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Report in which the committee requests to be kept informed of development - REPORT_NO405, March 2024

CASE_NUMBER 3439 (Republic of Korea) - COMPLAINT_DATE: 19-DEZ-22 - Follow-up

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Allégations: Les organisations plaignantes allèguent que le gouvernement ne reconnaît pas le statut de syndicat de TruckSol, une division sectorielle du KPTU, et a porté atteinte à la liberté syndicale de ses membres en émettant des ordonnances de reprise du travail à l’intention des camionneurs en grève, et en utilisant des véhicules et du personnel militaires pour effectuer des transports de remplacement lors de la grève nationale de TruckSol, du 24 novembre au 8 décembre 2022. Elles dénoncent en outre des actes d’ingérence et de discrimination antisyndicales ainsi que des mesures de rétorsion contre des camionneurs à la suite de la grève

  1. 510. La plainte figure dans une communication du Syndicat coréen des travailleurs du service public et du transport (KPTU), de la Confédération coréenne des syndicats (KCTU), la Fédération internationale des travailleurs des transports (FIT), de l’Internationale des services publics (ISP) et de la Confédération syndicale internationale (CSI) datée du 19 décembre 2022. Dans des communications datées du 3 février et du 5 avril 2023, les organisations plaignantes ont envoyé de nouvelles allégations et des informations complémentaires.
  2. 511. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication datée du 9 janvier 2024.
  3. 512. La République de Corée a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 513. Dans leurs communications, le KPTU, la KCTU, la FIT, l’ISP et la CSI allèguent que la réaction du gouvernement à une grève menée du 24 novembre au 8 décembre 2022 par la Division de soutien aux transporteurs routiers de marchandises du KPTU (KPTU-TruckSol) dans le secteur du transport routier de marchandises a porté atteinte à la liberté syndicale des travailleurs en grève et de leur organisation. Les organisations plaignantes déclarent qu’il s’agissait de la seconde action de grève menée en 2022 par les camionneurs contre le «système de tarification favorisant la sécurité» qui fixe des taux de salaire de base pour les propriétaires exploitants de camions-remorques et de camions-citernes pour le transport de conteneurs et de ciment en vrac. Les camionneurs concernés étaient classés légalement comme «spécialement recrutés» ou «entrepreneurs indépendants». Le système de tarification favorisant la sécurité devait expirer à la fin de 2022 conformément à une clause d’extinction prévue dans la législation. La KPTU-TruckSol a réclamé l’abrogation de la clause d’extinction pour assurer la pérennité du système de tarification favorisant la sécurité et son extension à d’autres secteurs du transport. Les organisations plaignantes précisent que, conformément à l’article 2.13 de la loi relative aux activités de transport par camion (TTBA), le système de tarification favorisant la sécurité visait à prévenir le surmenage, l’excès de vitesse et la surcharge en garantissant le recouvrement des coûts et la rémunération de toutes les heures de travail, et offrait aux camionneurs bénéficiaires une garantie de base contre la hausse des prix des carburants et du coût de la vie. Ce système était conforme aux recommandations en faveur d’une «rémunération durable» énoncées aux paragraphes 76-77 des Principes directeurs sur la promotion du travail décent et de la sécurité routière dans le secteur des transports de l’OIT.
  2. 514. Les organisations plaignantes déclarent que les membres de la KPTU-TruckSol et d’autres camionneurs ont mené une première action de grève du 7 au 14 juin 2022, réclamant le maintien et l’extension du système de tarification favorisant la sécurité. Ce mouvement de grève a été arrêté, et les camionneurs ont repris le travail après que le ministère du Territoire, des Infrastructures et des Transports (MoLIT) et la KPTU-TruckSol sont parvenus à un accord selon lequel le MoLIT s’engageait à «promouvoir le système existant de tarification favorisant la sécurité et à étudier la possibilité d’une extension à d’autres types de transport de marchandises». Toutefois, le gouvernement n’a pas respecté cet engagement, le ministre et le vice-ministre du Territoire, des Infrastructures et des Transports ayant tous deux déclaré immédiatement après l’arrêt du mouvement de grève que la clause d’extinction ne pouvait être abrogée, et le vice-ministre ayant affirmé que le système de tarification favorisant la sécurité n’était pas adapté à une économie de marché. Les organisations plaignantes allèguent en outre que, le 29 septembre 2022, le MoLIT a présenté un rapport à l’Assemblée nationale dans lequel il aboutissait à la conclusion, fondée sur des données inexactes et incomplètes, que le système de tarification favorisant la sécurité n’avait pas eu une incidence manifeste sur la sécurité routière et proposait l’abrogation de l’obligation imposée aux propriétaires de cargaison d’assurer le respect des taux de rémunération garants de la sécurité, l’allègement des sanctions pour violation et d’autres modifications qui contribueraient à affaiblir le rôle des syndicats et à rendre le système de tarification inapplicable. Le 30 septembre, des représentants de la KPTU-TruckSol se sont rendus au MoLIT pour dénoncer ce rapport. Concernant l’extension de la protection, le MoLIT a attendu que le syndicat déclare son intention d’organiser une grève nationale le 14 novembre pour entamer des pourparlers avec la KPTU-TruckSol ou d’autres parties prenantes. Le 15 novembre, des négociations ont eu lieu entre des représentants du MoLIT et le syndicat, au cours desquelles les représentants du gouvernement ont déclaré qu’ils n’accepteraient pas l’extension des taux de rémunération garants de la sécurité, craignant que cela n’entraîne une augmentation des membres du syndicat dans les secteurs nouvellement protégés. Les organisations plaignantes allèguent que, les deux réunions du 30 septembre et du 15 novembre mises à part, le MoLIT a refusé d’engager un dialogue constructif avec le syndicat.
  3. 515. Selon les organisations plaignantes, bien qu’avant la grève les législateurs du Parti démocratique aient proposé des mesures législatives qui auraient assuré la pérennité du système de tarification favorisant la sécurité et son extension aux camionneurs travaillant dans les secteurs de la sidérurgie, des marchandises dangereuses, de l’automobile, de la production de grains et de céréales fourragères, et de la livraison de colis, les 22 et 23 novembre, d’autres projets de loi ont été déposés par le Parti du pouvoir populaire en place qui visaient à réviser à plusieurs égards la législation pour en limiter la protection, notamment en éliminant les obligations imposées aux propriétaires de cargaison et en modifiant le mode de calcul des taux minimums, de manière à renforcer le pouvoir du gouvernement en la matière. Dans ce contexte, la KPTU-TruckSol a exigé à l’occasion de la grève qu’aucune «révision régressive» ne soit apportée au système de tarification favorisant la sécurité, que la clause d’extinction soit abrogée et que le système soit étendu à d’autres secteurs.
  4. 516. Les organisations plaignantes indiquent que le gouvernement a commencé à préparer sa réponse immédiatement après que le syndicat a annoncé son intention de faire grève, en relevant le niveau d’alerte en cas de crise à compter du 15 novembre. Le 23 novembre, le ministre chargé du MoLIT a annoncé l’adoption par le gouvernement d’un plan interministériel prévoyant des mesures telles que l’introduction de moyens de transport de remplacement, l’exemption des péages routiers pour les camionneurs non-participants, la suspension des subventions aux carburants pour les grévistes et la possibilité d’émettre des ordonnances de reprise du travail si la grève se prolongeait. Des représentants du MoLIT ont déclaré la grève illégale, injustifiée et guidée par des intérêts personnels, en la qualifiant de «refus collectif de transport».
  5. 517. Les organisations plaignantes allèguent que, à compter du 24 novembre 2022, premier jour de la grève, le gouvernement a posté des forces de l’ordre sur les lieux de grève disséminés dans le pays et a commencé à utiliser des camions militaires et d’autres véhicules pour effectuer des transports de remplacement. Des fonctionnaires du MoLIT ont rencontré des représentants des propriétaires de cargaison et des sociétés de transport et se sont rendus sur des sites de production et centres logistiques locaux pour suivre la riposte à la grève. Le 27 novembre, le gouvernement a qualifié la grève d’«accident social» en vertu de la loi-cadre sur la gestion des catastrophes et la sécurité, au motif qu’elle pouvait déclencher une «crise dans l’économie nationale», et a convoqué une réunion du centre de gestion des catastrophes et des contremesures de sécurité. Le 28 novembre, des pourparlers ont eu lieu entre le MoLIT et le syndicat, qui n’ont rien donné, et le 29 novembre, après une réunion du Cabinet et avec l’approbation du gouvernement, le MoLIT a émis des ordonnances de reprise du travail à l’intention des entreprises de transports routiers et de 2 500 camionneurs du secteur du ciment. Selon les organisations plaignantes, c’était la première fois que des ordonnances de reprise du travail étaient émises à l’encontre de camionneurs depuis qu’un tel pouvoir avait été accordé au MoLIT grâce à la modification de la TTBA, en 2004. Le 30 novembre, le deuxième cycle de négociations entre le syndicat et le ministère n’a rien donné.
