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- en première instance et détention de dirigeants syndicaux
- 552 Le comité a examiné ce cas pour la dernière fois à sa session de mars 2001, où il a soumis un rapport intérimaire au Conseil d’administration. [Voir 324e rapport, paragr. 814 à 828.]
- 553 Dans une communication du 12 juin 2001, la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), la Confédération paraguayenne des travailleurs (CPT) et la Centrale syndicale des travailleurs de l’Etat paraguayen (CESITEP) ont présenté une plainte contenant des allégations relatives au cas présent. Ultérieurement, elles ont présenté de nouvelles allégations ainsi que des informations complémentaires dans leurs communications du 15 août, des 5 et 25 septembre, du 10 octobre et des 3 et 20 décembre 2001.
- 554 Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications des 5 et 28 novembre 2001 et du 31 janvier 2002.
- 555 A sa session de mars 2002, le comité a noté que le gouvernement a accepté la proposition des organisations plaignantes consistant à envoyer une mission pour établir des contacts directs au Paraguay afin de recueillir des informations et préparer un rapport de sorte que le comité puisse examiner le cas en disposant de tous les éléments d’information. [Voir 327e rapport, paragr. 11.] A ce sujet, la mission s’est déroulée dans la ville d’Asunción du 18 au 22 mars 2002, et a été dirigée par le docteur Jaime Malamud Goti, professeur d’éthique à l’Université de San Andrés, de Buenos Aires (Argentine), à l’Université d’Arkansas (Etats-Unis), et ex-professeur de droit pénal à la Faculté de droit et de sciences sociales de l’Université de Buenos Aires (Argentine). Le rapport de mission figure en annexe.
- 556 Le Paraguay a ratifié la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Examen antérieur du cas
A. Examen antérieur du cas- 557. A sa session de mars 2001, lors de l’examen des allégations relatives au licenciement d’une syndicaliste, le comité a formulé les recommandations présentées ci-après sur les allégations laissées en suspens [voir 324e rapport, paragr. 828 b)]:
- … en ce qui concerne le licenciement de Mme Florinda Insaurralde (licenciée, selon le plaignant, pour s’être consacrée aux revendications des travailleurs et à la défense des droits d’autres camarades), le comité demande au gouvernement et aux plaignants de lui faire parvenir des informations additionnelles afin qu’il puisse clarifier cette question.
- B. Nouvelles allégations des organisations plaignantes CUT, CPT et CESITEP
- 558. Dans des communications des 12 juin, 15 août, 5 septembre, 10 octobre et 25 septembre 2001, la Centrale syndicale des travailleurs de l’Etat paraguayen (CESITEP), la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et la Confédération paraguayenne des travailleurs (CPT) allèguent que dans le contexte d’une persécution antisyndicale contre les présidents des trois centrales (MM. Reinaldo Barreto Medina, Alan Flores et Jerónimo López) ces derniers ont été traduits devant un tribunal pénal pour délit de fraude dans le cadre de la faillite de la Banque nationale des travailleurs (BNT). Selon les plaignants, le gouvernement se sert de la justice pour poursuivre ses adversaires. En outre, ni les déclarations des prévenus ni les preuves n’auraient été prises en compte dans la procédure judiciaire. Les plaignants ajoutent que la preuve la plus évidente de la nature antisyndicale de la poursuite pénale des trois présidents est que d’autres dirigeants syndicaux représentant d’autres corporations, et accomplissant les mêmes tâches que les accusés, n’ont pas été poursuivis. (Les plaignants nient les faits qui leur sont reprochés dans le cadre de la procédure judiciaire et indiquent qu’ils ne sont responsables ni de la faillite ni du dépouillement des actifs de la BNT.) Enfin, les plaignants font savoir qu’en date du 8 octobre 2001 le juge pénal chargé des affaires de liquidation, dans sa décision no 7, a condamné pour complicité d’abus de confiance MM. Alan Flores et Jerónimo López à une peine d’emprisonnement de sept ans, et M. Reinaldo Barreto Medina à une peine d’emprisonnement de quatre ans.
- 559. Dans leurs communications des 3 et 20 décembre 2001, la CUT, la CPT et la CESITEP font référence aux antécédents de la faillite de la BNT et mettent particulièrement l’accent sur le fait qu’elles ont fait l’objet de poursuites dans le cadre de la faillite, après avoir été dénoncés par des tiers n’ayant aucun lien avec le procès (organisations syndicales). Les organisations plaignantes nient catégoriquement avoir commis les délits de fraude, d’escroquerie ou d’association illicite dans le supposé dépouillement d’actifs de la BNT pour lequel elles sont jugées et présentent une explication détaillée de leur gestion concernant la banque. Elles ajoutent que la presse s’est emparée de ce fait et l’a divulgué sans retenue, détériorant l’image du mouvement syndical et déclenchant des conflits à l’intérieur des organisations. De plus, il s’agirait d’une question politique puisque, pendant que les principaux dirigeants étaient tenus occupés, une profonde réforme de l’Etat a été entamée. Elles affirment également que la justice cherche à servir de couverture aux grands fraudeurs de la BNT et du pays. Les plaignants indiquent qu’il y a eu de nombreuses irrégularités au cours de la procédure judiciaire. Les plaignants indiquent que Alan Flores (président de la CUT), Jerónimo López (président de la CPT) et M. Reinaldo Barreto Medina (président de la CESITEP) ont été condamnés et sont actuellement détenus. Enfin, les organisations plaignantes demandent que, compte tenu de la complexité du cas et de la gravité des faits, une mission de contacts directs soit envoyée, de sorte que le comité puisse se prononcer en disposant de tous les éléments d’information.
