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Allégations: Les organisations plaignantes réclament le bénéfice des droits syndicaux pour les douaniers et dénoncent des représailles à l’encontre de dirigeants
- 494. Le Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (SAID) et l’Amicale des inspecteurs et officiers des douanes authentique (AIOD) ont présenté la plainte dans des communications en date des 3 et 31 mars et du 7 juin 2016.
- 495. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications en date des 23 mai et 7 juillet 2017.
- 496. Le Sénégal a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 497. Dans leurs communications en date des 3 et 31 mars et du 7 juin 2016, les organisations plaignantes regrettent que le Sénégal soit le seul pays de l’espace UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui ne dispose pas d’une représentation syndicale des agents des douanes. Ce constat, dressé par le comité de suivi du forum régional des agents des douanes de l’espace UEMOA réuni à Dakar en décembre 2011, a été l’occasion pour les membres de l’AIOD de plaider pour la modification de la loi no 69-64 du 30 octobre 1969 portant statut du personnel des douanes pour la rendre conforme à la convention no 87 ratifiée par le Sénégal et à la Déclaration universelle des droits de l’homme.
- 498. Les organisations plaignantes sont d’avis que les dispositions de l’article 8 du statut du personnel des douanes violent les prescriptions des articles 2, 3 et 8 de la convention no 87 en disposant que «Le personnel des douanes de tout grade, en activité de service, en position de détachement ou de disponibilité est soumis en permanence aux règles suivantes: […] il n’est pas éligible; il ne jouit ni du droit de grève ni du droit syndical; ses libertés d’expression, d’aller et de venir, de réunion, d’association sont limitées par le décret en fonction des nécessités de service.» Ces dispositions législatives non seulement privent les fonctionnaires des douanes de la liberté d’exercer leur droit syndical (y compris le droit de réunion et d’expression), mais constituent de fait le principal obstacle à la constitution d’une fédération régionale des syndicats des agents des douanes dans l’UEMOA et d’une fédération des syndicats des régies financières au Sénégal (incluant les agents des services suivants: Impôts, Trésor, Douanes).
- 499. Les organisations plaignantes dénoncent les mesures de rétorsion arbitraires et disproportionnées dont font l’objet les membres et sympathisants de l’AIOD depuis leur participation à la réunion du comité de suivi du forum régional des agents des douanes de l’espace UEMOA en décembre 2011. Ainsi, la Direction générale des douanes a notifié les décisions en date des 8 et 16 décembre 2011 aux inspecteurs des douanes, Ndiaga Soumaré et Pape Djigdjam Diop, d’une sanction disciplinaire de trente jours d’arrêt de rigueur pour des faits qualifiés de «participation à une réunion publique en rapport avec des activités de nature syndicale, et prise de position de nature à jeter le discrédit sur des institutions». Par suite, suivant les notes de service nos 01467 et 01480 MEF/DGD/DPL/BP des 13 et 20 décembre 2011, le ministre de l’Economie et des Finances a relevé les inspecteurs des douanes susnommés de leurs fonctions respectives de chefs des bureaux des investigations criminelles et des stupéfiants (BICS) et des régimes économiques et particuliers (BREP).
- 500. Par ailleurs, ces derniers ne figuraient pas, contrairement à leurs collègues de promotion, dans le décret du Président de la République no 2013-733 du 7 juin 2013 portant inscription au tableau d’avancement dans le corps des inspecteurs et officiers des douanes, année 2013 et années antérieures, et n’ont pas pu prétendre à être promus au grade d’inspecteur principal de deuxième classe, premier échelon, alors qu’ils avaient accompli la durée légale exigible après l’obtention du brevet de l’Ecole nationale d’administration (ENA). Afin de justifier l’omission de M. Soumaré du décret du Président de la République, le directeur du personnel et de la logistique a indiqué ce qui suit: «[…] d’un bon niveau intellectuel et professionnel, a péché cependant dans le comportement. Son combat, contraire aux dispositions actuelles du statut du personnel des douanes fait qu’il ne peut être apprécié positivement.» M. Soumaré a finalement été inscrit au tableau d’avancement par le décret du Président de la République no 2014-572 du 6 mai 2014. Ce dernier est donc resté treize mois sans être affecté et a dû attendre onze mois pour être inscrit au tableau d’avancement des inspecteurs. Ces mesures administratives prises à l’encontre de MM. Soumaré et Diop montrent une intention manifeste de les sanctionner à cause de la position qu’ils ont exprimée en faveur de la syndicalisation des douaniers et constituent une violation de la convention no 87.
