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Definitive Report - REPORT_NO400, October 2022

CASE_NUMBER 3411 (India) - COMPLAINT_DATE: 24-JUL-21 - Closed

DISPLAYINEnglish - Spanish

Allégations: les organisations plaignantes allèguent que le projet de loi sur les services essentiels de la défense, présenté au Parlement en vue de remplacer l’ordonnance sur les services essentiels de la défense promulguée, interdit tout type d’action collective dans les organisations de production de la défense et prévoit la possibilité de licencier et de sanctionner dans une mesure excessive les contrevenants, violant ainsi le droit à la liberté syndicale des travailleurs

  1. 439. La plainte figure dans les communications de la Centrale des syndicats indiens (CITU) et du Congrès panindien des syndicats (AITUC), respectivement du 24 et du 28 juillet 2021.
  2. 440. Le gouvernement de l’Inde a transmis ses observations dans des communications en date des 19 janvier et 30 septembre 2022.
  3. 441. L’Inde n’a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ou la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 442. Dans leurs communications du 24 et du 28 juillet 2021, la CITU et l’AITUC expliquent que l’Inde dispose d’un important dispositif de production de matériel et de services de défense, composé de quelque 44 établissements industriels ainsi que d’institutions de recherche, qui répond aux besoins de l’armée et fournit de l’équipement à des fins civiles. Plus de 75 pour cent des besoins des forces de défense indiennes sont produits et fournis par ses usines de munitions, qui emploient des milliers de travailleurs et qui sont la propriété du Département de la production de la défense du ministère de la Défense.
  2. 443. Les organisations plaignantes allèguent que le gouvernement central prépare activement la privatisation du secteur et que, pour faciliter ce processus, il cherche à transformer 41 usines de munitions, dont l’exploitation était gérée par le Conseil des usines de munitions (OFB), en sept entités, enregistrées en tant que sept entreprises distinctes aux termes de la loi sur les sociétés. Les organisations plaignantes expliquent que l’une des raisons pour lesquelles les travailleurs du secteur de la défense appelaient à une action collective ou une grève était la menace que faisait peser la privatisation sur leurs emplois et sur le Trésor public, qui ne recueillerait plus de bénéfices pouvant être investis là où le pays en avait le plus besoin. Grâce au dialogue, le ministère de la Défense a pu régler la question en déclarant que le mouvement de privatisation ne serait pas poursuivi. Les syndicats ont donc retiré le préavis de grève qu’ils avaient présenté au gouvernement. Les organisations plaignantes affirment néanmoins que le gouvernement, en violation des accords écrits conclus avec les syndicats, a décidé de poursuivre la transformation en entreprises des usines de munitions, les conduisant ainsi vers la privatisation. En réaction, les syndicats ont déposé un préavis d’action collective pour la violation par le gouvernement de ses engagements. Les Fédérations des employés civils de la défense ont pris la décision de mener une grève illimitée après avoir suivi toutes les procédures prévues par la loi sur les conflits du travail de 1947 et par les règles de reconnaissance des syndicats du ministère de la Défense.
  3. 444. Les organisations plaignantes allèguent qu’au lieu de considérer le problème comme un conflit du travail, le gouvernement a décidé de fouler aux pieds les droits démocratiques des employés en promulguant, en 2021, une ordonnance draconienne sur les services essentiels de la défense, qui restreint le droit des travailleurs du secteur de la défense à se mettre en grève et impose des mesures punitives de tous ordres, comme le licenciement sans enquête préalable et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans avec d’autres conséquences. Les organisations plaignantes indiquent que, lors de la présentation du projet de loi sur les services essentiels de la défense devant le Parlement, le gouvernement a précisé ses objectifs et les motifs de l’adoption de cette loi comme suit:
    • 5. Étant donné que le Parlement ne siégeait pas et qu’il était urgent de légiférer, le Président a promulgué l’Ordonnance sur les services essentiels de la défense, le 30 juin 2021, qui inclut les dispositions suivantes:
    • a) une définition des expressions «services essentiels de la défense» et «grèves»;
    • b) la capacité pour le gouvernement central d’interdire la grève dans les services essentiels de la défense;
    • c) la possibilité de prononcer des mesures disciplinaires, telles que le licenciement, à l’encontre des employés participant aux grèves;
    • d) des sanctions possibles pour les grèves illégales, leur incitation et l’apport d’une aide financière à ces grèves illégales;
    • e) le pouvoir conféré à tout agent de police d’arrêter sans mandat toute personne raisonnablement soupçonnée d’avoir commis une infraction au sens de la législation proposée.
