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La commission prend note du rapport du gouvernement, reçu le 1er novembre 2002, et des quatre annexes qui y sont jointes, en réponse à ses deux dernières observations, ainsi que de plusieurs commentaires émanant d’organisations de travailleurs. La commission prend également note d’autres informations du gouvernement, reçues également le 1er novembre 2002, à propos des communications de syndicats.
La commission prend note de la communication du Conseil local de Tokyo des syndicats, reçue le 6 juin 2002, ainsi que des cinq documents qui y sont joints - copie en a été transmise au gouvernement le 29 juillet 2002 -, et d’une communication du Syndicat japonais des travailleurs des chantiers navals et de la construction mécanique, en date du 29 juillet 2002, ainsi que de sept documents joints, que le BIT a reçus le 12 août 2002, et dont copie a été transmise au gouvernement le 2 septembre 2002. La commission prend aussi note d’une communication de la Confédération coréenne des syndicats (KCTU) et de la Fédération des syndicats de Corée (FKTU) en date du 27 août 2002, qu’elle a reçue le 4 septembre 2002, ainsi que des 11 documents y ayant trait qui ont été reçus le 1er octobre 2002 et dont copie a été transmise le 1er octobre 2002 au gouvernement.
La commission rappelle que, lors de plusieurs sessions récentes, elle a examiné l’application de la convention en ce qui concerne deux questions ayant trait à la seconde guerre mondiale et aux années ayant précédé la guerre: l’esclavage sexuel militaire, dont ont été victimes les «femmes de réconfort», et le travail forcé dans l’industrie pendant la guerre.
La commission a déjà examiné l’existence, pendant la seconde guerre mondiale et les années qui l’ont précédée, d’un système dans lequel des femmes et des jeunes filles, appelées par euphémisme «femmes de réconfort», étaient cantonnées dans des garnisons militaires, appelées «comfort stations», et forcées de fournir des services sexuels aux militaires. La commission avait estimé que ces agissements faisaient partie de ceux que la convention interdit formellement. La commission avait aussi estimé qu’ils constituaient des violations flagrantes des droits de l’homme et des abus sexuels à l’encontre des femmes et des jeunes filles détenues dans ces garnisons militaires, et qu’ils devaient être considérés comme de l’esclavage sexuel.
Dans les paragraphes 8 et 10 de son observation de 2000, la commission avait noté qu’un nombre considérable de plaintes et d’actions en justice avaient été intentées devant des tribunaux japonais par des «femmes de réconfort», et que ces plaintes et actions étaient encore en instance, avaient été tranchées ou avaient été soumises à des instances supérieures en vue d’un appel. La commission avait également reconnu, au paragraphe 5 de cette observation, qu’elle n’était pas habilitée à prescrire des réparations, lesquelles ne pouvaient être accordées que par le gouvernement qui est l’entité responsable au regard de la convention. Toutefois, au paragraphe 10 de cette observation, la commission avait espéré que le gouvernement trouverait une autre voie, en consultation avec les plaignantes et les organisations qui les représentent, pour verser une réparation aux victimes avant qu’il ne soit trop tard, d’une manière qui réponde à leurs attentes.
Par la suite, dans son observation de 2001, ayant reçu une communication d’une organisation de travailleurs et la réponse du gouvernement à cet égard, la commission avait exprimé de nouveau l’espoir que le gouvernement serait en mesure de donner une suite satisfaisante aux plaintes des «femmes de réconfort», et d’informer à ce sujet la Conférence internationale du Travail en 2002.
Dans son dernier rapport détaillé, le gouvernement a formulé trois observations importantes à propos de la question des «femmes de réconfort».
Premièrement, il estime que l’élaboration de l’observation de 2001 a été entachée d’irrégularités de procédure:
- l’observation en question a été préparée et rendue publique à la suite d’une communication d’un syndicat, alors que le gouvernement ne s’était pas encore exprimé sur cette communication.
- dans l’observation, on est arrivé hâtivement à la conclusion, sans que le contenu de la communication du syndicat n’ait été examiné de façon approfondie, que la question devrait être soumise à la Conférence internationale du Travail.
- l’observation porte sur la question des «femmes de réconfort», alors que le syndicat s’est penché sur une autre question qui a trait à l’enrôlement de personnes soumises à du travail forcé.
Deuxièmement, le gouvernement a estimé que les demandes individuelles d’indemnisation ayant trait à des questions liées à la situation de «femmes de réconfort» n’ont pas de fondement juridique et que les allégations du syndicat sont erronées. Le gouvernement demande donc instamment à la commission de mettre fin à ses délibérations et de décider de clore le cas.
Troisièmement, le gouvernement affirme qu’à propos de ces plaintes individuelles aucune responsabilité juridique n’est engagée mais qu’il a toutefois fait des excuses et manifesté son remords à plusieurs occasions. A ce sujet, il fait mention du Fonds pour les femmes asiatiques et des lettres que le gouvernement et le Premier ministre japonais ont adressées pour présenter des excuses.
A propos du premier point qui est soulevé, la commission conteste l’affirmation selon laquelle il y a eu des irrégularités de procédure. La communication du syndicat porte, d’une manière générale, sur la question des indemnisations liées à la guerre, question qui recouvre également celle des «femmes de réconfort». Dans son observation de 2000 sur ces femmes, la commission avait soulevé de graves questions que le gouvernement n’avait pas traitées à ce moment-là. Par ailleurs, indépendamment de la question de savoir si le syndicat a soulevé cette question en particulier ou non, la commission est pleinement habilitée à poursuivre l’examen de cette situation et à demander qu’elle soit examinée à la Conférence.
A propos du deuxième point, la commission note que le gouvernement estime, comme il l’a fait précédemment, qu’en ce qui concerne les questions relatives aux réparations, aux biens et aux revendications ayant trait à la deuxième guerre mondiale, y compris les questions des «femmes de réconfort» en temps de guerre et de l’enrôlement de personnes soumises à du travail forcé, il a satisfait à ces obligations. Le gouvernement fait valoir que les dispositions des traités et accords de paix multilatéraux et bilatéraux conclus après la guerre avec les gouvernements des puissances alliées et des Etats du Pacifique et de l’Asie comportent des dispositions en vertu desquelles les Etats parties à ces traités et accords et leurs ressortissants ont renoncéà demander réparation pour des faits liés à la guerre et autres.
