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- 163. Les plaintes originales et les informations complémentaires présentées dans ces trois cas et qui font l'objet d'un examen conjoint parce qu'elles se rapportent au même genre d'affaires figurent dans sept communications de la Confédération mondiale du travail (CMT) (datées des 23 janvier, 5 mai, 9 avril, 27 mai, 7 juillet, 15 juillet et 4 août 1969), deux communications de la Fédération internationale des ouvriers sur métaux (FIOM) (datées des 5 juin et 18 juillet 1969), une communication de la Confédération latino-américaine syndicale chrétienne (CLASC) (datée du 14 juillet 1969), une communication de l'Action syndicale argentine (ASA) (datée du 18 juillet 1969), deux communications de la Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie et des industries diverses (ICF) (datées des 5 et 22 août 1969) et une communication de la Fédération syndicale mondiale (FSM) (datée du 18 août 1969).
- 164. A mesure que parvenaient au BIT les communications susmentionnées, leur texte était transmis au gouvernement afin qu'il fasse part de ses observations. Ce dernier a adressé ses observations dans quatre communications, en date des 29 mai, 16, 22 et 29 septembre 1969, par l'intermédiaire de la mission permanente de la République argentine auprès des organisations internationales à Genève.
- 165. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes- Allégation relative à la détention du secrétaire général de la Fédération des travailleurs des mines et du ciment
- 166 Dans une communication datée du 5 août 1969, la Fédération internationale des syndicats des travailleurs de la chimie et des industries diverses dénonce l'emprisonnement de M. Carlos Raúl Cabrera, secrétaire général de la Fédération des travailleurs des mines et du ciment d'Argentine. Cette mesure aurait été prise sans jugement préalable et sans justification.
- 167 Dans une autre communication, en date du 22 août 1969, l'organisation plaignante a transmis la copie d'une lettre que lui avait adressée le ministère argentin de l'Intérieur, et qui indique que le gouvernement, après un examen minutieux du dossier de M. Cabrera, a décrété la mise en liberté de ce dernier. En conséquence, l'organisation plaignante demandait qu'on prenne note du retrait de sa plainte.
- 168 Dans des circonstances analogues, le comité a toujours considéré que le retrait d'une plainte crée une situation dont il convient d'examiner les répercussions. A cet égard, le comité a considéré que le désir manifesté par une organisation plaignante de retirer une plainte, tout en constituant un élément dont il doit tenir le plus grand compte, n'est cependant pas en lui-même un motif suffisant pour qu'il se trouve automatiquement dessaisi de l'examen de cette plainte. S'inspirant d'un principe déjà établi en 1937 par le Conseil d'administration, le comité a toujours estimé qu'il lui appartenait d'apprécier les raisons invoquées pour expliquer le retrait d'une plainte et de rechercher si celles-ci paraissent avoir un caractère suffisamment plausible pour que l'on puisse croire que ce retrait a été effectué en pleine indépendance.
- 169 Dans le cas présent, le comité estime que le motif invoqué par l'organisation plaignante, c'est-à-dire la libération de la personne détenue, est propre à justifier le désistement. Il faut ajouter qu'il s'agit ici d'une organisation syndicale internationale, ce qui donne de bonnes raisons de penser que la décision a été prise de manière complètement indépendante.
- 170 Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect particulier du cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
- Allégations relatives à la détention des syndicalistes Oberlin, Calipo et Cosimi
- 171 Dans sa communication du 9 avril 1969, la CMT écrit qu'elle a appris l'arrestation, vraisemblablement suivie d'une condamnation injuste, des syndicalistes Oberlin, Calipo et Cosimi, lesquels, aux termes de la plainte, « ne faisaient qu'exercer leurs activités syndicales ».
- 172 Dans une autre communication, en date du 27 mai 1969, la CMT transmet certaines informations complémentaires, émanant de l'Action syndicale argentine (ASA). On y apprend que MM. Oberlin, secrétaire général de l'ASA et membre du comité directeur de la Fédération des travailleurs des arts graphiques de Buenos Aires, Calipo, secrétaire de ladite fédération, et Cosimi, militant de la branche du dessin, ont été arrêtés le 24 mars 1969 à Avellaneda (province de Buenos Aires), alors qu'ils cherchaient à persuader des travailleurs de ne pas s'inscrire sur un registre ouvert par la direction d'une entreprise en grève, afin de faire reprendre le travail aux ouvriers. L'intention des trois dirigeants était de savoir s'il y avait des dessinateurs parmi les candidats présents, puisque la société n'avait besoin que de cette catégorie de spécialistes; sur les quelque cinq cents personnes faisant la queue, ils ne trouvèrent que trois dessinateurs auxquels ils expliquèrent la situation et « la manoeuvre de la direction » dans ce conflit. Après cinq minutes de conversation, des agents de police en uniforme sortirent des bureaux de la direction pour «maintenir» un ordre que rien n'avait troublé; après eux vint un policier en civil qui invita les dirigeants à se retirer immédiatement. Sans tenir compte des explications des trois hommes qui déclarèrent ne faire que s'acquitter de leurs fonctions syndicales, les policiers les arrêtèrent; ils ont été remis en liberté le 8 avril.
- 173 Le gouvernement a transmis ses observations sur ces allégations dans une communication datée du 22 septembre 1969. Il déclare que les personnes ont été arrêtées par les autorités de police alors qu'elles provoquaient le « désordre » à l'intérieur de l'entreprise Fabril Financiera de la localité d'Avellaneda, où l'on procédait à l'embauche d'employés et d'ouvriers. Le motif de l'arrestation était une infraction aux dispositions de l'article 39, alinéa b), du décret no 24333/59. Les détenus ont été mis à la disposition du tribunal de police, les formalités habituelles étant remplies. Il convient de signaler, ainsi que l'indique le gouvernement, que les accusés n'ont pas accompli la peine de prison de trente jours qui sanctionne cette infraction et « dont on ne peut se libérer moyennant versement d'une amende ». Le gouvernement insiste sur le fait qu'il n'y a pas eu violation de la liberté syndicale, puisqu'il s'agissait de l'application d'une norme légale en matière de contraventions.
- 174 Dans ces conditions, vu que les détenus ont été jugés en bonne et due forme et mis par la suite en liberté, le comité recommande au Conseil d'administration de décider qu'il serait sans objet de poursuivre l'examen de cet aspect particulier du cas.
