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- 506. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Paraguay dans une communication du 26 septembre 1989. Elle a, par la suite, envoyé de nouvelles allégations dans des communications des 12 octobre et 14 décembre 1989. Depuis lors, le gouvernement n'a fourni aucune information ou observation à propos de cette plainte.
- 507. A sa réunion de février 1990, le comité, ayant noté qu'en dépit du temps écoulé depuis le dépôt de la plainte il n'avait pas reçu les observations du gouvernement, a signalé à son attention que, conformément à la procédure établie dans le paragraphe 17 de son 127e rapport, il examinerait ce cas quant au fond à sa prochaine réunion, même si les observations du gouvernement n'étaient pas reçues à temps.
- 508. Le Paraguay a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de la confédération plaignante
A. Allégations de la confédération plaignante
- 509. La CISL indique que, malgré les espoirs qu'avait engendrés l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement démocratique en matière de libertés et de droits syndicaux, les actes de discrimination antisyndicale continuent. Elle précise que ces actes affectent les membres des directions syndicales et les grands groupes de travailleurs qui tentent de s'organiser ou de s'affilier à un syndicat.
- 510. Depuis que le nouveau gouvernement assume le pouvoir, 519 travailleurs ont été licenciés pour avoir tenté de former un syndicat ou de s'y affilier affirme la CISL, à savoir:
- Syndicats et entreprises Nombre de licenciements
- Travailleurs du vêtement et branches connexes 26 Employés et ouvriers du commerce 40 Terminal ville de l'Est 2 Parawood ville de l'Est 11 Alimentation 3 Galeries Guarani ville de l'Est 1 Transport 16 Entreprise Vargas Pena 20 Heisecke 3 La Vencedora 4 Polifabril 20 Céramique Santa Teresa 3 Carton Bos du Paraguay 7 Franco Apezzini 19 Incol 13 Techno Electrique 166 Construction 84 Barrial Hermanos 30 Adolfo Dominguez 15 Entreprise SGCL 36
- 511. La CISL indique que la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) a expliqué que ces licenciements ont eu pour objet de réprimer les travailleurs qui faisaient usage de leurs droits légitimes de se syndiquer dans les entreprises et qui cherchaient, au moyen de ces organisations, à faire valoir leurs droits et leurs revendications. Ces travailleurs ont en vain demandé leur réintégration et, qui plus est, selon leurs avocats, 75 pour cent d'entre eux n'ont plus la possibilité d'obtenir de nouveaux contrats de travail à cause des listes qui circulent dans les entreprises.
- 512. Par ailleurs, la CISL évoque la détention illégale de deux dirigeants syndicaux Efigenio Lisboa et Clandelino Benitez qui ont conduit une grève ou un conflit du travail.
- 513. Le premier a été arrêté parce qu'il s'était solidarisé avec des paysans sans terre le 8 juin 1989 dans la ville de l'Est par les forces armées. Il a été incarcéré au bataillon Escorte présidentielle où il était "incomunicado", sans pouvoir consulter un avocat. Au bout de vingt-deux jours, il a été libéré, mais des restrictions à sa liberté de mouvement lui sont imposées. Le second, qui est secrétaire général du Syndicat des employés de la bière de Munich, a également été illégalement détenu par la police, sans mandat judiciaire, le 31 août 1989, alors qu'il descendait de l'autobus qui le transportait à son travail.
- 514. Enfin, le propriétaire de l'entreprise de Brasserie d'Asunción, sénateur du parti Colorado Blas Riquelme, l'entreprise INDEGA et la CAPSA ont licencié des dirigeants des syndicats qui venaient d'être créés dans ces entreprises. En outre, pour ce qui concerne la dernière entreprise, elle a refusé de négocier une convention collective avec les travailleurs.
- 515. Dans une autre communication du 12 octobre 1989, la CISL dénonce l'arrestation des syndicalistes Carlos Filizzola et Silvio Ferreira, dirigeants de la CUT, Pedro Salcedo, secrétaire général du syndicat de la CAPSA, le 10 octobre 1989, alors qu'ils demandaient, devant le Palais du gouvernement, audience au Président de la République, et la répression violente dans les locaux de la police d'Asunción, le 11 octobre 1989, des dirigeants syndicaux qui réclamaient la libération de leurs camarades.
