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A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 57. Dans une communication en date du 20 mars 1954 adressée aux Nations Unies, la Fédération syndicale mondiale allègue les faits suivants:
    • a) Les violations de la liberté syndicale en Guyane britannique sont étroitement liées aux attaques générales dirigées contre les droits et les libertés de la population de ce pays par les autorités britanniques.
    • b) La présentation d'un projet de loi destiné à assurer que les organisations syndicales, sur la base d'élections organisées régulièrement et démocratiquement, auront le droit de représenter les travailleurs dans les négociations en vue de la conclusion des conventions collectives a servi de prétexte aux mesures arbitraires qui ont été prises par les autorités britanniques en Guyane.
    • c) L'arrêté pris le 16 décembre 1953 par le Gouverneur interdit l'entrée et la diffusion en Guyane britannique de toutes les publications de la Fédération syndicale mondiale. Cette mesure constitue une violation évidente du droit des organisations syndicales de rester en contact avec des organisations internationales, ainsi que de la liberté de la presse.
  2. 58. Conformément au paragraphe 23 du Neuvième rapport du Comité de la liberté syndicale, le Directeur général a informé l'organisation plaignante que les informations complémentaires qu'elle pourrait vouloir présenter à l'appui de sa plainte devraient parvenir au Bureau dans le délai d'un mois. Le plaignant n'a pas fait parvenir d'informations supplémentaires.
    • ANALYSE DE LA REPONSE
  3. 59. Dans sa réponse, datée du 27 octobre 1954, le gouvernement présente les observations suivantes:
  4. 60. Le gouvernement dément que des attaques aient été dirigées contre les droits et libertés des populations de Guyane britannique. Si la Constitution a été suspendue en octobre 1953, c'est en raison de l'attitude adoptée par les ministres au pouvoir, qui a entraîné une altération rapide de la situation en ce qui concerne l'efficacité de l'administration du pays, son économie et sa sécurité, altération qui est devenue une menace non seulement pour l'ordre public mais pour la vie même des habitants.
  5. 61. Le gouvernement relate les événements qui ont conduit à la présentation du projet de loi sur les relations de travail, projet de loi qui correspond au projet de législation auquel le plaignant fait allusion (voir paragraphe 55 ci-dessus). Il rappelle que pendant de nombreuses années, l'Association de la main-d'oeuvre et des citoyens (M.P.C.A) a représenté la plus grande partie des travailleurs de l'industrie sucrière et a été reconnue par les employeurs. L'organisation rivale, l'Union des travailleurs industriels de Guyane (G.I.W.U), a été enregistrée en 1948 ; en 1951 et 1952, elle s'est efforcée, sans succès, de déclencher des grèves générales à l'appui de sa demande de reconnaissance par les employeurs. En avril 1953, le Parti progressiste du peuple (P.P.P) a obtenu la majorité parlementaire, et le président du G.I.W.U, le Dr Lachhmansingh, devint ministre de la Santé ; il conserva en même temps son poste syndical. En août 1953, le P.P.P, après avoir exercé toutes sortes de pressions sur les employeurs en vue d'obliger ces derniers à reconnaître le G.I.W.U, fut à l'origine de la grève générale qui se déclencha dans l'industrie sucrière et qui fut arrêtée au bout de trois semaines.
  6. 62. Le ministre du Travail a présenté au pouvoir législatif un projet de loi sur les relations du travail qui exigeait des employeurs que ceux-ci reconnaissent les syndicats qui recueillaient l'appui de 52 pour cent des travailleurs de l'industrie considérée. Ce projet, qui n'avait fait l'objet d'aucune consultation entre les syndicats et les organisations d'employeurs, investissait le ministre du Travail de pouvoirs arbitraires quant à la tenue des élections. Aux termes de ce projet, il appartenait au ministre du Travail de déterminer ceux des syndicats qui seraient reconnus. Il lui appartenait en outre de déterminer si les élections devraient porter sur l'ensemble de l'industrie, sur une spécialité ou sur un établissement seulement de cette industrie. Enfin, aux termes du projet, il lui appartenait de décider de la fréquence des élections à intervenir et de déterminer, aux fins de la participation aux élections, ceux qui seraient couverts par l'appellation de « travailleurs ». Des manifestations ont eu lieu lorsque le projet a été présenté. Le ministre du Travail a demandé la permission de passer outre au règlement afin de faire franchir dans la même journée au projet toutes les étapes de la procédure. Le président a refusé de donner suite à cette demande, en précisant qu'elle impliquerait, si elle était satisfaite, une atteinte aux droits de la minorité ; il a indiqué en outre qu'il estimait qu'une question de cette importance ne devrait pas être examinée hâtivement. Le projet a été adopté ultérieurement après plusieurs jours de discussion.
