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Report in which the committee requests to be kept informed of development - Report No 336, March 2005

Case No 2381 (Lithuania) - Complaint date: 12-AUG-04 - Closed

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  1. 555. La plainte figure dans une communication datée du 12 août 2004, émanant du syndicat lituanien «Solidarumas».
  2. 556. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une communication en date du 25 octobre 2004.
  3. 557. La Lituanie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 558. Dans sa communication du 12 août 2004, le syndicat lituanien «Solidarumas» allègue que, suite à la décision de la Cour constitutionnelle, le gouvernement prépare un projet de loi tendant à nationaliser la plupart des biens des syndicats de Lituanie. Le plaignant affirme qu’en agissant ainsi le gouvernement s’ingère dans ses activités.
  2. 559. S’agissant du contexte de la plainte, l’organisation plaignante déclare qu’après avoir recouvré son indépendance le Soviet suprême de la République de Lituanie a indiqué que la partie du patrimoine immobilier qui appartenait aux ex-syndicats soviétiques devrait être octroyée aux syndicats indépendants nouvellement créés. En 1993, le Parlement de la Lituanie a promulgué une loi sur le patrimoine des anciens syndicats de l’ex-RSS de Lituanie, qui a identifié les biens devant être octroyés aux syndicats les plus représentatifs. En vertu de cette loi a été créé le Fonds spécial de soutien aux syndicats en activité et à ceux en phase d’établissement. Ce fonds réglementait la répartition du patrimoine des syndicats. L’organisation plaignante déclare que les biens énumérés ci-après ont été attribués aux syndicats: l’entreprise «Autoükis» (Vilnius); un hôtel de Vilnius en copropriété; un bâtiment situé à Vilnius; le centre de gestion d’une station de cure qui appartenait normalement aux syndicats de la RSS de Lituanie; des garages à Vilnius; des maisons de cure et de villégiature de syndicats, en propriété partiaire; la Chambre de la culture de Vilnius; le Palais des concerts et des sports de Vilnius; le Palais des glaces de Vilnius; la Chambre du travail et de la culture de la municipalité de Kaunas, en propriété partiaire. Ces biens ont été octroyés au Fonds spécial, qui était placé sous le contrôle des centrales syndicales nationales. Ces biens ont été répartis entre les centrales syndicales nationales suivantes: l’Unification syndicale lituanienne, le Centre syndical lituanien (qui a fusionné ultérieurement pour devenir la Confédération syndicale lituanienne), le syndicat lituanien «Solidarité» et la Fédération du travail lituanienne.
  3. 560. En septembre 2003, la Cour constitutionnelle de la République de Lituanie a rendu une décision selon laquelle «la loi sur les biens des anciens syndicats d’Etat de la RSS de Lituanie» n’était pas conforme à la Constitution lituanienne, ce qui signifiait que le transfert de biens du Fonds spécial était illégal et que, par conséquent, la plus grande partie du patrimoine des syndicats devait être retransférée à l’Etat. Dans sa décision, la cour a déclaré que les syndicats de la RSS de Lituanie étaient une composante de l’appareil contrôlé par le parti à travers lequel le gouvernement mettait en œuvre sa politique sociale. Dans ces conditions, les syndicats soviétiques étaient des organisations gouvernementales. La cour a déclaré que les biens transférés aux syndicats appartenaient à l’Etat et qu’ils ne pouvaient être octroyés aux syndicats que dans la mesure où ceux-ci remplissaient leur tâche de défense des intérêts sociaux. Cependant, le Parlement lituanien ne pouvait transférer aux syndicats des biens de nature commerciale (tels que les maisons de cure et de villégiature). L’organisation plaignante estime fallacieux le raisonnement de la cour du fait que, sous le régime soviétique, le patrimoine des syndicats a toujours été séparé de l’Etat ou du Parti communiste.