- 516. Enfin, le 14 décembre 1989, la CISL indique que son affiliée régionale, l'Organisation régionale interaméricaine des travailleurs (ORIT) lui a fait part des événements survenus le 12 décembre 1989 à 1 heure de l'après-midi, lorsque les travailleurs de l'entreprise du barrage hydroélectrique d'Itaïpu (Paraguay) qui étaient en grève ont été l'objet d'une violente répression de l'armée du Paraguay. Cette action s'est soldée par deux morts et une dizaine de blessés. Par ailleurs, explique la CISL, bien que les grévistes n'aient pas été affiliés à la CUT, celle-ci, face à ces événements, a décidé que les syndicats qui lui étaient affiliés sur le site d'Itaïpu se solidariseraient au mouvement de grève, ce qui a conduit à une grève générale sur le site de l'entreprise. La CUT a également décidé que tous les syndicats qui lui étaient affiliés, sur l'ensemble du territoire, déclareraient une grève de protestation symbolique dans les jours suivants.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité
- 517. Le comité note avec un vif regret que, malgré le temps écoulé depuis le dépôt de la plainte et les demandes réitérées adressées au gouvernement pour qu'il fournisse ses commentaires et observations à propos de ce cas, le gouvernement n'a toujours pas répondu aux allégations de la confédération plaignante.
- 518. Dans ces conditions, et conformément à la règle de procédure en la matière (voir paragr. 17 du 127e rapport du comité approuvé par le Conseil d'administration à sa 184e session (novembre 1971)), le comité ne peut que présenter - par défaut - un rapport sur le fond de l'affaire, même en l'absence des informations attendues du gouvernement.
- 519. Le comité rappelle tout d'abord au gouvernement que le but de l'ensemble de la procédure instituée à l'OIT pour l'examen des allégations en violation de la liberté syndicale est d'assurer le respect des libertés syndicales en droit comme en fait. Si la procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci doivent reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a, pour leur propre réputation, à ce qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. (Voir premier rapport du comité, paragr. 31.)
- 520. Le comité observe que les allégations dans le présent cas ont trait: 1) au licenciement de 519 travailleurs pour avoir tenté de former des syndicats ou de s'y affilier; 2) au refus d'une entreprise de négocier une convention collective avec ses travailleurs; 3) à la détention illégale de plusieurs dirigeants syndicaux pour avoir soit déclenché une grève, soit pris part à un conflit du travail, soit exercé leur droit de manifestation; et 4) à la répression violente par l'armée d'une grève au barrage hydroélectrique d'Itaïpu qui s'est soldée par deux morts et une dizaine de blessés.
- 521. Au sujet de l'allégation concernant le licenciement de 519 travailleurs dans plusieurs entreprises nommément désignées pour avoir tenté de former des syndicats ou de s'y affilier, le comité rappelle qu'en ratifiant les conventions nos 87 et 98 le gouvernement s'est engagé: 1) à garantir le droit des travailleurs de constituer des syndicats et de s'y affilier; et 2) à prendre des mesures pour protéger les travailleurs contre les actes, y compris le licenciement, visant à entraîner une discrimination motivée par des raisons d'ordre syndical.
- 522. Le comité rappelle, en conséquence, au gouvernement qu'il a la responsabilité de prévenir tous actes de discrimination antisyndicale et qu'il doit assurer que les plaintes pour les actes de discrimination antisyndicale soient examinées dans le cadre de la procédure nationale qui doit être prompte, impartiale et considérée comme telle par les intéressés. De surcroît, le comité rappelle que toutes pratiques de listes noires mettent gravement en péril l'exercice des droits syndicaux.
- 523. Au sujet de l'allégation selon laquelle une entreprise a refusé de négocier une convention collective avec ses travailleurs, le comité fait observer au gouvernement qu'en ratifiant la convention no 98 il s'est engagé à adopter des mesures appropriées pour promouvoir le développement des procédures de négociation collective volontaire entre employeurs et organisations d'employeurs et organisations de travailleurs en vue de régler, par ce moyen, les conditions d'emploi. Le comité rappelle aussi l'importance qu'il attache au principe selon lequel les employeurs doivent reconnaître, aux fins de négociation collective, les organisations représentatives de travailleurs qu'ils occupent.