- C. Réponse du gouvernement
- 560. Dans ses communications des 5 et 28 novembre 2001, le gouvernement confirme que les dirigeants syndicaux dont il est question ont fait l’objet de poursuites pénales pour le dépouillement frauduleux de la Banque nationale des travailleurs et qu’ils ont été condamnés à des peines d’emprisonnement de quatre et sept ans. En outre, le gouvernement souligne que: i) au cours de la procédure judiciaire, toutes les dispositions légales concernant le cas ont été respectées sans exception, en totale indépendance vis-à-vis de l’Etat; ii) les prévenus ont bénéficié des garanties de procédures énoncées dans la Constitution nationale, le Code pénal et le Code de procédure pénale. Le gouvernement nie le fait qu’il y ait eu persécution antisyndicale, les procédures judiciaires ayant été menées en vertu des garanties constitutionnelles et de procédure énoncées dans la loi. Enfin, dans sa communication du 31 janvier 2002, le gouvernement déclare que, face à la complexité des allégations présentées, il ne voit pas d’inconvénient à ce qu’une mission de contacts directs analyse le cas.
- 561. En ce qui concerne la question laissée en suspens lors de l’examen antérieur du cas relatif au licenciement de Mme Florinda Insaurralde, le gouvernement déclare que, selon les informations fournies par le Département des ressources humaines du ministère de la Santé publique et du Bien-être social, le directeur de l’hôpital des mères et des enfants de la Croix-Rouge paraguayenne a porté plainte contre Mme Insaurralde et, suite à une enquête administrative menée par le bureau du conseiller juridique du ministère, a décidé de la licencier aux termes de la résolution no 321/99 et du décret no 7081/2000.
D. Conclusions du comité
D. Conclusions du comité- 562. Le comité prend note du rapport de mission du professeur Jaime Malamud Goti. Le comité le remercie notamment des informations techniques fournies qui permettent d’examiner le cas en disposant d’éléments d’information supplémentaires.
- 563. Le comité observe que les centrales syndicales CUT, CPT et CESITEP allèguent que, dans le cadre d’une persécution antisyndicale, les présidents de ces organisations (MM. Alan Flores, Jerónimo López et Reinaldo Barreto Medina) ont été jugés et condamnés en première instance du pénal à des peines d’emprisonnement pour complicité d’abus de confiance dans le cadre de la faillite de la Banque nationale des travailleurs (BNT). En outre, le comité observe que les organisations plaignantes affirment qu’il y a eu des irrégularités au cours de la procédure.
- 564. Le comité note que le gouvernement confirme que les dirigeants syndicaux en question ont été jugés au pénal pour le dépouillement frauduleux de la Banque nationale des travailleurs et qu’ils ont été condamnés à des peines d’emprisonnement de quatre et sept ans, et note également que le gouvernement déclare que: i) au cours de la procédure judiciaire, toutes les dispositions légales concernant le cas ont été respectées sans exception, en totale indépendance vis-à-vis de l’Etat; ii) les prévenus ont bénéficié des garanties de procédure énoncées dans la Constitution nationale, le Code pénal et le Code de procédure pénale.
- 565. Cependant, le comité observe que le rapport de mission de contacts directs signale que de graves irrégularités de procédure (concernant également des questions juridiques de fond) ont été constatées au niveau de la procédure judiciaire intentée contre les présidents des centrales syndicales. Ce rapport résume ces irrégularités de la manière suivante:
- a) En ce qui concerne les questions de procédure, les mesures énoncées ci-après paraissent inappropriées:
- 1) La décision du juge consistant à autoriser des organisations syndicales à jouer le rôle d’accusateurs privés [l’invocation du fait que ces syndicats ont un intérêt direct dans les manoeuvres portant préjudice à la BNT est insuffisante et l’existence d’un intérêt direct des syndicats plaignants dans l’affaire pénale n’est pas établie].
- 2) La décision intempestive et dénuée de fondement -- d’un juge sans juridiction -- de maintenir en prison Alan Flores, Jerónimo López et Reinaldo Barreto Medina [le juge de première instance ayant prononcé la peine a déclaré qu’il ignorait les raisons pour lesquelles un autre juge a décidé de maintenir en détention les dirigeants syndicaux].
- 3) Le retard excessif (plus de cinq mois à la date de la mission) pour constituer un tribunal de deuxième instance compétent à même de statuer sur le recours en appel formé en octobre 2001. Par conséquent, notamment deux questions ne sont pas résolues: a) l’appel relatif à la condamnation de première instance; et b) la décision de maintenir en détention les prévenus. Il est inutile de souligner le caractère urgent de ce dernier point.
- b) En ce qui concerne les questions juridiques de fond:
- 1) Des normes pénales ont été appliquées rétroactivement en violation du principe nullum crimen et nulla poena sine lege.
