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- 46. L'Association chrétienne du travail du Canada (CLAC) a présenté dans une communication datée du 14 juillet 1983 une plainte pour violation des droits syndicaux contre le gouvernement du Canada. Le gouvernement a envoyé sa réponse à la plainte dans une communication datée du 16 janvier 1984.
- 47. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; il n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 48. Dans sa communication en date du 14 juillet 1983, la CLAC fait état d'une grave discrimination exercée à l'encontre des travailleurs syndiqués de la CLAC dans l'industrie du bâtiment des provinces de l'Ontario, de la Colombie britannique et de l'Alberta, ceux-ci étant exclus ou expulsés des projets de construction. Selon la CLAC, les auteurs de ces tactiques de boycottage sont les syndicats de la construction affiliés à la Fédération américaine du travail - Congrès des organisations industrielles (American Federation of Labor - Congress of Industrial Organisations - AFL-CIO) et à la Fédération canadienne du travail (Canadian Federation of Labour - CFL) qui, de plus en plus souvent, conclut avec des associations d'employeurs des conventions collectives comprenant des clauses de "sous-traitance". L'exemple caractéristique d'une clause de ce genre serait ainsi libellé: "Les entrepreneurs ne confieront l'exécution de travaux, ou de travaux en sous-traitance, qu'à des entrepreneurs ayant des liens contractuels avec des sections syndicales affiliées au Conseil des métiers du bâtiment (AFL-CIO-CFL) ou ayant signifié par écrit leur intention de se lier contractuellement de cette façon."
- 49. La CLAC se réfère à un deuxième type de discrimination qui est fréquent en Colombie britannique et prend la forme de clauses de "non-affiliation" insérées dans les conventions collectives. Une clause typique de ce genre est ainsi conçue: "Ne sera pas censé être une violation de l'article de la convention collective sur l'absence de grève le refus de membres de syndicats affiliés aux sections locales du Conseil des métiers du bâtiment (AFL-CIO-CFL) d'exercer leur activité aux côtés de travailleurs qui eux n'auront pas adhéré à ces sections." Une telle situation, déclare la CLAC, permet aux syndicats internationaux de la construction de retirer leurs membres d'un chantier dès que des équipes ayant adhéré au CLAC y arrivent.
- 50. La CLAC cite diverses décisions du Conseil des relations professionnelles de la Colombie britannique qui ont admis la validité de telles clauses. Elle ajoute que les recours contre ces décisions, intentés auprès de la Cour d'appel provinciale et de la Cour suprême, se sont soldés par un échec. Dans l'Ontario, en revanche, le Conseil des relations professionnelles et les tribunaux n'ont pas approuvé les clauses de "non-affiliation", mais ont reconnu la validité des clauses de "sous-traitance". Dans la province de l'Alberta, le Conseil des relations professionnelles a officiellement approuvé les clauses de "sous-traitance". La CLAC n'estime pas que la législation du travail du Canada ou de ses provinces tend à accorder une situation préférentielle à un groupe de syndicats déterminé. Elle considère, toutefois, que les décisions du Conseil des relations professionnelles et des tribunaux encouragent les syndicats affiliés à l'AFL-CIO-CFL à créer une structure syndicale monolithique. S'il est vrai que les conseils provinciaux accordent des certificats de reconnaissance en vertu de divers textes législatifs - lois sur les relations professionnelles ou codes du travail - à des syndicats indépendants, comme la CLAC, chaque fois qu'un groupe de salariés choisit, volontairement et à la majorité, de s'organiser dans le cadre d'un syndicat indépendant, la CLAC n'en estime pas moins que l'exercice de ce droit pourrait être gravement mis en cause si d'autres syndicats peuvent, impunément, exclure ces travailleurs des chantiers de construction.
- 51. Selon la CLAC, les nombreuses demandes qu'elle a adressées aux gouvernements provinciaux intéressés pour les prier d'adopter des textes législatifs qui pourraient, de façon adéquate et efficace, protéger les travailleurs contre une telle discrimination ont été vouées à l'échec.