- 501. Les organisations plaignantes dénoncent la portée des décisions de justice prises par les plus hautes instances du pays, à savoir le Conseil constitutionnel et la chambre administrative de la Cour suprême, sur la question (copies jointes). Ces décisions, de l’avis des organisations plaignantes, sont en contradiction avec la position du Comité de la liberté syndicale. Elles se réfèrent en particulier à la décision no 2/C/2013 du 18 juillet 2013 du Conseil constitutionnel et à la décision no 61 du 12 décembre 2013 de la Cour suprême. Ces instances se sont fondées sur des cas du comité portant sur l’exercice du droit de grève (cas no 1719, 304e rapport, et cas no 2383, 336e rapport) pour en tirer la conclusion que l’OIT considère «que la liberté syndicale n’a pas une portée absolue et que le législateur est habilité à en interdire l’exercice en cas de nécessité». Les organisations plaignantes sont d’avis que, en se basant sur les rapports du Comité de la liberté syndicale pour en tirer la conclusion que l’article 8 du statut des douanes ne viole pas la liberté syndicale ni la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel et la chambre administrative de la Cour suprême ont donné une portée erronée aux conclusions du comité.
- 502. Les organisations plaignantes se réfèrent au principe posé par le Comité de la liberté syndicale lors de l’examen d’un cas où il a clairement indiqué que les agents des douanes sont couverts par la convention no 87 et doivent donc bénéficier du droit syndical (cas no 2288, 333e rapport). Cependant, les différents recours pour rabat d’arrêt (rectification d’arrêt pour erreur de pure procédure) intentés depuis 2013 pour violation de la convention no 87 n’ont toujours pas abouti. Cela constitue un déni de justice selon le SAID et l’AIOD.
- 503. Enfin, les organisations plaignantes indiquent que, parallèlement aux saisines judiciaires, le Médiateur de la République, autorité administrative indépendante, a été saisi de deux requêtes portant – exclusivement – sur la régularisation de la situation administrative des douaniers sanctionnés. La première requête, enregistrée le 13 septembre 2012, faisait suite au refus de l’autorité administrative de procéder à l’affectation de M. Soumaré, neuf mois après avoir été relevé de ses fonctions en violation de l’article 20 de la loi no 69-64 du 30 octobre 1969 portant statut des douanes. La deuxième requête, enregistrée le 17 juin 2013, faisait suite à l’omission de M. Soumaré dans le décret du Président de la République no 2013-733 portant tableau d’avancement au grade d’inspecteur principal des douanes de deuxième classe, premier échelon. Les organisations plaignantes regrettent la teneur du rapport annuel 2012-13 du Médiateur de la République dans lequel il affirme que «ni la liberté syndicale ni le droit de grève ne peuvent avoir une portée absolue, et ajoute que le législateur est habilité à limiter ou à interdire la liberté syndicale et le droit à la grève des fonctionnaires des douanes, notamment, en cas d’impérieuse nécessité». Outre le fait que ce rapport contrevient à l’interdiction faite au Médiateur de la République d’intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction ou de remettre en cause le bien-fondé d’une décision juridictionnelle, il constitue également une entrave à la protection dont les douaniers peuvent prétendre contre les actes de discrimination antisyndicale.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 504. Le gouvernement a fourni ses observations en réponse aux allégations du SAID et de l’AIOD dans des communications en date des 23 mai et 7 juillet 2017.
- 505. De manière liminaire, le gouvernement indique que, si l’AIOD soutient s’être affiliée au SAID, une telle affiliation n’a pas été légalement notifiée à l’administration du travail chargée de veiller au respect de la législation nationale en matière de droit syndical. En l’espèce, cette affiliation de l’AIOD au SAID ne repose sur aucune base juridique, dans la mesure où l’article 8 de la loi no 69-64 du 30 octobre 1969 portant statut du personnel des douanes interdit formellement à cette catégorie de fonctionnaires qui dispose d’un statut paramilitaire le droit syndical ou la participation à des activités syndicales.