- 566. Par ailleurs, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les poursuites et la condamnation en première instance du pénal des présidents des centrales en question découlent d’une campagne de persécution antisyndicale, le comité observe que, dans le rapport de la mission, il est indiqué que:
- En ce qui concerne le second sujet, c’est-à-dire celui concernant le contexte social et politique antisyndical allégué par les requérants devant l’OIT, il me semble opportun de signaler ce qui suit:
- 1) Selon la majorité des personnes interrogées, une campagne menée par certains secteurs importants de la presse, notamment de la presse écrite, est à l’origine de l’opinion selon laquelle les prévenus étaient irréfutablement coupables, avant même que la décision judiciaire ne soit rendue. D’après cette majorité, cela aurait abouti à la décision de condamner les dirigeants syndicaux et de leur imposer des peines très lourdes, ainsi qu’à la décision de les maintenir en détention, bien qu’ils aient fait appel.
- 2) Même si je ne peux conclure que la justice ou le gouvernement ont eu une attitude clairement antisyndicale, je conclus que les irrégularités précédemment décrites et la campagne de presse ont tourné au désavantage des syndicalistes prévenus.
- 567. Dans ces conditions, compte tenu des graves irrégularités constatées dans le cadre de la procédure judiciaire -- tant sur le plan de la procédure que sur celui du fond --, notamment de la durée prolongée de la détention préventive et du fait qu’il y a eu déni de justice, puisque aucun tribunal n’a statué sur les recours interjetés en vue de la mise en liberté provisoire ou définitive des dirigeants syndicaux, le comité considère que toutes les mesures nécessaires devraient être prises pour libérer MM. Alan Flores, Jerónimo López et Reinaldo Barreto Medina. De plus, le comité exprime l’espoir que l’autorité judiciaire accélérera les procédures, demande au gouvernement de le tenir informé des décisions judiciaires qui seront rendues et espère que ces dernières seront prises à la lumière des conventions nos 87 et 98.
- 568. Enfin, le comité observe que, lors de l’examen du cas à sa session de mars 2001, il avait demandé au gouvernement et à l’organisation plaignante de lui fournir des informations complémentaires relatives au licenciement de Mme Florinda Insaurralde. A cet égard, le comité note que le gouvernement signale que, suite à la plainte déposée contre Mme Insaurralde par le directeur de l’hôpital des mères et des enfants de la Croix-Rouge paraguayenne, le bureau du conseiller juridique du ministère de la Santé publique et du Bien-être social a mené une enquête ayant abouti au licenciement de la fonctionnaire concernée, aux termes de la résolution no 321/99 et du décret no 7081/2000. Dans ces conditions, déplorant le fait que l’organisation plaignante n’ait pas communiqué de nouvelles informations à ce sujet (dans la plainte, il apparaissait qu’elle avait été licenciée au seul motif de s’être consacrée aux revendications des travailleurs et à la défense des droits des autres travailleurs), le comité demande au gouvernement de le tenir informé de tout recours formé par Mme Florinda Insaurralde contre la résolution et le décret sur la base desquels son licenciement a été prononcé.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 569. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Compte tenu des graves irrégularités constatées dans le cadre de la procédure judiciaire -- tant sur le plan de la procédure que sur celui du fond --, notamment de la durée prolongée de la détention préventive et du fait qu’il y a eu déni de justice, puisque aucun tribunal n’a statué sur les recours formés en vue de la mise en liberté provisoire ou définitive des dirigeants syndicaux, le comité considère que toutes les mesures nécessaires devraient être prises pour libérer MM. Alan Flores, Jerónimo López et Reinaldo Barreto Medina. De plus, le comité exprime l’espoir que l’autorité judiciaire accélérera les procédures, demande au gouvernement de le tenir informé des décisions judiciaires qui seront rendues et espère que ces dernières seront rendues à la lumière des conventions nos 87 et 98.
- b) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de tout recours formé par Mme Florinda Insaurralde contre la résolution no 321/99 et le décret no 7081/2000 sur la base desquels son licenciement a été prononcé.
Annexe
Annexe- Rapport sur la mission de contacts directs
- effectuée au Paraguay du 18 au 22 mars 2002
- A. Introduction
- A sa réunion de mars 2002, le Comité de la liberté syndicale a pris note du fait que le gouvernement a accepté la proposition formulée par les organisations plaignantes, dans le cadre de la plainte présentée contre le gouvernement du Paraguay (cas n° 2086), consistant à envoyer dans le pays une mission de contacts directs. [Voir 327e rapport, paragr. 11.] L’objectif de la mission consistait à recueillir des informations sur les allégations relatives à l’accusation et à la détention des présidents de la Confédération paraguayenne des travailleurs (CPT), de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et de la Centrale syndicale des travailleurs de l’Etat du Paraguay (CESITEP), ainsi qu’à préparer un rapport pour que le comité puisse examiner le cas en disposant de tous les éléments d’information.
- La mission de contacts directs s’est déroulée dans la ville d’Ascunción du 18 au 22 mars 2002 et était dirigée par moi-même, Dr Jaime Malamud Goti, professeur d’éthique à l’Université de San Andrés, de Buenos Aires (Argentine), à l’Université d’Arkansas (Etats-Unis), et ancien professeur de droit pénal à la Faculté de droit et de sciences sociales de l’Université de Buenos Aires (Argentine). J’ai été accompagné par M. Horacio Guido, fonctionnaire du Service de la liberté syndicale du Département des normes internationales du travail.