Les traités auxquels le gouvernement se réfère sont, entre autres, les suivants:
- le traité de paix avec le Japon, signéà San Francisco en 1951, dont l’article 14 b) indique que les puissances alliées et les nationaux des pays des puissances alliées renoncent à toute demande d’indemnisation et autres;
- l’accord de 1965 entre le Japon et la République de Corée sur le règlement des questions relatives aux biens et aux plaintes et sur la coopération économique, dont l’article 2 indique que les parties à l’accord acceptent que les questions relatives à leurs biens, droits et intérêts et à ceux de leurs ressortissants, sont réglées complètement et définitivement; et
- le communiqué conjoint du gouvernement du Japon et du gouvernement de la République populaire de Chine dont l’article 5 dit que la Chine renonce à demander des indemnisations liées à la guerre.
Le gouvernement indique à ce sujet que les questions des plaintes, y compris celles de particuliers formulées en vertu du droit interne sont réglées complètement et définitivement en ce qui concerne le Japon et ses ressortissants et les pays des puissances alliées et leurs ressortissants.
Dans son observation précédente, la commission avait noté que, dans sa communication de juin 2001, le Syndicat japonais des travailleurs des chantiers navals et de la construction mécanique indiquait, à propos des indemnisations liées à la guerre, que la position du gouvernement japonais était qu’un traité avait mis un terme au droit de demander des indemnisations et au droit de protection diplomatique au niveau de l’Etat, mais non au droit de particuliers de recevoir des indemnités. Le Syndicat indiquait que le gouvernement a réaffirmé cette position à maintes reprises, comme il ressort des exemples suivants:
- la déclaration du gouvernement japonais à l’occasion de l’action en justice de victimes de bombes atomiques (jugement final de 1963), à savoir que le paragraphe a)de l’article 19 du Traité de San Francisco ne signifie pas que le Japon ait renoncé au droit de ressortissants individuels japonais de demander à Truman ou aux Etats-Unis d’Amérique réparation pour les dommages causés;
- la déclaration du gouvernement lors de l’action en justice intentée en vue de l’indemnisation des prisonniers de Sibérie (jugement final de 1989), à savoir que le droit auquel le Japon a renoncé, en vertu de la clause 6, point 2, de la Déclaration conjointe du Japon et de l’Union soviétique, concerne les revendications et le droit de protection diplomatique que possédait l’Etat du Japon, et non pas les revendications de ressortissants individuels japonais. Le gouvernement avait estimé que, par droit de protection diplomatique, il fallait entendre le droit reconnu à l’échelle internationale d’un pays d’évoquer la responsabilité d’un pays étranger pour les dommages que le peuple japonais a subis dans un territoire étranger à la suite de la violation par ce pays du droit international. Le gouvernement avait ajouté que, comme indiqué précédemment, le Japon n’avait, en vertu de la déclaration conjointe du Japon et de l’Union soviétique, renoncéà aucun des droits dont jouissent les ressortissants japonais;
- la déclaration de Shunji Yanai, alors chef du bureau des Traités du ministère des Affaires étrangères, le 27 août 1991, devant la Commission budgétaire de la Chambre haute, à savoir que le Traité fondamental de 1965 entre le Japon et la Corée du Sud ne privait pas les victimes individuelles en question du droit de demander réparation au regard de l’ordre juridique national. Shunji Yanai avait déclaré que le traité empêchait seulement les gouvernements du Japon et de la Corée du Sud de se saisir de questions dans l’exercice de leurs droits diplomatiques.
La commission note, dans sa réponse à propos des commentaires évoqués par le syndicat en question, que le gouvernement indique que M. Shunji Yanai, par cette déclaration, entendait expliquer que toutes les questions relatives aux demandes d’indemnisation liées à la dernière guerre, y compris les demandes de particuliers, avaient été réglées entre le Japon et les forces alliées en tenant compte du droit de protection diplomatique, lequel relève du droit international général. Autrement dit, M. Shunji Yanai avait expliqué que, même si des plaintes de citoyens japonais contre les pays des puissances alliées ou leurs nationaux étaient rejetées, le Japon ne pourrait plus intenter des poursuites mettant en jeu la responsabilité des Etats qui composaient les puissances alliées. Le gouvernement attire aussi l’attention sur une autre déclaration de M. Shunji Yanai, par laquelle celui-ci a indiqué clairement, le 26 février 1992, devant la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants de la Diète, qu’en ce qui concerne les droits substantiels prévus par la loi, à savoir les droits relatifs à des biens, le gouvernement du Japon avait invalidé les droits relatifs à des biens des ressortissants de la République de Corée, l’accord prévoyant certaines exceptions à ce sujet. M. Shunji Yanai avait conclu que, par conséquent, les citoyens coréens ne pouvaient plus réclamer au Japon ces droits, que ce soit au regard du droit privé ou du droit interne.
La commission note que le gouvernement n’a pas communiqué d’observations qui permettraient de réfuter les autres exemples cités par le syndicat en question, à savoir les déclarations du gouvernement lors de l’action en justice de victimes de bombes atomiques (jugement final de 1963) et à propos de l’article 6 de la déclaration conjointe du Japon et de l’Union soviétique, qui portait sur l’action en justice intentée en vue d’indemniser des prisonniers de Sibérie (jugement final de 1989). Le gouvernement s’est bornéà citer le texte de l’article 6 de cette déclaration.
La commission prend également note du rapport final du 22 juin 1998 sur le viol systématique, l’esclavage sexuel et les pratiques analogues à l’esclavage en période de conflit armé (document de l’ONU E/CN.4/Sub.2/1998/13), présenté par Mme Gay J. McDougall à la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités (qui est devenue la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme) à sa cinquantième session. La commission note que Mme McDougall, que la sous-commission avait nommé Rapporteuse spéciale, est directrice exécutive de l’International Human Rights Law Group, et que son rapport, qui a été transmis avec l’observation de la KCTU et de la FKTU, a été cité par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, ce rapport faisant autorité en matière de droit pénal international. La commission prend également note de l’annexe au rapport intitulé«Analyse de la responsabilité juridique du gouvernement japonais en ce qui concerne les «centres de délassement» («comfort stations») mis en place pendant la seconde guerre mondiale».
Dans son rapport, Mme McDougall a conclu que «l’asservissement de femmes par les militaires japonais dans toute l’Asie pendant la seconde guerre mondiale constituait, même à cette époque, une violation manifeste des règles de droit national coutumier interdisant l’esclavage» et que «au même titre que l’esclavage, les lois de la guerre interdisaient aussi le viol et la prostitution forcée» (annexe, paragr. 12 et 17). La commission prend également note des conclusions suivantes: «Depuis un demi-siècle au moins, l’asservissement massif ou systématique de personnes est également considéré comme un crime contre l’humanité. Cela vaut en particulier lorsque des crimes de cette nature sont commis pendant un conflit armé. […] Outre la réduction en esclavage, les actes de viol systématique ou à grande échelle tombent également sous le coup de l’interdiction générale des "actes inhumains", selon la définition classique des crimes contre l’humanité…» (annexe, paragr. 18 et 20).
