Allégations: Les organisations plaignantes allèguent que certaines dispositions
de la législation pénale espagnole, ainsi que l’utilisation que les autorités font de ces
dispositions, conduisent à une répression excessive qui porte atteinte au droit de
grève
- 445. La plainte figure dans des communications en date du 25 juillet et
du 31 octobre 2014 présentées par la Confédération syndicale des commissions ouvrières
(CCOO) et l’Union générale des travailleurs (UGT).
- 446. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications en
date du 19 octobre 2015, du 24 février 2016, du 9 et du 24 mai 2016.
- 447. L’Espagne a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 135) concernant les
représentants des travailleurs, 1971, la convention (no 151) sur les relations de
travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la négociation
collective, 1981.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 448. Dans une communication en date du 25 juillet 2014, les organisations
plaignantes dénoncent un phénomène de répression de l’exercice du droit de grève
découlant de certaines dispositions du Code pénal espagnol, ainsi que du recours
croissant à ces normes par le ministère public et les juridictions pénales. Elles
affirment pour commencer que l’article 315.3 du Code pénal prévoit des sanctions élevées
(peine de prison entre trois et quatre ans et demi; peine pécuniaire de douze mois et un
jour à dix-huit mois) pour quiconque «contraint d’autres personnes à commencer ou à
poursuivre une grève». Selon les organisations plaignantes, cette notion juridique est
appliquée de façon généralisée dans le but d’ériger l’exercice du droit de grève en
infraction, des syndicalistes ayant dans des cas concrets été condamnés à des peines de
prison élevées pour avoir participé à des piquets de grève.
- 449. Les organisations plaignantes ajoutent qu’il ressort de la lecture
conjointe de l’article 315.3 du Code pénal et d’autres dispositions dudit code que
l’activité syndicale constitue spécifiquement une circonstance aggravante de la
responsabilité pénale, dans la mesure où: i) en vertu de l’article 172.1 du Code pénal,
le délit général de contrainte (qui consiste à empêcher une autre personne, par
violence, de faire ce que la loi n’interdit pas, ou à la forcer à faire ce qu’elle ne
veut pas) est sanctionné par une peine de prison allant de six mois à trois ans, tandis
que, en vertu de l’article 315.3, une peine de prison de trois à quatre ans et demi est
prévue pour les grévistes qui contraignent des tiers; ii) la peine prévue à
l’article 315.3 du Code pénal empêche la personne condamnée de bénéficier des
dispositions des articles 80 et 88 du Code pénal relatifs à la suspension et à la
substitution des peines privatives de liberté qui n’excèdent pas deux ans par des peines
alternatives; et iii) la peine prévue à l’article 315.3 du Code pénal est nettement
supérieure à la peine prévue à l’article 315.1 du Code pénal, lequel prévoit six mois à
trois ans d’emprisonnement pour les personnes qui, par tromperie ou abus d’une situation
de nécessité, empêchent ou limitent l’exercice de la liberté syndicale ou du droit de
grève.
- 450. Les organisations plaignantes font valoir de plus que:
i) l’article 315.3 n’expose pas suffisamment clairement ce qui constitue le comportement
délictueux, ce qui doit être son objectif ou qui sont les personnes qui s’en rendent
coupables, ce qui fait que cette disposition est appliquée de façon très disparate par
les tribunaux; ii) plusieurs condamnations de plus de trois ans de prison ont été
prononcées pour l’infraction prévue à l’article 315.3 bien que, dans la quasi-totalité
des cas, il n’y ait pas eu d’acte de violence. Compte tenu de ce qui précède, les
organisations plaignantes affirment que le délit général de contrainte serait suffisant
pour éradiquer les comportements violents dans le cadre de l’exercice du droit de grève,
sans qu’il soit nécessaire d’introduire la notion de circonstance aggravante pour ce
délit.
- 451. Les organisations plaignantes joignent une communication datée du
23 juillet 2014 de l’association professionnelle de la magistrature d’Espagne «Jueces
para la democracia», dans laquelle l’association: i) dénonce le caractère
disproportionné de la sanction prévue par l’article 315.3 du Code pénal, dont
l’existence et le libellé proviendraient de l’époque antérieure à la transition
démocratique, pendant laquelle l’on visait à réprimer le droit de grève; ii) réclame la
suppression de ladite disposition au motif que le droit de ne pas faire grève est déjà
suffisamment protégé par les dispositions relatives au délit général de contrainte;
iii) demande aux juges d’interpréter cette disposition de façon particulièrement
restrictive, afin de ne pas décourager l’exercice du droit fondamental qu’est le droit
de grève; et iv) souligne que, dans le cadre des graves tensions sociales consécutives à
la réforme de la législation du travail, 260 syndicalistes font l’objet de procédures
administratives et pénales et que de nombreux syndicalistes ont été placés en
détention.
- 452. Les organisations plaignantes allèguent ensuite que, au-delà des
déficiences du cadre normatif pénal, l’application pratique de celui-ci par le ministère
public et les juridictions pénales contribue à la violation du droit de grève. A cet
égard, elles affirment que: i) bon nombre des responsables syndicaux sont menacés de
lourdes peines de prison pour le simple fait de participer à la gestion des conflits du
travail; ii) le ministère public et les tribunaux n’appliquent pas de critères homogènes
dans le cadre des condamnations liées à des comportements délictueux supposés lors de
conflits collectifs, ce qui génère une grave insécurité juridique; et iii) les décisions
du parquet et la pratique judiciaire font souvent fi de la position de la Cour suprême
et de la Cour constitutionnelle consistant à appliquer les dispositions pénales avec
pondération au regard de la nécessité de protéger le droit fondamental à la liberté
syndicale.
- 453. Les organisations plaignantes affirment en outre que, dans un
contexte de conflits sociaux croissants par suite des réformes du travail opérées en
Espagne depuis 2010, leurs services juridiques ont été informés de 81 procédures
disciplinaires ou procédures pénales liées à l’exercice du droit de grève/de droits
collectifs. Elles se réfèrent ci-après à une série de procédures pénales ou
administratives ouvertes dans 12 communautés autonomes du pays.
