires dans une communication du 14 juin 2007. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication du 20 septembre 2007.
- 585. Le Chili a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants- 586. Dans leurs communications du 7 mai et du 14 juin 2007, la Confédération des syndicats de la zone Poniente de Santiago (CONFESIMA) et la Fédération des syndicats du génie civil (FESIN) allèguent que, en mars 2007, les travailleurs forestiers permanents de l’entreprise Bosques Arauco et les travailleurs des sous-traitants de cette dernière, qui appartient à un grand groupe chilien, ont entamé un processus de négociation collective afin d’obtenir une augmentation de salaire et de meilleures conditions de travail. Devant l’unité des travailleurs, l’entreprise a accepté d’ouvrir des négociations.
- 587. Les organisations plaignantes indiquent que le 30 avril 2007, à la fin du délai qui avait été fixé pour l’obtention d’un accord, plus de 5 000 travailleurs de cette entreprise ont engagé une grève illimitée du fait que deux des 23 revendications présentées par les travailleurs n’avaient pas fait l’objet d’un accord. Les points de désaccord portaient sur les salaires, étant donné que les travailleurs demandaient une augmentation de 40 pour cent, alors que l’entreprise leur proposait une hausse de 4,5 pour cent. Les organisations plaignantes précisent que, en 2006, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 2 850 millions de dollars, avec un bénéfice de 619 millions de dollars, ce qui équivaut à un bénéfice de presque 2 millions de dollars par jour, en augmentation de 41 pour cent par rapport à 2005; au cours du premier trimestre 2007, les bénéfices ont atteint 228 millions de dollars, soit encore une augmentation de 30 pour cent par rapport à 2006.
- 588. Les organisations plaignantes expliquent que, le 3 mai 2007, plus de 2 000 travailleurs ont manifesté devant l’usine Horcones appartenant à Bosques Arauco dans la province d’Arauco. Au bout de cinq heures de manifestation, les travailleurs ont décidé de bloquer la route qui passe devant l’usine et qui relie Arauco à la capitale régionale, Concepción; cette action n’a pas duré plus de 15 minutes, en raison de la répression militaire qui a suivi. La police militaire chilienne, constamment présente sur le site sur ordre du ministère de l’Intérieur, a utilisé pour sa répression contre les travailleurs des chars équipés de lances à incendie et de lances à gaz, d’autres véhicules blindés et de l’infanterie armée d’équipements antiémeutes et de matériel de guerre. Les travailleurs ont dû se réfugier dans un bois voisin, où ils ont été poursuivis.
- 589. Aux environs de 22 heures – poursuivent les organisations plaignantes –, l’approvisionnement en énergie avait été coupé dans le secteur et, la répression se déchaînant contre les travailleurs, la police militaire a procédé à la destruction de quelques véhicules particuliers appartenant aux travailleurs qui se trouvaient aux abords du site, ce qui a poussé M. Rodrigo Cisternas Fernández, 26 ans et père d’une petite fille de 5 ans, à prendre une pelle mécanique utilisée pour les travaux forestiers afin de dégager les véhicules des forces de police qui barraient le chemin. Il a réussi à pousser un char doté d’une lance à gaz. C’est alors qu’un groupe de carabiniers a commencé à tirer sur son véhicule des rafales de mitraillette et des coups de pistolet. Les tirs venaient de côté. Trois balles ont mis fin à la vie de Rodrigo Cisternas: une dans la tête, une autre dans le genou, et la troisième dans la poitrine. Le travailleur est mort sur place, il a été pratiquement exécuté avant d’avoir eu le temps de sortir de sa pelle mécanique.
- 590. Les organisations dénoncent les violations des droits syndicaux et estiment qu’en ayant recours à la police armée le gouvernement a considéré l’exercice de la grève comme un crime, réduisant ainsi la liberté d’action des travailleurs, au mépris de l’exercice de la liberté syndicale.
- 591. Dans les informations complémentaires fournies, les organisations plaignantes ont envoyé des coupures de presse, un projet d’accord signé par 14 parlementaires demandant la démission des autorités policières, politiques et administratives en raison des faits allégués (projet qui a été rejeté par le Congrès).
