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- 192. Le comité a déjà examiné ce cas à ses sessions de mai et novembre 1967, ainsi qu'à celles de février et mai 1968, à l'occasion desquelles il a soumis au Conseil d'administration les rapports intérimaires qui figurent respectivement aux paragraphes 231 à 265 de son quatre-vingt-dix-huitième rapport, aux paragraphes 319 à 406 de son cent unième rapport, aux paragraphes 187 à 207 de son cent troisième rapport et aux paragraphes 202 à 223 de son cent cinquième rapport. Ces quatre rapports ont été approuvés par le Conseil d'administration.
- 193. Au paragraphe 223 de son cent cinquième rapport, le comité a présenté au Conseil d'administration un certain nombre de recommandations, dont quelques-unes avaient pour objet de demander au gouvernement argentin des informations complémentaires. Ces recommandations ont été portées à la connaissance du gouvernement par une lettre en date du 11 juin 1968. Le gouvernement a répondu par une lettre en date du 16 septembre 1968, transmise par la mission permanente de la République argentine auprès des organisations internationales à Genève.
- 194. L'Argentine a ratifié la convention (ne 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, de même que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations relatives à la détention du dirigeant syndical Eustaquio Tolosa
A. Allégations relatives à la détention du dirigeant syndical Eustaquio Tolosa
- 195. En examinant ce cas lors de sa dernière session, le comité a analysé le contenu du jugement de première instance rendu contre M. Tolosa en date du 21 mars 1968. Dans les attendus de ce jugement, il est dit que M. Tolosa est accusé d'être l'auteur responsable du délit prévu et puni par l'article fer de la loi no 14034. Aux termes de ladite loi, dont le texte a été fourni par le gouvernement, « ... sera puni de cinq à vingt-cinq ans de prison et de l'interdiction absolue et à vie d'occuper une fonction officielle l'Argentin qui, de quelque manière que ce soit, favorise l'application de sanctions politiques ou économiques contre l'Etat argentin ». Cette loi a été adoptée, en 1951, en vue d'interdire à tout citoyen argentin des agissements auxquels on est certain que se livrait alors une personne qui s'était employée à favoriser la rupture des relations commerciales entre un pays étranger et l'Argentine. En analysant les faits qui donnèrent naissance au procès, le jugement se réfère à la réunion tenue à Londres du 14 au 16 novembre 1966 par la Fédération internationale des ouvriers des transports (F.I.O.T.), réunion au cours de laquelle il fut décidé de « recommander d'exercer en lieu opportun et jusqu'à ce que le gouvernement argentin reconsidère sa campagne actuelle contre les travailleurs, en mettant fin aux mesures d'intervention militaire prises à l'encontre du Syndicat unifié des travailleurs portuaires argentins (S.U.P.A.), un boycottage international: a) des navires et des avions argentins; b) des cargaisons qui seraient normalement amenées en Argentine ou acheminées à partir de l'Argentine...; c) le refus de décharger les cargaisons en provenance de l'Argentine... ». Il résulte des preuves apportées au procès que M. Tolosa assistait à ces réunions et qu'il appuya de son vote ladite décision. Comme l'énonce le jugement, « aucun doute n'est possible quant à la décision adoptée à Londres, qui implique l'application de sanctions économiques à l'Etat argentin ». Le refus de décharger les marchandises d'origine argentine ou transportées sous pavillon argentin constitue une mesure dont la nature économique est indiscutable. En effet, ajoute le jugement, cette mesure n'était pas dirigée contre des particuliers, elle ne visait pas les propriétaires des navires, des avions, des cargaisons ou des entreprises, mais bien le gouvernement argentin, aux fins d'exercer sur celui-ci une contrainte pour qu'il lève les mesures d'intervention dont le S.U.P.A. était l'objet. Les éléments constitutifs du délit sanctionné par la loi no 14034 se sont trouvés réunis du fait de la présence de M. Tolosa au débat au cours duquel la décision en question a été adoptée et de son vote en faveur de celle-ci. Pour ces motifs, le juge a prononcé la condamnation de M. Tolosa à la peine de cinq ans de prison et à la perte des droits prévus par la loi.
- 196. A cette occasion, le comité a pris note du fait que, ainsi qu'il appert du jugement, ce dirigeant syndical a comparu devant un tribunal ordinaire avec les garanties d'une procédure régulière et a été condamné pour violation d'une loi antérieure punissant tout Argentin qui favorise l'application de mesures économiques contre l'Etat. De même, le comité a constaté que, dans ce cas, il s'est agi d'un boycottage international destiné à exercer une contrainte sur le gouvernement du fait de certaines mesures adoptées par celui-ci en tant qu'autorité publique.