Andalousie
- 454. Les organisations plaignantes indiquent que diverses procédures
pénales pour participation aux grèves générales de septembre 2010 et novembre 2012 et à
une grève d’entreprise visent 32 travailleurs. Ces travailleurs sont accusés des
infractions suivantes: coups et blessures, voies de fait et contrainte à la grève au
sens de l’article 315.3 du Code pénal. La Cour d’appel de Grenade a confirmé la
condamnation de deux personnes à trois ans et un jour de prison pour contrainte à la
grève au sens de l’article 315.3 du Code pénal. Il est apparu que, dans le cadre de la
grève générale du 29 mars 2012, ces deux personnes avaient tenu des propos offensants
contre la propriétaire d’un local de Grenade et avaient collé des autocollants et
griffonné des graffitis sur les murs du local, causant des dommages d’un montant de
767 euros. A San Fernando (Cádiz), le parquet requiert des peines de prison de neuf
mois, quatorze mois, et deux ans et trois mois, respectivement, contre trois
travailleurs de l’entreprise Navantia pour troubles à l’ordre public, voies de fait avec
emploi de moyens dangereux et coups et blessures. Les organisations plaignantes
allèguent que les faits violents visés par les procédures pénales consistent en
l’espèce: i) pour le premier travailleur, à avoir lancé un microphone en direction d’un
membre des forces de police sans avoir atteint celui ci; ii) pour le deuxième
travailleur, à avoir frappé l’avant-bras d’un membre des forces de police avec un
parapluie; et iii) pour le troisième travailleur, à avoir cassé à coups de parapluie le
bouclier d’un membre des forces de police. A Séville, un an d’emprisonnement est requis
pour une atteinte à la sécurité routière.
Aragon
- 455. Les organisations plaignantes se réfèrent à une procédure pénale
instruite à Saragosse pour voies de fait et coups et blessures dans le cadre de
bousculades alléguées de membres des forces de police lors de la grève générale de
2012.
Asturies
- 456. Les organisations plaignantes se réfèrent à 15 enquêtes ouvertes
dans plusieurs juridictions dans le cadre desquelles 43 personnes encourraient des
peines de prison allant de six mois à quatre ans. Les allégations concernent diverses
infractions: troubles à l’ordre public dans 10 de ces enquêtes, voies de fait dans
6 cas, dommages matériels dans 5 cas et coups et blessures dans 2 cas seulement, ce qui
met en évidence les faibles répercussions de ces conflits sociaux sur l’intégrité
physique.
Baléares
- 457. En lien avec la grève générale de mars 2012, les organisations
plaignantes indiquent qu’une procédure pénale est en cours contre la secrétaire générale
de l’Union des commissions syndicales des Baléares, dans laquelle est requise une peine
de prison supérieure à quatre ans.
Castille-la Manche
- 458. Les organisations plaignantes se réfèrent: i) à la mise en
accusation, sans que les poursuites n’aient encore été engagées, du secrétaire général
de l’Union provinciale de Ciudad Real et de deux autres dirigeants syndicaux pour avoir
allumé un feu à un rond-point et avoir organisé un piquet d’information dans le cadre de
la grève générale de 2010; et ii) aux poursuites pour dommages matériels (à l’origine
pour le délit de contrainte à la grève) visant quatre syndicalistes d’Albacete, qui se
trouvent en attente de jugement et qui sont accusés d’avoir lancé des punaises et donné
des coups dans un véhicule.
Castille-León
- 459. Les organisations plaignantes se réfèrent à six procédures pénales
pour troubles à l’ordre public (infraction), menaces et insultes (délit mineur) et
troubles à l’ordre public (délit mineur). A Ávila et Valladolid, les procédures pénales
ont donné lieu à des acquittements ou à des amendes élevées.
Catalogne
- 460. Les organisations plaignantes se réfèrent: i) aux poursuites
engagées à la suite de la grève générale de 2010 contre quatre dirigeants syndicaux de
Terrassa pour atteinte aux droits des travailleurs, dans le cadre desquelles une peine
de prison de quatre ans avait été requise à l’origine contre chacun des accusés, mais
qui ont donné lieu à un accord prévoyant une peine de six mois de prison avec sursis;
ii) à plusieurs procédures liées à des piquets d’information constitués pendant la grève
générale de 2012, sans que des accusations aient encore été formulées; iii) à la mise en
accusation devant les tribunaux de Barcelone d’un membre du comité d’entreprise du métro
de Barcelone pour dommages matériels en lien avec la grève du métro de Barcelone de
novembre 2012; iv) aux poursuites engagées devant les tribunaux d’instruction de Valls
et de Barcelone pour le délit de contrainte en lien avec une grève sectorielle menée à
Tarragone en mai 2013; et v) à l’ouverture de six procédures pénales, en début
d’instruction, liées à une grève au sein de l’entreprise Panrico.
Galice
- 461. Les organisations plaignantes se réfèrent: i) à un acquittement
prononcé par l’Audience provinciale de Pontevedra dans le cadre d’une procédure visant
trois personnes en lien avec un conflit découlant d’une grève en novembre 2009; ii) à la
condamnation de deux travailleurs à trois ans et un jour de prison, prononcée par la
même audience provinciale, pour avoir jeté de la peinture dans une piscine lors d’une
grève sectorielle menée en 2012; et iii) à une condamnation à une peine de trois ans de
prison dans le cadre de la grève générale de septembre 2010.
La Rioja
- 462. Les organisations plaignantes se réfèrent: i) à l’acquittement de
cinq travailleurs, parmi lesquels le secrétaire général de la CCOO de La Rioja, qui
avaient été accusés à l’origine de dommages matériels et de contrainte à la grève et,
par la suite, du délit général de contrainte; et ii) à une procédure orale en cours dans
laquelle une peine de cinq ans de prison est requise contre un travailleur pour sa
participation à la grève générale du 29 mars 2012.
Murcie
- 463. Les organisations plaignantes se réfèrent à une procédure pénale
engagée devant les tribunaux d’instruction de Murcie, dans le cadre de laquelle trois
personnes sont accusées de troubles à l’ordre public pour avoir mis le feu à des pneus
et avoir coupé la circulation lors de la grève générale de mars 2012.
