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- 309. La plainte qui fait l'objet du présent cas figure dans une communication de la Fédération des travailleurs des communications et des postes "Enrique Schmidt Cuadra" datée du 30 mars 1999. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par une communication datée du 6 août 1999.
- 310. Le Nicaragua a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de la fédération plaignante
A. Allégations de la fédération plaignante- 311. Dans sa communication du 30 mars 1999, la Fédération des travailleurs des communications et des postes "Enrique Schmidt Cuadra" indique que le 14 mai 1997 elle avait présenté un cahier de revendications au ministère du Travail concernant la négociation d'une nouvelle convention collective dans l'entreprise nicaraguayenne de télécommunications (ENITEL) et que seize mois plus tard en octobre 1998 la négociation à laquelle participaient également deux autres organisations syndicales de l'entreprise s'est trouvée dans une impasse. Le 19 octobre 1998, l'organisation plaignante a donc organisé une journée de manifestation qui a réuni des travailleurs dans tout le pays pour les en informer; or, lorsqu'ils se sont dispersés, ils se sont vu interdire de reprendre le travail. Selon la fédération plaignante, à partir de ce moment-là, une campagne de répression et de discrédit a été lancée à son encontre. Concrètement, elle allègue les faits suivants:
- -- licenciement de 367 travailleurs, dont 58 dirigeants syndicaux (la fédération plaignante allègue que les destructions provoquées par l'ouragan Mitch ont été mises à profit pour accuser les travailleurs licenciés d'avoir commis des dégâts dans l'entreprise);
- -- violation des bureaux des syndicats de León, Chinandega, Granada et Matagalpa, et confiscation de documents et de biens leur appartenant;
- -- des pressions ont été exercées sur les travailleurs pour les obliger à se désaffilier;
- -- des pressions assorties de menaces de licenciement ont été exercées sur les travailleurs pour qu'ils renoncent à bénéficier des acquis de la convention collective ainsi qu'à se faire représenter par l'organisation plaignante.
- 312. Enfin, la fédération plaignante précise que les poursuites engagées auprès de l'administration concernant les faits dénoncés n'ont pas abouti et que cinq actions en justice ont été intentées pour demander la réintégration des travailleurs licenciés; cependant, vu leur situations économiques, 312 de ces travailleurs ont touché leurs indemnités de licenciement.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 313. Dans sa communication datée du 6 août 1999, le gouvernement explique que le 14 mai 1997 la Fédération des travailleurs des communications et des postes "Enrique Schmidt Cuadra", le Syndicat national des travailleurs des postes et télécommunications (SINTRATELCO) et le Syndicat Huit Avril ont saisi l'Inspection départementale du secteur de la construction, des transports et des télécommunications d'un cahier de revendications, afin de négocier une convention collective avec l'Entreprise nicaraguayenne des télécommunications (ENITEL); la première réunion a eu lieu le 30 juin 1997. Le gouvernement indique que le 13 octobre 1998 quatre clauses restaient à négocier. Le Code du travail prévoit un délai de 23 jours pour la négociation d'une convention collective mais en pratique ce délai est toujours prolongé, de sorte que les parties deviennent plus agressives dans leurs revendications au fur et à mesure que la négociation avance, créant un climat de méfiance. Devant cette situation, le ministère du Travail a engagé une tentative de conciliation pour débloquer la négociation. Selon le gouvernement, alors que les parties avaient été convoquées pour le 20 octobre 1998 afin de poursuivre les négociations, les travailleurs de la Fédération "Enrique Schmidt Cuadra" ont cessé le travail dans la majorité des filiales de l'entreprise ENITEL la veille, c'est-à-dire le 19 octobre. Le ministère du Travail a immédiatement convoqué les parties pour qu'elles poursuivent les négociations qui, à ce jour, ne sont toujours pas terminées. Le gouvernement déclare que, dans le cadre des séances de négociation, un groupe de travailleurs de confiance de l'entreprise ENITEL (plus de 470) s'est fait connaître et a demandé à être exclu de l'application des acquis de la convention collective; il a en outre demandé qu'aucun organisme syndical ne le représente dans cette négociation. Les parties à la négociation ont demandé au ministère du Travail qu'il se prononce sur la pétition des travailleurs de confiance. L'autorité administrative a donc pris position, mais deux des trois organisations syndicales qui participaient aux négociations ont fait appel de sa décision; cet appel n'a pas interrompu la poursuite des négociations et la dernière séance a eu lieu le 1er juin 1999. Le gouvernement indique que les parties ont recours à des manoeuvres dilatoires et qu'elles ne sont jamais à court d'arguments pour faire obstacle au bon déroulement des négociations.