- 197. Etant donné que ni la réponse du gouvernement ni les informations dont disposait le comité n'indiquaient si le jugement de première instance rendu contre M. Tolosa était revêtu d'un caractère définitif ou avait fait l'objet d'un appel devant un tribunal supérieur, le comité avait recommandé au Conseil d'administration de prendre note du jugement en question et de demander au gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de tout fait nouveau qui se produirait en ce qui concerne M. Tolosa, notamment quant à un appel éventuel du jugement, et, en pareil cas, de lui communiquer le texte du jugement rendu par le tribunal compétent.
- 198. Par sa communication du 16 septembre 1968, le gouvernement a transmis le texte du jugement de deuxième instance, rendu à la suite de l'appel interjeté par le défenseur d'office de M. Tolosa. Il est dit, dans ce jugement, que la Cour d'appel a dû connaître, pour la première fois dans le pays, du délit prévu par l'article 1er de la loi no 14034 et que la décision contestée comporte une relation correcte des faits qui étaient à l'origine de la plainte déposée contre M. Tolosa. Il est rappelé que celui-ci a nié s'être rendu coupable, par sa participation à la réunion de la F.I.O.T, du délit prévu par la loi, qu'il n'avait pas demandé que des sanctions soient prises contre l'Etat argentin, que son intention était de « sauver la patrie » et que la mesure adoptée était prévue dans les statuts de la F.I.O.T. Les défenseurs de M. Tolosa ont allégué que le comportement attribué à celui-ci n'était pas prouvé avec certitude et qu'il n'existait pas un lien de causalité suffisant entre l'attitude adoptée par M. Tolosa durant les réunions et le boycottage intervenu dans les ports argentins et étrangers.
- 199. Ayant examiné les pièces déposées au dossier, le tribunal a estimé qu'il était en présence d'un délit formel pour la réalisation duquel il n'était pas nécessaire qu'un boycottage ait effectivement eu lieu, car il suffisait que l'inculpé se soit livré à une activité ayant favorisé l'application de sanctions. Selon le jugement, M. Tolosa a favorisé l'application de sanctions économiques contre l'Etat argentin, étant entendu qu'il n'est pas nécessaire, pour la réalisation du délit, que l'inculpé ait pris une initiative précise à ce sujet, car il suffit qu'il ait contribué ou coopéré à l'adoption d'une telle mesure « de quelque manière que ce soit », comme l'indique le texte législatif. En ce qui concerne l'argument selon lequel la mesure en question était prévue dans les statuts de la F.I.O.T, le jugement indique que ce fait n'a pas été prouvé et que, même s'il en était ainsi, des règles de ce genre ne sauraient avoir pour effet d'abroger des lois nationales, puisque la République argentine n'a jamais renoncé à son droit souverain de réprimer les faits délictueux pouvant porter préjudice aux biens juridiques qu'elle estime nécessaire de protéger, y compris les délits commis à l'étranger et pouvant produire leurs effets sur le territoire national.
- 200. Pour toutes ces raisons, le tribunal a décidé de confirmer le jugement rendu en première instance contre M. Tolosa en sa qualité d'auteur responsable du délit consistant à favoriser l'application de sanctions contre l'Etat argentin, tel qu'il est prévu et puni par l'article 1er de la loi no 14034.
- 201. Devant la décision confirmant la condamnation de M. Tolosa, le comité ne peut que rappeler que, quand il a examiné cette question à sa dernière session, il a signalé les circonstances qui furent à l'origine du fait incriminé, à savoir la modification de la législation sur le travail dans les ports par le gouvernement, sans avoir consulté préalablement le S.U.P.A, alors même que celui-ci avait demandé à participer à l'élaboration de la nouvelle législation. Cette possibilité ayant été refusée, le S.U.P.A se déclara en grève, ce qui incita le gouvernement à prendre des mesures d'intervention contre lui, à la suite de quoi la F.I.O.T adopta la décision de boycottage dont il a déjà été fait mention. Le comité a estimé, à cet égard, qu'une consultation de l'organisation syndicale intéressée, à l'occasion de l'élaboration des nouvelles normes du travail dans les ports, aurait peut-être permis d'éviter la situation qui se trouve à l'origine du présent cas. Cette manière d'agir aurait été conforme aux termes de la recommandation (no 113) sur la consultation aux échelons industriel et national, 1960, selon laquelle des mesures appropriées devraient être prises en vue de promouvoir une consultation et une collaboration efficaces entre les autorités publiques et les organisations d'employeurs et de travailleurs. Cette consultation et cette collaboration devraient notamment viser à permettre l'examen en commun des problèmes d'intérêt mutuel, en vue d'aboutir, dans la mesure du possible, à des solutions acceptées de part et d'autre. De même, la consultation devrait permettre de faire en sorte que les autorités publiques compétentes bénéficient des vues, des conseils et du concours des organisations d'employeurs et de travailleurs, dans des domaines tels que la préparation et la mise en oeuvre de la législation touchant leurs intérêts.