Se référant à l’article 2 de l’accord de 1965 relatif au règlement des problèmes concernant les biens et les réclamations et à la coopération économique entre le Japon et la Corée, et à l’article 14 b) du Traité de paix de 1951, Mme McDougall indique dans son rapport ce qui suit: «La tentative du gouvernement japonais d’échapper à sa responsabilité en invoquant ces traités ne peut aboutir pour deux raisons: a) l’implication directe du Japon dans l’établissement des centres de viol était dissimulée au moment de la rédaction des traités; ceci est un fait capital qui, en toute justice, devrait aujourd’hui empêcher le gouvernement japonais de se prévaloir des traités en question pour se soustraire à sa responsabilité; et b) les termes clairs dans lesquels les traités ont été rédigés indiquent qu’ils n’ont pas étéétablis dans l’intention d’empêcher les demandes en réparation émanant de particuliers pour des préjudices causés par l’armée japonaise en violation des droits de l’homme ou du droit humanitaire» (annexe, paragr. 55).
La commission prend également note, au paragraphe 58 de l’annexe au rapport de Mme McDougall, dont mention est faite dans les commentaires des syndicats: «Il ressort également très clairement du texte de l’accord de 1965 relatif au règlement de problèmes concernant les biens et les réclamations, et à la coopération économique entre le Japon et la République de Corée, qu’il s’agit d’un traitééconomique portant sur le règlement des litiges relatifs à des "biens" entre les pays concernés et non sur les questions de droits de l’homme [citation omise]. Le traité ne fait nullement référence aux "femmes de réconfort", au viol, à l’esclavage sexuel ou à toute autre atrocité commise par les Japonais à l’encontre de civils coréens. En revanche, ces dispositions portent sur des questions de biens et sur les relations commerciales entre les deux pays. On rapporte qu’en réalité, au cours des pourparlers relatifs au traité, le négociateur japonais aurait promis que son pays indemniserait la République de Corée pour les atrocités que les Japonais avaient fait subir aux Coréens [citation omise].» La commission prend également note du paragraphe 59 de l’annexe au rapport: «De toute évidence, les fonds fournis par le Japon dans le cadre de cet accord de règlement avaient pour seul objet la reprise économique et non l’indemnisation individuelle des victimes des atrocités japonaises, de sorte que le traité de 1965, bien qu’il soit apparemment formulé en des termes de très large portée, n’a réglé que les problèmes d’ordre économique entre les deux pays et les problèmes concernant les biens sans aborder la question des réclamations privées…»
La commission prend également note, au paragraphe 62 de l’annexe, de ce qui suit: «En outre, de même qu’avec l’Accord de 1965 relatif au règlement des problèmes entre le Japon et la Corée, pour des raisons d’équité et de justice, le Japon ne peut se prévaloir du traité de paix de 1951 pour se soustraire à sa responsabilité, alors qu’au moment de la signature dudit traité il s’est gardé de révéler la mesure dans laquelle son armée avait participéà tous égards à l’établissement, l’entretien et l’administration des centres de délassement [citation omise]. Au nom du principe de l’équité, une fois de plus, lorsque des normes de jus cogens sont invoquées, les Etats accusés de violation de tels droits fondamentaux ne doivent pas être autorisés à recourir à de simples subtilités juridiques pour se soustraire à leur responsabilité. Et, en tout état de cause, il convient de souligner que rien n’empêche le Japon de décider de son plein gré de ne pas user d’arguments mis à sa disposition dans les traités pour écarter sa responsabilité, afin de faciliter la prise de mesures allant clairement dans le sens de l’équité et de la justice.» Il est indiqué au paragraphe 12 de l’additif du rapport que «l’interdiction de l’esclavage […] a atteint à n’en pas douter le niveau des dispositions de jus cogens [citation omise]. La commission note que l’article 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (document de l’ONU A/CONF.39/28) stipule qu’une norme de jus cogens (impérative) est une norme «acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise…».
Dans ses commentaires à propos du rapport de Mme McDougall, le gouvernement indique que la sous-commission a adopté chaque année, de 1998 à 2002, des résolutions fondées sur ce rapport, et que, dans ces résolutions, la sous-commission fait bon accueil au rapport de Mme McDougall mais ne fait aucunement mention ni du Japon ni de la question des «femmes de réconfort en temps de guerre». Le gouvernement ajoute que, dans ces résolutions, la sous-commission ne formule aucune recommandation à l’intention du Japon, pas plus qu’elle ne le blâme pour quoi que ce soit.
Toutefois, la commission souligne que, même s’il est vrai que ces résolutions, par exemple la résolution 2000/13 sur la version révisée de juin 2000 du rapport final de Mme McDougall, ne font pas spécifiquement mention de pays en particulier, pas plus qu’elles ne formulent de recommandations à l’adresse d’un pays en particulier, ces résolutions, d’une manière générale, ont pris note du rapport et ont demandé au Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de suivre l’application de la résolution et des recommandations formulées dans le rapport de la Rapporteuse spéciale, et de faire rapport à la sous-commission à ce sujet.
La commission prend note du rapport de 1996 de la mission effectuée en République populaire démocratique de Corée, en République de Corée et au Japon sur la question de l’esclavage sexuel au service de l’armée pendant la guerre. Ce rapport a été soumis par Mme Radhika Coomaraswamy, Rapporteuse spéciale de l’ONU, à la 52e session de la Commission de l’ONU des droits de l’homme (document E/CN.4/1996/53/Add.1). L’additif de ce rapport, qui était joint à l’observation de la KCTU et de la FKTU, se réfère, à son paragraphe 107, au rapport de la Commission internationale de juristes établi à la suite d’une mission sur les «femmes de réconfort», rapport qui a été rendu public en 1994. Dans ce rapport, la Commission internationale de juristes affirme que l’intention n’a jamais été d’inclure, dans les traités auxquels le gouvernement japonais fait référence, les demandes d’indemnisation émanant de particuliers, au titre de traitements inhumains. Elle fait valoir que, dans l’intention des rédacteurs, le terme «revendications» n’incluait pas les créances en indemnisation pour préjudice causé, et que ce terme n’est défini ni dans les procès-verbaux agréés ni dans les protocoles. Elle fait valoir, en outre, qu’il n’y a rien dans les négociations qui concerne les violations de droits individuels résultant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La Commission internationale de juristes soutient aussi que, dans le cas de la République de Corée, le traité de 1965 signé avec le Japon concerne les réparations payées au gouvernement et ne concerne pas les demandes d’indemnisation présentées par des particuliers au titre de dommages subis.
