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Allégations: L’organisation plaignante dénonce le retrait de la représentativité
sectorielle de l’ALEBA par le ministre en charge du travail
- 519. La plainte figure dans une communication de l’Association
luxembourgeoise des employés de banque et d’assurances (ALEBA) en date du 20 avril 2021.
Dans des communications en date des 2 et 8 juin 2021, l’ALEBA a fait parvenir des
informations complémentaires.
- 520. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en
date du 16 mars 2022.
- 521. Le Luxembourg a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté
syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le
droit d’organisation et de négociation collective, 1949. Toutefois, il n’a pas ratifié
la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 522. L’organisation plaignante dénonce que le ministre du Travail, par
arrêté ministériel du 2 mars 2021 pris à la demande de la Confédération syndicale
indépendante du Luxembourg (OGB-L) et de la Confédération luxembourgeoise des syndicats
chrétiens (LCGB) dans une communication en date du 12 novembre 2020, a retiré à l’ALEBA
la qualité de syndicat sectoriel représentatif au motif que, avec une représentativité
de 49,22 pour cent aux élections de mars 2019 à la Chambre des salariés, elle ne
remplirait plus les conditions requises prévues par l’article L.161-7 (2) du Code du
travail, qui requiert une représentation de 50 pour cent des voix pour justifier de la
reconnaissance syndicale sectorielle. L’organisation plaignante fait observer que ce
score de 49,22 pour cent correspond à celui des deux confédérations réunies et que ces
dernières ont mis deux ans à s’apercevoir que pareille représentation de l’ALEBA était
insuffisante au regard de l’article L.161-7 (2) du code. L’organisation plaignante
allègue que le résultat des élections à l’époque «avait été accepté par tout le monde»
et que le ministre avait déclaré à la presse au lendemain des élections que l’ALEBA,
malgré son score inférieur de 0,78 pour cent à la norme de 50 pour cent, conservait la
qualité de syndicat sectoriel représentatif. Ce revirement aurait pour effet, selon les
termes utilisés par l’organisation plaignante, de «fragiliser l’ALEBA dans les
pourparlers en cours».
- 523. Selon l’organisation plaignante, cette obligation quant aux 50 pour
cent serait en contradiction avec l’article L.162-1 (3) du code selon lequel «doivent
être admis à la commission de négociation [en vue d’une convention collective] le ou les
syndicats ayant obtenu isolément ou ensemble 50 pour cent des suffrages au moins lors de
la dernière élection pour les délégations du personnel dans les entreprises ou
établissements relevant du champ d’application de la convention collective». Il y aurait
donc des critères différents entre l’article L.161-7 (2) et l’article L.162-1 (3). En
tout état de cause, ces dispositions auraient pour effet de protéger les centrales
syndicales dites à représentativité nationale.
- 524. L’organisation plaignante précise que sa plainte s’inscrit en
continuation directe de celle qu’elle avait formée devant le comité en 1998 (cas
no 1980) dans laquelle elle dénonçait le fait que, aux termes de la loi de 1965
concernant les conventions collectives de travail et de l’interprétation
jurisprudentielle qui en était faite, pour prétendre à la représentativité et signer
seule une convention collective, une organisation de travailleurs devait attester une
importance numérique sur le territoire national et également être présente dans
plusieurs secteurs de la vie économique. Elle rappelle que, dans son examen du cas, le
comité avait remis en cause cette double exigence aux fins de la représentativité et que
la Cour administrative, dans deux décisions en date du 28 juin 2001 (arrêts 12533C et
12534C), avait également rejeté l’exigence de la plurisectorialité réclamée par
l’État.