  6. 518. Les organisations plaignantes déclarent que le 29 novembre 2022, la Commission des pratiques commerciales loyales (FTC) a publié un communiqué de presse pour indiquer qu’elle se penchait sur la question de savoir si la KPTU-TruckSol a conclu une entente illicite et/ou a perpétré des actes interdits aux associations professionnelles en vertu de la loi sur la réglementation des monopoles et les pratiques commerciales loyales (FTA) et, le 2 décembre, des représentants de la FTC ont tenté de mener une enquête dans les locaux de la KPTU-TruckSol à Séoul et à Busan. Selon les organisations plaignantes, les représentants de la FTC ont demandé à voir un large éventail de documents non pertinents tels qu’une liste des membres du syndicat. Le 4 décembre, le ministre de l’Économie et des Finances a déclaré que des mesures seraient prises à l’encontre de ceux qui refusaient de retourner au travail, en violation des ordonnances de reprise du travail, et de ceux qui incitaient ou aidaient à perpétrer ces violations. Il a indiqué en outre que la KPTU TruckSol serait tenu pour responsable et a jugé regrettable que le syndicat ait empêché la FTC d’enquêter sur place. Le 5 décembre, la KPTU-TruckSol a présenté un avis écrit à la FTC pour soulever des questions concernant l’objet, la portée et le mode opératoire de l’enquête, et les documents demandés. Le syndicat a indiqué son intention d’examiner la demande officielle d’enquête sur place de la FTC et d’y répondre. Dans leur communication datée du 3 février 2023, les organisations plaignantes déclarent que, comme indiqué dans un communiqué de presse daté du 18 janvier 2023, la FTC a intenté des poursuites au pénal contre la KPTU-TruckSol pour ingérence dans une enquête en empêchant les représentants de la FTC d’entrer dans les locaux du syndicat en violation des articles 124(1) et 13 de la FTA. Les organisations plaignantes indiquent que cette infraction est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de trois ans ou d’une amende pouvant atteindre 200 millions de wons sud-coréens (1 400 000 dollars des États-Unis (dollars É.-U.)).
  7. 519. Les organisations plaignantes allèguent que, le 7 décembre 2022, une plainte a été déposée auprès de la police contre un conducteur de camion-bétonnière qui n’avait pas repris le travail malgré l’émission d’une ordonnance de reprise du travail, et une demande de sanction administrative a été déposée contre lui auprès du gouvernement local compétent. Dans leur communication du 3 février 2023, les organisations plaignantes allèguent en outre que le MoLIT a porté plainte auprès de la police contre plusieurs camionneurs qui ne s’étaient pas conformés aux ordonnances de reprise du travail. La police a saisi le ministère public d’une affaire pour «suffisance de la preuve», tandis que l’enquête était toujours en cours concernant l’autre travailleur. Selon les organisations plaignantes, lorsque les procureurs décident de déposer des accusations, les travailleurs font face à un long procès et, en cas de condamnation, leur licence de transport de marchandises risque d’être annulée si la nature de la peine l’exige. Enfin, les organisations plaignantes allèguent que l’un des camionneurs accusés a reçu un avis de sanction administrative – la suspension de sa licence pour une durée de trente jours – pour non-respect de l’ordonnance de reprise du travail.
  8. 520. Selon les organisations plaignantes, le 2 décembre 2022, la société coréenne responsable de l’aménagement du territoire et du logement (HL) a annoncé qu’elle envisagerait la possibilité d’une poursuite en dommages-intérêts contre la KPTU-TruckSol en cas de dommages. Le 6 décembre, le MoLIT a annoncé qu’il appuierait les entreprises engageant des poursuites en dommages-intérêts contre le syndicat et, le 7 décembre, une réunion du centre de gestion des catastrophes et des contremesures de sécurité a eu lieu pour faire le point sur les dommages causés dans chaque secteur par la grève de la KPTU-TruckSol et pour discuter des contremesures à prendre. Les organisations plaignantes demandent au comité de prier instamment le gouvernement de renoncer à ces demandes de dommages-intérêts qui constituent une entrave à l’exercice légitime du droit de grève.
  9. 521. Le 8 décembre, après une réunion extraordinaire du cabinet, la deuxième série d’ordonnances de reprise du travail a été émise, visant 6 000 et 4 500 camionneurs dans les secteurs de la sidérurgie et de la pétrochimie respectivement. Les organisations plaignantes déclarent que, au vu de toutes les mesures strictes prises par le gouvernement contre les grévistes et le syndicat, le 8 décembre, le comité exécutif central de la KPTU-TruckSol a décidé de procéder à un vote en assemblée générale sur la poursuite ou l’arrêt de la grève. Le lendemain, le 9 décembre, 61,8 pour cent des participants ont voté la fin de la grève nationale et le retour au travail. Les organisations plaignantes font valoir que, compte tenu de la dureté des mesures prises par les autorités, face à la menace de sanctions et de punitions qui pesait sur eux, la plupart des camionneurs ont été forcés de renoncer à leur droit et ont repris le travail. Les organisations plaignantes évoquent également les déclarations menaçantes qu’auraient faites plusieurs hauts fonctionnaires – le Président de la République, le Premier ministre et plusieurs ministres – affirmant que des mesures strictes seraient prises à l’endroit des contrevenants. Elles ajoutent que, si certains ministères ont affirmé que la grève était illégale, le ministère de l’Emploi et du Travail avait annoncé qu’il ne jugeait pas illégale en soi cette action collective, et le ministre de l’Économie et des Finances avait également déclaré que le refus de transport était légal pour l’essentiel.
  10. 522. Les organisations plaignantes indiquent par ailleurs que l’article 14 de la TTBA, le fondement juridique de l’émission d’ordonnances de reprise du travail, autorise une telle mesure s’«il existe des motifs raisonnables de croire qu’un refus collectif de transport injustifié a causé ou pourrait causer une crise grave dans l’économie nationale en perturbant gravement le transport de marchandises». Le non-respect des ordonnances de reprise du travail constitue une infraction criminelle, passible d’une amende pouvant atteindre 30 millions de wons (22 500 dollars É.-U.) ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Les ordonnances de reprise du travail émises prévoyaient également d’éventuelles sanctions administratives telles que la suspension et l’annulation de licences en cas de non-respect. Les organisations plaignantes rejettent la position du gouvernement selon laquelle la grève provoquait une situation d’urgence dans l’économie nationale et indiquent que, dans le secteur pétrochimique, seulement 0,8 pour cent des stations d’essence ont signalé être en rupture de stock après la grève. Elles affirment également que les dispositions énoncées à l’article 14 n’étaient pas pleinement respectées, parce que le gouvernement avait décidé d’émettre les ordonnances avant le début de la grève et que la première série d’ordonnances avait été rendue seulement cinq jours après le début de la grève, ce qui montre qu’un jugement arbitraire avait été fait sur l’éventualité d’une crise très grave causée par la grève au sein de l’économie nationale. Enfin, la situation ne correspond pas à une «crise aiguë» justifiant des restrictions aux actions revendicatives conformément aux normes de l’OIT.
  11. 523. Les organisations plaignantes déclarent en outre que l’article 14 de la TTBA a été introduit par le gouvernement en 2003, en réponse à deux grèves de la KPTU-TruckSol, survenues peu de temps après la constitution du syndicat. Au moment où cet article était examiné à l’Assemblée nationale, des cabinets d’avocats et organisations de la société civile ont soulevé des questions à son sujet et ont noté que, à la différence des fonctionnaires nationaux ou des médecins, pour lesquels des ordonnances de reprise du travail étaient également légales, on ne peut considérer que les camionneurs sont engagés au service de la population dans leurs fonctions. Elles soulignent également que, d’un côté, les camionneurs se sont vus priver du droit de s’organiser et de négocier collectivement en tant qu’entrepreneurs indépendants et, de l’autre, un système juridique a été introduit en vertu duquel le gouvernement peut les forcer à travailler. Les organisations plaignantes font valoir que, dans le cas présent, l’émission des ordonnances de reprise du travail constituant une entrave à l’exercice légitime du droit de grève par un syndicat, ainsi que la tentative d’enquêter sur lui pendant la grève et de le sanctionner pour entente illicite en vertu du droit économique sont autant de violations du principe de la liberté syndicale. Les organisations plaignantes allèguent que les dispositions de la TTBA autorisant le recours à des ordonnances de reprise du travail sont incompatibles avec le principe de la liberté syndicale et l’interdiction du travail forcé. Dans leur communication datée du 3 février 2023, les organisations plaignantes indiquent que, le 19 décembre 2022, M. Choi, un conducteur de camion-bétonnière de la région de Busan, a présenté au tribunal administratif de Séoul une requête en contestation de la constitutionnalité des articles 14(1) et 4 de la TTBA.