  7. 63. Ces événements n'ont fait qu'accroître la tension déjà existante. Une résolution, passée par le Conseil d'Etat, a déploré l'attitude de certains ministres qui, en incitant à la grève et en la soutenant, avaient menacé directement la paix et la sécurité du territoire. La résolution demandait en outre au secrétaire d'Etat aux Colonies de prendre les mesures nécessaires pour « rétablir la confiance dans le gouvernement et assurer une application efficace de la Constitution ».
  8. 64. En fait, de l'avis du gouvernement, le projet de loi sur les relations de travail constituait une tentative d'ingérence, de la part des ministres intéressés, dans un conflit de représentation, au mépris de tous les principes démocratiques ; ses dispositions auraient pu être utilisées par le ministre du Travail pour attaquer tout syndicat reconnu qui n'aurait pas l'agrément de son parti. La présentation du projet ne servit en rien de prétexte à la suspension de la Constitution : les incidents qui entraînèrent cette mesure ne furent en somme que le point culminant de la crise provoquée par l'attitude des ministres.
  9. 65. Le gouvernement de la Guyane britannique a jugé nécessaire, dans l'intérêt général, d'interdire les publications indésirables. Les publications de la F.S.M ont été jugées subversives à la lumière des événements. Cependant, cette interdiction est d'application générale et ne vaut pas seulement pour les publications syndicales.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  • Allégation relative à des attaques dirigées contre les droits et les libertés de la population de la Guyane britannique
    1. 66 Le plaignant proteste contre les violations qu'il dit avoir été commises en Guyane britannique, et estime que ces violations sont étroitement liées aux « attaques générales » dirigées dans ce pays contre les droits et libertés de la population par les autorités britanniques. Dans sa réponse, le gouvernement dément catégoriquement cette allégation et déclare que la mesure prise en octobre 1953, tendant à suspendre la Constitution, a été rendue nécessaire par le fait que les ministres au pouvoir avaient mis le pays dans un état tel que l'altération rapide de l'efficacité de son administration, de son économie et de sa sécurité était devenue une menace non seulement pour l'ordre public, mais pour la vie même de la population.
    2. 67 Le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cette allégation a un caractère exclusivement politique et qu'il serait, partant, inopportun de poursuivre l'affaire.
  • Allégation relative aux mesures arbitraires qui auraient été prises à la suite de la présentation, par le gouvernement élu, du projet de loi sur les relations de travail
    1. 68 Cette partie de la plainte consiste essentiellement en une allégation selon laquelle la présentation au Parlement de la Guyane britannique d'un projet de loi prévoyant l'élection de syndicats qui auraient le droit de représenter les travailleurs dans les négociations en vue de la conclusion de conventions collectives aurait servi de prétexte à l'adoption de mesures arbitraires de la part des autorités. Le plaignant ne définit pas ces mesures arbitraires, et l'on ne peut que supposer qu'il veut faire allusion aux mesures politiques tendant à suspendre la Constitution ainsi qu'aux autres mesures prises par le gouvernement du Royaume-Uni en ce qui concerne le gouvernement et l'administration de la Guyane britannique.