  4. 561. L’organisation plaignante allègue en outre que le gouvernement prépare une législation qui aura pour effet de nationaliser la plupart des biens des syndicats lituaniens. L’organisation plaignante considère que cette législation serait contraire au principe selon lequel les éléments de patrimoine de l’organisation dissoute devraient être distribués entre les anciens membres ou remis aux organisations qui lui succèdent, c’est-à-dire à l’organisation ou aux organisations qui poursuivent les objectifs pour lesquels le syndicat dissout avait été créé, et qui le font dans le même esprit. L’organisation plaignante déclare que les locaux octroyés par le Parlement lituanien ont été construits par les syndicats de la RSS de Lituanie et financés avec les cotisations de leurs adhérents. Après avoir recouvré l’indépendance, le gouvernement contrôlé par le parti a été déchu, mais les syndicats sont restés, et ces syndicats ainsi que les syndicats nouvellement créés poursuivaient les mêmes objectifs, et dans le même esprit, que les syndicats précédents. Ils assurent non seulement la défense des droits sociaux, mais rendent également certains services sociaux à leurs membres. Ainsi, les activités récréatives des travailleurs et leur traitement en sanatorium relèvent des activités syndicales.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 562. Dans sa communication du 25 octobre 2004, le gouvernement déclare que, le 30 septembre 2003, la Cour constitutionnelle de Lituanie a rendu un arrêt sur la compatibilité avec la Constitution de la République de Lituanie des actes juridiques régissant les questions relatives au patrimoine des syndicats qui étaient en activité en Lituanie avant la restauration de l’indépendance de l’Etat lituanien. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a jugé que certaines dispositions de la loi sur le patrimoine des anciens syndicats d’Etat de la RSS de Lituanie, de la loi établissant la propriété des maisons de cure, de villégiature et de repos que possédaient les syndicats de l’ex-RSS de Lituanie, de la loi sur la répartition du patrimoine des syndicats de la République de Lituanie, de la résolution du 1er juillet 1993 portant application de la loi de la République de Lituanie sur le patrimoine des anciens syndicats d’Etat de la RSSL, de la résolution du 17 février 1994 portant approbation du règlement applicable au Fonds spécial de soutien aux syndicats en activité ou en phase d’établissement sont incompatibles avec les articles 5 (paragr. 2), 7 (paragr. 2), 23 (paragr. 2), 50 (paragr. 1) et 128 (paragr. 2) de la Constitution de la République de Lituanie et avec le principe constitutionnel du respect de la règle de droit.
  2. 563. Quant au statut des syndicats qui étaient en activité avant la restauration de l’indépendance, le gouvernement indique qu’il est défini dans la résolution du Conseil suprême du 30 juillet 1990 concernant le soutien aux syndicats nouvellement créés et le patrimoine des ex-organisations syndicales d’Etat. Dans cette résolution, il est souligné que «les syndicats qui étaient en activité dans la RSS de Lituanie, du fait qu’ils contraignaient leurs adhérents à verser des cotisations, […] représentaient les intérêts d’un système fondé sur le régime de l’Etat dirigé par le parti et non pas ceux du peuple lituanien. Ces syndicats étaient des organisations d’Etat et non pas des organisations publiques.» En conséquence, la conclusion de la résolution était que «les syndicats qui étaient en activité en Lituanie avant la restauration de son indépendance étaient une composante du réseau de syndicats de l’URSS, lui-même intégré à l’appareil d’Etat à travers lequel l’Etat exerçait ses fonctions sociales et autres».
  3. 564. Se référant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, le gouvernement clarifie le statut des biens transférés aux syndicats. Le gouvernement déclare que, dans la résolution susmentionnée, il a été décidé qu’au jour de son adoption la totalité des entreprises, établissements et organisations d’Etat qui avaient été précédemment octroyés à des syndicats seraient réputés propriété de l’Etat de Lituanie (arrêt de la Cour constitutionnelle du 27 mai 2002). Cette résolution indique que, «grâce aux fonds accumulés au nom de ces syndicats et grâce aux subventions de l’Etat, des centres de repos et des sanatoriums avaient été construits et d’autres éléments de patrimoine créés. Ils ne sauraient être la propriété d’un seul groupe de personnes ou d’une association puisqu’ils appartiennent à l’ensemble du peuple de Lituanie. Une partie de ces biens peut être transférée aux syndicats en phase d’établissement ou aux syndicats nouvellement créés.» Par là même était exprimée l’intention de soutenir les syndicats indépendants en leur octroyant une partie des biens d’Etat accumulés par les anciens syndicats de la RSS de Lituanie. Cette intention a été concrétisée par des lois et d’autres actes juridiques adoptés par le Seimas (Parlement), y compris par des lois qui ont été contestées devant la Cour constitutionnelle. Le gouvernement indique que la Cour constitutionnelle déclare dans son arrêt ce qui suit:
    • […] Ainsi qu’il découle d’autres dispositions de la Constitution, l’Etat est autorisé à apporter un soutien aux syndicats en phase d’établissement ou déjà établis en leur octroyant uniquement les biens d’Etat (locaux, etc.) dont les syndicats ont besoin pour s’établir et débuter leurs activités. L’Etat, tout en apportant un soutien aux syndicats en phase d’établissement, n’est pas entièrement libre de leur transférer n’importe quel bien. Les institutions d’Etat ayant la faculté d’adopter des décisions concernant la possession, l’utilisation ou la cession de biens appartenant à l’Etat, […] sont liées par la Constitution.