- 525. L’organisation plaignante fait en outre observer que la
recommandation du comité n’aurait été que partiellement reprise dans la législation
nationale, puisque l’article 7 de la loi du 30 juin 2004 portant sur les relations
collectives de travail, devenu l’article L.161-7 du Code du travail, requiert pour les
syndicats sectoriels au sens de l’article L.161-6 une représentation de 50 pour cent des
voix aux dernières élections de la Chambre des salariés pour justifier de leur
reconnaissance syndicale sectorielle. L’organisation plaignante dénonce enfin le fait
que les dispositions de l’article 9 (1) de la loi du 30 juin 2004, relatif aux syndicats
faisant partie d’office de la commission de négociation d’une convention collective,
n’ont pas été intégralement reprises dans le Code du travail, en ce sens que
l’article L.162-1 (1) du code ne vise plus que les syndicats plurisectoriels, alors que
l’article 9 (1) précité visait aussi les syndicats sectoriels. La conséquence est que
l’ALEBA ne peut plus représenter d’office les employés pour la négociation d’une
convention collective, y compris dans son propre secteur.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 526. Dans sa communication en date du 16 mars 2022, le gouvernement
fournit les informations suivantes quant aux faits:
- i) l’arrêté pris par le
ministre du Travail en date du 2 mars 2021 par lequel l’ALEBA s’est vu retirer la
reconnaissance de la représentativité sectorielle a été pris conformément à la
procédure visée par l’article L.161-8 du Code du travail. Cet arrêté ministériel a
été pris à la demande de I’OGB-L et de la LCGB, conformément aux dispositions
légales;
- ii) à la suite à la dénonciation partielle par l’Association des
banques et banquiers, Luxembourg (ABBL) de la convention collective des salariés de
banque en date du 11 novembre 2020, l’ALEBA aurait entamé de sa propre initiative
des négociations avec l’ABBL ainsi qu’avec l’Association des compagnies d’assurance
et de réassurances (ACA), à l’issue desquelles ces dernières auraient trouvé un
accord de principe quant à la reconduction des conventions collectives respectives
pour une durée de trois ans;
- iii) l’arrêté ministériel a été pris sur la
base du rapport circonstancié de l’Inspection du travail et des mines (ITM) remis au
ministre en date du 23 février 2021. L’ITM a conclu après analyse des critères
légaux que l’ALEBA n’avait pas atteint le seuil des 50 pour cent des voix lors des
dernières élections sociales de 2019 prévu à l’article L.161-7 (2) du Code du
travail et que, par conséquent, la demande en retrait présentée conjointement par
l’OGB L et la LCGB était fondée eu égard aux critères quantitatifs;
- iv) A la
suite à la publication de l’arrêté ministériel du 2 mars 2021, l’ALEBA a intenté, en
date du 26 mars 2021, un recours devant le Tribunal administratif de Luxembourg
visant à faire annuler, sinon réformer, l ’arrêté ministériel. L’affaire sera
examinée le 17 janvier 2023 devant la 3ème Chambre pour plaidoiries;
- v) Le
recours en référé déposé par l’ALEBA en date du 26 mars 2021 devant le Tribunal
administratif de Luxembourg a été rejeté en date du 4 mai 2021
- 527. Le gouvernement rejette les allégations quant à la prétendue
non-conformité du droit national avec la recommandation du Comité de mars 2001 en
matière de représentativité syndicale. Le gouvernement considère au contraire que la loi
du 30 juin 2004 fait suite à ladite recommandation du Comité ainsi qu’aux arrêts rendus
par la Cour administrative en juin 2001, en vue de fixer clairement les critères de
représentativité. Il fait observer que l’ALEBA invoque de tels reproches plus de quinze
ans après la publication de la loi de 2004. Jusqu’au retrait de la reconnaissance de la
représentativité sectorielle par le biais de l’arrêté ministériel du 2 mars 2021,
l’ALEBA n’a jamais formulé la moindre critique ou contesté le bien-fondé de la loi du
30 juin 2004, codifiée ensuite aux articles L.161-1 et suivants du Code du travail.
- 528. S’agissant de la prétendue contradiction entre l’article L.161-7 du
Code du travail (qui requiert une représentation de 50 pour cent des voix aux dernières
élections de la Chambre des salariés pour justifier d’une reconnaissance syndicale
sectorielle) avec l’article L.162-1 (3) du code (selon lequel doivent être admis à la
commission de négociation en vue d’une convention collective le ou les syndicats ayant
obtenu isolément ou ensemble 50 pour cent des suffrages au moins lors de la dernière
élection pour les délégations du personnel), le gouvernement considère qu’aucune
contradiction n’est à déplorer entre ces deux textes de loi, leurs contenus n’ayant pas
le même objet. Selon le gouvernement, l’article L.161-7 du Code pose la condition des
seuils à respecter en vue de justifier d’une représentativité sectorielle, tandis que
l’article L.162-1 du code a trait à la composition d’une commission de négociation d’une
convention collective de travail. À cet égard, la disposition de l’article L.162-1 (3)
s’applique à tout syndicat répondant aux critères des 50 pour cent indépendamment du
fait d’une quelconque représentativité sectorielle ou nationale.