Madrid
- 464. Les organisations plaignantes se réfèrent en premier lieu à
l’instruction, par les juridictions de Getafe, d’une procédure contre huit syndicalistes
de l’entreprise Airbus liée à la tenue de piquets d’information lors de la grève
générale de septembre 2010. Elles indiquent que le ministère public a requis une peine
de huit ans d’emprisonnement contre chacun des accusés pour atteinte aux travailleurs,
voies de fait et coups et blessures, et que l’accusation a été formulée par un ensemble
de membres des forces de sécurité de l’Etat qui sont intervenus lors de la dispersion
violente du piquet. Les organisations plaignantes mentionnent également: i) la peine de
sept ans de prison requise contre deux syndicalistes du secteur de l’hôtellerie pour
avoir participé à la grève générale du 29 mars 2012; ii) la peine de deux à quatre ans
de prison requise contre deux travailleurs d’Alcalá de Henares dans le cadre d’une
procédure en phase d’instruction; iii) une procédure pénale ouverte devant le tribunal
d’instruction no 5 de Getafe contre quatre membres du comité de grève du comité
d’entreprise de John Deere Ibérica S.A. pour avoir empêché les hauts cadres de
l’entreprise de se rendre à leur poste de travail lors d’une grève menée en juin 2012 au
sein de l’entreprise; et iv) la condamnation pour faute de contrainte au sens de
l’article 620.2 du Code pénal prononcée par l’Audience provinciale de Madrid (jugement
du 31 mars 2014) contre un travailleur pour avoir demandé à une employée d’un restaurant
McDonald’s de fermer le restaurant pendant la grève générale du 14 novembre 2012.
Communauté valencienne
- 465. Les organisations plaignantes se réfèrent: i) à 6 procédures
judiciaires, dont 2 ont été classées, engagées devant le tribunal d’instruction no 4 de
Liria, le tribunal pénal no 8 d’Alicante et le tribunal no 4 d’Alicante; ii) à des
procédures ouvertes à Elche dans le cadre desquelles 19 personnes sont accusées du délit
de contrainte; et iii) à la situation de 7 syndicalistes en attente de la formulation du
mémoire de qualification provisoire (escrito de calificación provisional) par le
ministère public.
- 466. Les organisations plaignantes ajoutent que les différents cas
exposés démontrent l’existence d’une série d’enquêtes, d’instructions et de
condamnations qui mettent en péril le plein exercice du droit de grève et de la liberté
syndicale. A cet égard, les organisations plaignantes:
- – allèguent que la
quasi-totalité des actes incriminés ne comporte aucun élément de violence ou de
contrainte impliquant un risque certain pour l’intégrité des personnes ou des biens
ou installations. Elles font valoir que les manifestations convoquées par les
organisations syndicales les plus représentatives ne présentent en Espagne aucun
caractère de violence. Elles estiment que, dans le cas d’Airbus où huit dirigeants
syndicaux sont accusés d’avoir agressé les membres de la police, les faits visés par
l’accusation se sont produits à la suite d’une charge policière lancée contre des
centaines de travailleurs, parmi lesquels des dizaines ont été blessés. La police
aurait lancé sa charge pour protéger un travailleur qui n’avait pas besoin de soins
médicaux. Dans la mesure où les personnes qui auraient été agressées sont membres
des forces de l’ordre, il est surprenant qu’aucun agresseur n’ait été identifié ou
arrêté, raison pour laquelle l’accusation s’est concentrée sur les dirigeants
syndicaux. Pour ce qui est de la condamnation de Pontevedra, les organisations
plaignantes s’étonnent que le fait d’avoir coloré l’eau d’une piscine et tâché le
costume d’un responsable de l’entreprise ait été qualifié d’«acte de violence sur
des personnes et des biens» par l’audience provinciale;
- – dénoncent le fait
que les constats de police fassent recours sans fondement et de façon stéréotypée à
des accusations de concertation de volontés en vue de commettre des actes illégaux
et de tenue illicite de piquets d’information, ce qui est de nature à aggraver
notablement la responsabilité pénale des accusés. Les organisations plaignantes
supposent que cette pratique découle de normes établies par les délégations du
gouvernement ou par le ministère de l’Intérieur;
- – dénoncent la pratique
consistant à centrer les accusations sur les dirigeants syndicaux lorsque les
auteurs des faits reprochés n’ont pas pu être identifiés individuellement, ce que le
cas d’Airbus et le cas survenu aux Baléares illustrent parfaitement;
- –
soulignent le rôle déterminant du ministère public, dont la position peut varier
substantiellement selon les contextes locaux, ce qui génère une grande incertitude
juridique. Tandis que de nombreux conflits dans différents secteurs n’aboutissent à
aucune procédure pénale, des poursuites sont engagées dans d’autres cas sans que la
gravité des faits justifie l’attitude du parquet. A cet égard, les organisations
plaignantes soulignent que dans deux cas seulement les accusations de contrainte à
la grève sont accompagnées d’un certain type de lésions corporelles. Elles estiment
que ce qui précède démontre l’absence de critères uniformes pour ce qui est des
poursuites liées au délit de contrainte à la grève et montre que la nécessité de
protéger l’exercice légitime du droit de grève n’est pas suffisamment prise en
compte. Il arrive que le ministère public ouvre des procédures pénales pour de
simples propos tenus oralement, même sans aucun contenu menaçant, comme cela est le
cas dans la condamnation de Pontevedra; et
- – allèguent que les tribunaux de
première instance et, parfois, les audiences provinciales (deuxième instance) ne
mettent pas en balance comme il se doit les différents biens juridiques qui
s’opposent, et font fi de la nécessité de défendre le droit de grève et la liberté
syndicale, ainsi que des décisions de la Cour suprême qui conduisent à une
interprétation restrictive du délit de contrainte à la grève. Les organisations
plaignantes indiquent enfin que, malgré leur caractère restrictif, les décisions de
la Cour suprême n’empêchent pas que l’article 315.3 du Code pénal continue de
traiter la grève comme un facteur aggravant de la responsabilité
pénale.
- 467. Dans une communication en date du 31 octobre 2014, l’UGT a transmis
une série d’informations complémentaires. L’organisation plaignante indique tout d’abord
de manière générale que les pratiques pénales employées pour ériger l’activité syndicale
en infraction ne se limitent pas à l’application du délit de contrainte pour promouvoir
la grève, mais englobent l’utilisation des délits d’attentat, de désobéissance ou de
troubles à l’ordre public. Elle allègue ensuite que, souvent, la justice agit avec un
retard énorme dans la mesure où des cas de plus de quatre ans sont toujours en attente
de jugement. A cet égard, l’UGT fait valoir que l’incertitude liée au retard des
procédures, qui s’ajoute à la menace d’une peine privative de liberté, porte atteinte à
l’exercice de la liberté syndicale et du droit de grève.