- Allégations relatives à la condamnation de M. Elpidio Torres et d'antres syndicalistes par les tribunaux militaires
- 175 Par un télégramme du 5 juin 1969, la Fédération internationale des ouvriers sur métaux (FIOM) manifeste sa profonde préoccupation à la suite de l'arrestation et de la condamnation immédiate par un tribunal militaire spécial, à quatre ans et deux mois de prison dans un établissement militaire, de M. Elpidio Torres, secrétaire de la section locale de Córdoba du Syndicat des mécaniciens et travailleurs assimilés des transports automobiles. Dans cette même communication, l'organisation plaignante se réfère, sans donner plus de précisions, à la détention des dirigeants suivants du même syndicat: MM. González, Méndez, Rosales et Juárez. D'après les plaignants, une manifestation de grévistes réclamant de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail aurait été dispersée, à la suite de quoi on aurait dénombré plusieurs blessés et deux morts parmi les manifestants; en conséquence, des incidents violents non dirigés par des syndicalistes auraient éclaté. La FIOM priait l'OIT de demander instamment au gouvernement qu'il remette en liberté les syndicalistes arrêtés et garantisse la procédure des jugements devant des tribunaux ordinaires.
- 176 Dans sa communication du 8 juillet 1969, la FIOM transmet les informations complémentaires fournies par le Syndicat des mécaniciens et travailleurs assimilés des transports automobiles. Selon ces renseignements, les 29 et 30 mai 1969, l'ensemble des travailleurs de la ville de Córdoba prit part à une grève générale déclenchée par la Confédération générale du travail (région de Córdoba). Les ouvriers affiliés au syndicat susmentionné (section de Córdoba) participèrent activement à la grève, dont la répression par la police occasionna « un grand nombre de morts et de blessés, dont beaucoup étaient des travailleurs de l'industrie automobile ». A cette occasion, de nombreux affiliés, militants et délégués du personnel furent arrêtés. Le 30 mai, le siège social dudit syndicat fut envahi par la troupe qui « ouvrit la porte à coups de feu et occupa les installations ». Les soldats arrêtèrent immédiatement tous les membres du comité directeur qui étaient présents, notamment son secrétaire général, M. Elpidio Torres. La troupe agit en l'occurrence sans être munie du mandat requis, qui est délivré par le Pouvoir judiciaire. Le même jour, M. Torres fut traduit devant un tribunal militaire et, après un jugement extrêmement sommaire, condamné pour délits de rébellion et d'instigation publique à la rébellion, en violation de toutes les garanties prévues par la loi.
- 177 Le Syndicat des mécaniciens et travailleurs assimilés des transports automobiles émet plusieurs commentaires. Selon lui, la loi qui habilite les tribunaux militaires à connaître des délits prévus par le Code pénal est inconstitutionnelle, parce que les délits tels que ceux dont a été accusé M. Torres relèvent, conformément à la loi no 48, de la justice ordinaire, parce que lesdits tribunaux militaires ne font pas partie du Pouvoir judiciaire aux termes de l'article 94 de la Constitution, parce que le droit répressif militaire n'est qu'un droit disciplinaire qui s'applique uniquement aux forces armées, etc. La création ex post facto de ces tribunaux spéciaux et « la procédure extrêmement sommaire et irrégulière » qui a été suivie lors du procès de M. Torres constitueraient une violation du droit de la défense, « car l'accusé n'a même pas eu la possibilité de choisir librement son défenseur ». Après avoir été emprisonné et « soumis à de graves tortures morales et physiques », l'accusé aurait été condamné quelques heures plus tard, sans qu'il ait eu la permission de se défendre, ni de fournir des preuves à sa décharge.
- 178 Une fois jugé et condamné, M. Torres aurait été transféré immédiatement dans une prison située dans une autre province, à plus de 1000 kilomètres de distance. Par la suite, il aurait été transféré à une autre prison beaucoup plus éloignée encore et où le régime pénitentiaire est plus strict.
- 179 Pour leur part, la CMT et la FSM indiquent, dans leurs communications des 4 et 18 août 1969, que les personnes suivantes ont également été jugées et condamnées par des conseils de guerre: MM. Agustin Tosco, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de l'électricité de Córdoba (condamné à huit ans et trois mois de prison), Jorge Alberto Canelles, dirigeant syndical du bâtiment (condamné à dix ans de prison), Felipe Alberti et Mario Sorezi, dirigeants syndicaux.
- 180 Le gouvernement fait savoir, dans sa communication du 29 septembre 1969, que M. Torres a été condamné, le 31 mai 1969, à quatre ans et huit mois de prison, après avoir été jugé par le Conseil de guerre spécial no 4, constitué dans la ville de Córdoba, conformément aux dispositions de la loi no 18232 et des décrets no 2736/69 et no 2851/69. La mise à exécution du jugement a été ordonnée par l'autorité militaire le 2 juin. Actuellement, l'intéressé purge sa peine à la prison régionale du Sud (province de Neuquén), qui relève de la Direction nationale du service pénitentiaire fédéral.
- 181 Le gouvernement ajoute que M. Torres a été condamné après avoir été déclaré coupable des délits prévus aux articles 209 et 226 du Code pénal, compte tenu de l'article 54 du même code. Conformément à l'article 209, celui qui incitera publiquement à commettre des délits ou des actes de violence collective contre des groupes déterminés de personnes ou des institutions sera puni, en raison de la seule incitation, d'une peine de prison de six mois à quatre ans. Conformément à l'article 226, une peine de prison de deux à dix ans punira ceux qui se soulèveront et prendront les armes en vue de changer la Constitution, de déposer un des pouvoirs publics du gouvernement national, de lui arracher une concession ou de le forcer à prendre une certaine mesure, ou d'empêcher, même temporairement, le libre exercice de ses facultés constitutionnelles, sa formation ou son renouvellement dans les délais ou les formes légales. L'article 54 dispose que lorsqu'un acte relève de plus d'une sanction pénale, seule la peine la plus élevée sera appliquée.