  4. 445. Selon les organisations plaignantes, le projet de loi prive les travailleurs des droits fondamentaux garantis par la Constitution nationale. Elles précisent que, bien que la définition du terme «grève» ait été prévue dans la loi sur les conflits au travail de 1947, le projet de loi contient une définition différente qui élargit le sens du terme, couvrant ainsi diverses formes d’actions/activités syndicales qui ne sont pas des grèves et conférant davantage de pouvoir aux autorités pour éradiquer presque toutes les activités syndicales:
    • 2(1)(b): «grève» désigne l’arrêt de travail, la grève perlée, la grève sur le tas, la grève par occupation d’usine, la grève symbolique, la grève solidaire ou le congé pour raisons personnelles pris collectivement, par un groupe de personnes engagées dans les services essentiels de la défense et agissant de concert, ou bien un refus concerté ou un refus dans le cadre d’un accord commun entre un certain nombre de personnes, qui sont ou ont été engagées, de continuer à travailler ou d’accepter un emploi, et comprend:
    • le refus d’effectuer des heures supplémentaires, si le travail est nécessaire pour maintenir les services essentiels de la défense,
    • tout autre comportement susceptible d’entraîner ou d’avoir pour conséquence l’arrêt, le ralentissement ou la perturbation du travail dans les services essentiels de la défense.
  5. 446. Dès lors, selon les organisations plaignantes, le projet de loi empêche les travailleurs d’exprimer toute forme de discorde ou de protestation, y compris dans le cadre de réunions de concertation, de faire entendre leur voix, même sur des questions non liées à la grève, etc. Elles font également remarquer que, conformément à l’article 3 du projet de loi, le gouvernement central a le pouvoir d’ordonner l’interdiction d’une grève, si nécessaire, dans l’intérêt de: i) la souveraineté et l’intégrité de l’Inde; ii) la sécurité d’un État; iii) l’ordre public; iv) l’intérêt public; v) la décence; ou vi) la moralité. Les organisations plaignantes signalent que cela va bien au-delà de la législation existante, qui ne permet pas au gouvernement d’interdire arbitrairement une action collective des travailleurs. Dès lors, selon les organisations plaignantes, le projet de loi introduit des mesures radicales pour écraser les actions collectives, en violation de la loi indienne sur les syndicats de 1926:
    • 18. Immunité contre les poursuites civiles dans certains cas:
    • 1) Aucunes poursuites ni autres procédures légales ne peuvent être engagées devant un tribunal civil à l’encontre d’un syndicat enregistré, d’un responsable ou d’un membre de ce syndicat, pour des actes accomplis en prévision ou dans le cadre d’un conflit du travail auquel un membre du syndicat est partie, au motif que ces actes incitent une autre personne à rompre un contrat de travail, ou qu’ils interfèrent avec l’activité, l’entreprise ou l’emploi d’une autre personne ou avec le droit d’une autre personne de disposer de son capital ou de son travail comme elle l’entend.
    • 2) Un syndicat enregistré ne peut être tenu responsable, dans le cadre d’un procès ou d’une autre procédure judiciaire devant un tribunal civil, d’un acte délictueux accompli en prévision ou dans le cadre d’un conflit du travail par un membre du syndicat, s’il est prouvé que cette personne a agi à l’insu de la direction du syndicat ou contrairement à ses instructions expresses.
  6. 447. Les organisations plaignantes décrivent le projet de loi comme étant draconien pour les syndicats et leurs membres, car il punit le début d’une grève illégale et la participation à celle ci par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an ou par une amende pouvant atteindre 10 000 roupies indiennes, ou les deux, et l’incitation à des grèves illégales par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou une amende pouvant atteindre 15 000 roupies indiennes, ou les deux.
  7. 448. Les organisations plaignantes signalent que dans le projet de loi, il n’est pas dit clairement qui décide de l’illégalité de la grève. En outre, elles estiment que la législation cible les dirigeants syndicaux en prévoyant des sanctions plus sévères à leur encontre, ce qui a pour effet d’interdire les syndicats dans la pratique. De plus, les organisations plaignantes considèrent que le projet de loi viole les droits fondamentaux des travailleurs ancrés dans la Constitution nationale puisque, à l’instar de l’ordonnance, il enjoint les forces de police à procéder à des arrestations sans présenter de raison ou sans mandat.