- 506. La violation de l’article 8 du statut du personnel des douanes a motivé les sanctions disciplinaires infligées à MM. Soumaré et Diop, tous deux inspecteurs principaux des douanes et responsables de l’AIOD. Ces derniers avaient introduit un recours pour excès de pouvoir devant la Cour suprême. A son tour, cette juridiction avait saisi le Conseil constitutionnel, par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité, pour se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 8 de la loi de 1969. Le Conseil constitutionnel a considéré l’article 8 conforme à la Constitution dans sa décision no 2/C/2013 du 18 juillet 2013. A son tour, la Cour suprême, ayant statué sur les autres moyens soulevés quant au fond et sur un contrôle de conventionalité de la loi, a conclu à la conformité de l’article 8 aux principes du droit syndical de la convention no 87, avant de débouter les requérants de leur plainte, dans son arrêt no 61 du 12 décembre 2013. C’est dans ce contexte que l’AIOD a saisi le Comité de la liberté syndicale d’une plainte sur un certain nombre de griefs. A l’appui de ses allégations, l’AIOD se réfère également aux dispositions des articles 8 et 25 de la Constitution du Sénégal qui consacrent, respectivement, la garantie des libertés fondamentales dont les libertés syndicales et le droit de grève.
- 507. Le gouvernement rappelle que l’article 8 du statut du personnel des douanes prévoit que le personnel des douanes de tout grade, en activité de service, en position de détachement ou de disponibilité est soumis en permanence à des règles, et notamment au fait qu’il ne jouit pas du droit de grève ni du droit syndical. Toutefois, il y a lieu de relever d’emblée que le corps des douanes fait partie au Sénégal des corps paramilitaires qui interviennent dans la défense et la sécurité de l’Etat. A ce titre, ils sont régis par des textes spéciaux, en raison de la nature même de leurs missions, avec certaines restrictions indispensables à l’impérieuse nécessité d’assurer la sécurité nationale et la préservation en permanence de l’intérêt général. C’est ainsi, dans sa décision no 2/C/2013 du 18 juillet 2013, que le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour suprême pour un contrôle de constitutionnalité de l’article 8 du statut du personnel des douanes, a conclu que «ni la liberté syndicale ni le droit de grève ne sont absolus» et que, en disposant à l’article 25 de la Charte fondamentale que ceux-ci s’exercent dans le cadre prévu par la loi, «le constituant a entendu affirmer que le droit de grève ainsi que la liberté syndicale ont des limites résultant de la nécessaire conciliation entre la défense des intérêts professionnels et la préservation de l’intérêt général».
- 508. Le gouvernement rappelle que le Comité de la liberté syndicale a considéré dans un cas précédemment examiné que «les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaire exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat; leur droit de recourir à la grève (émanation de la liberté syndicale) peut faire l’objet de restrictions telles que la suspension ou l’interdiction» (cas no 2383, 336e rapport). Le gouvernement indique que, par son arrêt no 61 du 12 décembre 2013, la chambre administrative de la Cour suprême, statuant sur le recours pour excès de pouvoir introduit par les requérants, a rejeté le recours de l’AIOD. En effet, sur la base de l’article 98 de la Constitution sénégalaise, la Cour suprême a procédé à un contrôle préalable de conventionalité de l’article 8 du statut du personnel des douanes et a conclu à la conformité de cette disposition aux normes internationales en matière de droit syndical, d’autant plus que cet article avait déjà été déclaré conforme à la Constitution qui intègre en son sein ces différents instruments internationaux. A l’appui de sa décision, la Cour suprême a invoqué opportunément un cas examiné par le Comité de la liberté syndicale dans lequel celui-ci avait conclu que l’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale (cas no 1719, 304e rapport). Compte tenu de toutes ces considérations, le gouvernement est d’avis que la liberté syndicale et le droit de grève ne sont pas absolus, le législateur étant habilité à en limiter la portée ou à en interdire l’exercice en cas d’impérieuse nécessité liée à la défense, à la sécurité nationale ou à l’intérêt général, à l’exemple de ce qui est prévu à l’article 8 de la loi no 69-64 du 30 octobre 1969 portant statut des douanes.