La commission prend note du reportage, en date du 4 septembre 2001, du New York Times, dont a fait mention le Tribunal international des femmes pour la répression des crimes de guerre sur l’esclavage sexuel militaire du Japon dans son jugement du 4 décembre 2001 (révisé le 31 janvier 2002) sur le cas no PT-2000-1-T (mise en accusation commune et demande de mesures de restitution et de réparation). Copie de ce jugement a été transmise avec sa communication par le Syndicat japonais des travailleurs des chantiers navals et de la construction mécanique. Le reportage susmentionné, dont l’auteur était Steven C. Clemons, fait référence à un échange de lettres, dont la diffusion a été autorisée en avril 2000, entre le Premier ministre Shigeru Yoshida du Japon et le ministre des Affaires étrangères du gouvernement des Pays-Bas, échange qui avait eu lieu peu de temps avant la signature en 1951 du Traité de paix de San Francisco. Dans une de ses lettres, le Premier ministre japonais indiquait qu’il était entendu que le gouvernement du Japon ne considérerait pas que le gouvernement des Pays-Bas, en signant le traité, accepterait que les citoyens néerlandais renoncent à faire valoir leurs droits de façon telle qu’après l’entrée en vigueur du traité leurs réclamations deviendraient non avenues.
La commission prend note du jugement du 4 décembre 2001 (révisé le 31 janvier 2002) du Tribunal international des femmes pour la répression des crimes de guerre sur l’esclavage sexuel militaire du Japon à propos du cas no PT-2000-1-T (mise en accusation commune et demandes de restitution et de réparation). Copie de ce jugement a été transmise par le syndicat susmentionné dans sa communication. La commission note que le tribunal, qui a siégéà Tokyo du 8 au 10 décembre 2000, est un tribunal populaire qui a étéétabli pour se prononcer sur les crimes sexuels que le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, le tribunal de Tokyo initial, n’avait pas tranchés. La commission prend note de l’indication du Syndicat japonais des travailleurs des chantiers navals et de la construction mécanique, à savoir que les juges, les procureurs et les conseillers juridiques du tribunal sont des experts reconnus à l’échelle internationale, qui ont participé aux délibérations du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Le syndicat en question fait également référence à plusieurs des principales décisions du tribunal. La commission prend également note des commentaires de la FKTU et de la KCTU à propos du tribunal, à savoir qu’il découle d’une initiative civile et qu’il est formé de juges qui jouissent de la considération générale.
La commission prend note de l’indication du tribunal, dans l’introduction et la présentation générale de son jugement, selon laquelle le greffe du tribunal a portéà la connaissance du gouvernement ses travaux et l’a invitéà participer à ses délibérations, prévues les 9 et 28 novembre 2000. Le gouvernement n’a pas répondu à ce sujet. Toutefois, le tribunal s’est efforcé de prendre en compte tous les moyens de défense que le gouvernement aurait vraisemblablement utilisés pour son compte s’il avait accepté de participer aux délibérations. A cette fin, le tribunal avait demandé que les arguments du gouvernement soient réunis par un avocat agissant en tant qu’amicus curiae. Cet avocat a fourni au tribunal un document succinct. Le tribunal a ensuite examiné les arguments du gouvernement relatifs aux affaires en cours devant ses tribunaux, ainsi que les réponses que le gouvernement avait données à propos des rapports des rapporteurs spéciaux des Nations Unies qui avaient enquêté sur le système d’esclavage sexuel militaire.
La commission prend note de la conclusion du tribunal, qui figure au paragraphe 1034 du jugement et qui porte sur l’accord de 1965 entre le Japon et la République de Corée. Le tribunal estime que l’on peut se demander si les plaintes relatives à des biens, à des droits et à des intérêts recouvrent ou non les plaintes intentées contre le Japon au sujet des «femmes de réconfort». Les deux Etats ont approuvé les procès-verbaux de leurs négociations en vue de la signature du Traité de paix. Au cours de ces négociations, ils ont convenu que les termes «biens, droits et intérêts» désignaient tous les types de droits substantiels qui, au regard de la loi, ont valeur de biens. Cet énoncé semble exclure les nombreuses plaintes de «femmes de réconfort». La République de Corée avait présenté, lors des négociations, un résumé de ces plaintes (les Huit questions). Rien n’indique que cette liste comprenait les plaintes des «femmes de réconfort» pour des crimes contre l’humanité commis à leur encontre et, effectivement, les dispositions du traité prévoient soit le règlement des questions relatives aux biens, soit la régularisation des relations commerciales entre les deux pays, y compris le règlement de dettes [citation omise].
Le tribunal cite à son tour une opinion exprimée par la Cour internationale de Justice en 1970 (Barcelona Traction, Light and Power Co. Ltd., CIJ, Rep. 3, paragr. 33-34 (5 février 1970)), qui développe la notion des obligations d’un Etat qui, de par leur nature même, s’appliquent erga omnes- c’est-à-dire à l’égard de la communauté internationale dans son ensemble: «de telles obligations découlent … des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, notamment ceux qui concernent la protection contre l’esclavage et la discrimination raciale». Se référant également au troisième rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la responsabilité des Etats (document des Nations Unies A/CN.4/507/Add.4 du 4 août 2000), le tribunal a considéré que: «la catégorie des normes qui peuvent être acceptées d’une manière générale comme étant de portée universelle et non susceptibles de dérogation quant à leur contenu, et dans l’effectivité desquelles tous les Etats ont un intérêt légal, est restreinte, mais elle inclut l’interdiction du génocide et celle de l’esclavage…». A la lumière de ces principes, le tribunal a estimé qu’«il est légalement impossible, pour des accords bilatéraux ou multilatéraux, ou même pour des accords conclus par les Etats dont les victimes sont nationaux, de méconnaître les intérêts des Etats non participants au redressement des torts infligés à tous» (paragr. 1041-1043).
La commission note que, sur la base de ce raisonnement et d’autres points de droit, le tribunal a conclu que, en ce qui concerne l’invocation par le Japon des traités de paix, «les parties à la négociation n’ont pas le pouvoir d’écarter les plaintes formulées par des personnes à raison des souffrances qu’elles ont subies par le fait de la commission de crimes contre l’humanité, et ce tribunal rejette l’idée que ces demandes puissent avoir étéécartées de manière effective ou permanente».
Le gouvernement, dans ses commentaires sur le Tribunal international des femmes contre les crimes de guerre et sur le jugement rendu par cette instance en décembre 2001, dit: «Le tribunal a été organisé de manière privée par les personnes concernées et n’était pas un organisme officiel. Par conséquent, le gouvernement du Japon n’est pas en position de faire des commentaires sur les déclarations dudit tribunal, ni sur les vues exprimées par celui-ci.»