  8. 449. Les organisations plaignantes font également observer que le projet de loi donne un pouvoir absolu à l’administration de la police pour mener des actions arbitraires, ou qu’il confère une autorité judiciaire à une juridiction inférieure contre la personne mise en cause sans aucune possibilité pour elle de se défendre ou de faire appel à la justice. À l’instar de l’ordonnance, le projet de loi garantit la légalité de cette mesure arbitraire et l’impossibilité de la contester:
    • 12. Nonobstant toute disposition contenue dans le Code de procédure pénale de 1973, toutes les infractions à la présente ordonnance doivent être instruites de manière sommaire par un magistrat métropolitain ou un magistrat supérieur de première classe, mandaté spécialement par le gouvernement national, et les dispositions des articles 265 à 267 (inclus) dudit Code s’appliquent à ces procès:
    • En cas de condamnation pour une infraction prononcée dans le cadre d’une procédure sommaire en vertu du présent article, il est légal pour ledit magistrat de prononcer une peine d’emprisonnement pour toute durée pour laquelle cette infraction est punie au titre de l’ordonnance. Nonobstant toute disposition contenue dans le Code de procédure pénale de 1973, toute infraction punissable au titre de la présente ordonnance est condamnable et non soumise à une mise en liberté sous caution.
  9. 450. Les organisations plaignantes font également observer qu’outre l’emprisonnement et l’amende, le projet de loi prévoit un licenciement sans préavis:
    • 13. Nonobstant toute disposition contenue dans le Code de procédure pénale de 1973, toute infraction punissable au titre de la présente loi est condamnable et non soumise à une mise en liberté sous caution.
    • 14. Toute référence dans la présente loi à une loi qui n’est pas en vigueur dans une région et à une autorité en vertu d’une telle loi doit, en ce qui concerne cette région, être interprétée comme une référence à la loi correspondante en vigueur dans cette région et à l’autorité correspondante en vertu de cette loi correspondante.
    • 15. Aucun procès, aucune poursuite ou autre procédure judiciaire ne peut être intenté contre le gouvernement central ou tout fonctionnaire pour tout ce qui est fait de bonne foi ou qui est destiné à être fait en vertu de la présente loi.
    • 16. Les dispositions de la présente loi et de toute autre ordonnance émise en vertu de celle ci sont applicables nonobstant toute disposition incompatible avec celle ci contenue dans la loi sur les conflits au travail de 1947 ou de toute autre loi actuellement en vigueur.
  10. 451. Les organisations plaignantes disent craindre que le gouvernement élargisse ce projet de loi à d’autres secteurs et réduise progressivement les droits fondamentaux des travailleurs en rendant illégales et punissables les actions collectives. À cet égard, ils mentionnent l’article 17 qui semble être applicable au secteur portuaire:
    • 17. Dans l’article 2 de la loi sur les conflits au travail de 1947, à l’alinéa (n), sous-alinéa (ia), les mots «ou un dock» sont remplacés par «ou un dock ou tout établissement industriel ou unité ayant des activités de services essentiels de la défense».
  11. 452. Les organisations plaignantes en concluent que le projet de loi vise à interdire toute action collective ou grève des employés et syndicats du secteur de la défense et à détruire les syndicats de ce secteur. Elles demandent donc au comité de recommander au gouvernement de retirer ce projet de loi.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 453. Dans sa communication du 19 janvier 2022, le gouvernement explique que les usines de munitions indiennes sont les plus anciennes et les plus grandes usines du Département de la production de la défense du ministère de la Défense. L’essentiel de la production d’équipement et de matériel de défense est regroupé dans les usines de munitions, le principal objectif étant l’autonomie dans l’équipement de pointe des forces armées pour le champ de bataille. En vue d’améliorer l’autonomie, la fiabilité et l’efficacité de l’approvisionnement en munition, le gouvernement a décidé de convertir 41 unités de production de l’OFB en sept entreprises du secteur public de la défense, détenues à 100 pour cent par le gouvernement et enregistrées conformément aux dispositions de la loi sur les sociétés de 2013.
  2. 454. Le gouvernement précise qu’en opposition à la décision du gouvernement et malgré l’engagement de celui-ci à assurer les conditions d’emploi des employés de l’OFB, les fédérations syndicales reconnues ont fait part de leur intention de mener une grève illimitée.
  3. 455. Au vu de la situation qui prévalait alors aux frontières du nord, le gouvernement a estimé qu’il était essentiel de maintenir un approvisionnement ininterrompu de munitions aux forces armées pour la préparation de la défense du pays et d’assurer le fonctionnement sans interruption des usines de munitions. Il était nécessaire, pour le gouvernement, d’avoir le pouvoir de répondre à l’urgence et de garantir le maintien des services essentiels de la défense dans tous les établissements en lien avec la défense, dans l’intérêt public ou l’intérêt de la souveraineté et l’intégrité de l’Inde, ou la sécurité de tout État, ou la décence ou la moralité.