- 182 Dans sa communication du 14 septembre 1969, le gouvernement indique que M. Jorge A. Canelles a été condamné à dix ans de prison par le Conseil de guerre, pour les délits d'incitation à la rébellion, de rébellion, de menaces publiques et d'apologie du délit, au cours des événements survenus dans la ville de Córdoba les 29 et 30 mai 1969. M. Agustin Tosco a été condamné à huit ans et trois mois de prison, par le Conseil de guerre spécial, pour les mêmes délits. Le gouvernement ne fait pas mention dans ses communications de MM. Felipe Alberti et Mario Sorezi, dont les noms sont cités dans la plainte présentée par la CMT.
- 183 Le comité note que les dirigeants syndicaux mentionnés par les plaignants et par le gouvernement ont été condamnés par des tribunaux militaires en raison d'incidents survenus à l'occasion des graves troubles enregistrés dans la ville de Córdoba à la fin du mois de mai 1969. Dans le cas particulier de M. Torres, que les plaignants décrivent plus en détail, le jugement par le tribunal eut lieu le jour même de son arrestation. Dans tous ces cas, il semble qu'on puisse caractériser le procès d'extrêmement sommaire, le jugement étant intervenu dans un délai de quelques heures. Aux dires des plaignants, la procédure légale en bonne et due forme n'a pas été respectée quant au libre choix du défenseur et à la faculté de fournir des preuves à décharge.
- 184 Quand, par le passé, le comité a eu à examiner des allégations relatives à des mesures de détention ou à d'autres mesures prises à l'encontre de dirigeants ou de militants syndicaux, il a estimé que le seul problème résidait dans la question de savoir quel avait été le motif véritable de telles mesures. Seulement lorsque celles-ci avaient été prises en raison d'activités syndicales proprement dites des intéressés, il convenait de considérer qu'il y avait eu violation de la liberté syndicale. Dans plusieurs de ces cas, le comité a estimé qu'il convenait d'examiner les allégations présentées en tenant compte des circonstances exceptionnelles qui pourraient résulter d'une situation de crise interne ou d'hostilités.
- 185 Dans le cas présent, le gouvernement fait savoir que les syndicalistes mentionnés ont été condamnés pour avoir commis des délits de droit commun prévus dans le Code pénal. Le comité observe, cependant, que les condamnations ont été prononcées par les tribunaux militaires au cours de procès sommaires et dans des circonstances exceptionnelles. A cet égard, le comité tient à rappeler que dans tous les cas où il a été allégué que des syndicalistes avaient fait l'objet de mesures ou de décisions de la part d'organismes à caractère spécial, il a toujours réaffirmé l'importance qu'il attachait au principe selon lequel les syndicalistes, tout comme les autres personnes, devraient bénéficier des garanties d'une procédure judiciaire régulière z. Afin que ces garanties soient respectées, le comité a spécialement fait allusion, à plusieurs reprises, à l'intervention nécessaire d'une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
- 186 Le comité estime que dans le cas présent, les syndicalistes, ayant été condamnés dans des procès sommaires, n'ont pas pu jouir de toutes les garanties qu'offre une procédure régulière. En conséquence, le comité recommande au Conseil d'administration de suggérer au gouvernement argentin la possibilité de reprendre l'examen des cas des dirigeants syndicaux condamnés, afin de s'assurer qu'aucune personne ne se voie privée de sa liberté sans qu'elle ait pu bénéficier d'une procédure légale en bonne et due forme devant une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
- Allégations relatives à la séquestration de M. Raimundo Ongaro
- 187 Dans une communication en date du 23 janvier 1969, la CMT allègue que le 5 janvier, alors que M. Raimundo Ongaro, secrétaire général de la Confédération générale du travail argentine, se disposait à assister à une manifestation populaire dans la zone de Bella Vista (province de Tucumán), « il a été séquestré par des éléments de la marine de guerre avec la complicité de la police » et transféré dans une base navale située près de la ville de Bahia Blanca, à quelque 1500 kilomètres de l'endroit où il avait été arrêté. L'intéressé aurait été abandonné sur une route. L'organisation plaignante ajoutait que M. Ongaro a été arrêté à 50 kilomètres de Tucumán, alors qu'il voyageait dans un omnibus de transports en commun. Pour effectuer cette action, plus d'une centaine de policiers, armés de fusils et de mitrailleuses, sont intervenus.
- 188 Le gouvernement a fait connaître ses observations dans une lettre du 29 mai 1969. Il nie catégoriquement la véracité de l'allégation et déclare que, « selon les déclarations des autorités de police, le dénommé Ongaro a été invité à ne pas poursuivre son voyage en direction de Tucumán parce que les autorités de police craignaient que des éléments extrémistes n'utilisent sa présence pour créer des troubles », que M. Ongaro a demandé qu'on assure son retour, ce qui fut fait dans un avion de la Direction aéronautique civile, et que la prétendue séquestration n'a pas eu lieu, ainsi qu'il ressort du non-lieu définitif rendu par un juge le 2 avril 1969. Le gouvernement indique enfin que si l'acte imputé et le déploiement de police armée mentionné dans la plainte avaient eu lieu, le témoignage des autres passagers du véhicule de transports publics aurait dû suffire à prouver la réalité de la séquestration.
- 189 Le comité fait observer que, s'il existe des contradictions entre les affirmations des plaignants et celles du gouvernement pour ce qui est de certains aspects essentiels de l'affaire, il n'y en a pourtant aucune en ce qui concerne le fait que M. Ongaro s'est vu empêché de poursuivre son voyage en vue de prendre part à une manifestation populaire.
- 190 Lors de cas précédents, le comité a exprimé l'avis que les mesures tendant à restreindre la liberté de mouvement de dirigeants syndicaux dans des zones où ils remplissaient leurs fonctions syndicales sont incompatibles avec la jouissance normale du droit d'association. Dans les cas évoqués, il s'agissait toutefois de mesures permanentes et de caractère plus général que celles qui ont été appliquées à l'encontre de M. Ongaro.
- 191 Le comité a également estimé qu'il est du ressort du gouvernement, en tant que responsable du maintien de l'ordre public et en vertu de ses attributions de police, de juger si, dans les circonstances données, une réunion, même de caractère syndical, peut mettre en danger la tranquillité et la sécurité publiques, et de prendre les mesures appropriées pour écarter ce danger.
- 192 Dans le cas présent, le gouvernement indique que les autorités de police sont intervenues pour que M. Ongaro interrompe son voyage, parce qu'elles craignaient que sa présence ne donne lieu à des désordres. Cependant, cette intervention aurait consisté en une simple invitation, suivie, à la demande de M. Ongaro lui-même, de son transfert par avion.