Dans son rapport, le gouvernement déclare que son interprétation de l’article 14(b) du Traité de paix de San Francisco écartant toutes demandes individuelles «est conforme à toute une série de décisions de justice», et il cite à l’appui les jugements rendus dans deux affaires portant sur des prétentions soutenues par d’anciens prisonniers de guerre: le jugement du 21 septembre 2000 rendu par la Cour de district des Etats-Unis pour le district nord de Californie dans l’affaire In re: World War II Era Japanese Forced Labor Litigation, et le jugement rendu le 11 octobre 2001 par la Haute Cour de Tokyo au terme d’une procédure engagée par d’anciens prisonniers de guerre néerlandais. La commission prend note du jugement de la Cour de district des Etats-Unis pour le district nord de Californie, tel que cité par le gouvernement: «Le traitéécarte toutes réparations et autres demandes de nationaux des puissances alliées en conséquence de toute action prise par le Japon et ses nationaux dans le cours de la poursuite de la guerre. La formulation de cette clause de déni de responsabilité est étonnamment large, et l’on n’y trouve l’expression ni d’une condition ni d’une limitation, sauf dans les premiers mots, en ce qu’ils se réfèrent aux dispositions du traité. … la clause de déni de responsabilité de l’article 14(b) est manifestement assez large pour s’étendre aux demandes des parties plaignantes dans la présente affaire. La Cour … conclut … qu’il était dans l’intention du Traité de paix avec le Japon de faire barrage aux demandes telles que celles faites par les parties plaignantes dans la présente affaire.»
La commission note également que la partie du jugement cité par le gouvernement dans le contexte de ce procès qui a eu lieu aux Etats-Unis omet de mentionner une conclusion de la Cour qui spécifie que le traité, de par ses termes, portait adoption d’un plan de règlement «pour les préjudices économiques [c’est nous qui soulignons] liés à la guerre».
De plus, dans son dernier rapport, le gouvernement indique qu’au cours de la période du 1er janvier 2001 au 30 juin 2002 les instances judiciaires supérieures du Japon ont été saisies de deux affaires relatives aux demandes des victimes de pratiques d’esclavage sexuel imposé par des militaires en temps de guerre et que les cours de district ont été saisies de trois affaires de même nature. Le gouvernement indique que ces instances ont débouté les parties plaignantes de leurs prétentions contre le gouvernement du Japon dans chacun des cas. S’agissant du jugement rendu en avril 1998 par la subdivision de Shimonoseki de la Cour de district de Yamaguchi, le gouvernement déclare que les parties défenderesses et demanderesses ont fait appel devant la Haute Cour d’Hiroshima et que celle-ci a rendu son verdict le 29 mars 2001, verdict qui accepte les arguments du gouvernement et dit pour droit qu’il n’apparaît pas clairement que le gouvernement avait une obligation constitutionnelle d’agir sur le plan législatif et que les modalités du règlement des réparations de guerre devraient être laissées à la discrétion du législatif dans la mesure où cela s’inscrit dans une politique d’ensemble. Le gouvernement indique également que les plaignants se sont pourvus en appel devant la Cour suprême en mars 2002 et que la décision finale est en suspens.
La commission note que les jugements rendus dans cette affaire sont examinés dans le jugement de décembre 2001 du Tribunal international des femmes contre les crimes de guerre dans les termes suivants: «La Haute Cour d’Hiroshima a cassé le jugement du tribunal de Shimonoseki au motif que des particuliers ne peuvent pas ester sur le fondement du droit international. Le présent tribunal est en désaccord avec le jugement rendu par le tribunal d’Hiroshima pour une question de droit international; il a fait observer que, par principe, le droit international n’éteint pas le droit national ou d’autres voies de recours qui seraient plus protecteurs des droits de l’homme.»
La commission a exposé cette question de manière assez détaillée dans le but de rendre compte de sa complexité et de la diversité des avis qui se sont exprimés quant à savoir si les femmes appelées «femmes de réconfort» sont fondées en droit à prétendre à réparation. De l’avis de la commission, cette question reste ouverte. La commission note que le gouvernement a, dans un passé récent, exprimé l’avis que de tels droits sont éteints par des traités; toutefois, les textes cités ci-dessus démontrent qu’un tel avis n’est pas nécessairement partagé par des experts indépendants.
La commission a souligné antérieurement qu’en présence d’une violation de la convention elle n’a pas le pouvoir de prescrire les réparations. Dans son observation de 2000, elle a également accepté que «le gouvernement est fondéà dire que les questions de compensation ont été réglées par voie de traité». Elle s’est toutefois abstenue d’exprimer un avis juridique quant à savoir si ces traités ont ou n’ont pas comme conséquence que les demandes individuelles des «femmes de réconfort» se trouvent juridiquement éteintes. Elle n’a pas mandat pour déterminer l’effet juridique de traités internationaux bilatéraux et multilatéraux. Elle n’est donc pas en mesure de se prononcer sur cette question de droit, qui est du ressort d’autres instances, et elle s’abstient de le faire.
Pour ce qui est du troisième point essentiel soulevé par le gouvernement, ce dernier dit à nouveau dans son rapport que, en reconnaissance du problème des femmes dites «femmes de réconfort» en temps de guerre, il a exprimé ses excuses et ses regrets à de nombreuses reprises. Il déclare qu’il a fait preuve de la plus grande coopération possible avec le Fonds des femmes asiatiques (AWF) constitué, entre autres buts, pour verser aux victimes un don d’«apaisement», en prenant en charge les coûts de fonctionnement du fonds et en faisant envoyer des lettres d’excuses par le Premier ministre. Le gouvernement indique qu’en septembre 2002 l’AWF avait menéà bien son programme de versement des compensations susmentionnées. Il indique que, depuis octobre 2000, tandis qu’il faisait part de son avis à la commission, 114 victimes de plus avaient accepté le don d’«apaisement» et que, au total, l’AWF a versé de tels dons à 285 victimes vivant aux Philippines, en République de Corée et à Taiwan.
La commission prend également note de commentaires des organisations syndicales selon lesquels, en 2002, l’AWF a annoncé la clôture de ses programmes. Dans sa communication du 29 juillet 2002, le Syndicat japonais de la construction navale et des industries mécaniques fait valoir que l’AWF a annoncé le 20 juillet 2002 que 285 victimes encore en vie avaient accepté le don d’«apaisement». Il souligne cependant que ce nombre n’inclut pas les victimes encore en vie en Chine, en République démocratique populaire de Corée ou en Indonésie et que seules certaines des survivantes se trouvant en République de Corée, à Taiwan, aux Philippines et aux Pays-Bas ont accepté le don d’«apaisement».