  12. 524. Les organisations plaignantes évoquent également la déclaration du ministre de l’Économie et des Finances, le 8 décembre 2022, indiquant que cette action était non pas une grève, mais un «refus de transport» et que la reprise immédiate du travail était la priorité. En outre, selon les organisations plaignantes, lors d’une conférence de presse organisée le 2 décembre 2022, le président de la FTC a indiqué que les membres de la KPTU-TruckSol étaient des propriétaires d’entreprises. Enfin, les organisations plaignantes mentionnent les dépliants distribués par le gouvernement en réaction à l’intervention de l’OIT concernant la grève de novembre-décembre 2022, dans lesquels il était indiqué qu’aucun principe de l’OIT n’avait été violé, la KPTU-TruckSol pouvant difficilement être considérée en droit comme un syndicat sans avoir obtenu de certificat de constitution de syndicat ni s’être conformé aux procédures requises en droit du travail. Les organisations plaignantes affirment à cet égard que, le gouvernement et les employeurs ayant refusé de reconnaître le statut de syndicat de la KPTU-TruckSol, la KPTU TruckSol ne peut se conformer aux procédures énoncées dans la loi sur les syndicats et l’harmonisation des relations de travail (TULRAA). Elles allèguent néanmoins que l’action de grève de la KPTU-TruckSol, qui concernait les intérêts professionnels et économiques des travailleurs et visait à trouver une solution à des questions de politique économique et sociale et à des problèmes touchant directement les travailleurs, était conforme aux normes internationales du travail.
  13. 525. S’agissant du refus de reconnaître le statut de syndicat de la KPTU-TruckSol en vertu de la TULRAA aux motifs que ses membres sont propriétaires d’entreprise et que la KPTU-TruckSol n’a pas reçu de certificat de constitution de syndicat, les organisations plaignantes affirment que: a) la KPTU-TruckSol est une division sectorielle du KPTU, qui est un syndicat industriel en possession d’un certificat de constitution de syndicat et que la KPTU-TruckSol n’est donc pas tenue de demander un certificat de constitution distinct, au nom du principe selon lequel les syndicats sont libres de définir leur structure et leur organisation. En outre, les activités syndicales légitimes ne devraient pas dépendre de l’enregistrement; b) les membres de la KPTU-TruckSol qui, en tant que camionneurs propriétaires, sont dépendants économiquement de ceux pour lesquels ils travaillent dans le secteur du transport routier de marchandises, peuvent être reconnus comme travailleurs à la lumière des dernières décisions de la Cour suprême de la République de Corée selon lesquelles la définition d’un travailleur aux termes de la TULRAA devrait être fondée sur le fait que la nature exacte de la relation professionnelle dans le cadre de laquelle le travail est fourni nécessite ou non la protection des droits fondamentaux au travail.
  14. 526. Concernant la structure du secteur du transport routier de marchandises et la situation des camionneurs au sein de cette structure, les organisations plaignantes allèguent que le système de tarification favorisant la sécurité a été créé pour améliorer les conditions de travail des camionneurs qui doivent gagner leur vie en fournissant des services de transport mal rémunérés dans le contexte de la structure d’exploitation du marché du transport de marchandises dans laquelle les propriétaires de cargaison – de grands conglomérats appelés chaebols pour la plupart – font baisser les tarifs de transport à des niveaux exagérément bas; les sociétés de transport et les transitaires imposent des frais excessifs aux chauffeurs, et tous les frais encourus en cours de transport sont à la charge des camionneurs qui sont au bas de l’échelle. Les organisations plaignantes déclarent que, depuis sa constitution en 2002, la KPTU TruckSol a fait de gros efforts pour améliorer la structure inéquitable du marché du transport de marchandises grâce à l’introduction du système de tarification favorisant la sécurité.
  15. 527. Les organisations plaignantes allèguent en outre que, pendant la grève et par la suite, certaines sociétés de transport ont pris des mesures de rétorsion et ont perpétré des actes d’ingérence et de discrimination antisyndicales contre la KPTU-TruckSol et ceux de ses membres qui ont participé à la grève: a) le 2 décembre, alors que la grève était en cours, des membres de la section de Cheonan ont reçu un texto de leurs sociétés de transport leur demandant de «dire rapidement s’ils comptaient reprendre le travail» et ont été avisés d’une «suspension de travail de sept jours» en cas de non-réponse à ce message; b) le 9 décembre, des chauffeurs de camion-citerne membres des sections de Cheonan et de Daesan de la KPTU-TruckSol ont été avisés par leurs sociétés de transport qu’ils pouvaient reprendre le travail sous réserve de confirmer par écrit qu’ils se désaffiliaient du syndicat. Les sociétés de transport ont indiqué aux travailleurs de présenter dès que possible le document confirmant qu’ils avaient quitté le syndicat, pour qu’elles puissent prévenir les sociétés donneuses d’ordres (soit les propriétaires de cargaison) et leur redonner du travail; c) les informations diffusées par les médias ont confirmé que, le 11 décembre, certaines sociétés de transport ont indiqué aux travailleurs ayant participé à la grève qu’ils seraient autorisés à reprendre le travail à condition de quitter le syndicat ou de démissionner dans le cas de dirigeants syndicaux. Les entreprises ont également prévenu les travailleurs qu’ils n’auraient pas de travail pendant un certain temps ou qu’ils encouraient d’autres mesures de rétorsion pour avoir pris part à la grève; d) un dirigeant de la section de Daesan de la KPTU-TruckSol a reçu un avis indiquant que «d’autres membres du syndicat seront autorisés à reprendre le travail sous réserve de la démission des dirigeants syndicaux». Un autre membre du syndicat a indiqué que sa société de transport enjoignait aux dirigeants syndicaux de «quitter la société et de laisser la société s’occuper de votre camion». À propos de ce dernier incident, les organisations plaignantes citent les propos du directeur de la division régionale d’Incheon de la KPTU-TruckSol selon lesquels la FTC a établi une directive en 2019 visant à protéger les travailleurs spécialement recrutés, directive qui a manifestement été violée dans certains cas.
  16. 528. Concernant le devenir du système de tarification favorisant la sécurité au lendemain de la grève, dans leur communication datée du 5 avril 2023, les organisations plaignantes mentionnent une proposition du gouvernement visant à remplacer le système de tarification favorisant la sécurité par un «système de tarifs minimums» qui reviendrait supposément à abroger les obligations imposées aux propriétaires de cargaison et à éliminer les dispositions prévoyant des sanctions, rendant ainsi la loi inapplicable dans la pratique. Selon les organisations plaignantes, cette proposition revenait également à retirer le pouvoir d’établir des modèles de coûts et de fixer des niveaux de revenu équitables à la commission tripartite chargée des taux de rémunération garants de la sécurité pour le confier au gouvernement. Qui plus est, elle donnait au gouvernement le pouvoir de limiter les taux de salaire et d’empêcher la publication des taux de salaire standard. Autrement dit, la proposition du gouvernement revenait dans les faits à abolir le système de tarification favorisant la sécurité. Le projet de loi n’a été débattu qu’au sein du parti au pouvoir et reflétait uniquement la position du gouvernement. Les organisations plaignantes affirment qu’aucune communication ni consultation réelle n’ont eu lieu avec la KPTU-TruckSol. Selon les organisations plaignantes, les réunions que le gouvernement prétend avoir eues avec le syndicat, notamment avec la commission chargée des taux de rémunération garants de la sécurité, la création d’un «Conseil de développement de l’industrie de la logistique» avec le syndicat et l’audience publique organisée le 18 janvier 2023 par le Conseil de l’industrie de la logistique n’étaient que de simples formalités et non des occasions de dialogue constructif. En effet, lors de ces réunions, le gouvernement a fait semblant d’écouter les positions des groupes de parties prenantes sur plusieurs questions de réglementation du transport routier de marchandises, notamment sur le système de tarification favorisant la sécurité. Toutefois, selon les organisations plaignantes, le gouvernement n’a pas tenté de prendre en compte la position de la KPTU-TruckSol ou des associations représentant les sociétés de transport concernant le maintien du système de tarification favorisant la sécurité, et a plutôt fait valoir sa propre proposition à l’issue de ces réunions.
  17. 529. Dans leur communication datée du 5 avril 2023, les organisations plaignantes ont également réagi aux déclarations du gouvernement selon lesquelles, lors de la grève de juin 2022, la KPTU-TruckSol a commis des actions illégales – perturbations des transports, agressions violentes et menaces notamment – et que, lors de la grève de novembre 2022, ses membres ont commis des actes de violence, détruit des infrastructures et proféré des menaces à l’encontre de membres non grévistes de la KPTU-TruckSol et de camionneurs non affiliés au syndicat. Les organisations plaignantes confirment que de regrettables cas de violation de la loi se sont produits lors de la grève, mais affirment qu’il s’agissait d’actes isolés commis par un très petit nombre de camionneurs et que, contrairement aux allégations du gouvernement, la KPTU-TruckSol n’a jamais préconisé le recours délibéré à la violence ni à l’intimidation dans les actions de grève.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 530. Dans sa communication du 9 janvier 2024, le gouvernement indique que les allégations des organisations plaignantes de violation des conventions nos 87 et 98 ne sont pas fondées, que le refus collectif de transport de la KPTU-TruckSol en novembre 2022 a eu de graves conséquences sociales et économiques et que, contrairement aux allégations des organisations plaignantes, le gouvernement a respecté les normes de l’OIT en s’employant à résoudre cette crise aiguë.