- 509. En ce qui concerne les sanctions administratives infligées à MM. Soumaré et Diop, qui violeraient la convention no 87, le gouvernement indique que, à l’occasion de la réunion du comité de suivi du forum régional des agents des douanes de l’espace UEMOA, tenue à Dakar les 1er et 2 décembre 2011, et à laquelle avaient pris part, pour le compte de l’AIOD, MM. Diop et Soumaré, ce dernier avait dans son discours d’ouverture suggéré l’adaptation du statut du personnel des douanes aux dispositions constitutionnelles relatives au droit syndical. Suite à cette déclaration, les deux inspecteurs principaux des douanes avaient fait l’objet de mesures disciplinaires (arrêt de rigueur de trente jours) au motif d’une «participation à une réunion publique en rapport avec des activités de nature syndicale et prise de position de nature à jeter le discrédit sur les institutions». En vertu de l’article 8 du statut du personnel des douanes, MM. Soumaré et Diop ne jouissent ni du droit de grève ni du droit syndical. Ses libertés d’expression, d’aller et de venir, de réunion et d’association sont limitées en fonction des nécessités de service. Sur cette base, les faits incriminés commis par les requérants justifient les décisions administratives de sanctions prises par l’autorité.
- 510. Par ailleurs, le gouvernement considère que MM. Soumaré et Diop ne sont pas fondés à invoquer une violation de leurs droits syndicaux en vertu de la convention no 87 ou de la convention no 98 dans la mesure où, en vertu de leur statut d’agents des douanes, le droit syndical et le droit de grève leur sont déniés. Le gouvernement précise que les mesures disciplinaires prises à l’encontre des agents requérants ne visent pas à porter atteinte à la liberté syndicale ni à remettre en cause la pertinence des conventions nos 87 et 98. Ces mesures sanctionnent la violation manifeste des dispositions de la loi portant statut du personnel des douanes que les requérants n’ont pas respecté. Sur cette base, l’autorité administrative compétente a pris les sanctions appropriées pour faire respecter la loi et la discipline requises.
- 511. S’agissant de la conformité des décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour suprême avec la convention no 87 et la Déclaration universelle des droits de l’homme, le gouvernement rappelle que le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour suprême d’un contrôle de constitutionnalité de l’article 8 du statut du personnel des douanes, a conclu dans son arrêt du 18 juillet 2013 à la conformité de cette disposition à la Constitution. Par la suite, la chambre administrative de la Cour suprême s’est prononcée dans son arrêt du 12 décembre 2013 sur la conformité de cette disposition et a conclu que la loi portant statut du personnel des douanes était conforme à la convention internationale, avant de déclarer les griefs soulevés par les requérants infondés quant au fond.
- 512. Dans leurs décisions respectives, et contrairement aux allégations des requérants, les deux juridictions supérieures ne se sont pas fondées uniquement sur les rapports du Comité de la liberté syndicale, mais aussi sur d’autres instruments juridiques, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, la Déclaration universelle des droits de l’homme, pour conclure à la non-violation de la Charte fondamentale, par l’article 8 du statut du personnel des douanes.
- 513. Enfin, s’agissant des allégations selon lesquelles le rapport 2012-13 du Médiateur de la République violerait la convention no 87, le gouvernement confirme les conclusions contenues dans le rapport, soutenant que ni la liberté syndicale ni le droit de grève ne peuvent avoir une portée absolue et ajoutant que le législateur est habilité à limiter ou à interdire la liberté syndicale et le droit à la grève des fonctionnaires des douanes, notamment en cas d’impérieuse nécessité. Dans son argumentaire, le médiateur a également soutenu «que le personnel des douanes, corps paramilitaire, assure une mission de service public qui ne peut s’accommoder d’interruption volontaire de nature à mettre en péril le fonctionnement de l’Etat et que l’intérêt général est donc à même de justifier l’interdiction par le législateur du droit de grève et du droit syndical au personnel des douanes». Le gouvernement tient à souligner que le Médiateur de la République, autorité administrative indépendante, est cependant tenu de respecter les institutions de la République, notamment celles judiciaires, ainsi que les lois régissant les différentes fonctions administratives. Ainsi, les décisions rendues définitivement par les juridictions nationales s’imposent à lui. Dans son rapport, le Médiateur de la République ne fait que respecter la décision rendue par une juridiction supérieure qui a statué sur la question en premier et dernier ressort. Une telle décision s’applique erga omnes à toutes les structures de l’Etat, liant le Médiateur de la République, au même titre qu’elle a été suivie par la Cour suprême, initiatrice du recours en exception d’inconstitutionnalité, pour statuer sur les autres moyens dont elle était saisie. En conclusion, la position exprimée par le médiateur dans son rapport ne doit pas être assimilée à une intervention dans une procédure juridictionnelle.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 514. Le comité note que le présent cas porte sur des allégations de déni des droits syndicaux aux agents des douanes et à des mesures de rétorsions à l’encontre de dirigeants qui réclament une modification législative à cet égard. Ce cas est présenté par le SAID et l’AIOD, qui lui est affiliée.