- 468. S’agissant de l’objet de l’article 315.3 du Code pénal,
l’organisation plaignante affirme: i) que le délit de contrainte pour promouvoir une
grève a été introduit en 1976 pour intimider les organisations syndicales qui étaient
toujours clandestines et les travailleurs qui participaient activement à l’organisation
et à la tenue des piquets de grève; ii) que cette disposition n’a pas été modifiée
malgré le développement des libertés et droits fondamentaux consacrés par la
Constitution de 1978; iii) que, pendant de nombreuses années, l’article 315.3 n’a pas
été appliqué; et iv) que, afin de mettre un frein aux protestations exprimant le
mécontentement des citoyens, la liberté de nombreux syndicalistes et dirigeants
syndicaux est menacée par l’application d’une infraction pénale qui porte atteinte à
l’exercice du droit de grève.
- 469. L’organisation plaignante communique les éléments ci-après relatifs
à des cas spécifiques de procédures pénales consécutives à des grèves dans le cadre
desquelles a été appliqué l’article 315.3 du Code pénal ou d’autres dispositions visant
des infractions pénales. Elle se réfère premièrement au cas de M. Carlos Rivas Martínez
et de M. Serafín Rodríguez Martínez, qui ont été condamnés pour un délit contre les
droits des travailleurs au sens de l’article 315.3 du Code pénal, indiquant que: i) les
travailleurs qui ont été condamnés ont participé en avril 2008 à une grève du secteur
des transports à Vigo en compagnie de 70 autres travailleurs; ii) selon l’acte
d’accusation, ces travailleurs ont empêché le passage de plusieurs camions conduits par
des travailleurs qui ne soutenaient pas la grève et ont lancé des objets et des pierres
qui ont brisé la vitre de l’un des camions; iii) sur la base de l’article 315.3 du Code
pénal, les deux travailleurs ont été condamnés à une peine de trois ans d’emprisonnement
et à douze mois de jours-amendes, à raison de 5 euros par jour, une condamnation qui a
été confirmée par l’Audience provinciale de Pontevedra dans sa décision du 4 décembre
2012; et iv) à la suite du dépôt d’un recours en grâce, les tribunaux ont décidé en 2014
de suspendre la peine dans l’attente de la décision relative au recours en grâce.
- 470. L’organisation plaignante se réfère deuxièmement au cas de la
dirigeante syndicale Mme María Jesús Cedrún Gutierrez, indiquant que: i) dans le cadre
de la grève convoquée par des syndicats nationaux le 29 mars 2012, la dirigeante
syndicale a participé à un piquet d’information à l’entrée de Mercasantander; ii) selon
l’acte d’accusation, la dirigeante syndicale a jeté des clous devant les pneus de
plusieurs véhicules qui avaient été retenus devant le piquet d’information; et iii) la
dirigeante syndicale a été condamnée le 27 mars 2014 à dix jours-amendes pour faute de
contrainte en vertu de l’article 620.2 du Code pénal.
- 471. L’organisation plaignante se réfère troisièmement au cas de M. José
Manuel Nogales Barroso et de M. Rubén Sanz Martín, indiquant que: i) dans le cadre de la
grève générale du 30 mars 2012, les deux représentants syndicaux ont participé à un
piquet d’information; ii) selon l’accusation, deux membres des forces de police ont
constaté que les participants au piquet d’information, lesquels s’étaient approchés d’un
bar pour demander sa fermeture, ont commencé à agresser et à insulter les employés du
bar et les ont frappés avec les banderoles qu’ils portaient; iii) deux employés du bar
et un policier se sont vu infliger des blessures qui ont nécessité respectivement
quatre, trois et six jours de guérison, sans qu’aucune de ces personnes n’ait été
empêchée d’exercer ses activités habituelles; iv) les deux grévistes ont été accusés
d’atteinte aux droits des travailleurs au sens de l’article 315.3 du Code pénal et de
voies de fait au sens des articles 550, 551 et 552 du Code pénal, ainsi que de coups et
blessures au sens de l’article 617.1 du Code pénal; et v) en 2012, chacun des
travailleurs a été condamné à trois ans et neuf mois de prison et à quinze mois de jours
amendes (15 euros par jour) pour le premier délit, à trois ans et trois mois de prison
pour le second, et à cinquante jours-amendes au taux de 15 euros par jour pour les
délits mineurs. Compte tenu des éléments qui précèdent, l’organisation plaignante
affirme que, dans son acte d’accusation, le ministère public n’a pas effectué une
analyse des circonstances dans le cadre desquelles les faits se sont produits et est
parti du principe que le piquet d’information se composait d’un groupe agité de
personnes faisant recours à la force et à l’intimidation pour faire pression sur la
liberté de travail de tierces personnes, sans tenir compte de la dimension
constitutionnelle de l’activité du piquet.
- 472. L’organisation plaignante se réfère quatrièmement au cas de M. Juan
Carlos Martínez Barros et de Mme Rosario María Alonso Rodríguez, indiquant que: i) dans
le cadre de la grève générale du 28 septembre 2012, ces deux personnes ont participé à
un piquet d’information dans la localité de Reinosa, en Cantabrie; ii) selon ce qui
figure dans le jugement, elles ont fermé le bureau des impôts à l’aide de cadenas de
sorte que la porte vitrée de l’agence a dû être brisée pour y permettre l’accès,
empêchant l’accueil du public pendant toute la matinée; et iii) les deux travailleurs
ont été condamnés à quinze jours-amendes pour faute de contrainte.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 473. Le gouvernement fait valoir dans ses communications que, bien que
les conventions de l’OIT invoquées dans la plainte – conventions nos 87, 98 et 154 –
protègent le droit de grève, ce dernier ne constitue pas un droit absolu et ne peut pas
être interprété sans restriction. Il indique en la matière que l’article 315.3 du Code
pénal ne punit pas le libre exercice du droit de grève, mais l’emploi de la force ou de
la violence pour obliger des travailleurs à participer à une grève. De ce fait, ladite
disposition, qui sanctionne comme dans d’autres pays les obstacles à la liberté de
travail découlant des piquets de grève, est conforme tant à la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle espagnole qu’à la doctrine du Comité de la liberté syndicale, qui
reconnaissent que le droit de grève ne constitue pas un droit absolu et ne saurait
donner lieu à des actes de violence ou d’intimidation.