- En premier lieu, je souhaite remercier le ministre de la Justice et du Travail, M. Diego Abente Brun, et le vice-ministre du Travail, M. Jorge Luis Bernis, de s’être montrés favorables et coopérants vis-à-vis de cette mission. En outre, je souhaite exprimer ma reconnaissance à Mme Gloria Bordón, avocate et responsable des affaires internationales du vice-ministère du Travail, pour l’efficacité dont elle a fait preuve pour préparer et soutenir la mission.
- Le ministre de la Justice et du Travail a souligné l’importance de l’indépendance des pouvoirs publics. De plus, il a indiqué que les autorités du pouvoir exécutif ne sont pas intervenues dans la procédure judiciaire. Cette affirmation a été corroborée par tous les magistrats et fonctionnaires du pouvoir judiciaire. Enfin, le ministre a affirmé qu’il avait rendu visite aux dirigeants syndicaux à la prison de Tacambu. Il a également déclaré qu’il avait pris des mesures pour que les détenus bénéficient de tous les moyens d’assistance juridique et de toutes les commodités possibles. A l’occasion de la visite aux dirigeants syndicaux, ces derniers ont confirmé la version du ministre, même si le système pénitentiaire n’offre que peu de possibilités de recours.
- Le lundi 18 mars 2002, j’ai appris que le dossier sur la base duquel les dirigeants syndicaux MM. Reinaldo Barreto Medina (CESITEP), Alan Flores (CUT) et Jerónimo López (CPT) ont été jugés était composé de 36 volumes (150 tomes de 200 pages chacun). Le juge chargé de l’affaire, Hugo López, a déclaré que le traitement du procès avait occupé 70 pour cent du temps de travail du tribunal pendant deux ans. Les membres de la mission ont consulté les pièces centrales du dossier, ont reçu une documentation volumineuse et ont rencontré les principaux juges concernés. Ils se sont entretenus avec le Défenseur du peuple et avec plusieurs juges qu’il était conseillé de consulter en raison de leur prestige. Ils ont eu des entretiens avec plusieurs organisations syndicales et avec l’organisation d’employeurs la plus représentative. Je souhaite particulièrement remercier deux hauts fonctionnaires du pouvoir judiciaire, les juges Ramiro Barboza et Fernando Barriocanal, pour la franchise et l’impartialité dont ils ont fait preuve en m’aidant à vérifier des faits importants.
- Le 20 mars, la mission a rencontré le président de la Cour suprême de justice, Carlos Fernández Gadea, et un autre de ses membres, le ministre M. Paredes. Au sujet des dirigeants syndicaux poursuivis, le juge Paredes a déclaré qu’il s’agissait de «personnes ayant commis des faits délictueux» et a ajouté qu’ils «avaient été condamnés pour délit d’abus de confiance». Selon le juge Paredes, les prévenus n’étaient pas poursuivis en tant que syndicalistes mais en tant qu’auteurs de «délits communs», ajoutant que le peu de prestige des organisations corporatives se révélait dans des faits comme ceux ayant motivé la plainte déposée auprès de l’OIT. Il a également fait référence à l’existence de «syndicats fantômes» qui, représentant le secteur informel, ont obtenu des crédits de la Banque nationale des travailleurs (BNT). Il a affirmé que les centrales CPT et CNT étaient celles par qui les crédits étaient accordés [la première est une des organisations plaignantes ayant porté plainte devant le Comité de la liberté syndicale]. Entre autres, le juge de la Cour suprême précédemment cité a fait observer que les syndicalistes sont entrés au «conseil exécutif» de la BNT, avec la charge de surveiller le déroulement de l’opération menée avec l’entreprise de construction par l’intermédiaire de laquelle les délits auraient été commis. Il a ajouté que les prévenus avaient été incarcérés car ils ne s’étaient pas livrés aux autorités qui ont dû rechercher les «fugitifs» pour les arrêter.
- Au sujet des déclarations du juge Paredes selon lesquelles les dirigeants syndicaux concernés se seraient comportés comme des fugitifs, je souhaite signaler que la plupart des personnes interrogées affirment que, dès que la décision de leur arrestation a été prise, ils ont été facilement retrouvés grâce aux mesures prises par le procureur Contreras. Le procureur a été extrêmement précis à ce propos. Quant aux raisons justifiant la détention des prévenus et celles pour lesquelles ils ne peuvent être libérés, il convient de souligner que nous n’avons pas pu corroborer les propos du juge Paredes au sujet de la condition de fugitifs des détenus. D’après le procureur Contreras et selon d’autres opinions concordantes (notamment celle du juge Hugo López), il est inévitable de déduire qu’au moment de leur mise en détention les prévenus exerçaient des activités normales. Cela aurait dû constituer une circonstance atténuante dans le cadre de la détermination de la peine, c’est-à-dire de l’arrestation ou de la décision de ne pas autoriser leur libération, puisqu’on ne disposait pas d’indices indiquant que les prévenus auraient tenté de se soustraire à l’action en justice.