    2. 69 Le plaignant ne fournit aucune preuve tendant à montrer que le droit des syndicats de représenter les travailleurs dans les négociations collectives fait l'objet de restrictions dans le système actuel de relations industrielles. Il ressort de la réponse du gouvernement que son point de vue diffère de celui du plaignant en ce qui concerne le sens et l'objet du projet de loi ; le gouvernement estime que ce projet constitue une tentative de la part des ministres intéressés de s'immiscer, au mépris des principes démocratiques, dans un conflit de représentation, et leur aurait permis d'attaquer tout syndicat reconnu qui ne recueillerait pas leur approbation. Le gouvernement déclare, en outre, d'une part, qu'un certain syndicat a pendant de nombreuses années conclu des conventions collectives au nom des travailleurs dans l'industrie sucrière et a été volontairement reconnu par les employeurs, d'autre part que la présentation du projet de loi ne constitua en rien un prétexte à la suspension de la Constitution ; les désordres qui ont amené cette mesure ne furent que le point culminant de la crise entraînée par l'attitude des ministres.
    3. 70 Dans ces conditions, le Comité estime que, d'une part, le plaignant n'a pas fourni la preuve qu'il y ait eu violation des droits syndicaux, et que, d'autre part, la plainte se rapporte à des événements de caractère exclusivement politique et qu'il est partant inopportun de poursuivre l'affaire.
  • Allégation relative à l'interdiction des publications de la F.S.M en Guyane britannique
    1. 71 Il est allégué qu'un arrêté pris le 16 décembre 1953 par le Gouverneur interdit l'entrée et la diffusion en Guyane britannique de toutes les publications de la Fédération syndicale mondiale et que cette interdiction constitue une violation des droits qu'ont les syndicats de maintenir des contacts avec des organisations internationales. Le gouvernement déclare que les publications de la F.S.M ont été jugées « subversives à la lumière des événements », mais précise que l'interdiction dont sont frappées les publications indésirables est d'application générale et n'est donc pas réservée aux seules publications syndicales.
    2. 72 Le Comité a déjà, en plusieurs occasions, souligné que le principe selon lequel des organisations nationales de travailleurs ont le droit de s'affilier à des organisations internationales implique également pour ces organisations le droit d'établir entre elles des contacts et en particulier d'échanger leurs publications syndicales. Dans le cas no 75 (France-Madagascar), le Comité a suggéré qu'une interdiction semblable à celle qui nous intéresse devrait être réexaminée « à la lumière du principe suivant lequel les organisations syndicales devraient avoir le droit de diffuser des publications dans lesquelles leur programme d'action se trouve formulé, en vue de distinguer parmi les publications de la Fédération syndicale mondiale celles qui traitent de problèmes normalement considérés comme rentrant directement ou indirectement dans la compétence des syndicats et celles qui ont manifestement un caractère politique ou antinational ».
    3. 73 Tout en reconnaissant que le droit d'exprimer des opinions au moyen de journaux ou de publications constitue un élément essentiel de la liberté syndicale, le Comité est d'avis que les organisations syndicales, lorsqu'elles font paraître leurs publications, doivent tenir compte, dans l'intérêt du développement du mouvement syndical, des principes énoncés par la Conférence internationale du Travail à sa 35ème session « pour la protection de la liberté et de l'indépendance du mouvement syndical et la sauvegarde de sa mission fondamentale, qui est d'assurer le développement du bien-être économique et social de tous les travailleurs ».
    4. 74 Dans le cas présent, le plaignant n'a pas, comme il l'avait fait dans le cas de Madagascar, communiqué au Comité des publications dont il affirme qu'elles avaient un caractère purement syndical. Le Comité, tout en reconnaissant qu'il est parfois impossible ou impraticable du point de vue administratif de distinguer entre les publications de caractère syndical et les publications de caractère politique, tient à rappeler l'importance qu'il attache à ce qu'une telle distinction soit faite partout où cela est possible ; cependant, dans le cas présent, aucune preuve n'a été fournie tendant à montrer que la diffusion de publications purement syndicales ait été entravée.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 75. Dans ces conditions, et sous réserve des observations contenues au paragraphe 72, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que le cas dans son ensemble ne mérite pas un examen plus approfondi.
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