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- 20. La plainte du Congrès du travail du Canada (CTC) figure dans une lettre en date du 30 avril 1980; des informations complémentaires ont été transmises le 23 décembre 1980. Le gouvernement a transmis ses observations dans des lettres en date des 19 août 1980 et 9 mars 1981.
- 21. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; il n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 22. Dans sa lettre en date du 30 avril 1980, le CTC estime que le projet de loi no 98 du gouvernement provincial de Nouvelle-Ecosse, qui modifie la loi de 1972 concernant les syndicats, enfreint les articles 2, 8, 10 et 11 de la convention no 87 et l'article 4 de la convention no 98. Ce projet est devenu loi en date du 28 décembre 1979.
- 23. L'organisation plaignante explique que le projet de loi avait été déposé parce que le syndicat local 1028 de la Fédération des travailleurs du caoutchouc (FTC), organisation qui lui est affiliée, avait essayé de créer, en 1978, une section syndicale dans les usines de la société Michelin Tire Canada Limited dans deux villes de la Nouvelle-Ecosse. La société Michelin a avancé, pour refuser la certification du syndicat de base en tant qu'agent négociateur, que l'unité de négociation appropriée était constituée par l'ensemble du personnel des deux usines. Le Conseil des relations de travail n'a pas retenu le raisonnement de Michelin et a estimé qu'une usine dans une ville constitue une unité appropriée de négociation collective. La FTC avait perdu son droit de représenter les travailleurs, mais elle avait demandé à nouveau la certification en octobre 1979. Le gouvernement de la Nouvelle-Ecosse a alors déposé le projet de loi no 98 avec effet rétroactif pour rendre sans effet la demande de la FTC.
- 24. Selon l'organisation plaignante, la disposition incriminée, l'article 24 A, prévoit que les employeurs ayant plusieurs lieux de travail ne peuvent être accrédités à des fins de négociation collective que pour l'ensemble des lieux de travail ou des usines; c'est-à-dire qu'un syndicat doit regrouper tous les salariés d'une entreprise de la Nouvelle-Ecosse avant de présenter une demande de reconnaissance au Conseil des relations de travail de la Nouvelle-Ecosse. L'organisation plaignante déclare que, par suite de l'adoption de la nouvelle disposition, la loi sur le travail de la Nouvelle-Ecosse est en opposition avec tout ce qui se passe actuellement dans les domaines de compétence des autres assemblées législatives, où, l'on s'oriente vers la reconnaissance d'unités prises séparément lorsqu'il est impossible d'organiser les travailleurs par unités multiples; elle cite une décision du Conseil canadien des relations de travail concernant la reconnaissance des syndicats branche par branche, et les décisions des conseils de l'Ontario et de la Colombie britannique à l'appui de sa thèse.
- 25. Selon l'organisation plaignante, la nouvelle disposition enfreint l'article 2 de la convention no 87, du fait qu'elle interdit aux travailleurs de créer les unités de négociation collective de leur choix; la nouvelle disposition pourrait aussi avoir pour effet d'imposer un syndicat à une usine d'une entreprise; ainsi, lorsqu'un employeur a deux usines, dont l'effectif respectif est de 100 et de 30 travailleurs, et que 80 travailleurs de la grande usine adhèrent à un syndicat, celui-ci sera reconnu comme étant l'agent de négociation pour les deux usines, ce qui limite le droit d'association des salariés de la petite usine. A l'appui de son affirmation, l'organisation plaignante cite l'opinion exprimée par le Comité de la liberté syndicale et la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, qui estiment que, si les travailleurs peuvent avoir généralement avantage à éviter la multiplication du nombre des organisations syndicales, l'unité du mouvement syndical ne doit pas être imposée par une intervention de l'Etat par voie législative.