  2. 531. Le gouvernement présente sa version des faits concernant le contexte, la réponse à la grève de novembre-décembre 2022 – qui est désignée comme étant le «refus collectif de transport» – et ses retombées. Le gouvernement précise que, en vertu du système de tarification favorisant la sécurité, le fret dû par l’expéditeur à l’opérateur de transport ou au camionneur propriétaire exploitant n’est pas inférieur aux tarifs de transport routier de marchandises garant de la sécurité. De plus, le fret routier que l’opérateur de transport doit payer au camionneur propriétaire exploitant est calculé à un taux garant de la sécurité. Le gouvernement indique que la TTBA institue une commission de l’application de taux de fret routier favorisant la sécurité (CSFRT) en vue de déterminer et d’ajuster des coûts du transport par camion favorisant la sécurité ainsi que leur champ d’application. Les 13 membres de la commission représentent les camionneurs propriétaires exploitants, les opérateurs de transport, les expéditeurs et l’intérêt public. La CSFRT examine les questions suivantes: 1) les frais fixes, dont les frais de personnel et la dotation aux amortissements; 2) les charges variables, y compris les frais de carburant et le coût des pièces de rechange; 3) d’autres questions prescrites par décret présidentiel telles que les pénalités de retard et le niveau des services offerts par les fournisseurs de services de transport.
  3. 532. Concernant le «refus collectif de transport de marchandises» du 7 au 14 juin 2022, le gouvernement indique qu’il a entraîné une baisse du trafic de conteneurs de 32,4 pour cent par rapport aux niveaux habituels, d’où un préjudice équivalant à 1,24 milliard de dollars É.-U. Selon le gouvernement, la KPTU-TruckSol s’est livrée à cette occasion à des activités illégales – perturbations des transports, agressions violentes et menaces à l’encontre de membres ne participant pas à l’action collective et de camionneurs non affiliés au syndicat. Lors de cette action collective, le gouvernement a organisé cinq réunions avec la KPTU-TruckSol et, en réponse à la proposition du gouvernement de «poursuivre les discussions» concernant le maintien du système et son extension à d’autres types de transport de marchandises, les membres de l’organisation ont repris les services de transport le 14 juin. Le gouvernement affirme n’avoir abouti alors à aucun accord avec la KPTU-TruckSol, car le maintien du système de tarification favorisant la sécurité nécessitait l’adoption à l’Assemblée nationale d’un amendement législatif à la TTBA et ne dépendait donc pas de la volonté du gouvernement. Le gouvernement indique que, après ces événements, il a poursuivi le dialogue avec les parties prenantes, y compris les membres de la CSFRT et du «Conseil du secteur du transport de marchandises». Selon le gouvernement, entre le premier refus collectif de transport, en juin 2022, et le second, en novembre 2022, le gouvernement a eu au total cinq réunions avec la KPTU-TruckSol.
  4. 533. Le gouvernement indique que, seulement cinq mois plus tard, la KPTU-TruckSol a entamé un second «refus collectif de transport» d’une durée indéfinie à l’échelle du pays, malgré les tentatives de dialogue du gouvernement. Ce second «refus» a eu de graves retombées sociales et économiques sur le transport routier, du fait de la situation géographique de la République de Corée ainsi que de sa dépendance prédominante, pour les importations et les exportations, des ports et du transport intérieur de marchandises. En outre, le refus collectif a été marqué par des actes de violence, de vandalisme et d’intimidation envers les non-participants, qui ont entraîné des arrêts de travail chez ces derniers, aggravant encore la situation du transport des marchandises. Le gouvernement confirme par ailleurs la version des faits des organisations plaignantes concernant la déclaration de l’état d’urgence, les deux réunions infructueuses entre le gouvernement et la KPTU-Truck-Sol, l’émission d’ordonnances de reprise du travail et l’arrêt de l’action collective par le syndicat le 9 décembre 2022.
  5. 534. Le gouvernement indique qu’il reconnaît les syndicats en tant que principaux partenaires stratégiques et qu’il appuie diverses politiques prônant le respect de la valeur du travail. Il mentionne la ratification des conventions nos 87 et 98, le 20 avril 2021 et l’adoption de plusieurs amendements à la législation nationale en prévision de ces ratifications. Il évoque également sa promotion de la réforme du travail pour la création d’un marché du travail durable qui applique des normes mondiales telles que les normes de l’OIT et les meilleures pratiques en usage dans les grands pays, ainsi que les mesures de lutte contre les écarts salariaux injustes et le dualisme du marché du travail. Le gouvernement mentionne également l’accord signé en février 2023 entre les principaux entrepreneurs et sous-traitants du secteur de la construction navale, et les efforts déployés sans relâche pour étendre cette initiative à d’autres secteurs d’activité.
  6. 535. Concernant le statut de la KPTU-TruckSol, le gouvernement affirme que la TULRAA protège les droits en matière de liberté syndicale et de négociation collective des camionneurs du transport routier de marchandises. Il indique que les titulaires d’un type d’emploi spécial – qui sont classés comme travailleurs en vertu de la TULRAA, comme les livreurs, chauffeurs/conducteurs désignés, livreurs de colis, cyclistes professionnels, chauffeurs routiers (distincts des membres de la KPTU-TruckSol), tuteurs de soutien scolaire, professionnels de l’assurance-vie et coachs professionnels – ont constitué divers syndicats et participent à des activités syndicales en toute légalité. Néanmoins, le gouvernement distingue des catégories précitées la plupart des camionneurs propriétaires exploitants qui sont membres de la KPTU-TruckSol étant donné qu’ils possèdent leurs propres véhicules, qu’ils sont enregistrés en tant qu’entreprises individuelles et en possession d’une licence établie à leur nom propre leur permettant d’exploiter leur propre entreprise de transport de marchandises. En conséquence, selon le gouvernement, la KPTU-TruckSol est une association professionnelle composée d’entreprises individuelles, et le refus collectif de transport de la KPTU-TruckSol constitue non pas une grève protégée en vertu de la Constitution de Corée ou des normes internationales du travail, mais un refus de transaction déloyal de la part d’une «association d’intérêts».
  7. 536. Par ailleurs, le gouvernement indique que la KPTU-TruckSol n’a pas les mêmes activités que les syndicats relevant de la TULRAA, en s’abstenant de déclarer sa constitution et de se conformer aux procédures minimums requises dans la TULRAA pour la négociation collective et les actions collectives. En conséquence, le gouvernement conclut que ces activités ne sont pas protégées par le droit à l’action collective et à la négociation collective en vertu de la TULRAA. Le gouvernement affirme à cet égard que le système d’enregistrement des syndicats de la République de Corée (le système de déclaration d’enregistrement de syndicat) n’est pas une forme d’homologation, les autorités administratives n’ayant pas de pouvoir discrétionnaire et devant accepter la demande et émettre le certificat de constitution du syndicat si la demande satisfait aux exigences requises. Le gouvernement souligne que l’enregistrement officiel est la première condition à remplir pour qu’un syndicat bénéficie de la protection de la TULRAA, et que la KPTU-TruckSol s’est pourtant abstenue ces dernières années d’exercer son droit de reconnaissance par un enregistrement officiel.
  8. 537. Concernant l’objectif du «refus collectif de transport» dans le présent cas, le gouvernement indique que le maintien et l’extension du système de tarification favorisant la sécurité réclamés par la KPTU-TruckSol suscitent des inquiétudes au sujet des retombées sociales négatives à prévoir, étant donné que ce système ne permet pas de faire un calcul objectif des taux de fret. Le gouvernement précise à cet égard que: i) les processus d’établissement des coûts manquent d’objectivité en ce sens que les enquêtes effectuées concernant 17 éléments sur 25 n’étaient pas fondées sur des données objectives; ii) le revenu des camionneurs propriétaires exploitants a été déterminé dans le cadre de négociations entre les membres de la CSFRT, dont la structure favorise les opérateurs de transport et les camionneurs propriétaires exploitants bénéficiant d’un revenu garanti et dont les intérêts se complètent, au détriment des expéditeurs qui paient le fret; iii) tous les opérateurs de transport – pas les camionneurs propriétaires exploitants – étaient assurés d’un profit (à environ 12 pour cent), ce qui était contraire au principe des marchés concurrentiels, entraînait une hausse des coûts logistiques et était une charge pour les entreprises et le public.