  4. 565. Aussi le gouvernement souligne-t-il qu’il est possible d’apporter un soutien aux syndicats en leur transférant les biens dont ils ont besoin pour s’établir et commencer leurs activités. Il justifie sa position par un renvoi à l’arrêt de la Cour constitutionnelle:
    • […] L’Etat est une organisation de la société tout entière. La possession de biens lui appartenant par droit de propriété ne se conçoit qu’à la condition que ces biens servent le bien-être commun de la nation et l’intérêt général de la société dans son ensemble. Les biens de l’Etat sont l’un des moyens de garantir l’intérêt public et l’harmonie sociale. Il est à noter que les organes de l’autorité d’Etat et les autres institutions habilitées à adopter des décisions concernant la possession, l’utilisation et la cession de biens appartenant à l’Etat par droit de propriété doivent respecter les normes et principes de la Constitution. En vertu de la Constitution, il n’est pas possible de posséder, utiliser ou céder des biens de l’Etat pour satisfaire les intérêts et besoins d’un seul groupe social ou de particuliers, ni d’une manière qui ne serait ni conforme à l’intérêt public ni adaptée aux besoins de la société.
  5. 566. Enfin, le gouvernement indique que la loi sur le patrimoine des anciens syndicats d’Etat de la RSS de Lituanie, la loi établissant la propriété des maisons de cure, de villégiature et de repos que possédaient les anciens syndicats de la RSS de Lituanie, la loi sur la répartition du patrimoine des syndicats de la République de Lituanie, la résolution du 1er juillet 1993 portant application de la loi de la République de Lituanie sur le patrimoine des anciens syndicats d’Etat de la RSS de Lituanie et la résolution du 17 février 1994 portant approbation du règlement applicable au Fonds spécial d’appui aux syndicats en activité et à ceux en phase d’établissement prévoyaient le transfert aux syndicats des biens d’Etat dont ceux-ci n’avaient pas besoin pour s’établir et mener leurs activités. Il a souligné par ailleurs que, en vertu de la Constitution, les syndicats peuvent posséder des biens divers aux fins de l’exercice de leurs fonctions mais que, puisqu’ils ne sont pas des organisations économiques et n’ont pas non plus vocation à exercer une activité économique ou de gestion publique, les institutions d’Etat ne peuvent leur transférer des entreprises, établissements ou organisations d’Etat.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 567. Le comité note que ce cas concerne la question de la dévolution des éléments de patrimoine acquis par les syndicats lituaniens pendant la période d’occupation par l’Union soviétique.
  2. 568. Suite à la déclaration de l’indépendance, le Parlement de la Lituanie a adopté la loi sur le patrimoine des anciens syndicats d’Etat de la RSS de Lituanie, en vertu de laquelle le patrimoine utilisé par les syndicats de la RSS de Lituanie a été transféré aux syndicats, nouvellement créés, les plus représentatifs. Ce patrimoine comprenait divers bâtiments, hôtels, établissements de villégiature, centres de convalescence et palais de la culture et des sports. D’autres actes législatifs ont été adoptés ultérieurement par le Parlement, dont la loi établissant la propriété des maisons de cure, de villégiature et de repos que possédaient les anciens syndicats de la RSS de Lituanie, ainsi que la loi de la République de Lituanie concernant la répartition du patrimoine des syndicats et portant abrogation de la loi sur le patrimoine des anciens syndicats d’Etat de la RSS de Lituanie.
  3. 569. Le comité note que, dans la plainte concernant le présent cas, il est allégué que, suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, qui avait jugé inconstitutionnelle la législation susmentionnée, le gouvernement entend élaborer un projet de loi visant à nationaliser la plupart des biens des syndicats lituaniens. Le comité note que le gouvernement fonde ses observations sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle et qu’il n’a fourni aucune information concernant la nouvelle législation envisagée.