- 314. Pour ce qui est des allégations concernant les licenciements des travailleurs consécutifs à la journée de manifestation dans l'entreprise ENITEL, le gouvernement signale que ces licenciements ont eu lieu après un arrêt de travail dont la conséquence a été l'abandon, par les travailleurs affiliés à la Fédération "Enrique Schmidt Cuadra", de leurs postes de travail. Cet arrêt de travail est allé de pair avec la provocation de troubles, le ralentissement et l'entrave des travaux et des activités techniques et administratives qu'assure l'entreprise dans le cadre du fonctionnement des services téléphoniques publics. Ces actes ont été accompagnés de violences, telles que la mise à mal des véhicules de l'entreprise, et de manques de respect à l'égard des autorités et des travailleurs de l'entreprise, à l'entrée de laquelle, à Managua et dans diverses succursales du pays, les piquets de grève empêchaient l'accès aux travailleurs qui ne participaient pas à la manifestation, ainsi qu'aux usagers. Le gouvernement ajoute que les travailleurs ont violé le règlement interne de l'entreprise, le Code du travail et leurs contrats de travail individuels; l'entreprise ENITEL s'est fondée sur ces motifs pour demander l'annulation des contrats de travail des travailleurs qui ont participé à la manifestation. Le gouvernement souligne que nul ne peut agir de manière à empêcher l'Etat de remplir son obligation d'assurer les services de base énumérés dans l'article 105 de la Constitution nationale, parmi lesquels figurent les services de communication.
- 315. Enfin, pour ce qui est des allégations relatives à la violation par des groupes paramilitaires des locaux des syndicats de León, Chinandega, Granada et Matagalpa, ainsi que de la confiscation de documents et de biens appartenant aux organisations syndicales, le gouvernement assure que l'administration n'a été saisie d'aucune plainte à cet égard.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 316. Le comité observe que dans le cas présent la fédération plaignante allègue que, dans le cadre de la négociation d'une convention collective dans l'entreprise nicaraguayenne de télécommunications (ENITEL) qui dure depuis plus de deux ans, elle a appelé les travailleurs à manifester et qu'à partir de ce moment elle a été victime d'une campagne de répression et de discrédit. Concrètement, la fédération plaignante allègue les faits suivants: 1) licenciement de 367 travailleurs, dont 58 dirigeants syndicaux; 2) violation des bureaux des syndicats de León, Chinandega, Granada et Matagalpa, ainsi que confiscation de documents et de biens leur appartenant; 3) désaffiliation forcée de travailleurs affiliés à l'organisation plaignante par l'exercice de pressions; et 4) pressions assorties de menaces de licenciement à l'encontre des travailleurs pour qu'ils renoncent à bénéficier des acquis de la convention collective ainsi qu'à se faire représenter par la fédération plaignante.
- 317. En ce qui concerne l'allégation relative au licenciement de 367 travailleurs (dont 312 ont accepté une indemnisation), dont 58 dirigeants syndicaux, dans l'entreprise ENITEL, à la suite de la journée de manifestation du 19 octobre 1998, le comité observe que la version de la fédération plaignante et celle du gouvernement sont contradictoires. En effet, d'une part, la fédération plaignante allègue que les licenciements se sont produits dans le cadre d'une campagne de répression antisyndicale provoquée par le blocage des négociations d'une convention collective et que les autorités, profitant des destructions dues à l'ouragan Mitch, accusent les licenciés d'avoir commis des dégâts dans l'entreprise; d'autre part, le gouvernement soutient que les travailleurs ont été licenciés pour une juste cause puisqu'ils avaient arrêté le travail en violation du règlement intérieur de l'entreprise, des dispositions du Code du travail et de la Constitution nationale, compte tenu des dispositions qui s'appliquent à la prestation de services essentiels, et qu'ils avaient endommagé le matériel de l'entreprise.