  4. 456. Le gouvernement précise que le projet de loi a désormais été adopté par les deux chambres du Parlement et que le Président de l’Inde ayant donné son aval, la loi est maintenant entrée en vigueur et porte le nom de Loi sur les services essentiels de la défense. Le gouvernement estime que la loi ne viole pas les principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT, qui incluent la liberté syndicale et le droit à la négociation collective. Elle interdit uniquement les grèves, que la Constitution indienne ne considère pas comme un droit fondamental.
  5. 457. En outre, le gouvernement indique que les usines de munitions ne vont pas être privatisées et que la crainte des organisations plaignantes ne repose sur aucun fait. Le gouvernement informe que, conformément au Code, à l’exception des employés du siège de l’OFB de Calcutta, du Bureau de l’OFB de New Dehli et des écoles et hôpitaux OF qui ont été transférés à la Direction de l’armement (Coordination et Service) qui sera créée sous l’égide du Département de la production de la défense, tous les employés de l’OFB (groupes A, B et C) ont été transférés (en détachement) pour une période initiale de deux ans à compter du 1er octobre 2021 (date de début des activités des nouvelles sociétés). Le gouvernement détaille les conditions de travail des employés en détachement comme suit:
    • a) Chacune des nouvelles entreprises du secteur public de la défense est tenue d’élaborer des règles et des règlements en lien avec les conditions de service des employés intégrés et de rechercher une option d’intégration permanente pour les employés en détachement dans l’entreprise du secteur public de la défense concernée, et ce dans un délai de deux ans. Il est important de mentionner que les conditions de service des employés intégrés ne seront pas moins bonnes que leurs conditions existantes. Un comité devrait être mis en place par le Département de la production de la défense pour guider les nouvelles entreprises du secteur public de la défense à cet égard, de manière à rendre les conditions d’intégration attractives.
    • b) Tant que les employés resteront détachés dans les nouvelles entités, ils continueront d’être soumis à l’ensemble des règles, règlements et ordonnances en vigueur, tels qu’applicables aux fonctionnaires du gouvernement central, y compris en ce qui concerne leurs barèmes de salaire, indemnités, congés, soins médicaux, évolution de carrière et autres conditions de service.
    • c) Les obligations en matière de pension des retraités et des employés actuels continueront d’être supportées par le gouvernement au titre du budget du ministère de la Défense. Pour les employés recrutés après le 1er octobre 2004, le nouveau régime de pension applicable aux employés du gouvernement central s’applique et ce même régime peut être adopté par les nouvelles sociétés, y compris le maintien de toutes les dispositions spéciales qui s’appliquent aux employés du gouvernement central au titre du système national de retraite.
    • d) Les conditions de paiement des prestations de retraite aux employés de l’OFB qui seront intégrés dans les nouvelles entreprises seraient réglementées conformément à la règle 37 A du Code de conduite des services centraux de la fonction publique (retraite) de 1972.
  6. 458. Le gouvernement indique qu’à moins que les employés de l’OFB n’optent pour une intégration permanente dans les nouvelles entreprises du secteur public de la défense, ils continueront à être des fonctionnaires du gouvernement central et leurs barèmes de salaire, indemnités, congés, soins médicaux, évolution de carrière et autres conditions de service continueront également à être régies par les règles, règlements et ordonnances existants, tels qu’ils s’appliquent aux fonctionnaires du gouvernement central.
  7. 459. Concernant la nouvelle législation, le gouvernement indique qu’au titre de l’article 2(1)(b) de la loi, la définition de «grève» a été élargie pour inclure les grèves sous toutes leurs formes telles que la «grève perlée», la «grève sur le tas», la «grève par occupation d’usine», la «grève symbolique», la «grève solidaire» ou le «congé pour raisons personnelles pris collectivement». Le gouvernement explique que cela vise à empêcher la participation à toute forme de grève, qui est préjudiciable à la sécurité de l’État, l’intérêt public, la souveraineté et l’intégrité de l’Inde, l’ordre public, ou la décence ou la moralité dans les services essentiels de la défense.