Dans leur observation, le KCTU et le FKTU disent que la «bienveillance» de l’AWF est contestée par de nombreuses victimes coréennes ayant eu à subir les diverses «approches» de personnes agissant en son nom pour les persuader d’accepter cet «argent de consolation». Les organisations syndicales font valoir que, si l’AWF peut être regardée comme une œuvre de bienfaisance par la population japonaise, les victimes coréennes ne voient pas en lui ni en ses activités une réponse valable du gouvernement à leurs demandes ni une solution à la question des responsabilités légales du gouvernement au regard du droit international. Elles ajoutent que l’AWF est perçu comme un instrument du gouvernement, permettant à celui-ci de faire une contribution financière sans en passer préalablement par une reconnaissance officielle de responsabilité et d’éluder ainsi le processus fondamental d’une enquête officielle.
Dans sa réponse, le gouvernement reprend les déclarations de son rapport, où il dit que l’AWF est à ses yeux «le seul moyen viable de proposer de manière pratique un dédommagement aux "femmes de réconfort", lesquelles sont déjà d’un âge avancé, considérant que, sur le plan légal, la question des demandes a été réglée entre les gouvernements et les peuples des parties aux traités et aux accords». Le gouvernement répond en outre, en partie, qu’un certain nombre de bénéficiaires du programme «ont exprimé leur appréciation d’une manière ou d’une autre» et que lui-même considère que les programmes de l’AWF «ont été mis en œuvre avec méthode et accueillis favorablement par un grand nombre d’anciennes "femmes de réconfort", comme en témoignent les paroles de reconnaissance de celles-ci».
La commission note que, dans son rapport final de 1998, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies, Mme McDougall, dit que la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, conjointement avec d’autres organes de l’ONU, s’est félicitée de la création en 1995 du Fonds des femmes asiatiques (AWF). L’AWF a été créé en juillet 1995 par le gouvernement japonais, conscient de sa responsabilité morale à l’égard des «femmes de réconfort», pour servir de mécanisme de financement pour les travaux des ONG s’occupant des besoins des «femmes de réconfort» et pour collecter des fonds privés qui devaient permettre de faire une donation d’«apaisement» aux «femmes de réconfort» encore en vie. L’AWF n’assume pas, cependant, la responsabilité du gouvernement japonais quant à servir de manière officielle et légale une compensation à des femmes ayant été victimes de la tragédie des «femmes de réconfort», étant donné que la donation d’«apaisement» de l’AWF n’a pas pour but de reconnaître la responsabilité légale de la part du gouvernement japonais pour les crimes qui se sont produits pendant la deuxième guerre mondiale (annexe, paragr. 64).
La commission a noté que les organisations qui attendent d’autres mesures de la part du gouvernement n’ont pas estimé que l’AWF constituait une réponse suffisante, étant donné qu’il n’y a pas eu dédommagement direct à des victimes par le gouvernement ni excuse basée sur une reconnaissance de responsabilité légale à l’égard des victimes. Sur la base de ces dernières considérations et des indications données par le gouvernement et les organisations syndicales, la commission estime, comme elle l’a dit précédemment, que le refus, par la majorité des «femmes de réconfort», des dons venant de l’AWF au motif que ces dons ne sont pas conçus par le gouvernement comme une réparation et que la lettre envoyée par le Premier ministre à celles, peu nombreuses, qui ont accepté l’argent de l’AWF est aussi rejetée par d’autres, qui y voient un déni de responsabilité du gouvernement, permet de penser qu’il n’a pas été répondu aux attentes de la majorité des victimes.
La commission prend également note des recommandations formulées par Mme Coomaraswamy, en tant que Rapporteuse spéciale des Nations Unies, dans l’additif 1 de son rapport de 1996. Mme Coomaraswamy, soulignant qu’elle comptait en particulier sur la coopération du gouvernement japonais, qui avait désormais fait la preuve, dans ses discussions avec elle, de son ouverture et de sa volonté d’agir pour rendre justice aux quelques femmes encore en vie qui avaient été victimes d’un esclavage sexuel imposé par l’Armée impériale japonaise, recommandait notamment que le gouvernement du Japon: a) reconnaisse que le système des «centres de délassement» mis en place par l’Armée impériale japonaise pendant la deuxième guerre mondiale constituait une violation des obligations de l’Etat au regard du droit international et assume la responsabilité légale de cette violation; et b) verse individuellement une réparation à chaque victime de ces faits d’esclavage sexuel imposés par les militaires japonais, conformément aux principes énoncés par le Rapporteur spécial de la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités en ce qui concerne le droit des victimes de violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales à restitution, réparation et réhabilitation.
La commission prend également note des recommandations similaires contenues dans les paragraphes 63 à 67 du rapport final de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies, Mme McDougall, et de celles contenues dans le paragraphe 1 086 du jugement rendu en décembre 2001 par le Tribunal international des femmes contre les crimes de guerre dans l’affaire de l’esclavage sexuel imposé par les militaires japonais.
La commission note que, selon les commentaires du KCTU et du FKTU, le gouvernement, malgré les recommandations réitérées des organes des Nations Unies s’occupant des droits de l’homme et malgré les observations de la présente commission, n’a témoigné d’aucun changement dans son approche. La commission relève également dans les commentaires du Syndicat japonais des travailleurs des chantiers navals et de la construction mécanique que les victimes, en raison de leur âge, ont beaucoup de difficultéà se déplacer au Japon, que ce soit pour comparaître devant un tribunal ou pour négocier avec des fonctionnaires du gouvernement, et que l’on peut craindre que «la plupart d’entre elles ne soient mortes d’ici quelques années, si bien que la possibilité de remédier aux torts causés dans le passé sera perdue à jamais».
La commission rappelle qu’elle n’a pas pour mandat de statuer sur les effets juridique des traités bilatéraux et multilatéraux et n’est donc pas en mesure de se prononcer sur ce point de droit. Elle a déjà indiqué qu’elle était préoccupée par le fait que les victimes de la violation de la convention, commise dans le passé par le gouvernement, vieillissaient sans que celui-ci ait répondu à leurs attentes, en dépit des avis exprimés publiquement sur la question par d’autres organismes et personnes dont la valeur est reconnue. La commission réitère l’espoir que le gouvernement prendra des mesures satisfaisant les réclamations des victimes. La commission prie le gouvernement de continuer à communiquer des informations sur toutes décisions de justice, mesures législatives ou action gouvernementale. La commission de la Conférence pourrait considérer s’il y a lieu de procéder à l’examen de la question sur une base tripartite.