  4. 570. Le comité prend note de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, qui pourrait se résumer comme suit:
    • - La Cour constitutionnelle a été priée de déterminer si les dispositions de l’article 2, point 8, de la loi de la République de Lituanie établissant la propriété des maisons de cure, de villégiature et de repos que possédaient les anciens syndicats de la RSS de Lituanie, et de l’article 3, paragraphe 5, de la loi de la République de Lituanie sur la répartition du patrimoine des syndicats, qui a eu pour effet de transférer en propriété aux syndicats le centre de réadaptation d’Anykšciai (anciennement la maison de repos «Šilelis»), y compris le bâtiment administratif, ne sont pas incompatibles avec l’article 23 de la Constitution. La requête présentée devant la Cour constitutionnelle tirait son origine d’une action relevant du droit administratif, engagée par une personne qui est l’héritier de l’ancien propriétaire du bâtiment administratif. Avant l’occupation par l’Union soviétique, ce bâtiment administratif servait de maison d’habitation à la mère du requérant dans l’affaire administrative. Ce bâtiment, comme toutes les propriétés privées du pays, a été nationalisé dans les années quarante.
    • - La Cour constitutionnelle a examiné le statut des biens que possédaient les syndicats de la RSS de Lituanie. Elle a considéré que, jusqu’à la restauration de l’indépendance de l’Etat de Lituanie, les syndicats faisaient partie du réseau de syndicats de l’URSS et étaient donc, à ce titre, une composante de l’appareil d’Etat de l’URSS à travers lequel l’Etat exerçait ses fonctions sociales et autres. La cour s’est référée à la résolution du Conseil suprême du 30 juillet 1990 concernant le soutien aux syndicats nouvellement créés et le patrimoine des ex-organisations syndicales d’Etat, dans laquelle il est souligné que «les syndicats qui étaient en activité dans la RSS de Lituanie, du fait qu’ils contraignaient leurs adhérents à verser des cotisations, [...] représentaient les intérêts d’un système fondé sur le régime de l’Etat partie, et non pas ceux du peuple lituanien. Ces syndicats étaient des organisations d’Etat et non pas des organisations publiques.» La cour s’est également référée à la résolution du Conseil suprême du 13 mars 1990 concernant le statut des entreprises, établissements et organisations se trouvant sous la juridiction de l’union ou de la république-union, où il est stipulé qu’au jour de l’adoption de ladite résolution la totalité des entreprises, établissements et organisations que possédaient les syndicats de la RSS de Lituanie seraient réputés propriété de la République de Lituanie.
    • - La Cour constitutionnelle a rappelé que, au même moment où elle devait statuer sur la question des biens que possédaient les syndicats d’Etat de la RSS de Lituanie, une procédure en restitution des biens qui avaient été nationalisés ou saisis par un autre procédé illicite était en cours. Le 15 novembre 1990, le Conseil suprême, reconnaissant la continuité et la restauration des droits de propriété, a adopté les principes suivants: la continuité des droits de propriété des citoyens de Lituanie devrait être reconnue d’une manière incontestable; les citoyens de Lituanie ont le droit, dans les limites et conformément à la procédure prévues par la loi, de récupérer en nature les biens qui leur appartenaient; et, au cas où cela ne serait pas possible, d’être indemnisés. La Cour constitutionnelle a déclaré qu’aucun droit ne pouvait découler d’une situation d’illégalité. Les biens nationalisés ou autrement saisis de manière illicite par le gouvernement d’occupation ne sont pas devenus propriété de l’Etat et pouvaient uniquement être considérés comme des biens que l’Etat avait de facto en sa possession. Dans ces conditions, les syndicats d’Etat qui étaient en activité en Lituanie avant la restauration de l’indépendance possèdent non seulement des biens appartenant à l’Etat, mais aussi certains biens qui avaient été nationalisés ou autrement saisis de manière illicite par le gouvernement d’occupation. Ces biens ne pouvaient donc pas être réputés propriété des anciens syndicats d’Etat.