  8. 460. Le gouvernement indique en outre que toutes les dispositions de la loi sur les conflits au travail de 1947 sur la conciliation et l’arbitrage, la négociation collective et toutes les mesures que les travailleurs auraient pu prendre dans le cadre de cette loi, peuvent toujours être invoquées par les travailleurs, à l’exception de l’incitation, du soutien et de la participation à la grève. Le cadre existant des mécanismes de relations professionnelles en vertu de divers statuts sera maintenu. Le gouvernement explique que les dispositions de la loi sur les conflits au travail (y compris les procédures de conciliation) ne suffisent pas à empêcher ou à interdire les grèves dans les établissements industriels dont l’activité relève des services essentiels ou déclarés comme «services d’utilité publique». Les travailleurs peuvent recourir aux procédures de conciliation et d’arbitrage prévues par la loi sur les conflits au travail, à l’exception de l’incitation, du soutien et de la participation à la grève. Les plaintes des employés civils de la défense peuvent être réglées dans le cadre actuel du droit du travail, notamment de la loi sur les conflits au travail, sans recours à la grève, qui n’est pas un droit fondamental. Toutefois, si un acte préjudiciable au fonctionnement, à la sécurité ou au maintien des services essentiels de la défense est commis, les agents de police ont reçu le pouvoir de procéder à des arrestations. Le gouvernement souligne que les dispositions de la loi sur les services essentiels de la défense s’appliquent uniquement aux employés travaillant dans les services essentiels de la défense. La loi ne prive pas les employés du droit à la manifestation pacifique dans le respect du droit. Seules les grèves ont été interdites, car elles ne constituent pas un droit fondamental.
  9. 461. Le gouvernement explique que la loi sur les services essentiels de la défense l’habilite à réglementer le maintien de la production de la défense et des services connexes. La loi vise à garantir un approvisionnement continu des munitions aux forces armées aux fins de la préparation à la défense du pays. Elle ne prive pas du droit à se réunir pacifiquement et à former des associations ou des syndicats qui a été garanti comme droit fondamental aux termes de la Partie III de l’article 19 de la Constitution de l’Inde. Néanmoins, ledit article prévoit des restrictions raisonnables de ce droit:
    • (...) rien dans le sous-alinéa (b) dudit alinéa n’affectera l’application de la loi existante ou n’empêchera le gouvernement d’élaborer une loi dans la mesure où la loi impose des restrictions raisonnables au droit conféré par ledit sous-alinéa, dans l’intérêt de la souveraineté et de l’intégrité de l’Inde, de la sécurité de l’État, de l’ordre public, de la décence ou de la moralité.
  10. 462. Le gouvernement précise en outre que la loi sur les services essentiels de la défense couvre tout établissement ou entreprise dans le domaine de la production de biens ou d’équipement nécessaires à toute fin liée à la défense. Elle couvre également tout service fourni dans tout établissement des forces armées ou en lien avec celles ci, ou dans tout autre établissement ou installation en lien avec la défense. Conformément à la Partie III de l’article 33 de la Constitution indienne, le Parlement peut, par voie législative, déterminer dans quelle mesure les droits conférés par la présente partie, quand ils s’appliquent: a) aux membres des forces armées; ou b) aux membres des forces chargées du maintien de l’ordre public; ou c) aux personnes employées dans tout bureau ou autre organisation établi par l’État aux fins de renseignement ou de contre-renseignement; ou d) aux personnes employées dans ou en relation avec les systèmes de télécommunication mis en place aux fins de toute force, bureau ou organisation visés aux alinéas a) à c), peuvent être limités ou abrogés de manière à assurer le bon accomplissement de leurs devoirs et le maintien de la discipline parmi eux.
  11. 463. Le gouvernement précise que les syndicats jouissent toujours du droit à la négociation collective et que l’immunité prévue au titre de la loi sur les syndicats n’a pas été supprimée. En outre, la loi sur les services essentiels de la défense n’interfère en aucun cas avec le droit des organisations à élaborer leurs statuts et règlements, à élire des représentants en toute liberté, etc. La loi ne vise pas à écraser les actions collectives menées par les travailleurs/employés. Le gouvernement répète que la loi se limite dans son application aux services essentiels de la défense, où le gouvernement central peut interdire les grèves par une ordonnance générale ou spéciale si les circonstances le requièrent. Tous les autres services et secteurs ne sont pas couverts par cette loi. La situation aux frontières du nord de l’Inde avait nécessité de garantir un approvisionnement continu en armes, munitions et autres équipements de défense aux forces armées et cette situation perdure. Conformément à la loi sur les services essentiels de la défense, toute personne qui incite d’autres personnes à prendre part à une grève illégale au titre de la loi, ou agit de toute autre manière dans le but de favoriser une telle grève, est passible d’une peine d’emprisonnement ou d’une amende ou les deux. Des dispositions similaires existent déjà dans la loi sur les conflits au travail de 1947, selon laquelle les personnes menant une grève illégale peuvent être arrêtées et se voir infliger une peine de prison, une amende ou les deux.