- 52. Il ressort du texte de la constitution de la CLAC (dont une copie a été annexée à sa communication) que cette organisation "fonde ses programmes et activités sur les principes chrétiens de justice sociale et d'amour tels qu'ils sont enseignés par la Bible" (art. 2) et qu'elle vise "à organiser les travailleurs dans des sections syndicales consacrant leurs activités à un artisanat, un métier, une industrie, une profession ou ayant une compétence d'ordre général, en vue de propager, d'établir et de maintenir la justice dans les domaines du travail et de l'industrie et de promouvoir les intérêts économiques, sociaux et moraux des travailleurs à la faveur de l'application pratique des principes chrétiens dans la négociation collective et d'autres mécanismes d'aide ou de protection mutuelles" (art. 3). La CLAC est actuellement partie à des conventions collectives en vigueur, conclues avec quelque 210 entreprises de construction à l'oeuvre dans les provinces considérées et occupant environ 2.000 travailleurs du bâtiment (elle représente aussi quelque 3.000 salariés du secteur des soins de santé et de l'industrie).
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 53. Dans sa communication en date du 16 janvier 1984, le gouvernement du Canada transmet les réponses à la plainte faites respectivement par les gouvernements provinciaux de l'Ontario, de la Colombie britannique et de l'Alberta. Le gouvernement provincial de l'Ontario explique que la loi de l'Ontario sur les relations professionnelles autorise expressément l'inclusion dans les conventions collectives de certains types de dispositions, telles que les clauses de sécurité syndicale concernant le recrutement préférentiel de membres d'un syndicat, l'adhésion obligatoire à un syndicat ou encore le versement obligatoire ou le prélèvement à la source de cotisations syndicales, pour tous les salariés entrant dans le champ d'application d'une convention collective. Tout en étant d'accord avec l'organisation plaignante pour admettre que les clauses de non-affiliation n'ont été approuvées ni par le Conseil des relations professionnelles de l'Ontario ni par les tribunaux, le gouvernement provincial considère que l'on pourrait estimer que de telles clauses, dans la mesure où elles tendent à autoriser des grèves pendant la durée d'application d'une convention collective, sont en contradiction avec la loi (qui interdit la grève pendant la durée de validité d'une convention collective) et sont donc inapplicables. Dans ce cas, la CLAC, en sa qualité de partie intéressée, pourrait recourir auprès du conseil. De plus, le gouvernement provincial fait observer que toute tentative de revendiquer l'insertion d'une. telle clause dans une convention collective ayant pour résultat de faire de cette revendication un motif de grève pendant la négociation pourrait être une violation de l'obligation de négocier de bonne foi et serait traitée en conséquence par le conseil.
- 54. En ce qui concerne les clauses de sous-traitance, le gouvernement provincial souligne que celles-ci n'existent ou ne sont insérées dans les conventions collectives que par suite d'une négociation collective librement menée entre employeurs et syndicats. Le gouvernement provincial n'a pris aucune mesure tendant à encourager ou à imposer l'inclusion de telles clauses et la loi sur les relations professionnelles est muette sur ce point. Selon le gouvernement provincial, le fait qu'il n'a pas adopté un texte législatif interdisant expressément de telles clauses ne signifie pas qu'il les admet. Faisant observer que l'inclusion de telles clauses dans des conventions applicables à l'industrie de la construction est une pratique bien établie dans l'Ontario, le gouvernement provincial déclare qu'elle trouve sa justification traditionnelle dans la protection du domaine de compétence du syndicat et, partant, dans la protection de son pouvoir de négociation et de la sécurité de l'emploi. Selon le gouvernement provincial, les décisions par lesquelles le conseil et les tribunaux ont soutenu des clauses déterminées de sous-traitance doivent être étudiées dans le contexte des cas particuliers qui étaient en cause; les tribunaux n'ont rendu aucune décision générale définitive confirmant la validité de clauses de ce genre, dans toutes les conventions quelles qu'elles soient. Pour résumer, il existe des mécanismes (certains même créés en vertu de la loi antitrust ou du droit coutumier) auxquels la CLAC peut recourir pour contester la validité de clauses de ce genre dans l'Ontario, possibilité dont, fait observer le gouvernement, l'organisation plaignante n'a pas encore tiré parti. Le gouvernement nie qu'il y ait eu la moindre violation des conventions nos 87 et 98.