- 474. A cet égard, le gouvernement souligne que: i) l’ordre juridique
espagnol respecte pleinement le droit de grève, qui est considéré par la Constitution
espagnole comme un droit de l’homme fondamental (art. 28 de la Constitution);
ii) l’article 6 du décret-loi royal no 17/1977 sur les relations de travail dispose que
les travailleurs en grève ont le droit de faire de la publicité dans le cadre de
celle-ci, de façon pacifique, mais doivent respecter la liberté de travail des
travailleurs qui ne souhaitent pas suivre la grève; iii) la Cour constitutionnelle
reconnaît que «le droit de grève implique le droit, dans les limites des dispositions
juridiques, d’appeler des tiers à adhérer et à participer à la grève dans le cadre
d’actions conjointes à cette fin» et que «le piquet de grève, avec ses activités
d’information et de propagande visant à persuader les autres travailleurs afin qu’ils se
joignent à la grève ou à dissuader ceux qui ont choisi de poursuivre le travail,
s’inscrit dans le droit reconnu par l’article 28 de la Constitution espagnole»; iv) la
Cour constitutionnelle est cependant catégorique lorsqu’elle affirme que le droit de
grève et l’activité des piquets ont des limites et que ledit droit n’inclut pas la
possibilité d’exercer une violence morale sur des tiers s’apparentant à de
l’intimidation ou à de la contrainte; et v) la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de
préciser que des comportements tels que les agressions, les insultes ou le fait de faire
obstacle au libre accès à l’entreprise sont des comportements qui ne s’inscrivent pas
dans l’exercice du droit de grève.
- 475. Le gouvernement indique en outre que l’article 315.3 du Code pénal
tire son origine de la loi no 23/1976 du 19 juillet 1976, qui a introduit l’ancien
article 496 du Code pénal. Si le Code pénal a fait l’objet d’une vaste réforme en 1995,
les auteurs de cette réforme ont considéré que les actes visés par l’ancien article 496
du Code pénal étaient suffisamment graves pour être maintenus dans le droit pénal.
L’intention du législateur en 1995, traduite dans les trois paragraphes de
l’article 315, était d’octroyer une protection symétrique aux personnes qui décidaient
d’exercer leur droit de grève et aux personnes qui renonçaient à l’exercer ou décidaient
de ne pas continuer à l’exercer, en imposant des peines identiques en cas de contrainte
pour empêcher l’exercice du droit de grève ou de contrainte pour forcer la participation
à une grève. Le gouvernement signale par ailleurs que les actes visés par
l’article 315.3 du Code pénal constituent une sous-catégorie des actes visés par
l’article 172 du Code pénal, qui définit le délit de contrainte et prévoit une sanction
oscillant entre six mois et trois ans d’emprisonnement ou une peine pécuniaire de douze
à vingt-quatre mois. Le gouvernement estime que la sous-catégorie d’infraction pénale
visée par l’article 315.3 du Code pénal se justifie dans la mesure où les actes de
contrainte exercés pour obliger des travailleurs à faire grève portent atteinte à leur
liberté de travail, à leur dignité et à leur droit à l’intégrité morale, qui constituent
des droits et valeurs protégés par la Constitution espagnole (art. 10, 15 et 35). Le
gouvernement souligne toutefois que, le droit de grève étant un droit fondamental, le
juge, conformément à la doctrine de la Cour constitutionnelle, non seulement doit tenir
compte du fait que tous les éléments prévus à l’article 315.3 du Code pénal doivent être
réunis, mais aussi doit, en cas de doute sur l’interprétation de cette disposition,
faire une interprétation restrictive de celle-ci afin d’éviter de limiter indûment le
droit de grève.
- 476. Le gouvernement indique de plus que la loi organique no 1/2015 du
30 mars 2015 a allégé les peines applicables aux infractions concernées. Tandis que,
auparavant, la législation prévoyait une peine d’emprisonnement minimale de trois ans et
maximale de quatre ans et six mois, la réforme a réduit la durée de la peine minimale à
un an et neuf mois d’emprisonnement et de la peine maximale à trois ans
d’emprisonnement. Par ailleurs, en vertu de cette réforme, l’autorité judiciaire a la
possibilité de remplacer les peines privatives de liberté par des peines pécuniaires. De
cette manière, la peine prévue pour ce type de délit se trouve atténuée tout en donnant
la possibilité au juge d’opter pour une peine d’emprisonnement ou pour une peine
pécuniaire en fonction de la gravité des faits et, surtout, du recours ou non à la
violence.
- 477. En ce qui concerne les procédures pénales spécifiques citées dans la
plainte, après avoir précisé que, du fait des informations lacunaires apportées par les
organisations plaignantes, il n’a pas été possible d’effectuer une analyse détaillée des
actions policières relatives à l’ensemble des cas mentionnés, le gouvernement indique
que: i) les forces et corps de sécurité de l’Etat ont, en vertu de la Constitution
espagnole, la mission de protéger le libre exercice des droits et libertés fondamentaux
et de garantir la sécurité publique, une mission dont ils s’acquittent conformément à la
loi organique no 2/1986; ii) tandis que la majorité des manifestations de travailleurs
découlant de la crise économique qui a frappé le pays ces dernières années se sont
déroulées de manière pacifique, il y a également eu des exceptions qui ont nécessité
l’intervention des forces et corps de sécurité de l’Etat pour mettre un terme aux
violences et assurer l’utilisation pacifique des voies de circulation et de l’espace
public; iii) dans tous les cas cités dans la plainte, les procédures pénales ont été
ouvertes contre les personnes concernées au motif qu’elles n’ont pas exercé leur droit
de grève de façon pacifique, ce qui a nécessité l’intervention des forces de l’ordre
pour protéger, selon les cas, le droit à la libre circulation, le droit au travail,
l’intégrité morale ou physique des personnes ou des biens.
- 478. Pour ce qui est des incidents qui se sont produits au sein de
l’entreprise Airbus, à Getafe, pendant la grève générale du 29 septembre 2010, le
gouvernement indique que: i) le corps national de police a dû intervenir pour permettre
à un employé d’accéder à son lieu de travail et que onze policiers ont été blessés
pendant l’opération, dont trois ont dû être emmenés à l’hôpital; ii) la violence contre
les forces de police a atteint un degré tel que deux policiers encerclés par les
grévistes ont dû tirer en l’air pour intimider leurs agresseurs et les disperser.
