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- 906. Le comité a examiné ce cas à sa réunion de novembre 2005. [Voir 338e rapport, paragr. 1284-1305, approuvé par le Conseil d’administration lors de sa 294e session (novembre 2005).]
- 907. Le gouvernement a transmis ses observations dans des communications datées des 30 novembre 2005 et 3 février 2006.
- 908. La Turquie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.
A. Examen antérieur du cas
A. Examen antérieur du cas- 909. Lors de son examen antérieur du cas en novembre 2005, le comité a formulé les recommandations ci-après [voir 338e rapport, paragr. 1305]:
- a) Le comité prend note de la préoccupation exprimée par Egitim Sen concernant le fait qu’il puisse toujours être dissout malgré les mesures qu’il avait adoptées en vue de supprimer de ses statuts l’article en cause, et veut croire que cela ne sera pas le cas. Il demande au gouvernement de l’informer de la situation actuelle d’Egitim Sen.
- b) Le comité demande au gouvernement de fournir des informations supplémentaires concernant les contradictions entre les statuts d’Egitim Sen et la Constitution nationale, et les conséquences que le jugement final du tribunal pourrait avoir sur la liberté syndicale.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 910. Dans ses communications datées des 30 novembre 2005 et 3 février 2006, le gouvernement indique que l’action en justice engagée contre Egitim Sen par le Procureur général d’Ankara, invoquant le fait que les statuts du syndicat violaient la législation turque, a été rejetée par le deuxième tribunal du travail d’Ankara le 27 octobre 2005, au motif que l’objet du litige avait cessé d’exister et qu’il n’y avait plus lieu de prendre une décision quant au fond étant donné que l’article visé avait été modifié par le syndicat. Le tribunal a conclu qu’Egitim Sen ayant modifié ses statuts en supprimant les termes «de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle», la décision de le dissoudre n’était plus fondée. Aucun appel n’ayant été interjeté dans le délai prescrit, la décision a acquis force de chose jugée le 17 novembre 2005. Le gouvernement a fourni une copie de cette décision.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 911. Le comité rappelle les circonstances de ce cas dans lequel le Procureur général d’Ankara a engagé une action en justice le 10 juin 2004 au titre de l’article 37 de la loi no 4688 sur les syndicats des agents publics, demandant aux tribunaux d’ordonner la dissolution du Syndicat des travailleurs de la fonction publique, section de l’enseignement (Egitim Sen), parce que ses statuts disposaient que l’un des objets du syndicat était la défense du «droit de tous les citoyens de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle et de bénéficier du développement de leur culture», ce qui était contraire, selon le Procureur général, aux dispositions constitutionnelles et législatives prohibant l’enseignement de toute langue autre que le turc en tant que langue maternelle, et à l’article 3 de la Constitution qui dispose que l’Etat turc, de même que la nation et le territoire, constitue une entité indivisible.
- 912. En septembre 2004 et février 2005, le deuxième tribunal du travail d’Ankara a statué en faveur d’Egitim Sen, faisant valoir que la Constitution turque devrait être interprétée conformément à la Convention européenne des droits de l’homme et qu’une décision visant à dissoudre le syndicat n’était pas conforme aux articles 10 (liberté d’expression) et 11 (liberté de réunion et d’association) de l’instrument. Il a ajouté que la disposition contestée des statuts d’Egitim Sen ne constituait pas un risque pour l’unité de la nation et du territoire de la République. En mai 2005, la Cour suprême a annulé cette décision, statuant que «la liberté d’association peut être restreinte pour protéger la sécurité nationale, l’intégrité du pays et l’ordre public» et que «les citoyens turcs ne peuvent pas recevoir d’enseignement dans une langue autre que le turc».
- 913. Le comité, s’appuyant sur une communication antérieure de l’Internationale de l’éducation datée du 1er septembre 2005, rappelle que la décision de la Cour suprême était sans appel. Le deuxième tribunal du travail était donc censé réexaminer le cas et rendre une décision conforme à celle de la Cour suprême. A la lumière de cette situation et pour éviter une dissolution imminente, Egitim Sen a modifié ses statuts le 3 juillet 2006, supprimant les mots «de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle». Parallèlement, il a saisi la Cour européenne des droits de l’homme.
- 914. Le comité note que, selon les dernières informations fournies par le gouvernement, l’affaire avait été classée par décision finale du deuxième tribunal du travail d’Ankara qui avait conclu que la dissolution d’Egitim Sen n’était plus fondée puisque le syndicat avait modifié ses statuts, supprimant la référence au droit de tous les citoyens à «recevoir un enseignement dans leur langue maternelle». Le comité relève aussi que le gouvernement n’a pas fourni d’informations supplémentaires concernant les contradictions entre les statuts d’Egitim Sen et la Constitution nationale et les conséquences que le jugement final du tribunal pourrait avoir sur la liberté syndicale, comme il le lui avait demandé précédemment.
- 915. Le comité tient à souligner que, conformément à la convention no 87, ratifiée par la Turquie, les syndicats devraient avoir le droit d’inscrire dans leurs statuts les objectifs pacifiques qu’ils jugent nécessaires à la défense des droits et des intérêts de leurs membres. En vue de garantir pleinement le droit des organisations de travailleurs d’élaborer leurs statuts et règlements en toute liberté, la législation nationale ne devrait fixer que des conditions de forme en ce qui concerne les statuts des syndicats, et les statuts et règlements ne devraient pas être soumis à l’accord préalable des pouvoirs publics pour entrer en vigueur. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 1996, paragr. 333.] Le comité insiste aussi sur le fait que le droit d’exprimer des opinions par la voie de la presse ou autrement est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux [voir Recueil, op. cit., paragr. 153], et que le plein exercice de ces droits exige la libre circulation des informations, des opinions et des idées dans les limites de ce qui est convenable et dans le respect des principes de la non-violence. Une disposition aux termes de laquelle les statuts des syndicats doivent se conformer à des exigences de la législation nationale ne constitue pas une violation du principe selon lequel les organisations de travailleurs doivent avoir le droit d’élaborer leurs statuts et leurs règlements administratifs en toute liberté, si ces exigences légales ne portent pas elles-mêmes atteinte au principe de la liberté syndicale et, en outre, si l’approbation des statuts par l’autorité compétente n’est pas laissée au pouvoir discrétionnaire de ladite autorité. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 334.] Notant que des restrictions peuvent être imposées aux droits mentionnés ci-dessus dans les cas où la façon dont ils sont exercés peut constituer une menace imminente pour la sécurité nationale ou l’ordre démocratique, le comité s’inquiète néanmoins vivement de noter que des références dans les statuts d’un syndicat au droit à l’éducation dans une langue maternelle ont donné et pourraient donner lieu à une demande de dissolution du syndicat en question.
- 916. Le comité demande au gouvernement et aux plaignants de le tenir informé de l’évolution de la situation concernant la requête introduite par Egitim Sen auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et des résultats de la procédure.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 917. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation concernant la requête introduite par Egitim Sen auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et des résultats de la procédure.
- b) Le comité s’inquiète vivement de noter que des références dans les statuts d’un syndicat au droit à l’éducation dans une langue maternelle ont donné ou pourraient donner lieu à une demande de dissolution du syndicat en question.