- 193 A cet égard, le comité note que les déclarations du gouvernement divergent complètement de celles des plaignants. Afin de pouvoir se prononcer sur le fond de l'affaire et d'appuyer son jugement sur le plus grand nombre possible d'éléments, le comité estime qu'il pourrait lui être utile d'avoir de plus amples renseignements sur les procédures judiciaires auxquelles ce cas a donné lieu.
- 194 Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration de prier le gouvernement de bien vouloir transmettre une copie de la sentence rendue, accompagnée de ses attendus, dans le cas de la séquestration alléguée de M. Ongaro.
- Allégations relatives aux détentions de M. Raimundo Ongaro
- 195 Dans un télégramme daté du 5 mai 1969, la CMT a signalé l'arrestation de M. Raimundo Ongaro. Cette communication a été transmise au gouvernement, qui n'a pas encore fait part de ses observations.
- 196 Le 7 juillet 1969, la CMT a envoyé des informations complémentaires, signalant l'arrestation d'un grand nombre de syndicalistes et de dirigeants syndicaux, et plus spécialement de M. Ongaro, qui se trouvait de nouveau emprisonné. L'organisation plaignante indique que M. Ongaro est secrétaire général de la CGT, secrétaire général de la Fédération des travailleurs des arts graphiques et membre suppléant élu du Conseil d'administration du BIT. De son côté, l'Action syndicale argentine (ASA) informe dans une communication en date du 18 juillet 1969 que l'arrestation de M. Ongaro a été effectuée le 30 juin 1969 dans une localité de la province de Córdoba par des agents de la police fédérale. Il a été transféré par la suite à Buenos Aires et tenu au secret à la disposition du Pouvoir exécutif.
- 197 Dans deux communications ultérieures des 15 juillet et 4 août 1969, la CMT se réfère de nouveau à la détention de M. Ongaro, dont la santé serait précaire et qui ne recevrait guère de soins médicaux. Elle ajoute qu'il ne fait l'objet d'aucune accusation concrète et que sa détention résulterait d'une prérogative exercée par le Pouvoir exécutif pendant l'état de siège. La CMT, de même que la CLASC, dans une communication du 14 juillet 1969, sollicite l'intervention du Directeur général du BIT auprès du gouvernement argentin, afin d'obtenir la libération de M. Ongaro, étant donné sa qualité de membre suppléant du Conseil d'administration.
- 198 Les observations du gouvernement se rapportant spécialement à la détention de M. Ongaro se trouvent contenues dans sa communication datée du 16 septembre 1969. Le gouvernement déclare que M. Ongaro n'a pas été arrêté en raison de ses fonctions de syndicaliste, mais en qualité de citoyen poursuivi en justice pour avoir troublé l'ordre et la sécurité publics. Le gouvernement ajoute que le dénommé n'est pas membre suppléant élu du Conseil d'administration du BIT.
- 199 Avant toute chose, le comité tient à préciser la situation de M. Ongaro face au Conseil d'administration du BIT. A cet égard, il signale que, conformément aux résultats des élections qui se sont déroulées le 12 juin 1969 afin de déterminer la composition du Conseil d'administration, M. Ongaro a été désigné comme membre adjoint suppléant travailleur.
- 200 En ce qui concerne la situation juridique dans laquelle se trouve M. Ongaro dans son pays et les arrestations dont il a été l'objet, le comité remarque que, d'une part, le gouvernement n'a pas transmis de commentaires au sujet de la première arrestation et que, d'autre part, il existe des divergences apparentes entre les allégations des plaignants et les déclarations du gouvernement concernant la seconde arrestation. En effet, alors que les plaignants soutiennent qu'il n'existe aucun chef d'accusation concret contre M. Ongaro et qu'il se trouve à la disposition du Pouvoir exécutif en vertu de facultés exercées pendant l'état de siège, le gouvernement indique qu'un procès est engagé contre lui parce qu'il a troublé l'ordre et la sécurité publics.
- 201 Le comité s'est toujours abstenu de se prononcer sur l'aspect politique d'un régime d'exception, mais il a déjà soutenu, dès les premiers cas qui lui ont été soumis, que, dans, de telles circonstances, les mesures de détention, qui peuvent impliquer une grave ingérence dans les activités syndicales, doivent être justifiées par l'existence d'une crise sérieuse, et qu'elles peuvent donner lieu à des critiques, à moins qu'elles ne soient accompagnées de garanties juridiques appropriées, mises en oeuvre dans des délais raisonnables. Le comité a toujours souligné l'importance du respect des garanties légales dans les cas où des syndicalistes sont inculpés de délits de caractère politique ou de délits visés par la législation ordinaire; à ce propos, il a déclaré, par exemple, que le respect des garanties légales ne semble pas assuré si l'état de siège a pour conséquence qu'un tribunal auquel il est demandé d'appliquer l'habeas corpus ne peut procéder à un examen de l'affaire quant au fond. Ainsi qu'il l'a indiqué précédemment au paragraphe 185, le comité a considéré que cette garantie serait assurée si la personne détenue était jugée par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Le comité estime que ce principe revêt une importance toute particulière lorsque la personne intéressée est membre titulaire, adjoint ou adjoint suppléant du Conseil d'administration du BIT.
- 202 Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration de signaler à l'attention du gouvernement l'importance qu'il a toujours attachée aux droits de toutes les personnes détenues à un procès rapide et équitable devant des autorités judiciaires impartiales et indépendantes, et de prier le gouvernement de bien vouloir fournir de toute urgence des renseignements sur les procédures légales utilisées ou le procès entamé dans le cas de M. Ongaro, ou, si aucune procédure n'a été engagée, de fournir des renseignements sur la situation actuelle de l'intéressé.
- Diverses allégations liées à la situation syndicale en général
- 203 Dans leurs diverses plaintes, la CMT et la FSM expriment une opinion générale sur la situation des institutions et du syndicalisme en Argentine et présentent en outre des allégations plus précises sur différentes mesures qui auraient été prises à l'encontre d'organisations syndicales et de personnes déterminées.