- 479. S’agissant des faits survenus à San Fernando (Cádiz) en 2012 dans le
cadre d’une manifestation de travailleurs de l’entreprise Navantia, le gouvernement
indique que: i) les manifestants ont modifié l’itinéraire communiqué aux autorités afin
de se diriger vers le siège du Parti populaire de la localité; ii) à cette occasion, les
manifestants ont forcé la porte d’entrée des bureaux du parti, ce qui a obligé la police
à intervenir pour éviter des dommages plus importants; et iii) les manifestants ont
répondu à cette intervention en agressant les fonctionnaires de police, et le président
du comité d’entreprise a lancé un microphone en direction des policiers, ce qui a donné
lieu à son arrestation.
- 480. Par ailleurs, le gouvernement nie catégoriquement l’existence de
critères établis par les organes dirigeants du ministère de l’Intérieur en ce qui
concerne l’incrimination des travailleurs et des représentants syndicaux. Le
gouvernement indique que les organisations syndicales sont pleinement reconnues par la
Constitution espagnole et que, par conséquent, les forces et corps de sécurité de l’Etat
n’ont pas pour ordre de considérer les activités syndicales ou des piquets d’information
a priori comme illégales et se limitent à s’acquitter de leur obligation
constitutionnelle consistant à défendre la loi et les droits et libertés des
citoyens.
- 481. De même, le gouvernement indique que le ministère public est
assujetti au principe de légalité des actions qu’il entreprend, qu’il doit exercer
l’action pénale à chaque fois qu’est supposée l’existence de comportements délictueux et
qu’il agit avec objectivité et impartialité et n’est soumis à rien d’autre que
l’impératif de la loi.
- 482. En ce qui concerne les allégations contenues dans la plainte selon
lesquelles les procédures pénales visent les dirigeants syndicaux pour le simple fait
d’avoir participé à la gestion de conflits du travail, le gouvernement fait valoir que:
i) il est parfois difficile de déterminer à qui des dommages illicites produits dans le
cadre d’une grève doivent être imputés, c’est pourquoi ils sont mis sur le compte de
l’organisation syndicale à laquelle appartiennent les grévistes, par l’intermédiaire de
leurs représentants syndicaux, l’organisation étant appelée à répondre des actes
individuels de ses membres dans les limites prévues par l’article 5.2 de la loi
organique no 11/1985 relative à la liberté syndicale, lequel dispose que le syndicat
n’est pas tenu de répondre des actes individuels de ses membres, sauf lorsque ceux-ci se
produisent dans l’exercice ordinaire des fonctions représentatives ou lorsqu’il est
prouvé que lesdits membres ont agi pour le compte du syndicat; et ii) les représentants
syndicaux sont habituellement ceux qui dirigent les piquets d’information ou les
manifestations qui, parfois, donnent lieu à des actes de violence, raison pour laquelle
ils sont visés dans les procédures engagées pour cause d’actes de violence, sans
préjudice de la responsabilité ultérieure des faits qui sera déterminée par décision
judiciaire ou administrative, le cas échéant.
- 483. Le gouvernement affirme en outre que l’application de
l’article 315.3 du Code pénal n’a posé aucun problème pendant de nombreuses décennies et
que la présentation de cette plainte est liée à une situation concrète et personnelle, à
savoir la condamnation de Mme Carmen Bajo et de M. Carlos Cano à trois ans et un jour
d’emprisonnement pour avoir contraint une propriétaire à fermer son local lors de la
grève générale de mars 2012. Il affirme que les deux organisations plaignantes ont
entrepris de multiples initiatives en vue d’éviter que ces deux personnes soient
incarcérées, ce qui limite la portée de la plainte à une affaire personnelle.
- 484. Le gouvernement nie les allégations relatives à l’inapplication
supposée de la législation pénale aux mouvements de grève avant la crise économique
actuelle et à son application prétendument généralisée ces dernières années. Dans ses
différentes communications, il cite à titre d’illustration 11 décisions de 1997 (1),
1998 (1), 1999 (1), 2002 (1), 2004 (2), 2005 (1), 2006 (3) et 2009 (1) qui, parmi
d’autres, ont donné lieu à l’application de l’article 315.3 du Code pénal.
- 485. Le gouvernement se réfère par ailleurs, toujours à titre d’exemple,
à 7 décisions rendues entre 2011 et 2015 dans lesquelles les tribunaux ont prononcé un
acquittement, ou du moins une peine clémente, pour des faits jugés en vertu de
l’article 315.3 du Code pénal. Il estime que tant les exemples antérieurs à 2010 que
ceux postérieurs démontrent que les organes judiciaires font une interprétation
restrictive de l’article 315.3, sans que celle-ci n’ait subi de modification ces
dernières années.
- 486. Le gouvernement fait valoir enfin non seulement que la législation
pénale espagnole est parfaitement conforme aux conventions et principes relatifs à la
liberté syndicale, mais aussi que, en vertu de l’ordre juridique espagnol, le droit
fondamental à la grève peut compter sur des systèmes efficaces de protection, d’une part
devant les tribunaux ordinaires, d’autre part devant la Cour constitutionnelle au moyen
du recours en amparo. Sur la base de ce qui précède et dans la mesure où tous les faits
exposés par les syndicats plaignants sont en attente de jugement, il est raisonnable de
demander que l’examen de la présente plainte soit reporté tant que les décisions
correspondantes n’auront pas été rendues.
- 487. Dans ses communications en date du 24 février et du 9 mai 2016, le
gouvernement transmet une copie de la décision no 57/2016 du 16 février 2016 du Tribunal
pénal de Getafe relative aux délits d’atteinte aux droits des travailleurs, attentat et
lésions corporelles reprochés à huit dirigeants syndicaux dans le cadre des incidents
survenus au sein de l’entreprise Airbus, à Getafe, pendant la grève générale du
29 septembre 2010. Il souligne que la décision: i) déclare attestée l’existence d’actes
de contrainte sur les travailleurs pour qu’ils soutiennent la grève, ainsi que d’actes
d’agression; ii) acquitte deux des dirigeants syndicaux suite au retrait, par le
ministère public, des accusations formulées contre eux; et iii) acquitte les six autres
accusés sur la base du principe de présomption d’innocence, puisqu’aucune preuve ne
permet d’imputer personnellement des faits concrets aux accusés.