La commission a précédemment examiné la question de l’enrôlement forcé, pendant la guerre, de milliers de personnes originaires d’autres pays asiatiques, dont la Chine et la République de Corée, pour travailler dans des usines, des mines et des chantiers de construction du secteur privé japonais. La commission a pris note d’un rapport préparé en 1946 par le ministère japonais des Affaires étrangères (MOFA), intitulé«Etude sur les travailleurs chinois et les conditions de travail au Japon», qui décrit en détail des conditions de travail extrêmement dures et des traitements brutaux qui se sont traduits par un taux de mortalité de 17,5 pour cent, atteignant même 28,6 pour cent dans certaines activités. Bien qu’on ait promis à ces travailleurs des salaires et des conditions de travail semblables à celles des travailleurs japonais, ils ont été très peu ou pas du tout rétribués. La commission a considéré que l’enrôlement massif de travailleurs dans l’industrie privée du Japon et leur assujettissement à des conditions aussi déplorables constituaient une violation de la convention.
Dans ses deux dernières observations, la commission a noté que de nombreuses plaintes d’anciens prisonniers et d’autres personnes étaient encore en instance devant différentes juridictions et, ayant fait observer que les victimes étaient désormais âgées et que le temps passait vite, elle a exprimé l’espoir que le gouvernement serait en mesure de répondre aux demandes de ces personnes d’une manière satisfaisante.
Dans son dernier rapport, qui est très détaillé, le gouvernement réaffirme qu’en ce qui concerne la question du travail forcé dans l’industrie pendant la guerre il a «honoré ses obligations» aux termes des traités et accords conclus après la guerre avec les gouvernements des puissances alliées et d’autres gouvernements de l’Asie et du Pacifique et que la question a été«réglée sur le plan juridique» par les parties à ces accords.
Comme il l’avait fait précédemment, le gouvernement indique qu’il a établi des relations d’amitié et de coopération avec les gouvernements des pays voisins et fait état en particulier de l’aide au développement économique qu’il a apportéà la République de Corée et à la Chine. Il ajoute qu’il a présentéà plusieurs reprises des excuses officielles pour le «passé», et cite:
- le communiqué conjoint publié en 1972 du gouvernement du Japon et du gouvernement de la Chine, dans lequel le premier se déclare profondément conscient du grave tort qu’il a causé au peuple chinois pendant la guerre et en éprouve des remords;
- la déclaration faite en 1993 par le Secrétaire du chef de Cabinet, Yohei Kohno, à propos des résultats de l’étude sur la question des «femmes de réconfort»: «Il incombe au gouvernement du Japon de réfléchir sérieusement, en restant à l’écoute des milieux avisés, à la meilleure manière d’exprimer ce sentiment [de regret]. Nous regarderons les faits historiques en face plutôt que de chercher à les nier»;
- la déclaration du Premier ministre Tomiichi Murayama sur l’initiative «Paix, Amitié et Echange» en 1994, disant que l’une des façons de manifester des sentiments [de regret] est de regarder le passé en face et de faire en sorte que les générations à venir en soient correctement informées;
- la déclaration du Premier ministre Murayama le 15 août 1995 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre; et
- les lettres envoyées en 2002 par le Premier ministre Junichiro Koizumi aux victimes de l’esclavage sexuel durant la guerre. On peut notamment lire dans ces lettres: «Nous ne devons pas nous soustraire au poids du passé ni fuir nos obligations pour l’avenir. Je pense que notre pays, douloureusement conscient de sa responsabilité morale, éprouve des sentiments de regret et de remords et devrait regarder son passé en face en veillant à ce que les générations futures en soient correctement informées.»
La commission constate que les déclarations et manifestations de regret citées par le gouvernement font à plusieurs reprises référence à l’intention du gouvernement de «regarder en face» son passé et ne pas se soustraire à sa «responsabilité morale».
Dans son observation de 2001, la commission avait noté que l’un des procès en instance avait trouvé un règlement en vertu duquel l’entreprise Kajima avait accepté de créer un fonds de 500 millions de yen (environ 4,5 millions de dollars) pour indemniser les survivants et les membres des familles de travailleurs chinois décédés pendant la guerre dans sa mine de cuivre de Hanaoka. Ce fonds devait être administré par la Croix-Rouge chinoise. La commission avait prié le gouvernement de lui fournir un complément d’information sur cette affaire et ses incidences sur les actions en justice intentées contre d’autres entreprises, dans le même contexte.
La commission prend note de l’indication du gouvernement selon laquelle il n’est pas en mesure de donner à la commission des informations précises sur l’affaire Hanaoka car il s’agit d’un procès de droit civil intenté par des ressortissants chinois contre une entreprise privée et parce que certaines affaires de la même nature sont actuellement en instance devant les tribunaux japonais. Le gouvernement indique que, dans le cadre du règlement susmentionné, l’entreprise défenderesse ne s’est pas vu imposer l’obligation légale de formuler des excuses ou d’accorder une réparation.
La commission prend note des commentaires du Conseil local des syndicats de Tokyo indiquant que l’application de ce règlement est en cours. Kajima a créé le Fonds de réconciliation de Hanaoka, qu’elle a doté d’un demi-million de yen. Le conseil note que, le 26 mars 2001, le comité exécutif du fonds a tenu sa première réunion au siège de la Croix-Rouge chinoise à Beijing, que le 27 septembre 2001 les premiers fonds ont été remis à 21 survivants, et que le 15 décembre 2001 une cérémonie similaire a eu lieu au cours de laquelle des fonds ont été remis à 40 membres de familles endeuillées.
Le Conseil local des syndicats de Tokyo mentionne trois jugements rendus récemment par des tribunaux de district à propos de l’indemnisation des victimes de travail forcé pendant la guerre. Deux jugements mettent en cause le gouvernement: celui qui a été rendu le 12 juillet 2001 par la Cour de district de Tokyo dans l’affaire Liu Lianren et celui qui a été rendu le 23 août 2001 par la Cour de district de Kyoto dans l’affaire Ukishima-Maru. Le troisième a été prononcé contre une entreprise privée, le 26 avril 2002, par la Cour de district de Fukuoka.
Selon le conseil, les jugements prononcés dans les affaires Liu Lianren et Ukishima-Maru peuvent être considérés comme de grandes victoires. Il fait observer que, bien que les tribunaux n’aient pas imputé directement la responsabilité du gouvernement à la politique de celui-ci et à sa pratique de l’enrôlement forcé en temps de guerre, ils ont néanmoins considéré que le gouvernement avait le devoir de venir en aide aux travailleurs chinois qui ont été victimes de cette politique, de les protéger et de faciliter leur rapatriement. En outre, ils ont condamné le gouvernement à verser réparation pour avoir manquéà ses obligations par négligence. Le conseil indique que le gouvernement à fait appel de ces décisions en invoquant la loi sur la prescription et d’autres points de procédure. A ses yeux, le gouvernement essaie de se soustraire à ses obligations en s’abritant derrière toutes sortes d’arguties juridiques. Le conseil ajoute que le gouvernement continue à opposer une fin de non-recevoir à toutes plaintes et revendications liées au travail forcé.