    • - La Cour constitutionnelle a également examiné les actes législatifs concernant la question du patrimoine des syndicats. Elle a conclu que la législation régissant les biens que possédaient les syndicats d’Etat de la RSS de Lituanie avant la restauration de l’indépendance était «incohérente, contradictoire et ambivalente. Les dispositions des lois et d’autres actes juridiques adoptés par le Seimas se contredisaient mutuellement, les formulations [ayant été] employées d’une manière juridiquement incorrecte.»
    • - La Cour constitutionnelle a également examiné les dispositions constitutionnelles concernant les droits de propriété de l’Etat et ses obligations à l’égard des biens en sa possession. Elle a estimé que, en vertu de la Constitution, il n’est pas possible de posséder, utiliser ou céder des biens de l’Etat de manière à satisfaire les intérêts ou besoins d’un seul groupe social ou de particuliers, ni d’une manière qui ne tiendrait pas compte de l’intérêt public et des besoins de la société. Cependant, «le fait que, en vertu de la Constitution, les biens appartenant à l’Etat doivent être conservés précieusement et non pas gaspillés ne signifie pas qu’ils ne peuvent être transférés en propriété à d’autres entités […]. Le transfert de propriété (y compris par voie de privatisation) de biens appartenant à l’Etat par droit de propriété octroyé à d’autres entités ne peut se justifier constitutionnellement que si un tel transfert bénéficie à la société, l’intention étant de satisfaire des besoins et de servir des intérêts importants et constitutionnellement fondés de la société. Un tel transfert, qu’il soit remboursable ou gratuit, serait constitutionnellement injustifiable si, de manière évidente, il porte préjudice à la société ou s’il viole les droits d’autres personnes.» La cour a fait remarquer que des situations peuvent se présenter où l’Etat possède et utilise provisoirement, pour certaines raisons, des biens qui ne lui appartiennent pas, par exemple lorsque des biens ont été nationalisés illégalement ou saisis par un autre procédé illégal par le gouvernement d’occupation, biens pour lesquels les droits de propriété peuvent être rétablis conformément à la loi. En pareil cas, la possession et l’utilisation de ces biens sont assujetties aux mêmes prescriptions constitutionnelles.
    • - La cour a examiné l’article 50 de la Constitution concernant les syndicats, en rapport avec les efforts du gouvernement tendant à créer, par les voies législatives, les conditions préalables à l’établissement et au fonctionnement de syndicats indépendants en leur apportant un soutien matériel dans leur phase initiale d’établissement et de démarrage de leurs activités. Elle a estimé que «le statut et les principes régissant les activités des syndicats, tels qu’ils sont établis dans la Constitution, compte tenu des efforts visant à instaurer une société civile ouverte, juste et harmonieuse ainsi qu’un Etat fondé sur la primauté du droit, compte tenu également du caractère démocratique de l’Etat de Lituanie, inscrit dans sa Constitution, impliquent le principe d’autonomie des syndicats vis-à-vis de l’Etat et de ses institutions». La cour a considéré que la disposition de l’article 50, paragraphe 1, de la Constitution, selon laquelle les syndicats se constituent librement et fonctionnent de manière indépendante, fixe les limites de l’interaction entre l’Etat et les syndicats. Sans préjudice des dispositions de la Constitution et compte tenu de l’article 50, paragraphe 2, selon lequel tous les syndicats ont des droits égaux dans leur phase initiale d’établissement et de démarrage de leurs activités en tant que syndicats libres, l’Etat peut leur apporter un soutien matériel (ainsi que financier) pour leur permettre de démarrer leurs activités et d’exercer leurs fonctions de manière indépendante. Le soutien apporté par l’Etat ne peut être permanent. Au stade initial, ce soutien ne doit pas être lié aux [fonctions des syndicats] qui, conformément à la Constitution, agissent de manière indépendante, mais doit porter sur la phase d’établissement et de démarrage des activités des syndicats en tant que l’une des composantes de la société civile. La Constitution ne permet aucune réglementation juridique en vertu de laquelle l’Etat apporterait un tel soutien aux syndicats ou pourrait le faire selon des modalités susceptibles d’instaurer des préalables juridiques qui