  9. 538. Concernant les retombées sociales et économiques du «refus collectif de transport» de la KPTU-TruckSol, le gouvernement indique que, étant un pays insulaire, la République de Corée est tributaire du transport aérien et maritime pour ses importations et exportations de tous les biens essentiels dont dépendent la vie et la sécurité de la population coréenne – aliments, fournitures médicales et hydrocarbures, notamment. Le refus collectif de transport de novembre 2022 a entraîné une baisse du volume de conteneurs chargés ou déchargés dans les ports coréens, qui est passé à 60 pour cent du volume habituel. En République de Corée, la part du transport routier de marchandises est très élevée (92,9 pour cent en 2021). De ce fait, toute interruption prolongée du transport routier de marchandises a d’importantes retombées négatives sur la vie, la santé et la sécurité personnelle de la population dans tout le pays. Le gouvernement indique, par exemple, que selon certains professionnels de la santé le refus collectif de transport peut entraîner une pénurie de médicaments importés. Le gouvernement ajoute que le refus collectif de transport de novembre 2022 a bloqué l’expédition de produits industriels essentiels tels que le ciment, l’acier et les produits pétrochimiques. Les expéditions de ciment ont chuté de 95 pour cent, et 55 pour cent de tous les chantiers de construction du pays ont été touchés, ce qui a soulevé de graves préoccupations concernant les emplois et les moyens de subsistance des travailleurs journaliers présents sur ces chantiers. Par ailleurs, la construction de 71,3 pour cent des logements sociaux destinés aux groupes à faible revenu a été interrompue, retardant jusqu’à cinq mois les dates d’emménagement. Le gouvernement ajoute que, dans les industries sidérurgique et pétrochimique, le transport de marchandises a chuté de 50 et 70-80 pour cent respectivement. Les capacités de stockage ont diminué dans les usines et, si le refus collectif de transport s’était poursuivi plus longtemps, les usines pétrochimiques auraient dû fermer pendant au moins quinze jours. Le refus collectif de transport a également touché les raffineries de pétrole. Selon le gouvernement, si les produits pétroliers n’étaient pas livrés à temps, les moyens d’existence et la santé de la population coréenne pendant la saison hivernale s’en trouveraient affectés, avec des conséquences particulièrement graves pour les groupes les plus vulnérables de la population. Selon les estimations des secteurs touchés, les perturbations du transport de marchandises résultant du refus collectif de transport pendant seize jours a causé un préjudice d’une valeur totale de 3,4 milliards de dollars É.-U., dont 1,3 milliard de dollars É.-U. dans le secteur sidérurgique et 1,1 milliard de dollars É.-U. dans le secteur pétrochimique.
  10. 539. Le gouvernement indique également que le refus de transport a été qualifié de «désastre social» en vertu de la loi-cadre sur la gestion des catastrophes et la sécurité, parce qu’il a effectivement paralysé les infrastructures de base du pays. Le refus de transport a eu des répercussions négatives sur les grandes plateformes logistiques, notamment dans les secteurs de la sidérurgie et du raffinage, ainsi que dans les principaux ports. Les chantiers de construction ainsi que d’autres secteurs, dont la sidérurgie, n’ont pas tardé à en subir les conséquences. Le MoLIT, agissant comme institution chargée de superviser la gestion des catastrophes dans les cas d’accidents de transport routier de marchandises, a décrété que le niveau d’alerte maximal était atteint dans cette crise et, le 28 novembre, a décrété l’état d’urgence, qui nécessitait l’intervention du Centre de gestion des catastrophes et des contremesures de sécurité chargé de gérer la crise.
  11. 540. Le gouvernement affirme en outre que l’émission d’ordonnances de reprise du travail et l’utilisation de services de transport de remplacement en réponse au «refus collectif de transport» de la KPTU-TruckSol étaient conformes aux dispositions des conventions nos 87 et 98 de l’OIT et au principe de la liberté syndicale. Le gouvernement indique à cet égard que le droit de grève n’est pas inaliénable et que le Comité de la liberté syndicale a estimé que le recours à des ordonnances de reprise du travail et à des services de remplacement était justifié dans certaines conditions, en particulier lorsque la grève a lieu dans un secteur de services essentiels, au sens strict du terme, ou qu’elle peut provoquer une crise nationale aiguë. Le gouvernement déclare que, bien que les services de transport de marchandises ne soient pas considérés comme des services essentiels par le Comité de la liberté syndicale et que, dans cet esprit, ils ne figurent pas dans la liste des services essentiels en vertu de la TULRAA, les circonstances particulières du présent cas exigeaient l’émission d’ordonnances de reprise du travail et l’utilisation de services de remplacement pour assurer un service minimal. À cet égard, le gouvernement souligne qu’il s’agissait de la seconde grève de camionneurs en six mois à l’échelle nationale et rappelle les points soulevés concernant la dépendance du pays des transports routiers intérieurs et les répercussions de la grève sur l’économie et la société dans son ensemble. Le gouvernement ajoute que, après le déclenchement de l’état d’urgence, il n’a eu d’autre choix que d’émettre des ordonnances de reprise du travail à l’intention d’un nombre limité de sociétés de transport et de camionneurs dans le secteur du ciment le 28 novembre et à l’intention d’un nombre limité de camionneurs dans les secteurs de la sidérurgie et de la pétrochimie le 8 décembre. Selon le gouvernement, le refus de transport répété et prolongé de la KPTU-TruckSol, combiné aux actes de violence perpétrés par des membres de la KPTU-TruckSol contre des camionneurs non participants, a provoqué une crise nationale aiguë qui exigeait l’intervention du gouvernement en vue d’assurer un service minimum.
  12. 541. Concernant le champ d’application des ordonnances de reprise du travail émises, le gouvernement indique que, sur un total de 445 000 camionneurs, le gouvernement a limité les travailleurs visés par les ordonnances de reprise du travail aux 12 500 chauffeurs des secteurs du ciment, de la sidérurgie et de la pétrochimie. Dans la pratique, les ordonnances ont été émises conformément à des procédures strictes et limitées aux cas suivants: i) un site de camionnage a fait l’objet d’une enquête sur place par un fonctionnaire; ii) une demande de transport a été rejetée. En conséquence, le nombre de camionneurs qui ont effectivement reçu une ordonnance de reprise du travail a été strictement limité à 932 individus, représentant seulement 4,2 pour cent des 22 000 camionneurs affiliés à la KPTU-TruckSol (soit 0,02 pour cent du total de 445 000 camionneurs). Cela confirme que le gouvernement a limité strictement les ordonnances de reprise du travail émises dans le seul but d’assurer un service minimum.
  13. 542. Le gouvernement précise également que l’émission d’ordonnances de reprise du travail était conforme aux dispositions de la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930, ainsi qu’aux lois et procédures nationales.
  14. 543. Concernant l’utilisation de services de transport de remplacement, le gouvernement indique qu’il a jugé nécessaire de déployer un nombre limité de véhicules d’organismes publics pour atténuer les perturbations causées par des actes d’intimidation et de violence perpétrés par des participants au refus collectif de transport et les barrages qu’ils ont érigés pour empêcher les camionneurs non participants d’accéder aux principales plateformes logistiques. Le gouvernement a fourni 69 camions porte-conteneurs (et 150 chauffeurs) gérés par le ministère de la Défense (MOD), 24 véhicules (et 50 chauffeurs) appartenant au MOD; 18 camions (et 45 chauffeurs) gérés par l’Office régional de la construction et de la gestion relevant du MoLIT, 4 camions (et 10 chauffeurs) de la Société des autoroutes de la République de Corée. Ces véhicules ont été déployés dans les principales plateformes logistiques pour le transport des marchandises de première nécessité importées ou exportées, assurant au total 2 678 expéditions. Le gouvernement précise que le volume des expéditions assurées était bien inférieur à la normale et conclut que l’utilisation de services de remplacement dans le présent cas était conforme aux normes de l’OIT et à la pratique du Comité de la liberté syndicale.
  15. 544. S’agissant de l’enquête de la FTC auprès de la KPTU-TruckSol au sujet des allégations d’entente illicite et/ou d’actes interdits aux associations professionnelles, le gouvernement fournit des précisions concernant le champ d’application et le contenu de la loi sur la Réglementation des monopoles et les pratiques commerciales loyales (FTA) et indique que l’enquête est une mesure légitime d’application de la loi dans ce contexte. La FTA vise à promouvoir une concurrence libre et loyale en réglementant les ententes illicites et les pratiques commerciales déloyales. La FTA s’applique aux actes commis par des «entreprises» et des «associations professionnelles» et peut s’appliquer à des entités qui sont également considérées comme des syndicats ou des travailleurs en vertu de la TULRAA. Le gouvernement explique que, en déterminant si une personne peut être considérée comme une entreprise ou une association commerciale, la FTC se demande si elle peut offrir des services ou des produits en échange d’une rémunération, indépendamment du type d’entreprise ou de la structure d’organisation. Le gouvernement cite les cas du Syndicat coréen des travailleurs de la construction (KCWU) et de la Fédération coréenne des syndicats des travailleurs portuaires et des travailleurs des transports (KFPTWU), deux syndicats légalement constitués en vertu de la TULRAA, qui ont été sanctionnés pour violations de la FTA. Le gouvernement ajoute que la Cour suprême de la République de Corée a jugé que la FTA pouvait s’appliquer à des syndicats. Plus précisément, dans une décision datée du 13 juillet 2023, la Cour suprême a qualifié d’«entreprise» le Syndicat des travailleurs portuaires et des travailleurs des transports d’Ulsan qui entravait le chargement et le déchargement de cargaisons par un syndicat concurrent. Aux termes de cette décision, un syndicat qui a obtenu une licence d’agence de placement a à la fois le statut de syndicat et celui d’entreprise, et il est donc justifié d’appliquer la FTA à ce syndicat.