- 204 Parmi ces mesures figurent, selon la CMT: la mise sous contrôle de la CGT argentine et des syndicats des travailleurs des arts graphiques, des travailleurs de l'imprimerie, des ouvriers des chantiers navals et des employés de pharmacie (communication de la CMT en date du 7 juillet 1969); «l'occupation militaire» du Syndicat des cheminots, du Syndicat des travailleurs portuaires, de la Fédération des travailleurs de l'industrie sucrière, de l'Association du personnel civil de la nation, de la Fédération des travailleurs des arts graphiques, du Syndicat des ouvriers des chantiers navals, de l'Association des employés de pharmacie, de la Fédération des travailleurs de l'industrie chimique et du Syndicat des vendeurs de journaux (communication de la CMT en date du 4 août).
- 205 Dans sa communication du 4 août, la CMT fait état d'articles de presse selon lesquels des fonctionnaires du ministère du Travail et des Forces de police avaient occupé par la force le siège de la CGT, où travaillait une commission de coordination des syndicats les plus représentatifs qui s'efforçait de réaliser l'unification de tous les mouvements syndicaux argentins.
- 206 Dans sa communication du 7 juillet 1969, la CMT indique que plusieurs centaines de syndicalistes ont été emprisonnés et que deux d'entre eux ont été assassinés; l'un, « M. Emilio Jáuregui, a été assassiné le 26 juin dernier dans la rue par la police argentine ». Une grande partie des personnes incarcérées appartiennent aux industries graphiques. Dans sa communication du 15 juillet 1969, la CMT mentionne spécialement l'incarcération des dirigeants syndicaux Alicia Fondecilla, José R. Villaflor, Francisco Calipo, Federico Correa et Hugo Russo, « qui sont tous des responsables de la Fédération des arts graphiques de Buenos Aires; ils sont détenus au secret dans des prisons de Córdoba et de Buenos Aires et ils attendent d'être jugés ». Par ailleurs, il est signalé, dans la même communication, que les dirigeants de la CGT dont les noms suivent sont incarcérés « en attendant que le Pouvoir exécutif décide de leur sort »: Hugo Ferraro, Enrique Coronel, Alfredo Forraresa, Jorge Di Pasquale, José Pedraza, José Curiel, Carlos Cabrera, Pablo Gutman, Luis Miletto, Boris Groman, Luis Trenti, Julián Montoya, Juan Carlos Lorenzo, Hugo Fornies, Francisco Gentile, Alfredo Carbolleda et Ricardo Cano.
- 207 La CMT fait également allusion à une communication officielle d'après laquelle le nombre de personnes incarcérées est de deux cent quatre, la majorité d'entre elles étant des dirigeants et des militants syndicaux, mais elle présume que leur nombre réel est plus élevé et, d'après d'autres sources d'informations, il serait supérieur à six cents. Parmi les détenus se trouvent également treize avocats, conseillers juridiques des syndicats, « qui ont été appréhendés parce qu'ils s'étaient présentés dans les commissariats pour s'enquérir de l'état de santé et des motifs de l'arrestation des détenus aux fins de préparer leur défense ».
- 208 Dans sa plainte, en date du 18 août 1969, la FSM appelle l'attention sur le rôle joué par les institutions militaires dans le monde syndical et ajoute « ce rôle ne se limite pas à une ingérence dans les affaires internes des syndicats; à la suppression administrative de la personnalité juridique des syndicats et au blocage des fonds syndicaux ». La FSM évoque « l'aggravation de la répression dirigée contre les travailleurs et leurs syndicats » et signale que, dans l'exercice d'un droit essentiel (le droit de grève), les travailleurs doivent lutter en permanence contre la police et l'armée. Tel aurait été le cas, en particulier, lors de la grève générale du 30 mai « à laquelle ont participé quelque cinq millions de travailleurs ».
- 209 D'après la FSM, le fait que le gouvernement se soit engagé sur la voie de la violence dirigée contre les ouvriers et qu'il ait privé les travailleurs de la garantie de leurs droits a créé une situation d'instabilité permanente et une menace contre l'activité des syndicats. C'est dans ce contexte que se serait produit l'assassinat de M. Augusto Vandor, secrétaire général de l'Union des ouvriers de la métallurgie; ce crime aurait été commis le 30 juin, c'est-à-dire la veille de la nouvelle grève générale décidée pour le 1er juillet.
- 210 La FSM allègue également que cette situation s'est encore aggravée du fait de l'état de siège décrété dans le pays depuis le 30 juin, de l'occupation des sièges des syndicats et des mesures de contrôle prises à l'encontre de plusieurs syndicats, dont la Fédération des travailleurs des arts graphiques. Le 15 juillet, « un représentant du gouvernement » a été désigné auprès de la Confédération générale du travail pour « réorganiser la centrale ouvrière ». Pour répondre à cet acte de violation du droit syndical, le mouvement syndical a décidé d'organiser « une journée de protestation nationale » afin de demander l'instauration d'un syndicalisme indépendant du gouvernement et le droit d'élire tous les responsables syndicaux. En réaction contre cette manifestation, l'occupation officielle du siège de la CGT aurait été décidée et l'édifice et les biens du syndicat auraient été passés sous le contrôle du gouvernement. Cela équivaut, d'après les plaignants, à la liquidation juridique de la CGT, puisque les travailleurs ne peuvent constituer d'autres organisations syndicales sans tomber sous le coup des lois en vigueur en matière de subversion.
- 211 Le gouvernement a répondu à ces diverses plaintes dans deux communications, dont l'une, datée du 16 septembre 1969, concerne la plainte de la CMT du 7 juillet 1969, et l'autre, datée du 14 octobre 1969, a trait à la plainte de la FSM du 18 août 1969.
- 212 Dans sa communication du 16 septembre, le gouvernement rappelle qu'il a déjà signalé à plusieurs reprises qu'il n'accepterait pas de discuter de griefs dénués de tout fondement exposés dans les plaintes et qu'il ne répondrait pas à de prétendues dénonciations n'observant ni le sérieux ni la correction qui ont cours dans les relations internationales. Le gouvernement a également estimé que l'OIT ne devrait pas transmettre de dénonciations hypothétiques qui ne respecteraient pas les exigences minima de sérieux et de courtoisie, comme dans le cas dont il s'agit, où l'on aurait affaire à « des missives hâtives dont les propres termes sont en contradiction et qui portent atteinte à la vérité ».