- 202. En outre, le comité désire rappeler que, lors de son analyse des motifs du jugement de première instance, prononcé contre M. Tolosa quant à l'action de solidarité internationale décidée par la F.I.O.T, il a relevé que le juge avait tenu spécialement compte du fait que, dans le présent cas, il ne s'agissait pas d'une mesure prise à l'encontre de certains employeurs, mais contre l'Etat argentin, et que l'adoption de ladite mesure avait été favorisée par un citoyen argentin en violation des dispositions pénales en vigueur dans le pays. Le comité a voulu insister particulièrement sur ce point. Il a également insisté sur l'importance de l'article 5 de la convention no 87, qui prévoit que toute organisation, fédération ou confédération a le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs ou d'employeurs.
- 203. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de prendre note du jugement de deuxième instance rendu contre M. Tolosa, dans une affaire où le tribunal a eu à connaître, pour la première fois en Argentine, du délit prévu par la loi no 14034 de 1951;
- b) de réitérer les principes énoncés plus haut aux paragraphes 201 et 202;
- c) de demander au gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de tout fait nouveau qui se produirait au sujet de M. Tolosa, et en particulier de toute mesure éventuelle de grâce qui pourrait être prise à son égard.
- Allégations relatives aux mesures d'intervention et de suspension de la personnalité syndicale prises contre diverses organisations syndicales, et autres allégations en suspens
- 204. A sa session de mai 1968, le comité a examiné certaines allégations relatives à l'intervention et à la suspension de la personnalité syndicale de diverses organisations, à la lumière d'une communication du gouvernement en date du 27 mars 1968. A cette occasion, le comité avait recommandé au Conseil d'administration de prendre note du fait que la personnalité syndicale avait été restituée à deux des organisations en cause, et d'insister de nouveau auprès du gouvernement afin que celui-ci lève le plus rapidement possible les mesures encore en vigueur de suspension de la personnalité syndicale et de contrôle des syndicats, en le priant de le tenir informé des dispositions qu'il aurait adoptées ou qu'il se proposerait d'adopter à cette fin.
- 205. Le comité rappelle également que, lors de sa session de novembre 1967, il avait examiné une série d'allégations relatives à l'ingérence des autorités dans les activités de la C.G.T et aux mesures prises contre des dirigeants et des membres des syndicats, ainsi qu'à l'arbitrage obligatoire et aux négociations collectives. Afin de parvenir à formuler ses conclusions sur ces aspects du cas, le comité avait prié le gouvernement de lui fournir des informations ou des observations plus précises, comme il est indiqué aux paragraphes 383, 386 et 398 du cent unième rapport du comité.
- 206. Le comité fait remarquer qu'il n'a pas encore reçu les informations et observations mentionnées dans les deux paragraphes précédents, de sorte qu'il recommande au Conseil d'administration de déplorer ce silence et d'insister auprès du gouvernement pour qu'il veuille bien les envoyer le plus rapidement possible, afin de pouvoir poursuivre l'examen des allégations en suspens.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 207. Dans ces conditions, en ce qui concerne le cas considéré dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) en ce qui touche à la détention de M. Eustaquio Tolosa:
- i) de prendre note du jugement de deuxième instance rendu contre celui-ci, dans une affaire où le tribunal a eu à connaître, pour la première fois en Argentine, du délit prévu dans la loi no 14034 de 1951;
- ii) de réaffirmer les principes contenus dans la recommandation (no 113) sur la consultation aux échelons industriel et national, de 1960, selon laquelle des mesures devraient être prises en vue de promouvoir une consultation et une collaboration efficaces entre les autorités publiques et les organisations d'employeurs et de travailleurs, de même que la norme énoncée à l'article 5 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, qui prévoit que toute organisation, fédération et confédération a le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs ou d'employeurs;
- iii) de demander au gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de tout fait nouveau qui se produirait au sujet de M. Tolosa et en particulier de toute mesure éventuelle de grâce qui pourrait être prise à son égard;
- b) en ce qui concerne les allégations relatives aux mesures d'intervention et de suspension de la personnalité syndicale prises à l'encontre de diverses organisations syndicales et les autres allégations en suspens, de déplorer que le gouvernement n'ait pas envoyé les informations et observations demandées, et d'insister de nouveau auprès de celui-ci pour qu'il veuille bien les communiquer le plus rapidement possible, afin de pouvoir poursuivre l'examen desdites allégations;
- c) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité présentera un nouveau rapport sur le cas lorsqu'il aura reçu les informations mentionnées à l'alinéa précédent.