- 488. Par le biais d’une communication du 24 mai 2016, le gouvernement
transmet la position de la principale organisation d’employeurs du pays, la
Confédération espagnole d’organisations d’employeurs (CEOE), vis-à-vis du contenu de la
plainte. Dans sa communication, la CEOE exprime une position similaire à celle du
gouvernement à propos de l’article 315.3 du Code pénal et de son application par les
tribunaux espagnols. Elle indique que cette disposition est pleinement conforme à la
doctrine du Comité de la liberté syndicale et aux conventions internationales ratifiées
par l’Espagne en la matière. La CEOE affirme particulièrement que: i) la révision de
l’article 315.3 du Code Pénal par la loi organique 1/2015, qui abaisse les peines de
prison applicables en cas de contrainte contre les non-grévistes, garantit que les
peines imposées sont proportionnelles à la gravité des délits commis; ii) s’agissant
d’une loi plus favorable, la loi organique 1/2015 s’applique aux procédures judiciaires
en cours de résolution, même si les faits commis sont antérieurs à son entrée en
vigueur; iii) la réglementation actuelle n’occasionne aucune forme d’insécurité
juridique et, si cela était le cas, il reviendrait aux tribunaux espagnols de se charger
de cette situation; iv) le nombre de décisions des tribunaux espagnols relatifs à cette
question sont quasi inexistants, ce qui démontre l’absence de problème juridique à cet
égard; et v) concernant les retards allégués des procédures pénales relatives à des
faits commis pendant des mouvements de grève, la CEOE indique qu’a été adoptée le
5 octobre 2015 la loi 41/2015 de procédure pénale pour la réduction des délais de la
justice pénale et le renforcement des garanties de procédure. La CEOE indique que cette
loi établit des délais maximaux d’instruction, ce qui permettra d’éviter que le type de
procédures mentionnées dans la plainte ne se prolonge, situation qui pouvait se produire
antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi précitée.
- 489. La communication de la CEOE contient par ailleurs des informations
relatives à la situation de quatre personnes condamnées à trois ans de prison et à une
amende pour la commission du délit contre les droits des travailleurs de l’article 315.3
du Code pénal et qui ont déposé des recours en grâce en 2014 (Mme María del Carmen Bajo
Crémer et M. Carlos Cano Navarro, d’une part, objets d’une condamnation pénale prononcée
le 24 mai 2013, et MM. Carlos Rivas Martínez et Serafín Rodríguez Martínez, d’autre
part, objets d’une condamnation pénale prononcée le 9 mai 2011). A cet égard, la CEOE
indique que: i) les différents dossiers de recours en grâce sont complétés et dans
l’attente d’une décision; ii) dans l’attente de la décision sur leur recours en grâce,
les personnes en question se trouvent en liberté; et iii) dans chacun des cas cités, les
personnes condamnées ont la possibilité de demander que leur soit appliquée la loi la
plus favorable.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 490. Le comité observe que le cas d’espèce concerne des allégations de
répression du droit de grève par la législation pénale et l’application croissante de
celle-ci par les autorités publiques espagnoles ces dernières années. A cet égard, le
comité prend tout particulièrement note des allégations des organisations plaignantes
selon lesquelles: i) l’article 315.3 du Code pénal prévoit des peines d’emprisonnement
élevées (de trois ans à quatre ans et six mois) pour «quiconque, agissant en groupe ou
individuellement, mais en accord avec d’autres, contraint d’autres personnes à commencer
ou à continuer une grève»; ii) du fait de l’existence dans le Code pénal du délit
général de contrainte (art. 172.1 du Code pénal) sanctionné par des peines très
inférieures (de six mois à trois ans de prison), la législation pénale espagnole, loin
de protéger le caractère fondamental du droit de grève, considère son exercice comme une
circonstance aggravant la responsabilité pénale; et iii) l’infraction visée par
l’article 315.3 du Code pénal n’est pas suffisamment clairement définie, ce qui donne
lieu à une application très variable et constitue une source d’insécurité
juridique.
- 491. Le comité prend note également des allégations des organisations
plaignantes selon lesquelles: i) pendant ces dernières années qui ont été marquées par
une augmentation des mouvements sociaux et de travailleurs dénonçant les réformes du
travail régressives, l’article 315.3 du Code pénal ainsi que d’autres dispositions de la
législation pénale (voies de fait, désobéissance, troubles à l’ordre public, etc.) sont
appliqués plus largement par les autorités pour sanctionner pénalement l’exercice du
droit de grève; ii) en 2014, 81 procédures connexes avaient été recensées, dont de
nombreuses ayant conduit à des condamnations à plusieurs années d’emprisonnement;
iii) la majorité des mouvements de grève ayant donné lieu à des accusations ou à une
procédure pénale se caractérisent par une absence de violence, un élément dont le
ministère public et les tribunaux ne tiennent pas suffisamment compte pour protéger le
droit fondamental à la grève; iv) dans la majorité des cas, les accusations pénales
visent les dirigeants syndicaux, indépendamment de leur comportement effectif dans le
cadre de la grève; et v) nombre des instructions pénales ont accumulé un retard
considérable, ce qui a un effet fortement dissuasif sur l’exercice des droits
collectifs. Le comité note enfin que, au-delà des 81 cas signalés de façon générale, les
organisations plaignantes se réfèrent aussi plus en détail à un ensemble de cas
spécifiques illustrant, selon elles, les peines d’une sévérité disproportionnée
prononcées par les tribunaux ou requises par le ministère public.