- 213 Le gouvernement poursuit en indiquant que les événements survenus dans le pays, et auxquels ont participé directement et activement certains dirigeants syndicaux, relèvent du domaine des délits de droit commun. Par conséquent, il appartient au gouvernement d'infliger aux responsables le traitement prévu par la loi, car les dirigeants syndicaux ne sauraient prétendre que leur qualité leur confère une immunité, ce qui équivaudrait à soutenir qu'il existe des privilèges de classe ou des immunités particulières non reconnus par la Constitution nationale. On aurait alors affaire à une situation absurde dans laquelle on ne pourrait ni poursuivre ni condamner des personnes coupables d'avoir provoqué des pertes de vies humaines, comme celles qui sont mentionnées dans la plainte, sous prétexte que les intéressés appartiennent au mouvement syndical.
- 214 En ce qui concerne la mise sous contrôle des syndicats, le gouvernement déclare que cette mesure sera levée d'ici peu, lorsque des élections auront été organisées. Il ajoute cependant que les mesures d'intervention ont été imposées par le fait que les dirigeants syndicaux s'étaient écartés des activités purement syndicales et avaient, par contre, pris part aux événements qui avaient troublé l'ordre public. En ce qui concerne la CGT, le gouvernement nie qu'il y ait eu intervention et explique qu'un délégué a été désigné pour instaurer un dialogue direct avec les dirigeants syndicaux et accélérer la constitution d'une centrale syndicale vigoureuse et forte.
- 215 Enfin, se référant à la dénonciation selon laquelle six cents syndicalistes seraient détenus, le gouvernement signale que les plaignants se bornent à nommer un seul responsable syndical qui a été arrêté pour avoir troublé l'ordre et menacé la sécurité publique (voir les allégations examinées plus haut à propos de M. Ongaro).
- 216 Dans sa communication du 14 octobre 1969, le gouvernement indique que la plainte de la FSM fausse complètement la réalité des faits et qu'elle n'observe ni le style ni la forme que doit emprunter une dénonciation ayant trait à une violation de la liberté syndicale. En ce qui concerne en particulier les allégations relatives à la mise sous contrôle de la Fédération des arts graphiques, le gouvernement déclare que cette mesure a été adoptée en considération du fait que cette organisation syndicale se consacrait essentiellement à des activités de caractère politique et préconisait le recours à des méthodes d'action inacceptables dans toute société civilisée. Ses activités étaient loin de correspondre aux objectifs propres à une association professionnelle de travailleurs, et cette organisation commettrait donc une violation des dispositions de l'Acte de la Révolution argentine et de la loi no 14455 relative aux associations syndicales. Dans le bâtiment de la Fédération des arts graphiques de Buenos Aires se réunissaient des commissions qui se livraient à une intense activité politique, et de plus en plus fréquemment à des menées subversives; ces organismes étaient d'ailleurs composés d'anciens dirigeants syndicaux et de politiciens appartenant à des partis dissous. La mesure d'intervention décidée par le gouvernement vise à normaliser au plus tôt les activités de cette association professionnelle.
- 217 En ce qui concerne la désignation d'un délégué du gouvernement auprès de la CGT, la communication signale qu'il s'agit d'un acte de droit interne qui ne peut, par conséquent, faire l'objet d'une plainte devant une instance internationale. Le gouvernement nie que le siège de la CGT ait été occupé. La loi no 18281, portant désignation de ce délégué, dispose que celui-ci aura pour tâche de promouvoir la régularisation du fonctionnement de la CGT. Le gouvernement précise que les syndicats peuvent agir en toute liberté, sans immixtion des autorités publiques lorsqu'ils assument les fonctions particulières en vue desquelles ils ont été créés. Cependant, lorsque les activités des syndicats mettent en péril la sécurité du pays, le gouvernement ne saurait hésiter à sauvegarder les intérêts de tous les Argentins.
- 218 En premier lieu, le comité croit devoir présenter son point de vue sur les observations préliminaires formulées par le gouvernement à propos des plaintes déposées. A cet égard, le comité a déjà signalé dans d'autres cas qu'il ne peut assumer aucune responsabilité quant aux termes dans lesquels les plaintes sont rédigées, mais il estime que le respect qui lui est dû, ainsi que le caractère juridique des travaux qui lui sont confiés, exigent, tant de la part des plaignants que de la part des gouvernements, que soit observée la correction qui doit normalement présider au déroulement des procédures judiciaires et que l'emploi de tout langage destiné à aggraver plutôt qu'à régler une controverse devrait être proscrit. Cette réserve étant exprimée, le comité a estimé qu'il ne peut être privé de la possibilité d'examiner une plainte au fond sous prétexte que le gouvernement présente des objections à la forme dans laquelle elle a été présentée. Le comité a également fait observer que le fait, pour le gouvernement, de répondre à une demande de renseignements sur une plainte déterminée, n'implique pas que ce gouvernement reconnaît l'exactitude ou la validité de la plainte en question, mais signifie simplement qu'il accepte de collaborer avec le comité et avec le Conseil d'administration en vue d'un examen impartial de la question.
- 219 Le comité rappelle également que, d'après la procédure en vigueur, il est dans ses attributions non pas de formuler des conclusions d'ordre général relatives à la situation syndicale dans des pays déterminés sur la base de vagues généralités, mais simplement de juger la valeur des allégations spécifiques formulées. Le comité observe que, dans le cas considéré, les plaintes qui ont été soumises, si elles contiennent des appréciations de caractère général, comportent également des allégations concrètes, dont certaines ont fait l'objet d'observations de la part du gouvernement. Le comité procédera par conséquent à l'examen de ces allégations.
- a) Incarcération de syndicalistes et décès de M. Emilio Jáuregui
- 220 Dans ses diverses communications, la CMT indique un nombre important de syndicalistes détenus et, à cet égard, le comité ne juge pas opportun d'inviter le gouvernement à fournir des précisions, puisque les plaintes ne fournissent pas de données concrètes à ce sujet. Cependant, dans sa communication en date du 15 juillet 1969, la CMT cite les noms de vingt-deux dirigeants syndicaux détenus (voir ci-dessus paragr. 206). Le gouvernement n'a pas formulé d'observations sur cet aspect de la communication de la CMT mais il indique, en termes généraux, que les événements survenus dans le pays, et auxquels certains dirigeants syndicaux ont participé, appartiennent au domaine des délits de droit commun, et que ces dirigeants ne sauraient se prévaloir d'immunités ou de privilèges vis-à-vis de leurs responsabilités au regard de la loi.