- 515. De manière liminaire, le gouvernement soutient que l’affiliation de l’AIOD au SAID n’a pas été légalement notifiée à l’administration du travail chargée de veiller au respect de la législation nationale en matière de droit syndical, et ne repose donc sur aucune base juridique dans la mesure où le statut du personnel des douanes interdit formellement à cette catégorie de fonctionnaires qui dispose d’un statut paramilitaire le droit syndical ou la participation à des activités syndicales. Le comité rappelle que ses procédures prévoient qu’il possède entière liberté pour décider si une organisation peut être considérée comme une organisation professionnelle au sens de la Constitution de l’OIT, et il ne se considère lié par aucune définition nationale de ce terme (paragr. 32). En l’espèce, le comité estime que le déni des droits syndicaux des agents des douanes est manifestement une question qui intéresse une organisation qui représente cette catégorie de travailleurs.
- 516. Le comité note que, selon les organisations plaignantes, les dispositions de l’article 8 du statut du personnel des douanes violent les prescriptions contenues dans la convention no 87 aux termes desquelles: les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations (article 2); les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature à limiter le droit syndical ou à en entraver l’exercice légal (article 3); la législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par ladite convention (article 8). L’article 8 du statut du personnel des douanes dispose que «Le personnel des douanes de tout grade, en activité de service, en position de détachement ou de disponibilité est soumis en permanence aux règles suivantes: […] il n’est pas éligible; il ne jouit ni du droit de grève ni du droit syndical; ses libertés d’expression, d’aller et de venir, de réunion, d’association sont limitées par le décret en fonction des nécessités de service.» L’article 8 contrevient donc aux dispositions de la convention internationale en privant les fonctionnaires des douanes de la liberté d’exercer leur droit syndical (y compris le droit de réunion et d’expression), mais constituerait aussi un obstacle à la constitution d’une fédération des syndicats des régies financières au Sénégal (incluant les agents des services suivants: Impôts, Trésor, Douanes) et au niveau régional d’une fédération régionale des syndicats des agents des douanes dans l’UEMOA. A l’appui de ses allégations, l’AIOD se réfère également aux dispositions des articles 8 et 25 de la Constitution du Sénégal qui consacrent, respectivement, la garantie des libertés fondamentales dont les libertés syndicales et le droit de grève. Le comité prend note de l’indication du gouvernement selon laquelle le corps des douanes fait partie au Sénégal des corps paramilitaires qui interviennent dans la défense et la sécurité de l’Etat. A ce titre, ils sont régis par des textes spéciaux, en raison de la nature même de leurs missions, avec certaines restrictions indispensables à l’impérieuse nécessité d’assurer la sécurité nationale et la préservation en permanence de l’intérêt général. Les juridictions supérieures saisies (Cour constitutionnelle et Cour suprême) ont retenu en 2013 que «ni la liberté syndicale ni le droit de grève ne sont absolus» et que, en disposant à l’article 25 de la Charte fondamentale que ceux-ci s’exercent dans le cadre prévu par la loi, «le constituant a entendu affirmer que le droit de grève ainsi que la liberté syndicale ont des limites résultant de la nécessaire conciliation entre la défense des intérêts professionnels et la préservation de l’intérêt général».