  16. 545. Concernant le motif de l’enquête menée par la FTC sur la KPTU-TruckSol, le gouvernement indique que la plupart des membres de cette organisation sont enregistrés comme entreprises individuelles fournissant des services de transport de marchandises soit directement, soit en consignation. La KPTU-TruckSol est donc considérée comme une association syndicale constituée en vue de promouvoir les intérêts communs de ces entreprises de camionnage. L’enquête concernait des allégations de violation de l’article 51 de la FTA, notamment en obligeant des membres associés à refuser de fournir des services de transport et en entravant les activités de transport d’entreprises non affiliées à la KPTU-TruckSol par le recours à la violence ou l’occupation de centres de distribution. Le gouvernement affirme que l’enquête ne concernait pas le refus de transport en tant que tel.
  17. 546. Le gouvernement indique en outre que, conformément à l’article 81 de la FTA, les enquêtes menées par la FTC sont purement administratives et ne requièrent pas de mandat judiciaire ni la présence de forces de l’ordre. Conformément à ce même article, la FTC a demandé à voir la documentation minimum nécessaire aux fins de son enquête, ainsi qu’une liste des entreprises affiliées à la KPTU-TruckSol, demande légitime pour les besoins d’une enquête sur d’éventuels actes interdits commis par l’association syndicale. Les forces de l’ordre n’ont pas été mobilisées, et des locaux du syndicat n’ont pas été soumis à une fouille illégale. Le gouvernement ajoute que la KPTU-TruckSol a refusé de coopérer en bloquant délibérément l’accès des locaux aux fonctionnaires de la FTC et en refusant du même coup de participer à une enquête légale et pacifique de la FTC sans donner de raisons valables pour justifier son refus de coopérer. Comme la FTA contient des dispositions prévoyant des sanctions pour ingérence dans une enquête (article 124), la FTC a porté plainte pour entrave au déroulement d’une enquête et, le 9 août 2023, le ministère public a inculpé la KPTU-TruckSol pour violation de la FTA. Le gouvernement confirme les indications des organisations plaignantes concernant la sanction qui serait imposée à la KPTU-TruckSol si sa culpabilité était reconnue.
  18. 547. Concernant la présence des forces de l’ordre sur les lieux de la grève, le gouvernement indique qu’il fallait maintenir l’ordre public et évoque les actes illégaux commis lors du refus collectif de transport de novembre 2022, qui ont donné lieu à 781 incidents signalés au numéro d’urgence 112. Le gouvernement indique que des délits d’entrave à l’activité économique et à l’administration publique ont été commis et que les dirigeants de la KPTU-TruckSol ont tiré des billes d’acier sur certains véhicules transportant des marchandises, endommageant les véhicules et blessant les chauffeurs. Le gouvernement affirme que ces incidents n’étaient pas des actes isolés commis par certains camionneurs et qu’ils constituaient une menace grave à l’ordre public et à la sécurité. Par conséquent, on ne peut en déduire que la présence des forces de l’ordre portait atteinte aux libertés civiles des grévistes ou à leur droit de grève. Le gouvernement mentionne en outre certaines sanctions pénales prises contre des dirigeants et des membres de la KPTU-TruckSol qui avaient commis des actes de violence et d’intimidation et proféré des menaces contre d’autres conducteurs: le 26 novembre 2022, trois dirigeants de la KPTU-TruckSol ont tiré des balles en acier contre 2 véhicules transportant des marchandises dans le nouveau port de Busan, endommageant les véhicules et blessant les chauffeurs. L’un d’entre eux a été condamné à deux ans d’emprisonnement, et les deux autres à dix-huit mois. En mars 2023, le tribunal de première instance a condamné à huit mois de prison et deux années de probation un camionneur membre de la KPTU-TruckSol qui avait répandu sur la route plus de 700 pointes en acier d’une longueur de 9 centimètres, endommageant les pneus de 6 véhicules. Par ailleurs, entre le 30 novembre et le 1er décembre, un camionneur propriétaire exploitant qui avait envoyé des textos à des opérateurs de transport les menaçant de «représailles après la grève» a été mis en détention. Le gouvernement indique que, selon l’Agence de police nationale, 66 individus faisaient l’objet d’une enquête pour des allégations de violence, d’intimidation et de dégâts matériels liées aux deux refus collectifs de transport de la KPTU-TruckSol en juin et novembre de 2022. Enfin, le gouvernement indique que seuls les camionneurs ayant commis des actes illégaux risquent des sanctions pénales.
  19. 548. Concernant la demande des organisations plaignantes selon laquelle le gouvernement devrait être prié instamment de renoncer à des demandes de dommages-intérêts constituant une entrave à l’exercice légitime du droit de grève, le gouvernement indique que, à son avis, rien dans les conventions de l’OIT ni dans la pratique du Comité de la liberté syndicale n’oblige les membres de l’Organisation à interdire tous les recours civils, en particulier lorsque les entreprises subissent les conséquences d’un bris de contrat dû à un refus de transport illégal et prolongé.
  20. 549. Concernant les allégations d’actes d’ingérence et de discrimination antisyndicales, le gouvernement indique que, en vertu de la FTA, la FTC interdit l’abus de position commerciale dominante et, en particulier, réglemente les pratiques commerciales déloyales de la part des entreprises à l’endroit des fournisseurs de main-d’œuvre au moyen de directives pour l’examen des cas d’abus de position dominante pour les fournisseurs de main-d’œuvre. Selon le gouvernement, ces directives stipulent que les entreprises qui exploitent leur position commerciale pour résilier abusivement un contrat, ce qui équivaut à un refus de transaction, violent la FTA. Le gouvernement ajoute cependant qu’aucune violation de ce type n’a été signalée à la FTC.
  21. 550. Concernant le devenir du système de tarification favorisant la sécurité, le gouvernement rejette l’allégation des organisations plaignantes selon laquelle sa proposition de le remplacer par un «système de tarification de fret normalisée» équivaut à abolir le système existant de tarification favorisant la sécurité et indique que la solution de remplacement proposée maintient la structure de tarification existante, tout en garantissant le paiement de taux de fret par les opérateurs de transport aux camionneurs propriétaires exploitants. En vertu de ce système, les parties responsables du paiement des frais de transport aux camionneurs propriétaires exploitants sont non pas les expéditeurs, mais les opérateurs de transport. Les taux sont déterminés par la CSFRT, et le gouvernement annonce publiquement ces taux. Le gouvernement affirme que la solution de remplacement proposée vise à remédier aux limites du système de tarification favorisant la sécurité en utilisant des données objectives, et non plus des données recueillies au moyen de questionnaires, pour calculer les coûts. Par ailleurs, la structure de la CSFRT sera modifiée: le nombre de membres représentant en toute neutralité l’intérêt public sera augmenté, et le nombre de membres représentant les opérateurs de transport et les camionneurs-propriétaires sera ajusté au nombre de membres représentant les expéditeurs. Le système de tarification de fret normalisée fournit des lignes directrices aux expéditeurs et aux opérateurs de transport, mais garantit aussi la liberté contractuelle ainsi qu’un certain taux de fret pour les camionneurs-propriétaires. Le gouvernement indique que, après la présentation à l’Assemblée nationale de la proposition d’amendement de la TTBA, le 9 février 2023, le gouvernement est resté en communication avec l’Assemblée nationale et diverses parties prenantes, dont la KPTU-TruckSol. Selon le gouvernement, le 31 octobre 2023, la KPTU-TruckSol a réclamé un examen accéléré de la proposition d’amendement du gouvernement et, le 3 novembre 2023, a réitéré sa demande auprès de l’opposition. Le gouvernement considère que cette démarche révèle un revirement de la part de la KPTU TruckSol et prie le comité de tenir pleinement compte des efforts qu’il a déployés pour régler ces questions par la communication et la prise en compte de l’évolution de la situation. Enfin, le gouvernement indique que son projet de loi est toujours en instance à l’Assemblée nationale et que, pour remédier à ce retard pris dans le processus législatif, le MoLIT est en train de rédiger une série de «directives normalisées de tarification de fret». En outre, pour protéger les camionneurs propriétaires exploitants contre les traitements injustes de la part des sociétés de transport, le MoLIT compte faire état dans le décret d’application de la TTBA des pratiques déloyales telles que les exigences financières déraisonnables de la part des sociétés de transport et introduire des sanctions pour ces violations.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 551. Le comité note que ce cas concerne le refus du gouvernement de reconnaître le statut de syndicat de la KPTU-TruckSol et les mesures qu’il a prises en réponse à l’arrêt de travail déclenché par cette organisation entre le 24 novembre et le 9 décembre 2022.
  2. 552. Le comité note que les organisations plaignantes évoquent diverses déclarations officielles du gouvernement, en indiquant que les membres de la KPTU-TruckSol sont non pas de simples travailleurs, mais des propriétaires d’entreprises et que l’action collective organisée par la KPTU TruckSol était non pas une grève, mais un «refus collectif de transport». Le comité note que la réponse du gouvernement confirme le refus allégué de reconnaître le statut de la KPTU-TruckSol en tant que syndicat, considérant qu’il affirme que cette organisation est une association commerciale composée d’entreprises et que le refus collectif de transport de la KPTU-TruckSol est non pas une grève protégée en vertu de la Constitution coréenne et des normes internationales du travail, mais un «refus de transaction déloyal» de la part d’une association d’intérêts. Le comité note que, pour étayer sa position, le gouvernement indique également que la KPTU-TruckSol n’a pas demandé ces dernières années de certificat de constitution de syndicat et n’a pas suivi la procédure énoncée dans la TULRAA pour déclencher un mouvement de grève. Le comité note la réponse des organisations plaignantes à ces affirmations, selon laquelle la KPTU-TruckSol se définit comme une division sectorielle du KPTU et ne juge pas nécessaire à ce titre de présenter une demande séparée de certificat de constitution de syndicat; et que les membres de cette organisation sont économiquement dépendants de ceux pour lesquels ils travaillent dans le secteur du transport routier de marchandises, soit les propriétaires de cargaison et les sociétés de transport, et devraient donc être reconnus comme travailleurs en vertu de la TULRAA.