- 221 Dans sa communication en date du 7 juillet 1969, la CMT précise également que « M. Emilio Jáuregui a été assassiné le 26 juin dernier dans la rue par la police argentine ». Le gouvernement n'a fourni aucune explication sur cette allégation.
- 222 Le comité rappelle que, dans son premier rapport a, il a indiqué que, lorsqu'il s'agit de cas où des allégations précises ont été formulées, il ne peut se contenter de réponses des gouvernements qui se bornent à exprimer des généralités; le comité avait également considéré que, dans tous les cas où les renseignements fournis par un gouvernement à qui des plaintes ont été communiquées ne semblent pas répondre aux questions ou paraissent être d'un caractère trop général, des informations plus détaillées seraient demandées au gouvernement intéressé, de façon que le comité puisse exprimer à l'attention du Conseil d'administration une opinion bien motivée.
- 223 En ce qui concerne l'incarcération de syndicalistes, dans de nombreux cas où les gouvernements avaient répondu aux allégations selon lesquelles des dirigeants syndicalistes ou des travailleurs étaient emprisonnés pour activités syndicales, en affirmant que les personnes en question avaient été arrêtées pour activités subversives, pour des raisons de sécurité interne ou pour des crimes de droit commun, le comité a toujours suivi la règle consistant à demander aux gouvernements intéressés de fournir les renseignements complémentaires les plus précis au sujet des arrestations en question et d'en indiquer les motifs exacts; le comité ajoutait que si, dans certains cas, il avait décidé que les allégations relatives à l'arrestation ou à l'incarcération de militants syndicalistes ne justifiaient pas un examen plus approfondi du cas, c'était après avoir reçu des gouvernements certains renseignements attestant de façon suffisamment probante que ces arrestations ou incarcérations n'avaient rien à voir avec les activités syndicales, mais qu'elles avaient été justifiées par des activités extra-syndicales nuisibles à l'ordre public ou de caractère politique.
- 224 En ce qui concerne le décès de M. Jáuregui, le comité rappelle que dans d'autres cas ayant trait à des pertes de vies humaines, il avait indiqué qu'il attachait une importance toute particulière à la nécessité de procéder à des investigations complètes sur les circonstances du fait allégué, et cela au moyen d'une enquête spéciale menée immédiatement et en toute indépendance et suivie de la procédure légale ordinaire, de façon à déterminer la responsabilité des mesures prises par les forces de police et à apprécier la justification de ces mesures.
- 225 Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'inviter le gouvernement à bien vouloir fournir des renseignements précis sur les vingt-deux dirigeants syndicaux qui seraient détenus, indiquer les mesures prises en vue d'élucider les circonstances du décès de M. Emilio Jáuregui et communiquer, le cas échéant, les résultats de cette enquête.
- b) Mesures de contrôle des syndicats
- 226 Le comité observe que la CMT et la FSM évoquent dans leurs plaintes la mise sous contrôle de syndicats et citent le nom des organisations intéressées. Le gouvernement ne nie pas que de telles mesures aient été prises, mais il explique que celles-ci se justifient du fait que les dirigeants en question s'étaient écartés des activités purement syndicales. Dans le cas de la Fédération des industries graphiques, le gouvernement précise que l'organisation en question se consacrait essentiellement à des activités politiques et qu'au siège de la fédération se réunissaient des commissions qui se livraient à des menées subversives.
- 227 Le comité rappelle qu'à de nombreuses occasions il a eu à examiner la question de la mise sous contrôle d'organisations syndicales en Argentine par voie administrative. En de telles occasions, le comité a appelé l'attention du gouvernement sur l'importance de l'article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui dispose que les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action, les autorités publiques devant s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. Le comité a également appelé l'attention sur le fait que toute intervention dans les organisations syndicales implique le risque grave d'une limitation du droit des organisations de travailleurs d'élire librement leurs représentants et d'organiser leur gestion et leur activité. Le comité a également souligné l'importance du principe énoncé par l'article 4 de la convention susmentionnée, d'après lequel les organisations de travailleurs ne doivent pas être sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative.
- 228 Ces principes ne signifient pas que les dirigeants syndicaux doivent échapper à tout contrôle en ce qui concerne la compatibilité de leurs actes avec les dispositions de la législation en vigueur. Cependant, ainsi que le comité l'a déjà signalé en d'autres occasions, il est essentiel, pour garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure, que ce contrôle soit exercé par l'autorité judiciaire compétente. A cela il convient d'ajouter que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a fait observer que la disposition portant suspension administrative des dirigeants d'un syndicat responsable d'une infraction à la législation en vigueur était incompatible avec l'article 4 de la convention no 87.
- 229 Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'appeler de nouveau l'attention du gouvernement sur les principes susmentionnés qui sont énoncés dans la convention no 87, laquelle a été ratifiée par l'Argentine, et de signaler l'importance qu'il attache à ce que le contrôle de la légalité des actes des dirigeants syndicaux soit exercé par l'autorité judiciaire compétente, afin de garantir une procédure impartiale et objective.
- c) Désignation d'un délégué du gouvernement auprès de la CGT
- 230 Tant la CMT que la FSM allèguent que le gouvernement a fait occuper le siège de la CGT; la FSM précise, en outre, que le 15 juillet 1969 un représentant du gouvernement a été désigné pour réorganiser la centrale ouvrière. Ainsi, le bâtiment de la CGT comme les autres biens de l'organisation seraient passés sous le contrôle du gouvernement. Pour sa part, le gouvernement nie que le siège de la CGT ait été occupé, et il explique que le délégué désigné par un texte législatif a pour mission de régulariser le fonctionnement de la centrale ouvrière sur la base d'un dialogue direct avec les dirigeants syndicaux, et il soutient qu'il s'agit d'un acte de droit interne qui ne peut faire l'objet d'une plainte devant un organisme international. ,
- 231 S'agissant de ce dernier point, le comité désire signaler avant tout que son rôle est d'examiner les mesures prises par un gouvernement qui ont trait aux droits syndicaux, afin de déterminer - à la lumière des normes et principes internationaux appliqués en matière de liberté syndicale - si elles n'affectent pas l'exercice de ces droits.