- 318. A cet égard, le comité rappelle qu'il a déjà eu l'occasion de souligner que les services téléphoniques peuvent être considérés comme des services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire comme des services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne, et qu'il a admis que le droit de grève pourrait faire l'objet de restrictions, voire d'interdictions lorsqu'il s'agit de ce type de services, mais que les travailleurs concernés doivent jouir de certaines garanties compensatoires. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 544, 547 et 533.) Cependant, le comité rappelle également qu'en diverses occasions il a souligné que les services postaux ne constituent pas des services essentiels au sens strict du terme. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 545.) Le comité estime donc que dans le cas présent il faut tenir compte des faits suivants: 1) les licenciements se sont produits dans le cadre de la négociation d'une convention collective qui avait commencé il y a plus de deux ans et qui se poursuit encore; le gouvernement reconnaît que les deux parties ont recours à des manoeuvres dilatoires; 2) les travailleurs licenciés ont intenté des actions en justice pour demander leur réintégration et, à ce jour, aucune décision n'est intervenue. Dans ces conditions, et pour que les parties puissent conclure la négociation collective dans un climat de travail harmonieux, le comité demande au gouvernement de faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir la réintégration des dirigeants syndicaux et des travailleurs licenciés, au moins jusqu'à ce que les autorités judiciaires se prononcent à cet égard. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation.
- 319. De même, et tout en rappelant qu'il importe qu'employeurs et syndicats participent aux négociations de bonne foi et déploient tous leurs efforts pour aboutir à un accord, des négociations véritables et constructives étant nécessaires pour rétablir et maintenir une relation de confiance entre les parties (voir Recueil, op. cit., paragr. 815), le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution des négociations de la convention collective dans l'entreprise ENITEL.
- 320. Pour ce qui est de l'allégation relative à la violation des locaux syndicaux et à la confiscation des documents et des biens appartenant aux syndicats de León, Chinandega, Granada et Matagalpa par des unités paramilitaires, le comité prend note du fait que, selon le gouvernement, les autorités administratives n'ont été saisies d'aucune plainte. A cet égard, le comité souligne qu'un climat de violence comme celui que traduisent ces actes d'agression contre les locaux et les biens syndicaux perpétrés par des groupes paramilitaires constitue un obstacle grave à l'exercice des droits syndicaux et que ce type d'action devrait entraîner des mesures sévères de la part des autorités qui devraient notamment traduire les auteurs présumés devant l'autorité judiciaire compétente. A cet égard, le comité demande au gouvernement de diligenter une enquête indépendante sur ces allégations et, s'il constate leur véracité, de prendre les mesures nécessaires pour que les locaux, la documentation et les biens appartenant aux syndicats en question leur soient immédiatement restitués, et de veiller à ce que les coupables soient jugés par l'autorité judiciaire compétente. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation.