  12. 464. Le gouvernement met également en évidence la clause de caducité de cette loi. La loi doit cesser de produire ses effets à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la date à laquelle elle a été validée par le Président. Dans sa communication du 30 septembre 2022, le gouvernement indique que la loi a cessé de produire ses effets à l’expiration de ladite période.
  13. 465. Le gouvernement fait également observer que, d’une part, la convention no 87 permet d’exclure les forces armées de son application et, d’autre part, il n’est pas lié par les conventions nos 135 et 151 qu’il n’a pas ratifiées.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 466. Le comité note que la CITU et l’AITUC, qui sont les organisations plaignantes dans le présent cas, affirment que le projet de loi sur les services essentiels de la défense présenté au Parlement en vue de remplacer l’ordonnance sur les services essentiels de la défense antérieurement promulguée, interdit tout type de grève dans les organisations de production de la défense et prévoit la possibilité de licencier et de sanctionner dans une mesure excessive les contrevenants, violant ainsi le droit à la liberté syndicale des travailleurs. Le comité note que la loi sur les services essentiels de la défense a été adoptée et a reçu l’aval du Président le 11 août 2021.
  2. 467. Le comité note les circonstances qui ont conduit à la promulgation de l’ordonnance et ensuite à la soumission du «projet de loi prévoyant le maintien des services essentiels de la défense afin d’assurer la sécurité de la nation ainsi que la vie et la propriété du grand public et les questions connexes ou liées» au Parlement. Plus spécifiquement, l’ordonnance et la loi ont été adoptées à la suite de menaces de grève contre l’intention du gouvernement de réorganiser les usines de munitions en entreprises enregistrées en application de la loi sur les sociétés de 2013, ce qui, selon les organisations plaignantes, ouvre la voie à la privatisation des usines. Le comité note que le gouvernement nie que les usines de munitions vont être privatisées et explique que la loi a été adoptée dans le but d’empêcher les grèves dans le secteur, particulièrement au moment des troubles politiques à la frontière nord de l’Inde.
  3. 468. Le gouvernement souligne que les travailleurs de ce secteur jouissent de tous les droits relatifs à la liberté syndicale, à savoir le droit de créer des syndicats, d’élaborer leurs statuts et règlements, d’élire leurs représentants, de négocier collectivement, de manifester, etc., à l’exception du droit de grève. Le gouvernement souligne que la loi se limite uniquement aux services essentiels de la défense. Le gouvernement estime que le droit de grève n’est pas un droit fondamental et que les travailleurs de ce secteur peuvent se voir interdire d’y avoir recours. Par conséquent, en vertu de la loi, le recours à la grève dans les services essentiels de la défense peut être interdit par le gouvernement central, par une ordonnance générale ou spéciale, si les circonstances le requièrent. Le gouvernement souligne également que toutes les autres législations pertinentes (la loi sur les syndicats et la loi sur les conflits au travail) sont toujours en vigueur. À cet égard, il précise que les travailleurs peuvent toujours recourir aux procédures de conciliation et d’arbitrage prévues par la loi sur les conflits au travail. Le gouvernement indique aussi que la loi comporte une clause prévoyant son expiration un an après l’aval présidentiel du 11 août 2021 et qu’en conséquence la loi a cessé de produire ses effets à l’expiration de ladite période.
  4. 469. Le comité note l’argument du gouvernement selon lequel la convention no 87 permet d’exclure les forces armées de son application. Tout en observant que le gouvernement n’a pas ratifié la convention no 87, le comité rappelle, comme réponse à cet argument, que les membres des forces armées pouvant être exclus de l’application de la convention no 87 devraient être définis de façon restrictive. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 344.] Il rappelle également que les travailleurs civils des établissements manufacturiers des forces armées doivent avoir le droit de constituer, sans autorisation préalable, les organisations de leur choix, conformément à la convention no 87. [Voir Compilation, paragr. 348.] Le comité a également considéré que la Conférence internationale du Travail souhaitait clairement laisser aux États Membres le soin de décider de la mesure dans laquelle ils voulaient accorder les droits prévus par la convention no 87 aux membres des forces armées et de la police. Il a aussi estimé que les mêmes considérations valent pour les conventions nos 98, 151 et 154. [Voir Compilation, paragr. 1253.]