- 26. Le CTC considère que l'article 8 de la convention no 87 est enfreint puisque cette nouvelle disposition porte atteinte aux garanties de la liberté syndicale prévues à l'article 2. (Le paragraphe 2 de l'article 8 est ainsi libellé: "La législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention.") Le CTC déclare aussi qu'il y a violation de l'article 10 de la convention (dont le texte est le suivant: "Dans la présente convention, le terme "organisation" signifie toute organisation de travailleurs ou d'employeurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs ou des employeurs") car l'incapacité de constituer des unités de négociation petites et représentatives restreint gravement la capacité d'un syndicat de promouvoir et de défendre les intérêts de ses membres. L'article 11 (qui prévoit ce qui suit: "Tout Membre de l'Organisation internationale du Travail pour lequel la présente convention est en vigueur s'engage à prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical") est enfreint, selon le CTC, puisque la nouvelle disposition s'efforce d'empêcher des opérations de syndicalisation de grande envergure se poursuivant dans plusieurs usines de la Nouvelle-Ecosse en contraignant les syndicats à disperser leur campagne de recrutement afin de toucher un certain nombre d'usines pendant une campagne de syndicalisation. L'organisation plaignante se réfère aussi à l'article 4 de la convention no 98 qu'elle estime avoir été violé par la nouvelle disposition, puisque celle-ci n'encourage pas la négociation volontaire et la conclusion de conventions collectives.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 27. Dans sa lettre du 23 décembre 1980, l'organisation plaignante formule une allégation générale d'où il ressort que la compagnie Michelin, aidée en cela par le gouvernement de la Nouvelle-Ecosse, au moyen d'une modification rétroactive de la loi sur les syndicats, empêcherait la syndicalisation dans ses usines de la province. Elle joint en annexe une lettre de l'organisation qui lui est affiliée déclarant que le recours interjeté à la Cour suprême par la FTC sur le refus de certification a été rejeté en octobre 1980. La lettre de la Fédération des travailleurs du caoutchouc indique que, dès 1970, quand Michelin a commencé à construire des usines en Nouvelle-Ecosse, le gouvernement de la Nouvelle-Ecosse a adopté plusieurs mesures antisyndicales. Par exemple, lorsque les syndicats des travailleurs de la construction ont menacé de faire grève dans l'une des usines Michelin en construction, les grèves ont été interdites dans cette subdivision administrative; en 1973, quand le syndicat des ingénieurs a introduit une demande de certification pour les ingénieurs de la même usine, un arrêté en conseil a été adopté pour l'empêcher de se soustraire à l'unité de négociation, avec effet rétroactif; en 1978, la Fédération des travailleurs du caoutchouc a engagé un recours contre les pratiques déloyales de Michelin et l'a gagné, mais, immédiatement après que la décision du Conseil des relations professionnelles de la Nouvelle-Ecosse a été communiquée, son président a été remplacé.
- 28. Le gouvernement a transmis la réponse du gouvernement de la Nouvelle-Ecosse aux allégations dans une lettre du 19 août 1980. Le gouvernement provincial conteste l'interprétation de l'organisation plaignante du projet de loi no 98, dont il fournit le texte. Il déclare que seuls sont visés les employeurs qui s'adonnent à des activités manufacturières dans des usines interdépendantes, et qu'une demande peut être présentée au Conseil des relations de travail, afin que celui-ci détermine si la totalité des usines appartenant à un tel employeur sont ou non l'unité appropriée aux fins de la négociation collective. Selon la nouvelle disposition, le lieu de travail censé constituer une unité manufacturière d'un ensemble interdépendant est défini comme suit: "Il s'agit d'une unité manufacturière d'un employeur dans la province qui, pour fonctionner, dépend essentiellement du fonctionnement normal continu dans un ou plusieurs autres lieux de travail de l'employeur situés dans la province et où s'exercent des activités manufacturières." En outre, selon le gouvernement, toutes les différentes législations reconnaissent que divers facteurs doivent être pris en considération lors de la détermination de l'unité de négociation appropriée; ainsi, l'article 24 (14) de la loi sur les syndicats de la Nouvelle-Ecosse prévoit qu'il sera tenu compte de la communauté d'intérêts des travailleurs dans des questions telles que le lieu de travail, la durée de travail, les conditions de travail et les modes de rémunération.
- 29. Le gouvernement est également d'avis que l'article 2 de la convention no 87 n'a pas été enfreint: la notion d'unité syndicale par opposition au pluralisme syndical n'a pas été soulevée par le texte législatif en question. Le droit des travailleurs de constituer des organisations de leur choix ainsi que de s'affilier à ces organisations est encore entériné par l'article 12 de la loi sur les syndicats de la Nouvelle-Ecosse: "Tout salarié a le droit de s'affilier à un syndicat et de participer à ses activités." En conséquence, poursuit le gouvernement, il n'y a pas violation de l'article 8 de la convention. Pour le gouvernement, l'article 10 de la convention est un article de définition, qui ne peut pas faire l'objet de violations comme le pourraient les articles de fond. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'article 11 de la convention aurait été enfreint, le gouvernement déclare qu'il est possible de se faire librement une idée des voeux de la majorité des travailleurs, et que c'est eux qui ont le dernier mot, puisque la loi impose un vote obligatoire de tous les salariés, afin de déterminer leur désir en ce qui concerne la reconnaissance de l'unité de négociation, et que ce vote est normalement organisé dans les cinq jours qui suivent la date à laquelle le Conseil des relations de travail a reçu une demande de reconnaissance du syndicat. De plus, poursuit le gouvernement, les activités manufacturières auxquelles s'adonne un employeur font souvent partie d'une chaîne d'activités globales et, dans des opérations manufacturières interdépendantes de ce genre, l'employeur et les travailleurs font partie d'une seule communauté de travail. Ainsi, l'unité de négociation est l'entité collective plutôt que les nombreuses parties fragmentées de l'activité menée, même lorsque ces parties sont, pour une raison quelconque, physiquement séparées les unes des autres. Une fragmentation empêcherait la majorité des travailleurs d'exercer le pouvoir qui devrait leur revenir. Le gouvernement fait observer que la loi sur les syndicats prévoit diverses garanties tendant à assurer le libre choix de syndicats représentatifs. La reconnaissance est faite par un organisme indépendant; l'organisation représentative doit être choisie par un vote majoritaire des salariés de l'unité concernée; une organisation qui n'a pas obtenu suffisamment de votes en sa faveur a le droit de demander une nouvelle élection après une période déterminée.