- Les entretiens avec les organisations syndicales ont permis de dégager trois positions au sujet de la présente affaire. Un premier groupe, composé des organisations plaignantes dirigées par les accusés, a défendu les dirigeants syndicaux en avançant que le procès avait pour finalité politique de poursuivre des syndicalistes. Le deuxième groupe, essentiellement composé des organisations syndicales admises à titre d’accusateurs particuliers dans le procès, a insisté sur la responsabilité pénale des prévenus. Pour ce groupe, les dirigeants syndicaux détenus auraient participé à une manoeuvre d’escroquerie consistant à obtenir des fonds de la BNT par le biais de dépenses sans fondement licite. L’entreprise de construction Pegasus, ayant reçu plusieurs millions, aurait été créée afin de détourner des fonds de la BNT. (L’explication la plus claire et la plus détaillée sur la façon dont cette manoeuvre aurait été menée à bien a été présentée par l’avocat Pedro Lobo, représentant des organisations syndicales accusatrices.) Enfin, Mme Legizamón, dirigeante de la CGT défendant de façon fort éloquente la troisième position, a affirmé qu’elle attachait une grande importance à ce que le procès se déroule de façon régulière et à ce que la vérité soit établie d’après les faits. Lors de notre entretien, Mme Legizamón a affirmé qu’elle souhaitait que le procès révèle la vérité des faits afin que les accusés soient acquittés ou condamnés en fonction de cette vérité. De plus, cette dirigeante a déclaré qu’elle ne souhaitait d’aucune façon qu’une condamnation soit prononcée si cette dernière découlait de violations du déroulement régulier du procès. Si des irrégularités de procédures étaient constatées, elles ne devaient pas être tolérées.
- B. Procès et condamnation pénale en première instance des présidents des centrales syndicales CUT, CPT et CESITEP
- 1. Normes d’application
- La justice pénale du Paraguay est en pleine transition normative. De nombreux procès pénaux, dont celui-ci, ont été compliqués par la récente réforme du Code pénal (1997) et du Code de procédure pénale (1998). Cette réforme a rendu la procédure sensiblement plus complexe qu’elle n’aurait dû l’être. A cet égard, le juge Fernando Barriocanal, membre de la Cour d’appel aux affaires civiles, qui pour l’instant est chargé de statuer sur les appels formés, a affirmé que le procès était «anarchique».
- Le juge de première instance, Hugo López, a condamné les dirigeants syndicaux en qualifiant le fait de typique sur la base de l’article 192, sous-alinéa 2, du nouveau Code pénal (en concordance avec l’article 31 de ce code qui réglemente la complicité nécessaire à la commission du délit). Je cite le texte de la norme en question: l’article 192 du code adopté en 1997 dit que: «Celui qui, sur la base d’une loi, d’une décision administrative ou d’un contrat, a endossé la responsabilité de protéger un intérêt patrimonial important pour un tiers et qui causera ou n’évitera pas, dans le domaine de protection lui ayant été confié, un préjudice patrimonial sera condamné à une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à cinq ans, assortie d’une amende. 2) Dans les cas spécialement graves, la peine privative de liberté pourra aller jusqu’à dix ans. Le paragraphe précédent ne s’appliquera pas si le fait correspond à une valeur inférieure à dix salaires journaliers. 3) Les sous-alinéas précédents s’appliqueront même si la base juridique sur laquelle devait reposer la responsabilité du patrimoine manquait de validité.»
- Il est peut-être utile de préciser que les prévenus sont poursuivis pour avoir abusé de leur condition de mandataire ou d’administrateur des biens d’un tiers en procédant à des actes d’administration ou en prenant des dispositions contraires aux intérêts du mandant ou du propriétaire des biens. C’est pour cette raison qu’il s’agit d’un délit spécial. En effet, pour commettre ce type de délit, l’auteur doit remplir une condition spéciale. Dans le cas présent, il doit être l’administrateur légitime, le gardien, etc. de biens d’autrui. L’auteur doit se rendre coupable d’un abus de confiance vis-à-vis du détenteur des biens. Ainsi, on constate qu’étant donné que le patrimoine de la BNT a fait l’objet d’une administration préjudiciable les dirigeants syndicaux des organisations plaignantes s’adressant au comité ne peuvent être que complices de manoeuvres des cadres de ladite banque. Ces derniers jouissent en dernier lieu de prérogatives leur permettant d’administrer et disposer des biens de l’institution.
- Il est également important de citer l’article applicable de l’ancien code. Ce code, en vertu duquel les dirigeants syndicaux ont été jugés, était en vigueur à la date de la commission des faits imputés à ces derniers. Son application était obligatoire, sauf si la législation l’ayant remplacé avait été plus clémente pour les prévenus. Comme on le verra, ce n’est pas le cas: l’article 401 du Code pénal adopté en 1914 et en vigueur entre 1994 et 1996, période pendant laquelle auraient été commis les délits faisant l’objet de l’enquête, énonce ce qui suit: «Celui qui s’approprie, en investissant à son profit ou à celui d’un tiers, la chose d’autrui, qui lui aurait été donnée en toute confiance ou remise en dépôt ou remise pour être administrée ou à quelque autre titre, avec l’obligation de la restituer ou d’en faire un usage déterminé, sera passible d’une peine d’un à deux mois de prison si le préjudice n’excède pas $ 500,00. S’il dépasse cette somme, l’excès se calculera en jours de détention ou en intérêts pécuniaires.» Il convient de clarifier que ce délit ne peut être commis que par une personne liée par un mandat, une garde, etc. Il est important de souligner que la peine maximale pour ce type de délit est de dix ans de prison en vertu de la loi no 1060 de 1984, en vigueur à ce moment-là (Journal officiel, année 1, juin/juillet 1984, p. 59). L’article 2 dit que: «La peine pour délits relatifs au patrimoine ne pourra excéder dix ans de détention, sauf si les faits sont liés à d’autres faits plus graves.» Conformément aux minutes de la bibliothèque de la Cour suprême, ce texte est en vigueur à ce jour.