- 517. Le comité note que le gouvernement se réfère à un cas précédemment examiné par le comité où il a considéré que «les fonctionnaires de l’administration et du pouvoir judiciaire exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat; leur droit de recourir à la grève (émanation de la liberté syndicale) peut faire l’objet de restrictions telles que la suspension ou l’interdiction» (cas no 2383 (Royaume-Uni), 336e rapport (2005)). Selon le gouvernement, la Cour suprême a procédé à un contrôle préalable de conventionalité de l’article 8 du statut du personnel des douanes et a conclu à la conformité de cette disposition aux normes internationales en matière de droit syndical, d’autant plus que cet article avait déjà été déclaré conforme à la Constitution. A l’appui de sa décision, la Cour suprême a invoqué un cas examiné par le Comité de la liberté syndicale dans lequel celui-ci avait conclu que l’interdiction du droit de grève aux travailleurs des douanes, fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat, n’est pas contraire aux principes de la liberté syndicale (cas no 1719 (Nicaragua), 304e rapport (1996)). Compte tenu de toutes ces considérations, les juridictions supérieures ont retenu que la liberté syndicale et le droit de grève ne sont pas absolus, le législateur étant habilité à en limiter la portée ou à en interdire l’exercice en cas d’impérieuse nécessité liée à la défense, à la sécurité nationale ou à l’intérêt général, à l’exemple de ce qui est prévu à l’article 8 de la loi no 69-64 du 30 octobre 1969 portant statut des douanes. Le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour suprême d’un contrôle de constitutionnalité de l’article 8 du statut du personnel des douanes, a conclu dans son arrêt du 18 juillet 2013 à la conformité de cette disposition à la Constitution. Par la suite, la chambre administrative de la Cour suprême s’est prononcée dans son arrêt du 12 décembre 2013 sur la conformité de cette disposition et a conclu que la loi portant statut du personnel des douanes était conforme à la convention internationale, avant de déclarer les griefs soulevés par les requérants infondés quant au fond.
- 518. Le comité note la position des organisations plaignantes qui estiment que ces décisions sont en contradiction avec la position du comité et que le Conseil constitutionnel et la chambre administrative de la Cour suprême ont donné une portée erronée aux conclusions du comité. De l’avis des organisations plaignantes, le comité a, au contraire, clairement posé le principe que les agents des douanes sont couverts par la convention no 87 et doivent donc bénéficier du droit syndical (cas no 2288 (Niger), 333e rapport (2004)).
- 519. Le comité rappelle que, en vertu de la convention no 87, les travailleurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations. Certes, l’article 9 de la convention autorise des dérogations en ce qui concerne les membres des forces armées et la police, mais le comité rappelle que les membres des forces armées qui peuvent être exclus doivent être définis de manière restrictive. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 226.] Le comité rappelle donc le principe selon lequel les agents des douanes sont couverts par la convention no 87 et doivent donc bénéficier du droit syndical. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 233.] Le comité a également précisé, à l’occasion de l’examen d’un cas, que les fonctions exercées par le personnel des services de douanes et d’impôts, des services d’immigration, des prisons et des services préventifs ne justifient en aucun cas leur exclusion du droit de liberté syndicale (voir cas no 2432 (Nigéria), 343e rapport (2006)).
- 520. Le comité rappelle néanmoins que le droit de grève peut être restreint, voire interdit: i) dans la fonction publique uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat; ou ii) dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est à dire dans les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 576.] Le comité rappelle qu’il a déjà formulé des conclusions selon lesquelles certains fonctionnaires des douanes exercent des fonctions d’autorité au nom de l’Etat. Pour ces derniers, le droit de grève peut être restreint. A l’occasion de l’examen d’un cas, le comité a également rappelé que, lorsque le droit de grève est restreint ou supprimé, les travailleurs concernés devraient bénéficier d’une protection adéquate de manière à compenser les restrictions qui ont été imposées à leur liberté d’action pendant les différends survenus avec leur employeur. Ainsi, les limitations au droit de grève devraient s’accompagner de procédures de conciliation et d’arbitrage appropriées, impartiales et expéditives aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et rapidement (voir cas no 2288 (Niger), 333e rapport (2004)).
- 521. Tout en accueillant favorablement l’intérêt porté à ses conclusions et principes, le comité observe qu’en l’espèce la décision no 2/C/2013 du 18 juillet 2013 du Conseil constitutionnel et la décision no 61 du 12 décembre 2013 de la Cour suprême semblent donner une portée plus large à la position du comité, indiquée ci-dessus, en ce qui concerne le droit syndical du personnel des douanes.
- 522. Le comité considère que l’article 8 de la loi no 69-64 du 30 octobre 1969 portant statut du personnel des douanes n’est pas en conformité avec le droit de tous les travailleurs, y compris les agents des douanes, de constituer les organisations de leur choix et celui de s’y affilier. En conséquence, le comité invite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour modifier cette disposition afin de supprimer l’interdiction faite au personnel des douanes d’exercer leurs droits syndicaux. Toutefois, le comité, conscient de la spécificité des fonctions de cette catégorie de personnel, est d’avis que la limitation, voire l’interdiction du droit de grève (comme actuellement prescrite à l’article 8), ne soulève pas de difficultés par rapport aux principes de la liberté syndicale, mais devrait s’accompagner de procédures de conciliation et d’arbitrage appropriées, impartiales et expéditives aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et rapidement. En conséquence, le comité prie le gouvernement de veiller à ce que des garanties compensatoires de cette nature soient accordées au personnel des douanes dans la mesure où son droit de grève est dénié ou limité, et de le tenir informé de toutes mesures prises à cet égard.