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 592. Dans sa communication du 20 septembre 2007, le gouvernement déclare en termes généraux que la législation nationale reconnaît le droit d’organisation dans une série de textes ayant force de loi et dans la Constitution. De même, la réglementation considère que le mécanisme de négociation collective est une procédure encadrée destinée à obtenir des améliorations concernant les conditions collectives de travail et la rémunération. Sans entrer dans les détails, le gouvernement poursuit en indiquant que la législation nationale reprend les principes inscrits dans les conventions nos 87 et 98 de l’Organisation internationale du Travail.
- 593. Les droits établis par les conventions nos 87 et 98 de l’OIT, qui sont reconnus dans la législation nationale, sont efficacement garantis par un système de contrôles effectués par l’Inspection du travail, la Direction nationale du travail et les autorités judiciaires, ce qui permet par le biais de règles tutélaires et d’un caractère accessoire de veiller à leur application, par la force si nécessaire, au moyen de procédures administratives et judiciaires.
- 594. Pour ce qui est de la procédure de négociation à laquelle se réfèrent les organisations plaignantes, le gouvernement déclare que l’incident qui motive la plainte prend sa source dans un processus complexe de négociation, dans lequel la direction régionale du travail de la huitième région du Bio Bio a joué un rôle important de médiateur, conformément à ce qui sera rapporté plus loin. La procédure a été engagée le 2 février, date à laquelle l’Union des syndicats forestiers d’Arauco (USINFA) (organisation forestière qui regroupe les travailleurs de la Fédération des travailleurs forestiers d’Arauco (FETRAFOR), la Confédération des travailleurs forestiers du Chili (CTF) et la Coordination du transport forestier) a présenté à l’entreprise Bosques Arauco un cahier de revendications des travailleurs forestiers d’Arauco.
- 595. Ce document est parvenu à l’entreprise par le biais d’une lettre adressée à son dirigeant. L’entreprise a répondu le 1er mars 2007 sans accepter aucune des revendications des travailleurs, mais en signalant qu’elle était disposée à s’asseoir à la table des négociations. Les travailleurs ont considéré cette réponse comme évasive et ont notifié à l’entreprise qu’ils tiendraient le 6 mars une assemblée générale des travailleurs afin de décider des revendications.
- 596. L’entreprise a répondu le 7 mars, en maintenant qu’elle était disposée à mettre en place un groupe de travail pour analyser les demandes des travailleurs forestiers, mais sans donner de réponses spécifiques à leurs revendications.
- 597. Au cours de l’assemblée, les travailleurs ont décidé d’entamer des mobilisations et ont commencé le 12 mars par bloquer l’accès à l’usine Horcones de l’entreprise Bosques Arauco de la ville de Curanilahue, action menée par un grand nombre de travailleurs. Devant ce fait, la direction régionale du travail est intervenue pour que l’entreprise et les travailleurs trouvent un accord permettant de débloquer l’accès à l’usine.
- 598. Cet accord permettait la mise en place de groupes de travail entre l’entreprise Bosques Arauco et les travailleurs représentés par l’USINFA. L’administration du travail a immédiatement présenté une proposition le 15 mars, afin d’instaurer une table des négociations principale, où se réuniraient les représentants de l’USINFA, de l’entreprise Bosques Arauco, et de la direction du travail, dont dépendraient quatre autres groupes de négociations où seraient discutés les aspects techniques du cahier de revendications (récolte, transport, durée du travail, environnement et sécurité au travail). Concernant les travailleurs qui dépendaient des autres entreprises du groupe (Aserraderos Arauco, Paneles Arauco et Celulosa Arauco), la direction du travail a entrepris les démarches nécessaires afin d’obtenir une réponse des représentants de ces entreprises afin de mettre en place une négociation pour discuter des revendications des travailleurs industriels employés par ces dernières.
- 599. Du 22 mars au 18 avril, le travail de ces tables de négociations s’est déroulé de façon satisfaisante et a abouti à un accord sur tous les points, à l’exception des salaires. Le 23 avril, l’entreprise Bosques Arauco a présenté à la table des négociations principale sa proposition en matière de rémunérations, qui consistait en l’octroi d’une prime équivalant à 4,74 fois le revenu mensuel minimum (682 560 pesos chiliens) payable en 12 mensualités, plus des étrennes à Noël et une prime pour la fête nationale, d’un montant minimum de 24 000 pesos chiliens chacune, en garantissant aux travailleurs qui bénéficiaient déjà de ces avantages une augmentation similaire de 20 000 pesos chiliens.