- 321. Pour ce qui est de l'allégation relative aux pressions exercées par la direction de l'entreprise qui a menacé de licenciement les travailleurs pour les convaincre de renoncer aux acquis de la convention collective, le comité prend note des déclarations du gouvernement selon lesquelles: i) un groupe de 470 travailleurs de confiance a demandé à ce que la convention collective ne leur soit pas applicable et à ne pas être représentés par l'organisation syndicale; ii) à cet égard, les parties ont eu recours à l'autorité administrative qui, par une décision du 7 mai 1999, a indiqué que les travailleurs de confiance ne devraient pas être inclus dans le champ d'application de la convention collective (cette décision a fait l'objet d'un recours en appel auprès de l'administration par deux des organisations syndicales qui sont parties à la négociation). A cet égard, le comité observe que le gouvernement ne fait pas référence aux allégations relatives aux pressions et aux menaces de licenciement censées convaincre les travailleurs de renoncer à bénéficier des acquis de la convention collective et à se faire représenter par la fédération plaignante. Le comité estime qu'il doit être difficile pour un travailleur de confiance de prouver qu'il a été victime de pressions pour renoncer aux acquis d'une convention collective ou pour se faire représenter par une organisation syndicale. Dans ces conditions, le comité demande au gouvernement de prendre des mesures pour mener à bien une enquête indépendante sur ces allégations et, au cas où leur véracité serait constatée, de veiller à ce que ces travailleurs de confiance puissent décider librement de la possibilité d'être couverts par la convention collective et de se faire représenter par une organisation syndicale. Par ailleurs, le comité demande au gouvernement de le tenir informé du résultat du recours introduit par la fédération plaignante.
- 322. En ce qui concerne l'allégation relative à la désaffiliation forcée des travailleurs de la fédération plaignante au moyen de pressions, le comité constate à regret que le gouvernement n'a pas communiqué ses observations à cet égard. Le comité rappelle l'importance de l'article 1 de la convention no 98 portant sur la nécessité pour les travailleurs de bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination antisyndicale, y compris l'exercice de pressions pour qu'ils ne s'affilient pas à un syndicat ou cessent d'en faire partie. Dans ces conditions, le comité demande au gouvernement de prendre des mesures pour diligenter une enquête indépendante à cet égard et, au cas où la véracité de ces allégations serait vérifiée, d'assurer la mise en oeuvre des sanctions administratives et judiciaires prévues dans ce cas, et, enfin, de faire en sorte que ces actes ne soient plus commis à l'avenir. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 323. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Pour ce qui est du licenciement de 367 travailleurs (dont 312 ont accepté une indemnisation), dont un certain nombre de dirigeants syndicaux, dans l'Entreprise nicaraguayenne de télécommunications (ENITEL), le comité -- notant la nature contradictoire des versions de la fédération plaignante et du gouvernement -- demande à ce dernier de faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir la réintégration de ces travailleurs, au moins jusqu'à ce que les autorités judiciaires se prononcent à cet égard. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation.
- b) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la négociation de la convention collective dans l'entreprise ENITEL.
- c) Pour ce qui est des allégations relatives à la violation des locaux syndicaux et à la confiscation des documents et des biens appartenant aux syndicats de León, Chinandega, Granada et Matagalpa par des unités paramilitaires, le comité demande au gouvernement de diligenter une enquête indépendante et, s'il constate la véracité des faits allégués, de prendre les mesures nécessaires pour que les locaux, la documentation et les biens des syndicats en question leur soient immédiatement restitués, et de veiller à ce que les coupables soient jugés par les autorités judiciaires compétentes. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- d) En ce qui concerne les allégations relatives à des pressions et menaces de licenciement qui auraient été prononcées à l'encontre de travailleurs pour qu'ils renoncent à bénéficier des acquis de la convention collective et à se faire représenter par l'organisation plaignante, le comité demande au gouvernement de prendre des mesures pour mener une enquête indépendante sur ces allégations et, s'il en constate la véracité, de veiller à ce que les travailleurs de confiance puissent choisir librement d'être ou non couverts par la convention collective et de se faire ou non représenter par une organisation syndicale. De même, le comité demande au gouvernement de le tenir informé du résultat de l'appel interjeté par la fédération plaignante.
- e) Pour ce qui est de l'allégation relative à la désaffiliation forcée des travailleurs de l'organisation plaignante au moyen de pressions, le comité demande au gouvernement de diligenter une enquête indépendante et, s'il constate la véracité de ces allégations, de prendre les mesures qui s'imposent pour que soient appliquées les sanctions administratives et judiciaires prévues, et de faire en sorte que ce type d'actes ne soit plus commis à l'avenir. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation.