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Definitive Report - REPORT_NO403, June 2023

CASE_NUMBER 3428 (Cameroon) - COMPLAINT_DATE: 23-MAI-22 - Closed

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Allégations: L’organisation plaignante allègue l’interdiction d’une manifestation publique en raison du contexte sanitaire lié à la pandémie de COVID-19, ainsi que le déploiement inapproprié de forces de police sur les lieux du rassemblement prévu à cette occasion

  1. 160. La plainte figure dans une communication datée du 23 mai 2022, soumise par la Centrale syndicale du secteur public (CSP), au nom de la plateforme d’action syndicale Cameroun Workers Forum (CAWOF).
  2. 161. Le gouvernement a transmis ses observations dans une communication en date du 22 juin 2022.
  3. 162. Le Cameroun a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 163. Dans sa communication en date du 23 mai 2022, l’organisation plaignante indique qu’en février 2022 le mouvement syndical camerounais s’est doté d’une plateforme d’unité d’action syndicale dénommée Cameroun Workers Forum (CAWOF), constituée de huit confédérations sur les douze que compte aujourd’hui le Cameroun, à savoir: la CSP, également point focal et coordonnatrice; la Confédération syndicale des travailleurs du Cameroun (CSTC); la Confédération des syndicats autonomes du Cameroun (CSAC); l’Union des syndicats libres du Cameroun (USLC); la Confédération Entente nationale des travailleurs du Cameroun (ENTENTE); la Confédération camerounaise du travail (CTT); la Confédération des travailleurs unis du Cameroun (CTUC); et la Confederation of Cameroon Workers Trade Unions (CCWTU).
  2. 164. L’organisation plaignante allègue que le 1er mai 2022 le CAWOF a eu à affronter des forces de police déployées pour empêcher l’organisation d’un rassemblement à l’occasion de la célébration de la fête du travail au siège de la CSP, bien que l’activité ait été déclarée dans les délais prescrits, conformément à l’article 3 de la loi no 90/55 du 19/12/1990 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques. La CSP allègue que le siège de l’organisation était cerné depuis six heures du matin par une cinquantaine de policiers lourdement armés, empêchant son président d’accéder à son bureau et interdisant aux militants de s’approcher du siège de l’organisation. La CSP dénonce également une «chasse à l’homme» des journalistes et photographes venus couvrir l’événement.
  3. 165. L’organisation plaignante indique que, en réponse à cette provocation, les militants des confédérations membres du CAWOF venus en masse pour l’occasion ont décidé d’«opposer à l’illégalité administrative, la légalité républicaine» à travers une mobilisation ponctuée par des chants et autres actions de résistance, ce qui a fini par faire plier les policiers qui ont levé le siège aux environs de midi. Ce n’est qu’après leur départ que les différentes manifestations prévues ont finalement pu avoir lieu.
  4. 166. L’organisation plaignante allègue que les autorités ont brandi le prétexte des restrictions sanitaires liées à la pandémie de COVID-19 pour empêcher l’organisation de la manifestation. Selon la CSP, il s’agit d’un argument fallacieux dans la mesure où de grands rassemblements ont régulièrement été autorisés à la même époque, à commencer par la Coupe d’Afrique des Nations de football en janvier 2022, la fête de la jeunesse célébrée le 11 février 2022 sur l’ensemble du territoire national, la Journée internationale de la femme également célébrée le 8 mars 2022 sur l’ensemble du territoire sans aucune restriction, ou encore la fête nationale du 20 mai 2022 célébrée en présence du Chef de l’État ainsi que dans toutes les régions administratives du pays.
  5. 167. L’organisation plaignante estime que la dangerosité du COVID-19 n’est apparemment manifeste qu’à l’égard des travailleurs et des organisations syndicales du Cameroun au point de n’être convoquée que lors de la célébration du 1er mai 2022, dans le but d’empêcher toute dénonciation des abus d’autorité et autres violations des droits que subissent les travailleurs du pays.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 168. Dans sa communication en date du 22 juin 2022, le gouvernement indique que, dans le cadre des préparatifs de la célébration de la 136e édition de la Journée internationale du travail le 1er mai 2022, des concertations tripartites préalables se sont déroulées sous la conduite du ministre du Travail et de la Sécurité sociale, à l’issue desquelles il a été arrêté que la marche des travailleurs ne pourrait pas avoir lieu en raison du contexte sanitaire lié à la pandémie de COVID-19.
  2. 169. Le gouvernement fait savoir que le format définitif des célébrations de la journée du 1er mai 2022 a été porté à la connaissance des acteurs du monde du travail, avec à la clef un certain nombre d’activités parmi lesquelles: l’installation des Comités d’hygiène et de sécurité au travail; l’animation d’un webinaire sur la santé au travail avec la participation des partenaires sociaux; un Live chat tripartite en présence du ministre du Travail et de la Sécurité sociale; la visite par le ministre des sièges des organisations syndicales installées à Yaoundé, ainsi que l’organisation d’un dîner-débat avec les responsables des organisations syndicales sur le thème retenu pour cette journée internationale, à savoir: «Monde du Travail: lutte contre le COVID-19, protection des emplois et productivité».
  3. 170. Le gouvernement indique que c’est dans ce contexte que la CSP, agissant au nom du CAWOF, a introduit auprès de l’autorité administrative compétente une déclaration de manifestation publique pour le 1er mai 2022, dans laquelle il était précisé qu’elle se déroulerait dans la cour du siège de la CSP. Or, selon le gouvernement, il est apparu lors de l’examen de cette demande que la CSP, sans tenir compte des conclusions des concertations tripartites préalables, projetait plutôt d’organiser des manifestations sur la principale voie de circulation de l’arrondissement concerné et non dans la cour du siège de la CSP comme indiqué dans sa correspondance adressée à l’autorité administrative. Fort de ce constat, cette dernière lui a fait part de son impossibilité de lui délivrer un récépissé de déclaration pour le 1er mai 2022.
  4. 171. Le gouvernement fait observer que les organisateurs ont délibérément décidé d’occuper la voie publique. Ainsi, dans le souci de préserver l’ordre public, l’autorité administrative compétente a pris des dispositions pour, d’une part, garantir le bon déroulement de la circulation routière sur cette artère importante de la ville et, d’autre part, assurer l’encadrement sans incident de ce rassemblement sur la voie publique.
  5. 172. Le gouvernement fait également observer que, «en dépit de cette situation passagère», les activités retenues pour le 1er mai 2022 se sont normalement déroulées conformément au format retenu. C’est ainsi que le ministre du Travail et de la Sécurité sociale s’est rendu aux sièges des confédérations syndicales dont celui de la CSP où il a été chaleureusement accueilli par les responsables des organisations syndicales et les travailleurs réunis pour cette célébration. Selon le gouvernement, aucun siège d’une organisation syndicale n’a été bloqué le 1er mai 2022; aucun affrontement avec les forces de police n’a été relevé et aucune interpellation n’a été ordonnée. Le gouvernement fait enfin observer qu’aucune action judiciaire n’a été entamée par les responsables desdites organisations, à l’effet de contester la mesure administrative prise en l’espèce. Le gouvernement considère que les faits présentés par la CSP sont biaisés et qu’il s’agit d’allégations fantaisistes.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 173. Le comité observe que le présent cas porte sur des allégations relatives à l’interdiction d’une manifestation publique à l’occasion de la fête du 1er mai 2022, en raison du contexte sanitaire lié à la pandémie de COVID-19, ainsi qu’au déploiement inapproprié de forces de police sur les lieux du rassemblement convoqué ce jour-là par la CSP.
  2. 174. Le comité note que, selon la CSP, des forces de police ont été déployées le 1er mai 2022 pour empêcher l’organisation d’un rassemblement à l’occasion de la célébration de la fête du travail au siège de la CSP, alors que l’activité avait été déclarée dans les délais prescrits, conformément à la législation en vigueur. Le comité observe que la CSP allègue à cet égard que le siège de l’organisation était encerclé depuis les premières heures de la matinée par une cinquantaine de policiers lourdement armés, empêchant son président d’accéder à son bureau et interdisant aux militants de s’approcher du siège de l’organisation. Le comité note que l’organisation plaignante dénonce également une «chasse à l’homme» des journalistes et photographes venus couvrir l’événement.
  3. 175. Le comité note que le gouvernement de son côté récuse l’ensemble des allégations présentées, qu’il qualifie de «fantaisistes» indiquant que: i) les organisations syndicales étaient dûment informées du format retenu pour la célébration de la journée du 1er mai 2022 en raison de la crise sanitaire et que des concertations tripartites préalables s’étaient déroulées sous la conduite du ministre du Travail et de la Sécurité sociale à cet effet; ii) dans ce contexte, la CSP a introduit auprès de l’autorité administrative compétente une déclaration de manifestation publique pour le 1er mai 2022, dans laquelle il était précisé qu’elle se déroulerait dans la cour du siège de la CSP. Or, il est apparu lors de l’examen de cette demande que la CSP, sans tenir compte des conclusions des concertations tripartites préalables, projetait plutôt d’organiser des manifestations sur la principale voie de circulation de l’arrondissement concerné et non dans la cour du siège de la CSP comme indiqué dans sa correspondance adressée à l’autorité administrative, si bien que cette dernière lui a fait part de son impossibilité de lui délivrer un récépissé de déclaration pour le 1er mai 2022; iii) les organisateurs ayant délibérément décidé d’occuper la voie publique, des forces de police ont été déployées pour garantir le bon déroulement de la circulation sur l’axe routier en question et préserver l’ordre public; iv) les activités retenues pour le 1er mai 2022 se sont ensuite normalement déroulées conformément au format retenu. Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale s’est ainsi rendu aux sièges des confédérations syndicales dont celui de la CSP où il a été chaleureusement accueilli par les responsables des organisations syndicales et les travailleurs réunis pour cette célébration; v) aucun siège d’organisation syndicale n’a été bloqué le 1er mai 2022 au Cameroun, aucun affrontement avec les forces de police n’a été relevé, aucune interpellation n’a été ordonnée, et aucune action judiciaire n’a été entamée par les responsables des organisations concernées, à l’effet de contester la mesure administrative prise en l’espèce.