  5. 470. Concernant l’argument du gouvernement selon lequel le droit de grève n’est pas un droit fondamental, le comité rappelle qu’il a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations le droit de grève comme moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux. [Voir Compilation, paragr. 752.] Le comité considère toutefois que, dans des circonstances exceptionnelles, le droit de grève peut être limité ou interdit. À cet égard, il rappelle que, pour déterminer les cas dans lesquels une grève pourrait être interdite, le critère à retenir est l’existence d’une menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité et la santé dans tout ou partie de la population. [Voir Compilation, paragr. 836.]
  6. 471. Le comité note que, conformément à l’article 2 de la loi, l’expression «services essentiels de la défense» désigne:
    • i) tout service dans un établissement ou une entreprise dans le domaine de la production de biens ou d’équipement nécessaires à toute fin liée à la défense;
    • ii) tout service dans un établissement des forces armées de l’Union ou lié à celles-ci, ou dans tout autre établissement ou installation en lien avec la défense;
    • iii) tout service dans une section quelconque d’un établissement lié à la défense, dont le fonctionnement est essentiel pour la sécurité de l’établissement ou du salarié qui y est employé;
    • iv) tout autre service que le gouvernement central peut, par une notification dans le Journal officiel, déclarer comme étant des services essentiels de la défense, dont l’arrêt de travail affecterait de manière préjudiciable:
    • I) la production d’équipements ou de biens de la défense; ou
    • II) l’exploitation ou le maintien de tout établissement ou unité impliqué dans la production de biens ou d’équipement nécessaires à toute fin liée à la défense; ou
    • III) la réparation ou la maintenance de produits liés à la défense.
  7. Il note en outre que, conformément à l’article 3:
    • 1) Si le gouvernement central est convaincu que, dans:
    • a) l’intérêt public; ou
    • b) l’intérêt de la souveraineté et de l’intégrité de l’Inde; ou
    • c) la sécurité de tout État; ou
    • d) l’ordre public; ou
    • e) la décence; ou
    • f) la moralité,
    • il est nécessaire ou opportun de le faire, il peut, par ordonnance générale ou spéciale, interdire les grèves dans les services essentiels de la défense.
    • (...)
    • 3) Une ordonnance prise en vertu du sous-alinéa (1) est en vigueur pendant six mois, mais le gouvernement central peut, par une ordonnance similaire, la prolonger pour une période n’excédant pas six mois, s’il est convaincu qu’il est nécessaire ou opportun de le faire dans l’intérêt public.
  8. 472. Le comité observe que les services décrits ci-dessus dans leur ensemble ainsi que les situations dans lesquelles une grève peut être déclarée illégale sont excessivement larges, en particulier parce que des interdictions peuvent être ordonnées en dehors de toute urgence nationale extrême et peuvent englober la production de biens et d’équipements de défense qui ne sont pas immédiatement nécessaires pour la défense du pays, mais destinés par exemple à l’exportation. Le comité considère donc que, dans la mesure où la loi restreint les droits à la liberté syndicale d’un grand ensemble de travailleurs civils des établissements manufacturiers des forces armées qui ne fournissent pas des services pouvant mettre en péril la vie, la sécurité personnelle ou la santé de toute ou d’une partie de la population, et rappelant que jusqu’à l’adoption de cette loi, le plein exercice de ces droits leur était garanti en vertu de la loi sur les syndicats, ces travailleurs devraient pouvoir exercer un des moyens essentiels de défense de leurs intérêts économiques et sociaux.
  9. 473. Néanmoins, le comité rappelle que, en cas de paralysie d’un service non essentiel au sens strict du terme dans un secteur de très haute importance dans le pays, l’imposition d’un service minimum peut se justifier. [Voir Compilation, paragr. 868.] À cet égard, le comité rappelle que le service minimum doit être limité aux opérations nécessaires pour que la satisfaction des besoins de base de la population ou des exigences minima du service soit assurée, tout en garantissant que le champ du service minimum n’ait pas comme conséquence de rendre la grève inefficace. [Voir Compilation, paragr. 874.] Il rappelle en outre que des négociations sur le service minimum devraient en principe se tenir avant un différend du travail, de manière à ce que toutes les parties puissent examiner la question avec l’objectivité et le détachement nécessaires. Tout désaccord devrait être réglé par un organisme indépendant, comme les autorités judiciaires, et non par le ministère concerné. [Voir Compilation, paragr. 876.]