  3. 553. Le comité rappelle que la question du refus du gouvernement coréen et des employeurs de reconnaître les camionneurs propriétaires, en particulier les propriétaires de camions-bétonnières ou de camions-bennes, comme des travailleurs et de l’instruction donnée par le gouvernement aux syndicats d’exclure ces personnes en tant que membres a été soulevée en 2009 dans le cas no 2602. [Voir 355e rapport, paragr. 636, et 359e rapport, paragr. 348-349.] À l’époque, le comité avait prié le gouvernement «de prendre les mesures nécessaires pour garantir que tous les travailleurs, y compris les “travailleurs indépendants”, comme les conducteurs de véhicules de transport de charges lourdes, peuvent jouir pleinement des droits de liberté syndicale dans les organisations de leur choix en vue de promouvoir et de défendre leurs intérêts, notamment le droit de s’affilier à la fédération ou la confédération de leur choix, sous réserve des statuts de l’organisation intéressée et sans autorisation préalable» et «d’organiser des consultations avec l’ensemble des parties concernées afin de trouver une solution qui satisfasse les deux parties de manière à ce que, d’une part, les travailleurs indépendants puissent jouir pleinement de leurs droits syndicaux conformément aux conventions nos 87 et 98 pour promouvoir et défendre leurs intérêts, y compris par le biais de la négociation collective». [Voir 359e rapport, paragr. 370 b) et d).]
  4. 554. Le comité rappelle en outre que, dans le cas no 3237 (2018), certaines allégations concernaient une grève nationale organisée par la KPTU-TruckSol et que les organisations plaignantes avaient expliqué à titre d’information que «la plupart des conducteurs de camions de la République de Corée travaillent dans le cadre d’une forme d’emploi déguisée. Les conducteurs achètent leur propre camion, mais ont en réalité une relation contractuelle d’extrême dépendance à l’égard des sociétés de transport et de leurs clients (propriétaires des marchandises), qui font appel à ces sociétés. Ils sont considérés comme “spécialement recrutés” et, à ce titre, ne sont pas reconnus comme des travailleurs bénéficiant des droits à la liberté syndicale, à la négociation collective et aux actions collectives, droits garantis par la Constitution». [Voir 386e rapport, paragr. 172.] À l’époque, le gouvernement avait répondu que «la TULRAA s’applique seulement aux salariés. Ceux exerçant leur activité dans le cadre de régimes d’emploi spéciaux, y compris les conducteurs propriétaires de véhicules de transport de charges lourdes (ceux dont les camions sont enregistrés sous le nom d’une compagnie de transport, mais appartiennent à leurs conducteurs), qui présentent à la fois les caractéristiques des travailleurs indépendants et celles des salariés, peuvent difficilement être tous considérés comme des salariés. Les tribunaux définissent leur statut au cas par cas. Alors que ces régimes d’emploi concernent de plus en plus de personnes, celles-ci font face à de mauvaises conditions de travail et bénéficient d’une faible protection juridique de leurs droits fondamentaux au travail. Pour remédier à cette situation, le gouvernement «a fait de la garantie des droits fondamentaux au travail pour les personnes exerçant leur activité dans le cadre de régimes d’emploi spéciaux une des priorités de sa politique et prévoit d’élaborer et de mettre en œuvre des mesures spécifiques de protection, après la tenue de larges débats avec les partenaires tripartites et des experts». [Voir 386e rapport, paragr. 190.] Le comité avait noté avec intérêt la priorité accordée par le gouvernement à cette question et avait prié ce dernier de le tenir informé des mesures adoptées à cet égard. [Voir 386e rapport, paragr. 209.]
  5. 555. Le comité note que toutes les questions soulevées dans le présent cas découlent du refus persistant de reconnaître comme syndicats des organisations de camionneurs propriétaires «spécialement recrutés» ou «indépendants». Par conséquent, il réitère sa recommandation précédente et prie instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que ces travailleurs puissent exercer pleinement leurs droits syndicaux.
  6. 556. Concernant la qualification et la légitimité de l’action collective de la KPTU-TruckSol, le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle l’organisation n’a pas suivi les procédures minimales énoncées dans la TULRAA pour la négociation collective et les actions collectives, et la réponse des organisations plaignantes selon laquelle, au vu du refus du gouvernement de reconnaître la KPTU-TruckSol en tant que syndicat, elles ne pouvaient se conformer à ces procédures. Le comité note ces indications, mais rappelle également qu’il a précédemment observé dans un cas concernant la République de Corée que les objectifs légitimes de la grève sont interprétés de façon restrictive et portent exclusivement sur un différend entre les travailleurs et les employeurs. [Voir 404e rapport, paragr. 69 f) et 76.] Le comité note à cet égard que l’action collective dans le présent cas concerne la position des camionneurs sur l’expiration imminente du système de tarification favorisant la sécurité, réclamant le maintien et l’extension de la protection des salaires et des conditions de vie que ce système leur garantissait. En soi, l’action collective ne s’inscrivait pas dans un processus de négociation collective au sens strict du terme, mais visait à appuyer la position des travailleurs concernant une politique et une législation sociales et économiques majeures. En conséquence, le comité observe que, dans ces circonstances, la KPTU-TruckSol ne pouvait pas organiser une grève concernant cette question en pleine conformité avec la législation en vigueur en République de Corée. Néanmoins, considérant que «le droit de grève ne devrait pas être restreint aux seuls différends de travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière, les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large leur mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres» [voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 766]; le comité estime que la KPTU-TruckSol devrait pouvoir exercer pleinement ses droits syndicaux, notamment le droit de mener une action collective légitime pour défendre les intérêts de ses membres.
  7. 557. Concernant la réponse du gouvernement à l’action collective organisée par la KPTU-TruckSol, le comité note que les organisations plaignantes allèguent que l’émission d’ordonnances de reprise du travail et l’utilisation de services de transport de remplacement portaient atteinte au droit de grève des camionneurs, tandis que le gouvernement répond que les mesures qu’il a prises étaient justifiées, étant donné que le refus de transport répété et prolongé de la KPTU-TruckSol, associé à des actes de violence perpétrés par des membres de la KPTU-TruckSol contre des camionneurs non participants, a provoqué une crise nationale aiguë qui exigeait l’intervention du gouvernement en vue d’assurer un service minimum. Le comité rappelle à cet égard qu’«il est légitime qu’un service minimum puisse être demandé en cas de grève dont l’étendue et la durée pourraient provoquer une situation de crise nationale aiguë mais, dans ce dernier cas, les organisations syndicales devraient pouvoir participer à sa définition tout comme les employeurs et les autorités publiques». [Voir Compilation, paragr. 871.] En conséquence, le comité estime que des efforts auraient dû être déployés pour déterminer de concert avec les syndicats concernés les services minimums nécessaires avant d’émettre des ordonnances de reprise du travail limitées.
  8. 558. Le comité note que, dans sa description des conséquences de l’action collective menée en novembre–décembre 2022, le gouvernement indique que, comme la part du transport routier de marchandises est très élevée (92,2 pour cent en 2021), toute interruption prolongée du transport routier de marchandises a d’importantes retombées négatives sur la vie, la santé et la sécurité personnelle de la population dans l’ensemble du pays. Le gouvernement évoque en outre les conséquences de l’action collective sur le secteur de la construction, qui auraient obligé des demandeurs d’un logement social à retarder la date de leur emménagement et auraient compromis les moyens de subsistance des travailleurs journaliers dans ce secteur, ses retombées éventuelles sur l’approvisionnement en médicaments importés, et son impact sur l’approvisionnement en produits pétroliers et ses conséquences possibles concernant les moyens d’existence et la santé de la population pendant la saison hivernale. Le gouvernement insiste également sur le préjudice économique causé aux secteurs de la construction, de la sidérurgie et de la pétrochimie.