- 30. Enfin, le gouvernement déclare que le respect des droits prévus à l'article 4 de la convention no 98 est assuré par l'article 28 de la loi sur les syndicats, qui n'a pas été touchée par la nouvelle disposition. Selon le gouvernement, l'ensemble des textes législatifs de la Nouvelle-Ecosse visent à rassembler les employeurs et les syndicats sur une base de coopération.
- 31. Par une lettre du 9 mars 1981, le gouvernement a transmis la réponse du gouvernement provincial aux allégations supplémentaires. Il souligne que les déclarations relatives à Michelin et aux pressions ne sont pas pertinentes et indique que la loi sur les syndicats contient les garanties et les principes fondamentaux nécessaires à la mise en oeuvre des droits consacrés dans les conventions de l'OIT. Le gouvernement souligne que la législation et son application par l'employeur font l'objet de recours devant les tribunaux.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 32. Le présent cas concerne l'adoption, par le gouvernement de la Nouvelle-Ecosse, d'une modification à la loi sur les syndicats, qui est libellée de la façon suivante:
- Un employeur qui déclare s'adonner à des activités manufacturières et les poursuivre en plusieurs lieux de travail interdépendants dans la province peut demander au conseil de décider que l'unité appropriée aux fins de la négociation collective est l'unité qui comprend tous les salariés de l'employeur dans tous ces lieux où les activités manufacturières interdépendantes s'exercent, pouvant seuls être exclus les lieux qui, de l'avis du conseil, seraient autrement normalement exclus.
- 33. Selon l'organisation plaignante, cette modification, adoptée à la suite d'une série d'actions antisyndicales en faveur d'un employeur particulier dans la province, constituerait une violation du droit des travailleurs de créer des organisations de leur choix et de procéder librement à la négociation collective. En revanche, le gouvernement estime que le nouveau texte législatif ne porte pas sur l'unité syndicale et déclare que la liberté syndicale et la négociation collective sont encore garanties par la loi sur les syndicats.
- 34. En ce qui concerne le droit de constituer les organisations de leur choix, le comité note que les dispositions de la loi sur les syndicats concernant la possibilité de créer librement des organisations n'ont pas été modifiées et que ce droit est reconnu à l'article 12 de ladite loi. En conséquence, il ne semble pas que le nouveau texte législatif impose un système d'unité syndicale.
- 35. Pour ce qui est du droit de négocier collectivement, le comité note que la modification législative considérée vise à permettre à un employeur qui possède plusieurs établissements industriels interdépendants de demander au Conseil des relations du travail de décider si tous ces établissements constituent une unité de négociation collective appropriée. A cet égard, l'organisation plaignante estime que, en autorisant la constitution d'une unité de négociation trop importante, l'article 24 A empêche les syndicats de syndicaliser les travailleurs.
- 36. Ainsi, le problème soulevé par l'adoption de la modification est essentiellement celui du niveau auquel la négociation collective se poursuit. Certes, pour sauvegarder l'indépendance des parties en cause dans une négociation collective, le mieux serait de leur permettre de décider d'un commun accord du niveau auquel celle-ci devrait se poursuivre. Néanmoins, il semble que, dans beaucoup de pays, cette question soit du ressort d'un organisme indépendant des parties elles-mêmes. Le comité estime que cet organisme devrait alors être réellement indépendant. Dans le présent cas, la décision portant détermination du niveau auquel la négociation collective doit être menée relève encore du Conseil des relations de travail, organisme composé de membres indépendants qui doivent prêter serment devant un juge (article 15 (11) de la loi sur les syndicats). En outre, le conseil peut demander l'avis de la Cour suprême sur une question de droit (article 18 (2)). (Il faut noter que l'organisation affiliée aux plaignants a introduit un recours contre la décision du Conseil de refuser sa demande de certification, recours qu'elle a perdu, et que le gouvernement déclare que la législation en question et son application à un employeur particulier font l'objet d'un recours devant les tribunaux.) Il ne semble donc pas que la possibilité qu'ont les employeurs, en vertu du nouveau texte législatif, de demander au Conseil des relations professionnelles de déterminer le niveau auquel la négociation collective doit avoir lieu au sein d'une entreprise constitue une violation du droit de négociation collective.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 37. Dans ces conditions, le comité, tout en rappelant que, pour sauvegarder l'indépendance des parties à une négociation collective, il serait souhaitable qu'elles puissent décider d'un commun accord du niveau auquel celle-ci devrait se poursuivre, recommande au Conseil d'administration de décider que le présent cas n'appelle pas un examen plus approfondi.