porteraient atteinte à l’indépendance de l’activité syndicale et créeraient un rapport de dépendance des syndicats vis-à-vis de l’Etat, restreignant ainsi leur liberté d’action pour défendre les droits et intérêts professionnels, économiques et sociaux des employés. Elle ne permet pas non plus d’instaurer une réglementation juridique en vertu de laquelle l’Etat apporterait un tel soutien aux syndicats, ou pourrait le faire selon des modalités susceptibles de porter atteinte au principe d’égalité entre les syndicats. En conséquence, la cour conclut que «l’Etat est autorisé à apporter un soutien aux syndicats en phase d’établissement ou venant juste de s’établir seulement [en leur octroyant] les biens (locaux, etc.) [...] nécessaires pour que ces syndicats puissent s’établir et démarrer leurs activités». Cependant, la cour a souligné une fois de plus qu’«il n’est pas permis d’établir une réglementation juridique en vertu de laquelle des biens appartenant à l’Etat par droit de propriété seraient transférés à d’autres entités pour satisfaire les intérêts ou besoins d’un seul groupe social ou de particuliers, si ce transfert ne répond pas au besoin de la société, à l’intérêt public ou ne sert pas le bien-être de la nation». La cour a également indiqué que, bien qu’il ait été permis de transférer des biens à des syndicats dans la phase initiale de leur établissement afin de créer les conditions nécessaires au libre exercice de leurs activités, cette phase initiale est désormais révolue. Enfin, la cour a indiqué que, en vertu de la Constitution, les syndicats peuvent posséder des biens divers aux fins de l’exercice de leurs fonctions. «Cependant, cela ne signifie pas que les institutions d’Etat peuvent transférer la propriété d’entreprises, établissements et organisations, appartenant à l’Etat par droit de propriété, à des syndicats: les syndicats ne sont pas des organisations économiques et n’ont pas vocation à exercer des activités économiques ou de gestion publique.»
    • - La cour a donc conclu que l’article 2 de la loi établissant la propriété des maisons de cure, de villégiature et de repos que possédaient les anciens syndicats de la RSS de Lituanie, qui disposait que «les objets, biens et fonds ci-après, enregistrés dans leur inventaire, doivent être reconnus en tant que biens des syndicats de Lituanie et transférés au Fonds spécial […]: 1) la maison de repos «Trakai»; 2) la maison de repos de Lampèdžiai; 3) l’entreprise d’Etat «Neringos Kopos» (anciennement la maison de repos «Neringa»); 4) les véhicules transporteurs d’automobiles, les pièces de rechange et l’inventaire du parc de voitures des établissements de villégiature de Druskininkai; 5) le sanatorium «Nemunas» de Druskininkai; 6) le sanatorium «Jurate» de Palanga (à l’exception des hôtels inscrits dans son inventaire); 7) la maison de santé de Palanga; 8) le centre de réadaptation d’Anykšciai (anciennement la maison de repos «Šilelis»); et 9) le centre de physiothérapie et de traitement ambulatoire de Druskininkai», a établi une réglementation juridique en vertu de laquelle des biens d’Etat ou des biens que l’Etat ne possédait qu’à titre temporaire du fait de leur nationalisation illégale ou de leur saisie par un autre procédé illicite et qui, selon la loi, peuvent être restitués à leur propriétaire initial ont été reconnus comme des éléments du patrimoine des syndicats de Lituanie et transférés à ces derniers. Selon la cour, l’article en question prévoyait le transfert aux syndicats de biens «dont les syndicats n’avaient pas besoin [...] pour s’établir et démarrer leurs activités». La cour a donc conclu que ladite disposition de la loi susmentionnée était inconstitutionnelle.
    • - En ce qui concerne l’article 3, paragraphe 5, de la loi de la République de Lituanie sur la répartition du patrimoine des syndicats, qui disposait que le centre de réadapation d’Anykšciai […] et la maison de repos «Neringos Kopos» […] doivent être transférés, en parties égales et en copropriété, à la Fédération du travail de Lituanie, au Centre des syndicats lituaniens, à l’Union des travailleurs de Lituanie et à l’Alliance des syndicats de Lituanie, la cour, se référant à ses conclusions concernant l’article 2 de la loi établissant la propriété des maisons de cure, de villégiature et de repos que possédaient les anciens syndicats de la RSS de Lituanie, a estimé que cette disposition était contraire à la Constitution.