- 523. Le comité prend note des allégations des organisations plaignantes concernant les mesures administratives à l’encontre de MM. Ndiaga Soumaré et Pape Djigdjam Diop, tous deux responsables de l’AIOD, qui montreraient l’intention manifeste des autorités de les sanctionner à cause de la position qu’ils ont exprimée en faveur de la syndicalisation des douaniers lors de la réunion du comité de suivi du forum régional des agents des douanes de l’espace UEMOA en décembre 2011. Le comité note que, en décembre 2011, la Direction générale des douanes a notifié à MM. Soumaré et Diop des sanctions disciplinaires de trente jours d’arrêt de rigueur pour des faits qualifiés de «participation à une réunion publique en rapport avec des activités de nature syndicale, et prise de position de nature à jeter le discrédit sur des institutions». Ces derniers ont par la suite été relevés respectivement de leurs fonctions de chefs des BICS et des BREP. Enfin, le comité note les allégations relatives à des mesures discriminatoires dans l’avancement de carrière de M. Soumaré, notamment que celui-ci serait demeuré treize mois sans affectation et aurait dû attendre onze mois pour être inscrit au tableau d’avancement par rapport aux agents de la même promotion.
- 524. Le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle la Direction générale des douanes a décidé de sanctionner MM. Soumaré et Diop au motif d’une «participation à une réunion publique en rapport avec des activités de nature syndicale et prise de position de nature à jeter le discrédit sur les institutions» en ayant suggéré, lors de la réunion du comité de suivi du forum régional des agents des douanes de l’espace UEMOA, l’adaptation du statut du personnel des douanes aux dispositions constitutionnelles relatives au droit syndical. Le gouvernement déclare que, en vertu de l’article 8 du statut du personnel des douanes, MM. Soumaré et Diop ne jouissent pas des libertés d’expression, d’aller et de venir, de réunion et d’association. Sur cette base, les faits incriminés commis par les requérants justifient les décisions administratives de sanctions prises par l’autorité. De plus, le gouvernement considère que MM. Soumaré et Diop ne sont pas fondés à invoquer une violation de leurs droits syndicaux en vertu de la convention no 87 ou de la convention no 98 dans la mesure où, en vertu de leur statut d’agents des douanes, le droit syndical et le droit de grève leur sont déniés. Ainsi, les mesures disciplinaires prises à leur encontre ne visaient pas à porter atteinte à la liberté syndicale, mais à sanctionner de manière appropriée la violation manifeste des dispositions de la loi que les requérants n’ont pas respectées.
- 525. Le comité note avec préoccupation, en vertu des informations du gouvernement et des organisations plaignantes, que MM. Soumaré et Diop ont fait l’objet de sanctions disciplinaires pour le simple fait de s’être exprimés en faveur de la reconnaissance de leurs droits syndicaux, de surcroît dans le cadre d’un mandat de représentation. Le comité prie instamment le gouvernement de s’assurer que ces derniers ne subiront plus de préjudice à cet égard et que les recours concernant les mesures prises par les autorités administratives seront résolus en tenant compte de ces recommandations.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 526. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité demande au Conseil d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité invite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour modifier l’article 8 de la loi no 69-64 du 30 octobre 1969 portant statut du personnel des douanes afin de supprimer l’interdiction faite au personnel des douanes d’exercer leurs droits syndicaux.
- b) Le comité prie le gouvernement de veiller à ce que des procédures de conciliation et d’arbitrage appropriées, impartiales et expéditives soient accordées au personnel des douanes en tant que garanties compensatoires dans la mesure où son droit de grève est dénié ou limité, et de le tenir informé de toutes mesures prises à cet égard.
- c) Le comité prie instamment le gouvernement de s’assurer que MM. Soumaré et Diop ne subiront plus de préjudice pour le simple fait de s’exprimer en faveur de la reconnaissance de leurs droits syndicaux et que les recours concernant les mesures prises par les autorités administratives seront résolus en tenant compte de ces recommandations.