  4. 176. Le comité prend note des informations fournies par le gouvernement concernant le refus de l’autorité compétente d’autoriser le rassemblement des militants du CAWOF à l’initiative de la CSP, en raison du contexte sanitaire et des mesures prises à cet égard. Le comité observe que, selon le gouvernement, les organisations syndicales auraient consenti au format exceptionnel envisagé pour la célébration de la journée du 1er mai 2022, alors que les informations fournies par le plaignant, comme l’objet de la plainte elle-même, donnent à penser qu’à tout le moins il y a eu un malentendu entre les parties quant à ce qui a été convenu. Le comité observe en effet, d’après les pièces portées à sa connaissance que: i) la demande de la CSP adressée à l’autorité compétente au nom du CAWOF précise que la manifestation publique aurait lieu au siège de l’organisation; ii) l’autorité compétente a répondu en indiquant ne pas être en mesure de délivrer le récépissé de la déclaration de manifestation, car les festivités marquant cette journée devaient être organisées en comités restreints, en raison du contexte sanitaire et conformément au résultat des concertations; et iii) le gouvernement, dans sa communication du 22 juin 2022, affirme que la CSP envisageait en réalité d’occuper la voie publique, mais ne fournit pas d’éléments susceptibles d’étayer cette affirmation. Le comité observe également que la CSP et le CAWOF qu’elle représente ont entendu maintenir la manifestation publique, sans qu’il soit possible d’établir s’il était envisagé d’occuper ou non la voie publique.
  5. 177. Le comité note que si les raisons de l’interdiction de la manifestation publique ont trait au COVID 19, comme le souligne le gouvernement, il ressort des allégations de la CSP, auxquelles le gouvernement n’a pas répondu, que de telles mesures restrictives n’auraient pas été prises à l’occasion d’autres grands rassemblements, à savoir la Coupe d’Afrique des Nations (janvier 2022), la fête de la jeunesse (11 février 2022), la Journée internationale de la femme (8 mars 2022), ou encore la fête nationale (20 mai 2022).
  6. 178. Tout en prenant note du caractère contradictoire des versions présentées par le gouvernement et l’organisation plaignante relativement au contexte sanitaire, et considérant qu’il ne lui appartient pas d’apprécier les mesures de restriction liées à la pandémie, le comité rappelle que le droit d’organiser des réunions publiques et des cortèges à l’occasion du 1er mai constitue un aspect important des droits syndicaux. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 212.]
  7. 179. Tout en prenant dûment note des mesures imposant des limitations quant à la tenue des réunions publiques qui, selon le gouvernement, ont été acceptées par les syndicats, le comité rappelle que ces restrictions devraient remplir des critères stricts, répondre aux principes de nécessité et de proportionnalité et être évaluées au cas par cas. Le comité regrette à cet égard que le gouvernement n’ait pas engagé de discussions avec la CSP à la suite de sa demande d’organiser une manifestation publique le 1er mai 2022, d’une manière qui, à la fois, respecte les mesures prises pour assurer l’ordre public et tienne compte de l’importance d’organiser des réunions publiques le 1er mai en tant que forme traditionnelle de l’action syndicale.
  8. 180. S’agissant des allégations relatives au déploiement des forces de police devant les locaux de la CSP, et tout en notant le caractère contradictoire des informations portées à sa connaissance, le comité souhaite rappeler que les autorités ne devraient avoir recours à la force publique que dans des situations où l’ordre public serait sérieusement menacé. L’intervention de la force publique devrait rester proportionnée à la menace pour l’ordre public qu’il convient de contrôler, et les gouvernements devraient prendre des dispositions pour que les autorités compétentes reçoivent des instructions appropriées en vue d’éliminer le danger qu’impliquent les excès de violence lorsqu’il s’agit de contrôler des manifestations qui pourraient troubler l’ordre public. [Voir Compilation, paragr. 217.] Le comité souhaite également rappeler qu’un mouvement syndical libre et indépendant ne peut se développer que dans un climat exempt de violences, de menaces et de pression et qu’il incombe au gouvernement de garantir que les droits syndicaux puissent se développer normalement. [Voir Compilation, paragr. 87.]
  9. 181. Enfin, en ce qui concerne les allégations de «chasse à l’homme» des journalistes et photographes, le comité observe que le plaignant n’apporte pas d’éléments à l’appui de telles allégations. Dans ces conditions, le comité ne poursuivra pas l’examen de cette question.
  10. 182. À la lumière de ce qui précède, le comité invite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour que, à l’avenir, les organisations de travailleurs puissent organiser librement les réunions qu’elles souhaitent pour célébrer le 1er mai tout en respectant les dispositions prises pour assurer l’ordre public.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 183. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité invite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour que, à l’avenir, les organisations de travailleurs puissent organiser librement les réunions qu’elles souhaitent pour célébrer le 1er mai tout en respectant les dispositions prises pour assurer l’ordre public.
    • b) Le comité considère que le présent cas est clos et ne nécessite pas un examen plus approfondi.
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