Dans sa réponse, le gouvernement indique que, du 1er janvier 2001 au 30 juin 2002, cinq décisions ont été rendues par des Hautes Cours et deux par des Cours de district dans des affaires relatives à des demandes d’indemnisation du gouvernement pour sa politique de travail forcé dans l’industrie pendant la guerre, et que dans chacune de ces affaires les demandeurs ont été déboutés. Il considère par conséquent que les deux décisions favorables mentionnées dans les commentaires du Conseil local des syndicats de Tokyo «sont tout à fait exceptionnelles» et «ne devraient pas être surestimées». Il précise qu’il n’est pas responsable des actions en réparation et qu’il a fait appel des deux jugements devant la Haute Cour. Le gouvernement indique en outre que les plaintes des ressortissants chinois et coréens ayant été réglées en droit par les traités de paix et les accords bilatéraux conclus après la guerre, auxquels le gouvernement du Japon est partie, les jugements des Cours de district dans les affaires Liu Lianren et Ukishima-Maru se fondent sur une interprétation erronée du règlement obtenu en vertu de ces traités et sont tout à fait inappropriés.
La commission prend note du jugement de la Cour de district de Fukuoka, rendu le 26 avril 2002, dans lequel ce tribunal, tout en rejetant la plainte déposée contre le gouvernement, a condamné la société des mines de Mitsui à verser des dommages-intérêts de 11 millions de yen à chacun des 15 travailleurs chinois pour avoir, en concertation avec le gouvernement, enrôlé de force les demandeurs et les avoir contraints au travail forcé pendant la guerre. Dans ses commentaires, le Syndicat japonais des travailleurs des chantiers navals et de la construction mécanique indique que cette affaire est la première dans laquelle un tribunal a ordonné le versement de dommages-intérêts pour l’exaction de travail forcé et le recrutement forcé pendant la seconde guerre mondiale. Il pense que le tribunal s’est appuyé sur l’article 5 du Communiqué conjoint de 1972 des gouvernements du Japon et de la République populaire de Chine ainsi que sur le Traité de paix et d’amitié entre les deux gouvernements, par lequel la Chine a renoncéà exiger des réparations de guerre. Le tribunal s’est également appuyé sur le fait que, lors de la conclusion du Traité de paix de San Francisco en 1951, le gouvernement chinois a affirmé que les citoyens chinois pouvaient intenter des actions individuellement ainsi que sur une déclaration officielle faite en mars 1995 par Qian Qichen, alors Vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, selon laquelle le gouvernement chinois avait renoncé aux réparations de guerre seulement en tant qu’Etat et non à celles des citoyens chinois à titre individuel. Tenant compte de ces faits, le tribunal a considéré qu’il était impossible d’affirmer que, du point de vue juridique, les revendications des citoyens chinois à titre individuel avaient été définitivement abandonnées et a conclu que la demande d’indemnisation du demandeur n’avait pas été annulée par le Communiqué conjoint et le Traité de paix et d’amitié entre les deux pays.
A propos du jugement de la Cour de district de Fukuoka, le gouvernement fait observer que ce tribunal a rejeté la plainte contre le gouvernement et conclu qu’il n’était pas certain, sur le plan juridique, que les demandes d’indemnisation des citoyens chinois pour torts causés pendant la guerre entre le Japon et la Chine, aient été annulées par le Communiqué conjoint des deux gouvernements. Il ajoute que le tribunal s’est fondé sur des informations triviales et erronées fournies par les demandeurs sans prendre en considération l’avis du gouvernement japonais et du gouvernement de la République populaire de Chine à propos du Communiqué conjoint. Le gouvernement note que la société des mines de Mitsui a fait appel de ce jugement devant la Haute Cour de Fukuoka qui examine actuellement l’affaire. A propos de l’observation du tribunal, selon laquelle, en mars 1995, Qian Qichen, alors Vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, avait publiquement déclaré que le gouvernement avait renoncé aux réparations de guerre au nom de l’Etat mais pas au nom des citoyens chinois à titre individuel, le gouvernement indique que ces propos n’ont été repris que par les médias et n’ont pas été confirmés par le gouvernement de la République populaire de Chine. Le gouvernement cite ensuite trois autres remarques de responsables chinois reprises dans les médias, qui semblent dire le contraire de celle faite en mars 1995 par Qian Qichen.
La commission note la référence faite par le Syndicat japonais des travailleurs des chantiers navals et de la construction mécanique au projet de loi de 2001 sur la justice pour les prisonniers de guerre des Etats-Unis (H.R.1198 -«Projet Rohrabacher»), soumis au 107e Congrès des Etats-Unis, à savoir le 22 mars 2001 à la Chambre et le 29 juin 2001 au Sénat, dont le but est d’ouvrir certaines voies de recours contre des ressortissants japonais devant les tribunaux fédéraux aux membres des forces armées des Etats-Unis ayant été fait prisonniers de guerre par le Japon pendant la seconde guerre mondiale pour obtenir réparation de mauvais traitements ou du non-paiement de salaires de travaux accomplis au Japon au profit de ressortissants japonais. L’article 3(a)(1) stipule que les tribunaux ne doivent pas interpréter l’article 14(b) du Traité de paix comme une annulation par les Etats-Unis des demandes faites par des ressortissants des Etats-Unis contre des ressortissants japonais, annulation qui aurait pour effet de rendre de telles actions en justice impossibles. La commission note que, pour le syndicat, le projet Rohrabacher est l’expression d’un ralliement à l’idée que le Traité de paix de San Francisco ne devrait pas faire obstacle à des actions en justice individuelles recherchant une réparation pour travaux forcés.
Dans sa réponse, le gouvernement déclare que le projet de loi Rohrabacher soulève de graves difficultés parce que, s’il était adopté, il modifierait rétroactivement le Traité de paix. En outre, le gouvernement des Etats-Unis s’est vigoureusement opposéà ce projet de loi qui violerait l’obligation stipulée dans le Traité de paix de San Francisco et altérerait les relations entre le Japon et les Etats-Unis.
Comme pour les victimes de l’esclavage sexuel en temps de guerre, la commission indique qu’elle n’est pas habilitée à statuer sur les effets juridiques des traités bilatéraux et multilatéraux. La commission s’en tient à la même approche, à savoir qu’elle prie le gouvernement de continuer à communiquer des informations sur l’issue des affaires Liu Lianren, Ukishima-Maru et de celles qui sont en instance devant la Cour de district de Fukuoka, de toute autre décision de justice connexe et de toute initiative législative ou gouvernementale. La Commission de la Conférence pourrait considérer s’il y a lieu de procéder à l’examen de la question sur une base tripartite.