- 2. Application des normes pénales
- Les dirigeants syndicaux, MM. Alan Flores, Jerónimo López et Reinaldo Barreto Medina, ont été condamnés pour complicité nécessaire à la commission du délit défini dans l’article 192, sous-alinéa 2, du Code pénal de 1997. L’avocat Javier Contreras, procureur du tribunal pénal chargé de l’affaire, a expliqué pourquoi l’article 192 du nouveau Code pénal sur l’«abus de confiance» a été appliqué ex-post facto à un fait survenu en 1996, c’est-à-dire rétroactivement à une action exécutée avant l’adoption du nouveau code, en vigueur depuis 1998. Le procureur fonde l’application de l’article concerné de la nouvelle loi pénale sur les principes de la «ultractividad» dont l’application serait moins sévère que les dispositions du code abrogé concernant la fraude. On rappellera que la fraude dont il est question correspond à l’appropriation frauduleuse définie dans l’article 401 (Code pénal de 1914 et article 160 du code actuel sur l’«Appropriation»). L’application de cet article aurait des conséquences moins graves car, même si dans l’ancien code la disposition pénale relative à l’appropriation frauduleuse reconnaît une peine maximale de un à deux mois, cette peine devait être augmentée en fonction du montant ayant fait l’objet de la fraude. Tant le juge López que le procureur Contreras ont insisté sur le fait que l’application du nouvel article a des conséquences moins lourdes que celle de l’ancien code prévoyant une peine maximale de 25 ans.
- La position du procureur, ainsi que celle du juge prononçant la peine, pose un problème pour deux raisons.
- La première est que la peine maximale pour fraude (dans l’ancien code) ne peut en aucune manière excéder dix ans de prison (au lieu de 25) car la loi no 1060 (de 1984) susmentionnée limite la peine pour les délits relatifs au patrimoine à dix ans de prison. Ainsi, il n’y a aucune raison de soutenir que l’application de la loi en vigueur au moment des faits était plus sévère que la nouvelle loi. Il convient de signaler que le juge ayant statué a omis de prendre en considération la loi no 1060 dans sa décision. Cette omission constitue une sérieuse lacune sur le plan du fondement de la décision prise en première instance.
- La deuxième raison pour laquelle la position avancée est insatisfaisante repose sur le fait que l’appropriation frauduleuse exigerait de démontrer comment cette appropriation a eu lieu ou de déterminer qui a bénéficié de cet acte, en décrivant les conditions de l’appropriation. En vertu de la nouvelle loi, l’abus de confiance constitue seulement un préjudice pour le détenteur des biens. Ainsi, la preuve nécessaire à la condamnation est moins exigeante que celle correspondant à la fraude dans l’ancien code. En d’autres termes, cela implique de démontrer des questions objectives (possession de bien) et objectives (l’intention de s’approprier ce bien) au préjudice du tiers en question. Dans le cas de l’abus de confiance, la preuve exigée est considérablement moindre puisqu’elle doit exclusivement porter sur la manière dont l’administration de biens appartenant à des tiers porte préjudice à ces tiers.
- Les raisons précédemment énoncées indiquent que le juge a appliqué rétroactivement une loi pénale plus sévère que celle en vigueur au moment de la commission du délit supposé. Cela signifie que le principe universellement reconnu du droit pénal selon lequel le juge n’a pas le droit d’appliquer des lois postérieures au fait jugé a été violé. Les explications fournies au cours de l’entretien par le magistrat ayant statué ne justifient en aucune façon ce problème.
- 3. Les accusateurs privés
- (plaignants dans l’affaire pénale)
- Entre autres, il semble opportun de signaler que l’admission de plusieurs syndicats en tant que plaignants est inexplicable. Ces entités sont les suivantes: le Syndicat des travailleurs de l’administration de l’électricité (SITRANDE), le Syndicat des journalistes du Paraguay (SPP) et le Syndicat des travailleurs de la construction (SINATRAC). L’opinion de ces syndicats coïncide de façon générale avec celle de la défense. L’invocation du fait que ces syndicats ont un intérêt direct dans les manoeuvres portant préjudice à la BNT s’avère insuffisante. Il est évident qu’un traitement délictueux des actifs de la banque porte préjudice à tous les travailleurs du pays. Il ne faut pas oublier que l’obligation de participer aux actifs de la banque en apportant un pourcentage du salaire maintient tous les travailleurs dans une situation de dépendance. La position des organismes plaignants selon laquelle les personnes lésées par la manoeuvre ne sont pas uniquement les travailleurs affiliés mais également les entités elles-mêmes n’est pas convaincante. Le juge accepte cet appel: «Le tribunal considère que les plaignants ont le droit de porter plainte car ils se trouvent dans la position de victimes, en considérant que ces derniers étaient actionnaires de l’organisme bancaire et que les prévenus étaient des autorités et des administrateurs...» Un raisonnement de ce type aurait tendance à aboutir à des résultats absurdes. Au regard de ce raisonnement, les parties autorisées à porter plainte contre un fonctionnaire public seraient très nombreuses si, par exemple, les actions délictueuses prétendument commises par ce dernier aboutissaient à une politique d’Etat désastreuse. Il convient de se souvenir que la class action n’est pas recevable dans ce type d’affaires pénales.