  10. 474. S’agissant de la décision de déclarer une grève illégale, le comité rappelle qu’elle ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant et impartial et que, pour déclarer une grève ou une cessation d’activités illégales, l’autorité judiciaire est l’autorité indépendante par excellence. [Voir Compilation, paragr. 909 et 910.] Le comité observe qu’en application de l’article 4 de la loi, quand le gouvernement émet une ordonnance déclarant une grève illégale, «tout agent de police peut prendre toutes les mesures qu’il juge appropriées, y compris l’usage de la force publique, s’il le juge nécessaire, pour éloigner toute personne». Le comité rappelle que les autorités ne devraient recourir à la force publique en cas de grève que si l’ordre public est réellement menacé. L’intervention de la force publique devrait être proportionnée à la menace pour l’ordre public qu’il convient de contrôler, et les gouvernements devraient prendre des dispositions pour que les autorités compétentes reçoivent des instructions appropriées en vue de supprimer le danger qu’impliquent les excès de violence lorsqu’il s’agit de contrôler des manifestations qui pourraient troubler l’ordre public. [Voir Compilation, paragr. 935.]
  11. 475. Concernant les sanctions prévues aux articles 6 à 8 de la loi pour la participation ou l’incitation à une grève déclarée illégale, ainsi que pour l’apport d’une aide financière à une telle grève, qui peuvent inclure une peine d’emprisonnement, une amende ou les deux, le comité rappelle que des sanctions pénales ne devraient pouvoir être infligées pour faits de grève que dans les cas d’infraction à des interdictions de la grève conformes aux principes de la liberté syndicale. Toute sanction infligée en raison d’activités liées à des grèves illégitimes devrait être proportionnée au délit ou à la faute commis, et les autorités devraient exclure le recours à des mesures d’emprisonnement contre ceux qui organisent une grève pacifique ou y participent. [Voir Compilation, paragr. 966.]
  12. 476. Le comité note qu’en application de l’article 5 de la loi:
    • 1) Toute personne:
    • a) qui entame une grève illégale en vertu de la présente loi ou qui se rend ou reste dans une telle grève ou y prend part de toute autre manière; ou
    • b) qui incite d’autres personnes à débuter une telle grève, à y aller ou à y rester, ou à y prendre part de toute autre manière,
    • sera passible de sanctions disciplinaires (incluant le licenciement) conformément aux mêmes dispositions que celles qui sont applicables aux fins de prendre une telle mesure disciplinaire (incluant le licenciement) pour tout autre motif en vertu des conditions de service qui lui sont applicables dans le cadre de son emploi.
    • 2) Nonobstant toute disposition contenue dans toute autre loi actuellement en vigueur ou conformément aux conditions de service applicables à toute personne employée dans les services essentiels de la défense, avant de licencier une personne en vertu du sous-alinéa 1), il ne sera pas nécessaire de mener une enquête si l’autorité habilitée à licencier ou à révoquer cette personne est convaincue que, pour une raison quelconque – que cette autorité doit consigner par écrit –, il n’est pas raisonnablement possible de mener une telle enquête.
  13. De l’avis du comité, quand des syndicalistes ou des dirigeants syndicaux sont licenciés pour avoir exercé leur droit de grève, le comité ne peut s’empêcher de conclure qu’ils sont sanctionnés pour leur activité syndicale et font l’objet d’une discrimination antisyndicale. [Voir Compilation, paragr. 958.] Le respect des principes de la liberté syndicale exige que les travailleurs qui estiment avoir subi des préjudices en raison de leurs activités syndicales disposent de moyens de recours expéditifs, peu coûteux et tout à fait impartiaux. [Voir Compilation, paragr. 1142.]
  14. 477. Tout en observant que la loi n’est plus en vigueur, le comité, compte tenu de toutes les considérations ci-dessus, souligne l’importance du dialogue social dans le processus d’adoption de mesures législatives susceptibles d’avoir des incidences sur les droits des travailleurs, y compris celles destinées à pallier une grave situation de crise. [Voir Compilation, paragr. 1546.] Le comité s’attend à ce que, à l’avenir, le gouvernement s’assure que des consultations pleines et franches sont engagées avec les partenaires sociaux sur tout projet de loi affectant leurs droits.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 478. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité s’attend à ce que, à l’avenir, le gouvernement s’assure que des consultations pleines et franches sont engagées avec les partenaires sociaux sur tout projet de loi affectant leurs droits.
    • b) Le comité considère que le présent cas est clos et ne nécessite pas un examen plus approfondi.
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