- 529. S’agissant du résultat des élections à la Chambre des salariés lors
desquelles l’ALEBA a obtenu 49,22 pour cent des voix, le gouvernement indique que c’est
en raison de différends avec l’OGB-L et la LCGB à l’occasion de la négociation de la
convention collective dans le secteur bancaire que les deux confédérations auraient
finalement contesté cette représentativité. Le gouvernement fait observer qu’aucune
demande de retrait en représentativité sectorielle n’avait été introduite à la suite des
résultats de ces élections en 2019, ce qui pourrait valoir reconnaissance de la
représentativité sectorielle dans le chef de l’ALEBA malgré le non-respect du seuil des
50 pour cent, mais en aucun cas cela ne saurait constituer un droit acquis.
- 530. Le gouvernement fait enfin observer que l’ALEBA a évidemment la
possibilité de présenter des listes aux prochaines élections sociales et d’atteindre à
ce moment-là les seuils requis pour lui permettre de prétendre de nouveau à la
reconnaissance de la qualité de syndicat justifiant de la représentativité dans ce
secteur particulièrement important de l’économie. L’ALEBA ne perd donc pas
définitivement sa représentativité sectorielle.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 531. Le comité note que la présente plainte porte sur le retrait de la
représentativité sectorielle de l’ALEBA par le ministre en charge du travail à la suite
du résultat des élections à la Chambre des salariés de mars 2019, ce qui aurait en
particulier pour effet d’affecter sa capacité à valablement négocier et conclure des
conventions collectives dans le secteur des banques et des assurances. Le comité observe
que c’est la deuxième fois, à plus de vingt ans d’intervalle, qu’il est saisi par
l’ALEBA d’une question concernant la qualité représentative de l’organisation plaignante
en tant qu’organisation sectorielle.
- 532. Le comité note que: i) l’article 7 de la loi du 30 juin 2004 portant
sur les relations collectives de travail, devenu l’article L.161-7 du Code du travail,
requiert pour les syndicats sectoriels au sens de l’article L.161-6 une représentation
de 50 pour cent des voix aux dernières élections de la Chambre des salariés, pour
justifier de leur reconnaissance syndicale sectorielle; et ii) c’est sur cette base que
le ministre du Travail, par arrêté ministériel du 2 mars 2021 pris à la demande de
l’OGB-L et de la LCGB, a retiré à l’ALEBA la qualité de syndicat sectoriel représentatif
au motif que, avec une représentativité de 49,22 pour cent aux élections de mars 2019 à
la Chambre des salariés, elle ne remplirait plus les conditions requises pour être
syndicat sectoriel représentatif. Le comité note que le gouvernement indique à cet égard
que l’arrêté ministériel a été pris, conformément à la procédure visée à
l’article L.161-8 du Code du travail, sur la base du rapport circonstancié de l’ITM
remis au ministre en date du 23 février 2021 qui a conclu que l’ALEBA n’avait pas
atteint, lors des dernières élections sociales de 2019, le seuil des 50 pour cent des
voix prévu à l’article L.161-7 (2) du code et que, par conséquent, la demande en retrait
présentée conjointement par l’OGB-L et la LCGB était fondée eu égard aux critères
quantitatifs.
- 533. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, l’obligation
quant aux 50 pour cent serait en contradiction avec l’article L.162-1 (3) du Code du
travail, selon lequel doivent être admis à la commission de négociation [en vue d’une
convention collective] le ou les syndicats ayant obtenu isolément ou ensemble 50 pour
cent des suffrages au moins lors de la dernière élection pour les délégations du
personnel dans les entreprises ou établissements relevant du champ d’application de la
convention collective. Il y aurait ainsi des critères différents entre
l’article L.161-7 (2) et l’article L.162-1 (3). Le comité note à ce propos que le
gouvernement considère qu’il n’y a pas de contradiction entre ces deux textes, leurs
contenus n’ayant pas le même objet: l’article L.161-7 du code pose la condition des
seuils à respecter en vue de justifier d’une représentativité sectorielle, tandis que
l’article L.162-1 du code a trait à la commission de négociation d’une convention
collective de travail; en outre, l’article L.162-1(3) du code s’applique à tout syndicat
répondant aux critères des 50 pour cent indépendamment du fait d’une quelconque
représentativité sectorielle ou nationale.