- 600. L’USINFA a déclaré qu’elle rejetait totalement la proposition du patronat, en annonçant la reprise de la mobilisation afin d’obtenir de meilleurs résultats, tout particulièrement dans le cas des chauffeurs, dont l’augmentation proposée s’élevait à 3,5 pour cent, ce qui était loin des 40 pour cent demandés. C’est dans ce contexte que les travailleurs ont décidé de se mobiliser le 30 avril, et que 3 000 travailleurs ont bloqué l’entrée de l’usine d’Horcones.
- 601. La maison mère ayant refusé de négocier avec les travailleurs, la direction générale du travail a sollicité la médiation de l’archevêque de la ville de Concepción. Sans tenir compte de l’acceptation des parties, Bosques Arauco a décidé de ne pas poursuivre les négociations, indiquant que l’obligation de dialoguer incombait aux entreprises sous-traitantes dont les travailleurs étaient en grève.
- 602. Une nouvelle offre a été présentée le 3 mai, cette fois-ci par les entreprises sous-traitantes, qui proposait une augmentation de salaire allant de 40 000 à 53 000 pesos chiliens. Cette offre a été rejetée par les travailleurs qui bloquaient l’accès à l’usine Horcones, et ces derniers ont décidé vers 19 heures de couper la route no 160; cette action a entraîné un affrontement avec les carabiniers et s’est terminée par la mort regrettable du travailleur Rodrigo Cisternas Fernández.
- 603. Après cet événement tragique, les travailleurs ont déploré la mort de ce travailleur dans une conférence de presse. Le dialogue a repris et a permis d’aboutir finalement à un accord le 6 mai avec les entreprises sous-traitantes. Cet accord prévoyait une augmentation de 65 000 pesos chiliens pour tous les travailleurs, plus une prime d’au moins 24 000 pesos chiliens pour la fête nationale et pour Noël avec la promesse d’engager des négociations avec les travailleurs industriels pour analyser l’extension de ces avantages à leur secteur.
- 604. Quant à la mort de M. Rodrigo Cisternas Fernández, le gouvernement signale à nouveau que, le 3 mai 2007, environ 3 000 travailleurs ont bloqué l’accès à l’usine Horcones de l’entreprise Bosques Arauco. Les travailleurs mobilisés, après avoir rejeté l’offre des entreprises sous-traitantes, ont décidé de couper la route qui relie Cuaranilahue à Concepción, la capitale de la huitième région.
- 605. Selon les informations fournies par l’autorité chargée du maintien de l’ordre, devant le blocage de la route, les carabiniers du Chili ont commencé à la dégager, et des affrontements se sont produits entre policiers et manifestants. Au cours de ces manifestations, lors d’un incident assez confus, M. Rodrigo Cisternas Fernández a renversé deux unités mobiles de carabiniers, avec une machine permettant de soulever des charges frontales, blessant les carabiniers qui étaient restés dans leurs véhicules de police. Dans ces circonstances, le travailleur est mort alors que les carabiniers tentaient de s’opposer à sa charge contre les policiers, les journalistes et les photographes qui étaient sur place.
- 606. Le gouvernement précise que ces faits regrettables font l’objet d’une enquête judiciaire par un juge détaché, le ministre de l’Intérieur du Chili ayant demandé qu’une juridiction spéciale soit mise en place, compte tenu de l’émoi causé par un événement de cette nature, la gravité des faits et ses conséquences fâcheuses exigeant de plus un châtiment rapide. L’enquête judiciaire est actuellement en cours.
- 607. Le gouvernement déplore la mort de M. Rodrigo Cisternas Fernández et, après avoir informé le comité que ces faits font l’objet d’une enquête judiciaire, il s’engage à le tenir au courant de l’avancement des procédures en cours, compte tenu de l’ordonnancement juridique en vigueur.