- 55. Le gouvernement de la Colombie britannique déclare que son Code du travail autorise expressément les parties à négocier des clauses de sécurité syndicale, et notamment de monopole syndical mais qu'il est muet sur la question de l'insertion de clauses de sous-traitance; celles-ci peuvent, en conséquence, être négociées; une caractéristique de la législation de la Colombie britannique est qu'elle permet l'inclusion dans les conventions collectives de clauses de non-affiliation.
- 56. Selon le gouvernement provincial, la capacité qu'ont les syndicats de métier de monopoliser les gros travaux de construction résulte du fait que certaines de leurs associations exercent un contrôle absolu sur les métiers clés. Ce monopole est garanti par des dispositions de sous-traitance et de monopole syndical énoncées dans les conventions collectives et par le refus d'autres syndicats de métier de voir leurs membres travailler au côté de salariés non syndiqués ou de travailleurs affiliés à des syndicats ne faisant pas partie du Conseil des métiers du bâtiment de la Colombie britannique et du Yukon, conformément à des clauses de non-affiliation figurant dans les conventions collectives qui leur sont applicables. Le gouvernement provincial déclare que les forces du marché semblent actuellement peser fortement en défaveur des taux fixés par les syndicats de sorte que, maintenant, un certain nombre d'entrepreneurs généraux qui ne sont pas liés à des syndicats exercent leurs activités dans la province; il suggère que cette tendance pourrait, dans la pratique, résoudre le problème de la CLAC.
- 57. Le gouvernement de l'Alberta considère que sa législation et la pratique appliquée par le Conseil des relations professionnelles de l'Alberta n'enfreignent pas les droits de l'organisation plaignante. Il précise que 60 pour cent des conventions collectives conclues dans l'Alberta limitent la latitude qu'ont les employeurs de sous-traiter des travaux, et ce conformément aux dispositions de sécurité syndicale qui sont courantes dans l'industrie de la construction canadienne. De plus, déclare le gouvernement provincial, ni le conseil ni les tribunaux n'ont rendu de décision précise concernant la validité de ce type de dispositions au regard de la loi sur les relations professionnelles de l'Alberta. La CLAC a toute latitude de faire insérer de telles dispositions dans les conventions auxquelles elle est partie: le gouvernement provincial souligne qu'il n'y a pas de monopole syndical qui soit autorisé ou appuyé par la loi dans l'industrie de la construction de l'Alberta.
- 58. Selon ce gouvernement provincial, la dimension et la prédominance des différents syndicats ne sont pas liées à la structure de la négociation collective mais résultent plutôt de l'attrait que présentent pour chaque travailleur les programmes et les services offerts par telle ou telle organisation ouvrière. Le gouvernement provincial fait observer, à cet égard, que l'approche multiprofessionnelle de la CLAC dans l'industrie de la construction diffère beaucoup de l'approche des autres syndicats et que l'intérêt qu'elle porte à des branches d'activité économique autres que la construction pourrait jouer un rôle majeur dans l'image qu'elle donne de sa capacité de répondre aux besoins et aux espoirs des travailleurs dont la décision, librement prise, détermine en dernier ressort le pouvoir des différents syndicats.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 59. Le comité note que la présente plainte concerne une discrimination et une rivalité intersyndicale alléguées dans l'industrie de la construction de trois provinces canadiennes résultant de l'inclusion, dans les conventions collectives, de diverses clauses de sécurité syndicale qui ont pour effet pratique d'empêcher les membres du syndicat plaignant de travailler sur certains chantiers de construction.
- 60. Le comité a précédemment refusé d'examiner des cas qui concernent des différends opposant des syndicats sur des arrangements de sécurité syndicale, en se fondant pour cela sur la déclaration de la Commission des relations professionnelles instituée par la Conférence internationale du Travail en 1949, déclaration selon laquelle la convention no 87 ne peut, en aucune manière, être interprétée comme autorisant ni interdisant les accords sur la protection syndicale, ces points devant être réglés conformément aux pratiques nationales. [34e rapport, cas no 188 (Danemark), paragr. 34.] Il a toutefois examiné des plaintes alléguant une discrimination, par une organisation de travailleurs contre une autre, si elle sont libellées en des termes tels qu'elles mettent en cause l'application des principes de la liberté syndicale par le gouvernement du pays considéré, par exemple si les actes de l'organisation, objet de la plainte, sont tels que le gouvernement est tenu de les empêcher du fait qu'il a ratifié une convention internationale du travail. [73e rapport, cas no 322 (Sierra Leone), paragr. 11.]