  5. 571. Le comité note l’allégation de l’organisation plaignante selon laquelle, après avoir recouvré l’indépendance, le gouvernement contrôlé par le parti est tombé, tandis que les syndicats sont restés et ont poursuivi, en même temps que les syndicats nouvellement créés, les mêmes objectifs que les syndicats précédents tout en gardant le même esprit. D’après l’organisation plaignante, les syndicats exercent non seulement des fonctions de défense des droits sociaux, mais rendent également certains services sociaux à leurs membres. C’est ainsi que les activités récréatives et les traitements prodigués aux travailleurs dans des sanatoriums relèvent des activités syndicales. Le comité comprend que, sous le régime communiste, les actifs accumulés par les syndicats étaient très importants du fait que les fonctions exercées par les syndicats allaient bien au-delà des activités traditionnellement menées par les organisations de travailleurs pour défendre les intérêts de leurs membres. Il apparaît au comité que l’organisation plaignante se préoccupe essentiellement des maisons de repos, des maisons de villégiature et des sanatoriums que les syndicats de la RSS de Lituanie s’étaient vu octroyer par l’Etat. Le comité comprend, à la lecture de la réponse du gouvernement et de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, que l’intention n’est pas de nationaliser tous les biens qui ont été transférés aux nouveaux syndicats après la déclaration d’indépendance de la Lituanie. En fait, le gouvernement admet la possibilité de transférer à des syndicats les biens dont ils ont besoin pour s’établir eux-mêmes et démarrer leurs activités.
  6. 572. Lors de l’examen de ce cas, le comité a pris conscience de la grande complexité des questions soulevées. Cette complexité tient à plusieurs facteurs: la diversité et l’origine des ressources que percevaient les anciens syndicats lituaniens (subventions de l’Etat et cotisations de leurs membres), la nature des fonctions qui leur étaient assignées et l’émergence du pluralisme syndical. Le comité est conscient que le processus de démocratisation, qui s’accompagne d’un processus de restitution des biens privés qui avaient été nationalisés ou saisis de manière illégale sous le régime communiste du pays, ainsi que la nouvelle situation des syndicats obligent le gouvernement à prendre un certain nombre de mesures. Il est notamment indispensable que la question de la dévolution des éléments de patrimoine accumulés par les anciens syndicats lituaniens soit réglée sans délai, d’une part, parce qu’une partie des fonctions qui étaient auparavant assignées aux syndicats reviendra de nouveau à l’Etat dans le cadre du processus de démocratisation et, d’autre part, parce que certains des éléments de patrimoine transférés aux syndicats après l’indépendance ont été revendiqués par leurs propriétaires d’origine. Dans ces conditions, l’intervention de l’Etat sur la question concernant la dévolution des éléments de patrimoine des syndicats ne peut être considérée, de l’avis du comité, comme incompatible avec les principes de la liberté syndicale. Néanmoins, le comité estime que cette question ne peut être réglée que par un accord entre le gouvernement et les syndicats concernés.
  7. 573. Dans ces conditions, le comité invite le gouvernement à engager des consultations avec les organisations syndicales intéressées afin de régler la question de l’octroi des biens visés par les lois pertinentes de telle sorte que, si certains des éléments de patrimoine peuvent être récupérés par le gouvernement ou leurs propriétaires initiaux, les organisations syndicales affectées par cette décision soient assurées de pouvoir mener leurs activités de manière efficace et en toute indépendance. Il demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation et, en particulier, de tout accord susceptible d’être conclu à cet égard.
  8. 574. Le comité considère en outre que, si un projet de loi sur la nationalisation des éléments de patrimoine des syndicats est effectivement en cours d’élaboration, des consultations doivent être menées préalablement à son adoption avec tous les syndicats appropriés. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 930.] Le comité demande au gouvernement de lui communiquer copie de toute nouvelle législation de ce type.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 575. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité invite le gouvernement à engager des consultations avec les organisations syndicales intéressées afin de régler la question de l’octroi des biens visés par les lois pertinentes de telle sorte que, si certains des éléments de patrimoine peuvent être récupérés par le gouvernement ou leurs propriétaires initiaux, les organisations syndicales affectées par cette décision soient assurées de pouvoir mener leurs activités de manière efficace et en toute indépendance. Il demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation et, en particulier, de tout accord susceptible d’être conclu à cet égard.
    • b) Le comité considère en outre que, si un projet de loi sur la nationalisation des éléments de patrimoine des syndicats est effectivement en cours d’élaboration, des consultations doivent être menées préalablement à son adoption avec tous les syndicats appropriés. Le comité demande au gouvernement de lui communiquer copie de toute nouvelle législation de ce type.
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