- 4. Lourdeur de la peine
- La décision condamne Jerónimo López et Alan Flores à sept ans de prison, et Reinaldo Barreto Medina à quatre ans de prison. Ces peines excèdent celles requises par le ministère public. Le procureur Javier Contreras a fait part de sa surprise lors de l’entretien. Il a été très étonné car la peine qu’il avait requise correspondait à seulement six ans de prison. Bien que le juge dispose du pouvoir légitime de demander une peine plus lourde que celle requise par le procureur, il est inhabituel qu’il use de ce pouvoir. Sur ce point, plusieurs autorités que nous avons rencontrées ont été surprises par l’extrême sévérité de la peine de première instance, notamment parce qu’elle était supérieure à celle requise par le procureur.
- 5. Lenteur du procès et restriction des libertés individuelles
- La condamnation a été prononcée en première instance le 8 octobre 2001. Cette condamnation a fait l’objet d’un appel présenté par les défendeurs. En raison de certains éléments (empêchant légalement le juge d’intervenir) et de multiples récusations formulées par les parties, il n’existe toujours pas de juge chargé de l’affaire au niveau de l’instance d’appel. Cela prive les parties d’une autorité à même de répondre aux éventuelles questions soulevées dans le cadre du procès. Deux questions ont fait l’objet d’un appel. La première concerne la condamnation, étant donné que les prévenus insistent sur leur innocence. A ce propos, il convient de souligner que le juge de la Cour suprême, Felipe Santiago Paredes, a été surpris de l’allégation de la mission selon laquelle l’affaire ne disposait pas d’un «juge naturel». Cette affirmation est fondée sur le fait que le tribunal n’est à ce jour toujours pas officiellement constitué, comme l’a fait remarquer le juge du tribunal civil, Fernando Barriocanal, aujourd’hui en possession du dossier. En outre, selon ce magistrat, c’est la chambre de la Cour suprême dont fait partie le juge Felipe Santiago Paredes qui doit statuer sur les récusations.
- La seconde question porte sur le retard qui constitue une irrégularité considérablement grave. Elle empêche de statuer sur le recours en appel relatif à la décision de priver de liberté les deux prévenus. En l’absence du juge investi de juridiction, cette mesure de précaution a été dictée par un juge «itinérant» après que le recours en appel formé par les avocats des prévenus a été accordé. Même si j’estime qu’il n’est pas approprié de discuter ici de cette question, on peut soutenir valablement -- comme le font les défenseurs -- que le juge investi de juridiction aurait perdu cette juridiction après l’autorisation de l’appel. Cela signifie que ce dernier n’a le pouvoir de trancher sur aucune question liée au procès. Cette position est non seulement défendue par les défenseurs mais aussi par le juge intervenant. Dans l’entretien du 20 mars, le juge Hugo López a confessé qu’il «ignorait les raisons» pour lesquelles son remplaçant avait pu prendre la décision de maintenir les accusés en détention. L’absence de juridiction du juge «itinérant» de première instance pour statuer sur l’arrestation a fait l’objet de commentaires critiques coïncidents. Le juge chargé de l’affaire, Hugo López, et le juge du tribunal civil, Fernando Barriocanal, qui, comme je l’ai mentionné, fera probablement partie de la Chambre d’appel, sont d’accord sur le fait que cette mesure a été irrégulière. Cette situation comporte une série d’irrégularités qui illustrent le caractère «anarchique» de la procédure suivie dans cette affaire. Pour ce qui est de ce terme, je me réfère aux propos sincèrement exprimés par un magistrat prestigieux rencontré dans le cadre de la mission. Il convient de noter que le procureur s’est montré préoccupé par le retard.
- C. La question de la persécution syndicale alléguée
- A l’exception de quelques personnes, tous les fonctionnaires judiciaires et les membres du pouvoir exécutif que nous avons rencontrés sont d’accord sur le fait que, depuis le début de l’affaire, certains organes de presse ont couvert les événements avec sensationnalisme. Cette couverture constante semblait être mise en oeuvre pour aboutir à la condamnation des dirigeants syndicalistes. L’avocat Manuel Páez Monges, l’actuel Défenseur du peuple, a probablement été le témoin le plus averti de cette situation. M. Páez Monges a signalé qu’il y avait eu une campagne spécialement dirigée contre les syndicalistes accusés. A l’exception des plaignants de l’affaire pénale, toutes les personnes rencontrées étaient unanimes sur le fait que certains organes de presse auraient fait preuve d’hostilité envers les prévenus. Entre autres journaux et radios, on peut citer le journal ABC Color. D’après les articles de presse dont je dispose, on ne peut que constater que les informations du journal ABC orientaient l’opinion publique en parlant du délit comme d’un fait déjà prouvé, avant que l’enquête judiciaire ne soit terminée: les dirigeants syndicaux des organisations plaignantes portant plainte auprès du comité constituaient un groupe criminel, agissant dans le but d’enrichir ses membres aux dépens des travailleurs qui déposaient leurs apports à la BNT. Par conséquent, pour une grande partie de la communauté, les dirigeants étaient condamnés dès le début.