- 524. Au sujet des allégations selon lesquelles plusieurs dirigeants syndicaux nommément désignés ont été arrêtés pour avoir exercé des activités syndicales légitimes, le comité observe, d'après les indications de la CISL, que ces dirigeants, dans le cadre de l'exercice de leur droit de grève ou de manifestation, ont été arrêtés illégalement, qu'ils ont pour certains été remis en liberté, mais qu'ils font l'objet de restrictions à leur liberté de mouvement et qu'ils n'ont pas été présentés à un juge. Le comité a toujours considéré que les travailleurs doivent pouvoir jouir des droits de grève et de manifestations pacifiques pour défendre leurs intérêts professionnels. Il souligne également que la détention préventive de syndicalistes implique une grave ingérence dans les activités syndicales et qu'elle doit s'accompagner de garanties judiciaires appropriées mises en oeuvre dans des délais raisonnables.
- 525. Au sujet des allégations de répression violente par l'armée d'une grève au barrage hydroélectrique d'Itaïpu qui s'est soldée par deux morts et une dizaine de blessés, le 12 décembre 1989, le comité rappelle qu'un climat de violence, tel que celui que reflètent la mort violente ou les blessures de syndicalistes, constitue un grave obstacle à l'exercice de la liberté syndicale. Le comité a, à maintes reprises, souligné l'importance, lorsque se sont déroulés des troubles ayant entraîné des pertes de vies humaines ou des blessures graves, de diligenter une enquête judiciaire indépendante pour éclaircir pleinement les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de telles actions.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 526. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité regrette vivement que le gouvernement n'ait pas fourni de commentaires et observations sur les graves allégations en instance dans le présent cas.
- b) Au sujet de l'allégation selon laquelle 519 travailleurs de différentes branches d'activités et entreprises nommément désignées ont été licenciés pour avoir tenté de former un syndicat ou de s'y affilier, le comité souligne l'importance qu'il attache aux principes selon lesquels les travailleurs doivent avoir le droit de créer des syndicats et de s'y affilier et doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination antisyndicale. Le comité lance en conséquence un appel au gouvernement pour qu'il prenne toutes les mesures qui s'avèrent nécessaires pour remédier à cette situation et lui demande de le tenir informé à cet égard.
- c) Au sujet de l'allégation selon laquelle une entreprise aurait refusé de négocier une convention collective avec ses travailleurs, le comité rappelle au gouvernement qu'en ratifiant la convention no 98 il s'est engagé à adopter des mesures appropriées pour promouvoir la négociation collective. Il souligne que les employeurs devraient reconnaître, aux fins de négociation collective, les organisations représentatives de travailleurs qu'ils occupent.
- d) Au sujet des allégations d'arrestation de dirigeants syndicaux pour activités syndicales légitimes, le comité rappelle que la détention préventive implique un grave risque d'ingérence dans les activités syndicales et qu'elle doit s'accompagner de garanties judiciaires appropriées mises en oeuvre dans des délais raisonnables. Le comité demande donc au gouvernement de fournir des informations détaillées sur la situation juridique actuelle des dirigeants syndicaux: Efigenio Lisboa, dirigeant paysan, Clandelino Benitez, dirigeant du Syndicat des employés de la bière, Carlos Filizzola, Silvio Ferreira, dirigeants de la CUT, et Pedro Salceco, dirigeant de la CAPSA, qui auraient été arrêtés ou qui seraient l'objet de restrictions à leur liberté de mouvement.
- e) Au sujet des allégations de répression violente par l'armée d'une grève au barrage hydroélectrique d'Itaïpu qui s'est soldée par deux morts et une dizaine de blessés, le 12 décembre 1989, le comité demande instamment au gouvernement de diligenter une enquête judiciaire indépendante pour éclaircir les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de telles actions. Il lui demande également de le tenir informé des résultats de l'enquête.