- 232 Le comité constate que les renseignements fournis par les plaignants et par le gouvernement diffèrent tant en ce qui concerne l'occupation du siège de la CGT qu'en ce qui concerne le contrôle exercé par le gouvernement sur cette centrale syndicale et sur ses biens. Lé comité estime que les prérogatives conférées à une personne pour faciliter la régularisation du fonctionnement d'une organisation syndicale ne doivent pas pouvoir conduire à une limitation du droit des associations professionnelles d'établir leurs statuts, d'élire leurs représentants, d'organiser leur gestion et de formuler leur programme d'action.
- 233 Par conséquent, afin de pouvoir juger la situation en pleine connaissance de cause, le comité recommande au Conseil d'administration, lorsqu'il signalera au gouvernement le point de vue exprimé dans le paragraphe précédent, de l'inviter à bien vouloir communiquer le texte de la loi portant désignation du délégué auprès de la CGT, ainsi que le maximum de renseignements sur l'exercice des pouvoirs conférés à cette personne.
- Demande relative à l'envoi d'une commission d'étude ou d'enquête
- 234 Dans sa communication en date du 27 mai 1969, la CMT, faisant allusion à « la persécution permanente » dont, à son avis, les syndicalistes sont l'objet en Argentine, demande qu'une mission d'étude de l'OIT soit envoyée dans ce pays le plus tôt possible. Pour sa part, la CLASC, dans sa communication du 14 juillet 1969, appuie la demande d'envoi d'une commission spéciale d'enquête de l'OIT en Argentine pour étudier sur place « la répression brutale » dirigée contre les responsables syndicaux et contre les organisations professionnelles.
- 235 Le comité croit devoir exprimer la préoccupation que lui inspirent les nombreuses allégations relatives à l'exercice des droits syndicaux en Argentine et les nombreuses plaintes qui lui sont présentées au sujet de la liberté syndicale dans ce pays. Cependant, le comité observe également que, au cours des derniers mois, des événements particulièrement graves ont entraîné la proclamation de l'état de siège qui est actuellement en vigueur en Argentine. Dans ces conditions, le comité estime qu'il ne serait pas opportun de se prononcer actuellement sur les demandes formulées par la CMT et par la CLASC, et il décide de s'abstenir pour le moment d'exprimer son opinion à ce sujet.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 236. En ce qui concerne l'ensemble de ces cas, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) en ce qui concerne les allégations relatives à l'incarcération du secrétaire général de la Fédération des travailleurs des mines et du ciment, et étant donné les conditions dans lesquelles la plainte en question a été retirée, de décider que cet aspect n'appelle pas un examen plus approfondi;
- b) en ce qui concerne les allégations relatives à l'incarcération des dirigeants syndicaux Oberlin, Calipo et Cosimi, compte tenu du fait que ces personnes ont été dûment jugées puis remises en liberté, de décider qu'il ne semble pas opportun de poursuivre l'examen de cet aspect;
- c) en ce qui concerne la condamnation de M. Elpidio Torres et d'autres syndicalistes par les tribunaux militaires, étant donné que cette condamnation est intervenue à la suite d'une procédure sommaire et que, par conséquent, les intéressés n'ont pas pu bénéficier de toutes les garanties d'une procédure ordinaire, de suggérer au gouvernement argentin la possibilité d'examiner de nouveau les cas en question, de façon à s'assurer qu'aucun des intéressés n'a été privé de sa liberté sans bénéficier de toutes les garanties légales d'une procédure engagée devant une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
- d) en ce qui concerne les allégations relatives à la séquestration de M. Raimundo Ongaro, d'inviter le gouvernement à bien vouloir communiquer le texte du jugement rendu en la matière, ainsi que de ses attendus;
- e) en ce qui concerne les allégations relatives aux différentes arrestations de M. Raimundo Ongaro, de signaler à l'attention du gouvernement l'importance qu'il a toujours attachée au droit de toutes les personnes détenues à un procès rapide et équitable devant des autorités judiciaires impartiales et indépendantes, et d'inviter le gouvernement à bien vouloir fournir d'urgence des renseignements sur les procédures légales ou judiciaires entreprises, ou, si aucune procédure n'a été entreprise, des renseignements sur la situation actuelle de l'intéressé;
- f) en ce qui concerne les diverses allégations relatives à la situation syndicale en général:
- i) d'inviter le gouvernement à bien vouloir communiquer des renseignements précis sur les dirigeants syndicaux suivants qui sont actuellement détenus: Alicia Fondecilla, José R. Villaflor, Francisco Calipo, Federico Correa, Hugo Russo, Hugo Ferraro, Enrique Coronel, Alfredo Forraresa, Jorge di Pasquale, José Podraza, José Curiel, Carlos Cabrera, Pablo Gutman, Luis Miletto, Boris Groman, Luis Trenti, Julián Montoya, Juan Carlos Lorenzo, Hugo Fornies, Francisco Gentile, Alfredo Carbolleda et Ricardo Cano;
- ii) d'inviter le gouvernement à bien vouloir lui faire connaître les mesures prises pour élucider les circonstances du décès de M. Emilio Jáuregui et, le cas échéant, le résultat de ces mesures;
- iii) s'agissant des mesures de contrôle de plusieurs organisations syndicales prises par le gouvernement, d'appeler de nouveau l'attention de celui-ci sur l'article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui a été ratifiée par l'Argentine, aux termes duquel les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action, et sur l'article 4 du même instrument d'après lequel ces organisations ne doivent pas être sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative; et de souligner l'importance qu'il attache au fait que le contrôle de la légalité des actes des dirigeants syndicaux soit exercé par l'autorité judiciaire compétente, de façon à garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure;
- iv) de signaler au gouvernement que les prérogatives conférées à une personne pour faciliter la régularisation du fonctionnement d'une organisation syndicale ne doivent pas pouvoir conduire à une limitation du droit des associations professionnelles d'élaborer leurs statuts, d'élire leurs représentants, d'organiser leur gestion et de formuler leur programme d'action; et d'inviter le gouvernement à bien vouloir communiquer le texte de la loi portant désignation du délégué auprès de la CGT, ainsi que le maximum de renseignements sur l'exercice des prérogatives de ce délégué;
- g) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité soumettra un nouveau rapport dès qu'il aura reçu les renseignements complémentaires demandés au gouvernement aux alinéas d), e) et f) du présent paragraphe.