  9. 559. Concernant l’émission d’«ordonnances de reprise du travail», le comité rappelle que, «lorsque, dans un secteur important de l’économie, un arrêt total et prolongé du travail peut provoquer une situation telle que la vie, la santé ou la sécurité de la population peuvent être mises en danger, il semble légitime qu’un ordre de reprise du travail soit applicable à une catégorie de personnel déterminée en cas de grève dont l’étendue et la durée pourraient provoquer une telle situation. Par contre, exiger la reprise du travail en dehors de tels cas est contraire aux principes de la liberté syndicale.» [Voir Compilation, paragr. 920.] Le comité note que, dans le présent cas, la première série d’ordonnances émises le 29 novembre visait des camionneurs transportant du ciment. Notant les indications du gouvernement sur les conséquences du «refus collectif de transport» pour le secteur de la construction, le comité ne considère pas que l’arrêt de travail des transporteurs de ciment relève de cette catégorie. En outre, le comité note que ces ordonnances visaient 2 500 camionneurs, nombre qui correspond, selon les informations fournies par les organisations plaignantes le 3 février 2023, au nombre total de membres de la KPTU-TruckSol qui transportent du ciment. En conséquence, le comité note que l’émission de ces ordonnances de reprise du travail équivaut en réalité à une interdiction de la grève de la KPTU-TruckSol dans le secteur du ciment.
  10. 560. Le comité note que la seconde série d’ordonnances de reprise du travail a été émise le 8 décembre et visait des camionneurs dans les secteurs de la sidérurgie et de la pétrochimie. Là encore, le comité observe que le gouvernement ne précise pas en quoi l’arrêt de travail des camionneurs dans le secteur de la sidérurgique aurait mis en danger la vie, la santé ou la sécurité de la population. Concernant le secteur de la pétrochimie, le gouvernement indique que, si les produits pétroliers n’étaient pas livrés à temps, les moyens d’existence et la santé de la population coréenne pendant la saison hivernale s’en trouveraient affectées, avec des conséquences particulièrement graves pour les groupes les plus vulnérables de la population. Pourtant le gouvernement n’aborde pas la question de l’ampleur et la durée de cette grève particulière. Compte tenu de ce qui précède, et notant que les contrevenants encouraient jusqu’à trois ans d’emprisonnement ou une amende pouvant atteindre 30 millions de wons (22 500 dollars É. U.), le comité considère que l’émission d’ordonnances de reprise du travail, les 24 novembre et 8 décembre 2022, portaient atteinte à la liberté syndicale des travailleurs en grève concernés ainsi qu’aux droits syndicaux de la KPTU-TruckSol. Compte tenu de ce qui précède, le comité prie le gouvernement de s’abstenir d’imposer des sanctions pénales à l’encontre des participants à la grève pour le simple non-respect des ordonnances de reprise du travail.
  11. 561. Le comité note l’allégation des organisations plaignantes concernant la poursuite intentée contre la KPTU-TruckSol en vertu de la FTA pour non-coopération à l’enquête de la FTC et la réponse du gouvernement à ce sujet. Il note que, s’il est condamné, le syndicat encourt une amende pouvant atteindre 1 400 000 dollars É.-U. Le comité note que l’enquête concernait des allégations d’entente illicite et/ou d’actes interdits aux associations professionnelles et que les fonctionnaires de la FTC avaient demandé, entre autres choses, à voir la liste des membres du syndicat. Le comité rappelle à cet égard qu’il a considéré par le passé que «la confidentialité de l’affiliation syndicale devrait être assurée. Un code de conduite devrait être mis en place à l’usage des organisations syndicales, code qui régulerait les conditions dans lesquelles les renseignements concernant les affiliés pourraient être donnés, en utilisant des techniques de traitement des données personnelles adéquates et propres à garantir une confidentialité absolue». [Voir Compilation, paragr. 272.] Par conséquent, le comité prie le gouvernement de garantir la confidentialité absolue des renseignements concernant les affiliés de cette organisation.
  12. 562. S’agissant de la question de la FTA de façon plus générale, le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle, dans certaines circonstances, les syndicats qui sont également des entreprises et des associations professionnelles peuvent être soumis aux dispositions de la FTA, et leur conduite peut être examinée en tant qu’«entente illicite» ou «actes interdits aux associations professionnelles» Le comité note que, selon le gouvernement, la KPTU-TruckSol est régie par la FTA en tant qu’«association professionnelle», parce que ses membres sont des «entreprises individuelles». Le comité constate que cette question est à nouveau liée à la non-reconnaissance des membres du syndicat en tant que «travailleurs». Le comité note par ailleurs l’indication du gouvernement selon laquelle dans le présent cas, l’enquête concernait des allégations de violation de l’article 51 de la FTA, notamment en obligeant des membres associés à refuser de fournir des services de transport et en entravant les activités de transport d’entreprises non affiliées à la KPTU-TruckSol par le recours à la violence ou l’occupation de centres de distribution. Le gouvernement affirme que l’enquête ne concernait pas le refus de transport en tant que tel. Le comité note également les indications du gouvernement concernant la conduite violente et illégale de certains grévistes et les sanctions pénales qui leur ont été imposées.
  13. 563. Le comité rappelle que le seul fait de participer à un piquet de grève et d’inciter fermement, mais pacifiquement, les autres salariés à ne pas rejoindre leur poste de travail ne peut être considéré comme une action illégitime. Il en va toutefois autrement lorsque le piquet de grève s’accompagne de violences ou d’entraves à la liberté du travail par contrainte exercée sur les non-grévistes, actes qui, dans beaucoup de pays, sont punis par la loi pénale. [Voir Compilation, paragr. 939.] Il prend note de la confirmation des organisations plaignantes selon laquelle, dans le présent cas, des incidents regrettables de violation de la loi se sont produits lors de la grève. Le comité constate également que les allégations des organisations plaignantes ne concernent pas les sanctions imposées pour une telle conduite criminelle et que les organisations plaignantes affirment qu’il s’agissait d’actes isolés commis par un très petit nombre de camionneurs, et que la KPTU-TruckSol n’a jamais préconisé le recours délibéré à la violence ni à l’intimidation dans les actions de grève. Compte tenu de ce qui précède et considérant que des sanctions pénales ont été imposées comme il se doit aux auteurs d’actes criminels perpétrés pendant la grève, le comité note avec préoccupation la poursuite pénale intentée contre le syndicat, à l’issue de laquelle il pourrait être condamné à une lourde amende, simplement pour avoir refusé de coopérer à une enquête pour «entente illicite» et de remettre la liste de ses membres. Le comité rappelle à cet égard que «[l]es condamnations dont feraient l’objet, sur la base du droit pénal ordinaire, certains syndicalistes ne devraient pas conduire les autorités à adopter une attitude négative à l’égard de l’organisation même dont ces personnes font, avec d’autres, partie» [voir Compilation, paragr. 159] et prie le gouvernement de veiller à ce que toute sanction imposée à la KPTU-Trucksol pour des actes commis par certains de ses membres ne soit pas incompatible avec la liberté syndicale.
  14. 564. Le comité note les dénonciations faites par les organisations plaignantes des mesures de rétorsion prises par certaines sociétés de transport à l’encontre de grévistes et les actes d’ingérence et de discrimination antisyndicales dans ce contexte. Le comité note que le gouvernement qualifie ces actes de violations possibles de la FTA, mais indique que la FTC n’a pas reçu de plaintes dénonçant de tels actes. Le comité note que, du point de vue du gouvernement, la non-reconnaissance du statut de syndicat de la KPTU-TruckSol semble exclure l’application des règles concernant l’interdiction d’actes d’ingérence et de discrimination antisyndicales aux mesures de rétorsion à l’encontre de membres de la KPTU-TruckSol. Le comité rappelle que les actes de discrimination antisyndicale peuvent revêtir différentes formes. Ils ne se limitent pas au licenciement, à la réduction des effectifs ou à la cessation de service mais englobent également toute mesure de représailles, telles que la suspension, prise contre un travailleur exerçant des activités syndicales. [Voir Compilation, paragr. 1088.] En outre, il n’est pas compatible avec la reconnaissance effective du droit de négociation collective qu’un gouvernement permette que la renonciation à l’affiliation syndicale soit une condition de maintien d’emploi. Par conséquent, le comité prie le gouvernement de veiller à ce que de tels actes fassent l’objet d’une sanction adéquate pour éviter qu’ils ne se reproduisent.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 565. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que tous les travailleurs, y compris les «travailleurs indépendants», comme les conducteurs de véhicules de transport de charges lourdes, peuvent jouir pleinement des principes de la liberté syndicale et de la négociation collective dans les organisations de leur choix en vue de promouvoir et de défendre leurs intérêts et de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
    • b) Le comité prie le gouvernement de s’abstenir d’imposer des sanctions pénales à l’encontre des participants à la grève de la Division de soutien aux transporteurs routiers de marchandises du KPTU (KPTU-TruckSol) de novembre–décembre 2022 pour le simple non-respect des ordonnances de reprise du travail.
    • c) Le comité prie le gouvernement de garantir la confidentialité absolue des renseignements concernant les affiliés de la KPTU-TruckSol.
    • d) Le comité prie le gouvernement de veiller à ce que toute sanction imposée à la KPTU TruckSol pour des actes commis par certains de ses membres ne soit pas incompatible avec la liberté syndicale.
    • e) Le comité prie le gouvernement de veiller à ce que toutes les mesures de rétorsion et tous les actes d’ingérence ou de discrimination antisyndicales à l’encontre de membres de la KPTU-TruckSol en raison de leur participation à la grève de novembre–décembre 2022 fassent l’objet de sanctions adéquates pour éviter qu’ils ne se reproduisent.
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