- 534. Le comité prend note de ces observations. Le comité note que la
reconnaissance sectorielle au sens de l’article L.161-7 précité ouvre droit à une série
de prérogatives pour l’organisation concernée, au rang desquelles la participation à la
négociation collective ainsi que la signature des conventions collectives dans le
secteur concerné, la participation à la conclusion d’accords nationaux ou
interprofessionnels, la présentation de listes aux élections des délégations du
personnel, la participation à certaines décisions de l’entreprise, l’octroi de
congés-formation ou encore la désignation de représentants des travailleurs à certaines
instances.
- 535. Le comité note que, aux élections à la Chambre des salariés de 2019,
l’OGB-L a obtenu 31,58 pour cent des suffrages, la LCGB 19,20 pour cent, contre
49,22 pour cent pour l’ALEBA. Le comité observe que cette diminution de représentativité
sectorielle par rapport aux élections précédentes à la Chambre des salariés implique que
l’ALEBA ne disposerait plus du poids suffisant lui permettant de signer seule une
convention collective. Le comité constate également que, au regard de la lecture
conjuguée des articles L.161-7 et L-162-1 du Code du travail, au-delà de la signature,
c’est la participation à la négociation collective de l’organisation sectorielle qui ne
semble plus acquise. En effet, le comité note que pour être admis à la commission des
négociations, lorsque les conditions de l’article L.161-7 ne sont pas remplies, il faut:
i) une décision à l’unanimité des syndicats remplissant les conditions pour siéger à la
commission de négociation au titre de l’article L.162-1 (2) du code (c’est -à-dire les
syndicats justifiant de la représentativité nationale générale); ou ii) que (…) le ou
les syndicats aient obtenu isolément ou ensemble 50 pour cent des suffrages au moins
lors de la dernière élection pour les délégations du personnel dans les entreprises ou
établissements relevant du champ d’application de la convention collective
(article L.162-1 (3)). Le comité observe que l’ALEBA ne remplirait pas non plus cette
condition: d’après les résultats des élections pour la désignation des délégués du
personnel communiqués par le plaignant, l’OGB-L et la LCGB réuniraient ensemble
27,57 pour cent des effectifs dans le secteur des finances, contre 30,09 pour cent pour
l’ALEBA.
- 536. Le comité souhaite rappeler que dans un cas où, à la lumière de
considérations d’ordre national, le droit d’engager des négociations collectives avait
été restreint au bénéfice de deux syndicats nationaux ouvriers en général, il a estimé
que cela ne devait pas empêcher le syndicat représentant la majorité des travailleurs
d’une certaine catégorie de s’occuper de la sauvegarde des intérêts de ses membres. Le
comité a ainsi recommandé d’inviter le gouvernement à étudier les mesures qui pourraient
intervenir, en tenant compte des conditions nationales particulières, en vue de
permettre à ce syndicat d’être associé à la procédure de négociation collective de telle
sorte qu’il puisse y représenter de façon adéquate et y défendre les intérêts collectifs
de ses membres. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale,
sixième édition, 2018, paragr. 1385.] Le comité considère en l’espèce que, bien qu’elle
soit passée en-deçà du seuil des 50 pour cent à la suite des élections de 2019 à la
Chambre des salariés, l’ALEBA reste le syndicat le plus représentatif de son secteur, ce
que le gouvernement ne conteste pas, et qu’elle devrait en conséquence pouvoir continuer
à défendre les intérêts collectifs de ses membres.
- 537. Dans ce contexte, le comité invite le gouvernement à prendre les
mesures nécessaires qui conviendraient, pour veiller à ce que le syndicat le plus
représentatif d’un secteur puisse pleinement défendre les intérêts de ses membres, en
particulier en prenant part à la négociation des conventions collectives pertinentes. Le
comité prie le gouvernement de le tenir informé de la décision du Tribunal administratif
de Luxembourg qui sera rendue quant au fond.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 538. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité invite le
gouvernement à prendre les mesures nécessaires qui conviendraient, pour veiller à ce
que le syndicat le plus représentatif d’un secteur puisse pleinement défendre les
intérêts de ses membres, en particulier dans le cadre de la négociation des
conventions collectives pertinentes. Le comité prie le gouvernement de le tenir
informé de la décision du Tribunal administratif de Luxembourg qui sera rendue quant
au fond.