- Ainsi, il est important de signaler que les dirigeants syndicaux détenus ont été jugés à une date particulière, à savoir en juin 2000, peu de temps avant que ne se déclenche une grève générale. Certains de nos interlocuteurs sont certains que ce moment a été choisi dans le but d’intimider les entités ayant convoqué la grève.
- Des hauts fonctionnaires du pouvoir exécutif et les organisations plaignantes portant plainte devant l’OIT affirment que le jugement des dirigeants a eu lieu dans le contexte d’un programme imminent de réforme étatique et de privatisations à grande échelle. Ils ont ajouté qu’il était possible de suspecter que les jugements, suivis de l’arrestation des dirigeants syndicaux des organisations plaignantes, visaient à éviter que ces dirigeants ne s’opposent au programme.
- Conclusion
- Je souhaite établir une distinction entre les propres circonstances du procès et celles qui constituent le contexte social et politique dans lequel ce procès est instruit. Pour ce qui est du premier point, j’insiste sur les irrégularités relevées tant au niveau de la forme qu’au niveau de l’application des normes de fond.
- a) En ce qui concerne les questions de procédure, les mesures énoncées ci-après paraissent inappropriées:
- 1) La décision du juge consistant à autoriser des organisations syndicales à jouer le rôle d’accusateurs particuliers [l’invocation du fait que ces syndicats ont un intérêt direct dans les manoeuvres portant préjudice à la BNT est insuffisante, et l’existence d’un intérêt direct des syndicats plaignants dans l’affaire pénale n’est pas établie].
- 2) La décision intempestive -- d’un juge sans juridiction -- et dénuée de fondement pour maintenir en prison Alan Flores, Jerónimo López et de Reinaldo Barreto Medina [le juge de première instance ayant prononcé la peine a déclaré qu’il ignorait les raisons pour lesquelles un autre juge a décidé de maintenir en détention les dirigeants syndicaux].
- 3) Le retard excessif (plus de cinq mois à la date de la mission) pour constituer un tribunal de deuxième instance compétent, à même de statuer sur le recours en appel formé en octobre 2001. Par conséquent, notamment deux questions ne sont pas résolues: a) l’appel relatif à la condamnation de première instance; et b) la décision de maintenir en détention les prévenus. Il est inutile de souligner le caractère urgent de ce dernier point.
- b) En ce qui concerne les questions juridiques de fond:
- 1) Des normes pénales ont été appliquées rétroactivement en violation du principe nullum crimen et nulla poena sine lege.
- En ce qui concerne le second point, c’est-à-dire celui concernant le contexte social et politique antisyndical allégué par les requérants devant l’OIT, il me semble opportun de signaler ce qui suit:
- 1) Selon la majorité des personnes interrogées, une campagne menée par certains secteurs importants de la presse, notamment de la presse écrite, est à l’origine de l’opinion selon laquelle les prévenus étaient irréfutablement coupables, même avant que la décision judiciaire ne soit prise. D’après cette majorité, cela aurait abouti à la décision de condamner les dirigeants syndicaux et de leur imposer des peines très lourdes, ainsi qu’à la décision de les maintenir en détention, bien qu’ils aient fait appel.
- 2) Même si je ne peux conclure que la justice ou le gouvernement ont eu une attitude clairement antisyndicale, je conclus que les irrégularités précédemment décrites et la campagne de presse ont tourné au désavantage des syndicalistes prévenus.
- Buenos Aires, 23 mars 2002. Jaime Malamud Goti.
- Personnes rencontrées dans le cadre de la mission
- 1. Ministère de la Justice et du Travail:
- - Dr Diego Abente Brun, ministre de la Justice et du Travail.
- - Dr Jorge Luis Bernis, vice-ministre du Travail et de la Sécurité sociale.
- - Dr Gloria Bordón, chef des affaires internationales du vice-ministère du Travail et de la Sécurité sociale.
- 2. Pouvoir judiciaire:
- - Dr Carlos Fernández Gadea, président de la Cour suprême de justice.
- - Dr Felipe Santiago Paredes, membre de la Cour suprême de justice.
- - Dr Hugo López, juge de première instance chargé des liquidations et des peines.
- - Dr Fernando Barriocanal, membre de la Cour d’appel du civil, deuxième chambre.
- - Dr Ramiro Barboza, membre de la Cour d’appel pour le droit du travail, première Chambre.
- 3. Dr Javier Contreras, procureur au pénal.
- 4. Dr Manuel Páez Monges, Défenseur du peuple.
- 5. Des dirigeants syndicaux de la CUT et de la CPT, détenus à la prison de Tacumbú.
- 6. Président de la CESITEP, ayant fait l’objet d’une arrestation domiciliaire au siège de l’organisation syndicale.
- 7. Avocats défenseurs des dirigeants syndicaux poursuivis.
- 8. Syndicats plaignants dans le procès pénal (certains d’entre eux étant affiliés à la centrale syndicale CUT-A) et leur avocat.
- 9. Dirigeants des centrales syndicales CGT, CUT, CPT et CNT.
- 10. Autorités de l’organisation d’employeurs FEPRINCO.
- 11. M. José Soler, représentant résident auxiliaire du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).