- 608. Enfin, le gouvernement souligne que l’administration du travail a toujours participé au processus de négociation, essayant de trouver une issue favorable aux deux parties.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité - 609. Le comité observe que dans le cas présent les organisations plaignantes allèguent que dans le cadre d’une grève dans l’entreprise Bosques Arauco, ayant donné lieu à des manifestations et au blocage d’une route par les travailleurs, la police militaire est intervenue avec des chars dotés de lances à incendie et de lances à gaz, et après qu’elle ait détruit quelques véhicules particuliers appartenant à des travailleurs, le travailleur Rodrigo Cisternas Fernández a eu recours à une pelle mécanique (utilisée pour les travaux forestiers) afin de dégager les véhicules des forces de police qui barraient le chemin et a réussi à pousser un char équipé d’une lance à gaz; d’après les organisations plaignantes, c’est à ce moment-là qu’un peloton de carabiniers a tiré des rafales de mitraillette et des coups de pistolet sur le véhicule de M. Rodrigo Cisternas Fernández, lequel a été touché par des balles (dont une à la tête) ayant entraîné sa mort.
- 610. Le comité prend note des déclarations du gouvernement relatives au processus de négociation entre les parties au cours du conflit social, à la présence et à la médiation de l’administration du travail, et au fait que les parties sont arrivées à un accord après la mort de M. Cisternas Fernández. Concernant la mort du travailleur gréviste M. Rodrigo Cisternas Fernández, le comité note que, selon le gouvernement: 1) l’autorité judiciaire effectue actuellement une enquête, et l’OIT sera tenue informée de son évolution; 2) le 3 mai 2007, 3 000 travailleurs environ bloquaient l’accès à l’usine Horcones de l’entreprise Bosques Arauco et les travailleurs mobilisés, après avoir rejeté une nouvelle proposition des entreprises sous-traitantes dont les travailleurs étaient en grève, ont décidé de bloquer la route; et 3) d’après les informations fournies par l’autorité chargée du maintien de l’ordre, devant le blocage de la route, les carabiniers du Chili ont commencé à la dégager, et des affrontements se sont produits entre policiers et manifestants. Au cours de ces manifestations, toujours d’après le gouvernement, lors d’un incident assez confus, M. Rodrigo Cisternas a renversé deux unités mobiles de carabiniers, avec une machine permettant de soulever des charges frontales, blessant les carabiniers qui étaient restés dans leur véhicule de police. Dans ces circonstances, le travailleur est mort alors que des carabiniers tentaient de s’opposer à sa charge contre les policiers, les journalistes et les photographes qui étaient sur place.
- 611. Le comité déplore la mort du travailleur gréviste M. Rodrigo Cisternas Fernández à la suite des tirs de la police et déplore que plusieurs carabiniers aient été blessés. Le comité remarque que la version des organisations plaignantes et celle du gouvernement ne concordent pas totalement et demande donc au gouvernement de le tenir informé des résultats de l’enquête judiciaire, tout en espérant fermement que les responsabilités de part et d’autre pourront être établies et, le cas échéant, que les sanctions prévues par la loi seront appliquées. Plus généralement, le comité souligne qu’il est important que les conflits sociaux se déroulent et trouvent une solution de manière pacifique dans le cadre de la négociation collective, et que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique «dans des cas de mouvements de grève que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l’ordre public serait sérieusement menacé» [voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 644], l’intervention de la force publique devant être proportionnée à la menace pour l’ordre public qu’il convient de contrôler. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 647.] Par ailleurs, le comité rappelle que les organisations de travailleurs devraient respecter les dispositions légales ou l’ordre public et s’abstenir de tout acte de violence pendant les manifestations.
- 612. Etant donné que, dans d’autres cas concernant le Chili, le comité a examiné des allégations de violence entre des grévistes et les forces de l’ordre à l’occasion de conflits collectifs, le comité demande au gouvernement d’organiser des activités tripartites pour examiner cette question, et rappelle que l’assistance technique du BIT est à sa disposition s’il le souhaite.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 613. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande à être tenu informé des résultats de l’enquête judiciaire relative à la mort du travailleur gréviste M. Rodrigo Cisternas Fernández tout en espérant fermement que les responsabilités de part et d’autre pourront être établies et, le cas échéant, que les sanctions prévues par la loi pourront être appliquées.
- b) Etant donné que, dans d’autres cas concernant le Chili, le comité a examiné des allégations de violence entre des grévistes et les forces de l’ordre à l’occasion de conflits collectifs, le comité demande au gouvernement d’organiser des activités tripartites pour examiner cette question et rappelle que l’assistance technique du BIT est à sa disposition s’il le souhaite.