- 61. Dans le présent cas, l'organisation plaignante estime qu'une large utilisation de certains types de clauses de sécurité syndicale et l'absence de législation interdisant expressément ces clauses mettent gravement en cause le droit de chaque travailleur de s'affilier à l'organisation de son choix (art. 2 de la convention no 87 que le Canada a ratifiée). De plus, tout en notant que les gouvernements provinciaux considérés proposent à l'organisation plaignante des voies techniques, légales ou pratiques pour porter remède à la situation, le comité observe que la législation des trois provinces intéressées autorise expressément l'insertion dans les conventions collectives de certains types de clauses de sécurité syndicale, et que les autorités judiciaires compétentes ont soutenu de telles clauses comme étant valables. En outre, les trois gouvernements provinciaux font observer que les principes de la liberté syndicale ne sont pas enfreints mais que, au contraire, ils sont respectés par suite de la non-ingérence dans la négociation collective librement menée. En conséquence, le comité estime qu'il est tenu d'examiner le cas quant au fond.
- 62. Bien que le comité n'ait pas compétence pour interpréter les conventions de l'OIT concernant la liberté syndicale à la lumière de la pratique des Etats dans le domaine des dispositions de sécurité syndicale, il estime qu'il doit prendre position lorsque la base légale de telles clauses ou leurs conséquences débouchent soit sur une restriction de la possibilité de chaque travailleur de choisir un syndicat soit sur une discrimination fondée sur ce choix, une fois celui-ci fait, et exercée sur les lieux de travail.
- 63. Le comité a déclaré dans le passé qu'en favorisant une organisation par rapport aux autres un gouvernement peut influencer directement ou indirectement le choix des travailleurs en ce qui concerne l'organisation à laquelle ils entendent appartenir, tant il est vrai que ces derniers seront enclins à adhérer au syndicat le plus apte à les servir, alors que, pour des raisons d'ordre professionnel, confessionnel, politique ou autre, leurs préférences les auraient portés à s'affilier à une autre organisation. [Voir 211e rapport, cas nos 1035 et 1050 (Inde), paragr. 115.] Dans le présent cas, le comité note que les clauses pertinentes que conteste l'organisation plaignante sont des clauses qui ont été insérées dans des conventions collectives conclues par des employeurs et les organisations les plus représentatives en leur qualité de seuls agents de négociation pour la grande majorité des travailleurs de la branche d'activité économique considérée. Le comité comprend que ces clauses aient pour objet de protéger les intérêts économiques et les intérêts en matière d'emploi de la majorité des travailleurs en excluant des sous-traitants qui seraient disposés à offrir les services d'une main-d'oeuvre à des conditions moins favorables que celles que les syndicats majoritaires ont pu obtenir par négociation pour leurs membres. Il note également que l'association plaignante elle-même a signé plus de 200 conventions collectives avec des employeurs des provinces considérées. Dans la mesure où, dans les circonstances du présent cas, l'insertion de clauses de sous-traitance ou de non-affiliation dans des conventions collectives résulte d'une négociation librement menée par les syndicats majoritaires et les employeurs et dans la mesure où il n'y a pas de favoritisme explicite ou implicite de la part du gouvernement, le comité ne peut pas conclure à une violation quelconque du droit de chaque travailleur de s'affilier au syndicat de son choix.
- 64. Le comité, en conséquence, estime que le présent cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 65. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et, en particulier, les conclusions suivantes:
- a) Le comité estime que l'inclusion de clauses de non-affiliation dans des conventions collectives n'est pas en soi une violation du droit de chaque travailleur de choisir un syndicat. Le comité considère que, dans les circonstances du présent cas, l'inclusion de clauses de sous-traitance ne va pas à l'encontre de ce droit.
- b) Le comité, en conséquence, considère que le présent cas n'appelle pas un examen plus approfondi.