- 492. Le comité note par ailleurs les observations du gouvernement selon
lesquelles: i) bien que les conventions de l’OIT invoquées dans la plainte – conventions
nos 87, 98 et 154 – protègent le droit de grève, ce dernier ne constitue pas un droit
absolu et ne peut pas être interprété sans restriction; ii) l’ordre juridique espagnol
respecte pleinement le droit de grève, qui est considéré par la Constitution espagnole
comme un droit de l’homme fondamental; iii) conformément aux positions du Comité de la
liberté syndicale, la reconnaissance du caractère fondamental du droit de grève ne fait
pas de celui-ci un droit absolu, raison pour laquelle sa protection n’autorise pas le
recours à la violence ou à la contrainte ni la violation d’autres droits fondamentaux;
iv) l’article 315.3 du Code pénal s’inscrit pleinement dans cette idée puisque, loin de
restreindre l’exercice du droit de grève, il sanctionne la violation, par des actes de
contrainte, de droits et libertés aussi cruciaux que la liberté de travail ou la dignité
de la personne; v) les instances judiciaires espagnoles interprètent de façon
restrictive les dispositions de l’article 315.3 du Code pénal; vi) la réforme
législative du 30 mars 2015 a permis de réduire les peines d’emprisonnement prévues par
l’article 315.3 du Code pénal, qui sont passées de trois ans au minimum et de quatre ans
et six mois au maximum avant la réforme, à un an et neuf mois au minimum et trois ans au
maximum actuellement, avec la possibilité pour le juge d’opter à la place pour une
amende, ce qui évite tout risque de disproportion de la sanction pour le délit concerné;
vii) il n’y a pas de pratique généralisée de la part des autorités, qu’il s’agisse des
forces de l’ordre, du ministère de l’Intérieur ou du ministère public, consistant à
ériger les mouvements de grève en infraction; viii) il est faux d’affirmer que
l’article 315.3 n’a pas été appliqué pendant des décennies et qu’il a été décidé d’y
faire recours de façon systématique ces dernières années; ix) dans les cas spécifiques
exposés avec suffisamment de détails par les organisations plaignantes, des actes
manifestes de violence se sont produits; et x) les véritables motivations à l’origine de
la présente plainte sont de nature circonstancielle et personnelle, le but étant
d’éviter que Mme Bajo et M. Cano aient à purger la peine de prison à laquelle ils ont
été condamnés après avoir forcé une propriétaire à fermer son local dans le cadre de la
grève générale de mars 2012.
- 493. A la lumière des éléments exposés ci-dessus, le comité observe que
la plainte vise en premier lieu l’article 315.3 du Code pénal relatif au délit de
contrainte en vue de commencer ou de poursuivre une grève. Il constate que, selon les
organisations plaignantes, cet article prévoit des sanctions excessives et ne définit
pas suffisamment clairement les comportements visés, raison pour laquelle il serait
source d’insécurité juridique et donnerait lieu à des condamnations disproportionnées
qui ne tiendraient compte ni des caractéristiques propres du droit de grève ni de la
nécessité de protéger ce droit fondamental. Le comité note aussi les affirmations du
gouvernement selon lesquelles: l’ordre juridique espagnol reconnaît que le droit de
grève englobe la possibilité d’organiser des piquets d’information pacifiques;
l’article 315.3 du Code pénal se limite à interdire les actes illicites qui portent
atteinte à des droits aussi cruciaux que la liberté de travail et la dignité de la
personne; la nouvelle teneur de l’article suite à la réforme de 2015 a notablement
réduit les peines de prison applicables; et enfin, conformément à la jurisprudence de la
Cour constitutionnelle en matière de droits fondamentaux, les organes judiciaires
doivent interpréter et appliquer l’article 315.3 du Code pénal de manière restrictive
afin d’éviter de limiter indûment le droit de grève.
- 494. Le comité observe que l’article 315.3 du Code pénal, dans sa
nouvelle teneur, dispose ce qui suit: «quiconque, agissant en groupe ou
individuellement, mais en accord avec d’autres, contraint d’autres personnes à commencer
ou à continuer une grève sera puni d’une peine d’emprisonnement allant d’un an et neuf
mois à trois ans ou d’une peine pécuniaire de dix-huit à vingt-quatre mois». Il observe
aussi que le délit visé par l’article 315.3 du Code pénal constitue une sous-catégorie
du délit général de contrainte visé par l’article 172.1 du Code pénal, aux termes
duquel: «Quiconque, sans y être légitimement autorisé, empêche une autre personne, par
la violence, de faire ce que la loi n’interdit pas, ou la force à effectuer ce qu’elle
ne veut pas, que ce soit juste ou injuste, sera puni d’une peine d’emprisonnement de six
mois à trois ans ou d’une amende de douze à vingt-quatre mois, en fonction de la gravité
de la contrainte ou des moyens employés.»
- 495. Le comité observe que l’article 315.3 du Code pénal s’applique
principalement aux piquets de grève. Le comitésouligne qu’il importe que les
dispositions pénales applicables aux conflits collectifs du travail spécifient avec
suffisamment de précision les comportements illicites afin de garantir la sécurité
juridique nécessaire à la stabilité des relations collectives de travail. A cet égard,
tout en prenant note du fait que, de l’avis du gouvernement, conformément à la
jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière de droits fondamentaux, les
organes judiciaires interprètent et appliquent l’article 315.3 du Code pénal de façon
restrictive, le comité observe que, bien qu’il s’applique exclusivement en cas de grève
et à l’exception du fait que l’acte illicite doit avoir été coordonné avec des tiers,
l’article 315.3 du Code pénal, tel que modifié, ne contient toujours pas d’élément
définissant les comportements constituant un acte de contrainte dans le contexte
concerné. Observant que les organisations plaignantes allèguent l’existence de
disparités marquées dans l’application de cet article, le comitéprie le gouvernement
d’inviter l’autorité compétente à évaluer l’impact de la révision de 2015 de
l’article 315.3 du Code pénal et d’informer les partenaires sociaux du résultat de cette
évaluation. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 496. En ce qui concerne la disproportion alléguée des peines
d’emprisonnement prévues par la disposition pénale concernée, le comité rappelle le
principe selon lequel des sanctions pénales ne devraient pouvoir être infligées pour
faits de grève que dans les cas d’infraction à des interdictions de la grève conformes
aux principes de la liberté syndicale. Toute sanction infligée en raison d’activités
liées à des grèves illégitimes devrait être proportionnée à la gravité de l’infraction
commise, et les autorités devraient exclure le recours à des mesures d’emprisonnement
contre ceux qui organisent une grève pacifique ou y participent. [Voir Recueil de
décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, paragr. 668.]
- 497. A cet égard, le comité note tout d’abord que le gouvernement
communique plusieurs décisions rendues entre 2011 et 2015 dans le but de démontrer que
l’application de l’article 315.3 du Code pénal par les instances judiciaires permet de
répondre comme il se doit aux agressions et aux faits illicites visés par cet article.
Il observe ensuite que, depuis le moment où la plainte a été présentée, l’article 315.3
a fait l’objet d’une révision en mars 2015 qui a réduit les peines d’emprisonnement
prévues par cet article, les faisant passer de trois ans au minimum et quatre ans et six
mois au maximum avant la réforme, à un an et neuf mois au minimum et trois ans au
maximum actuellement. Le comité constate également que les amendes prévues ont augmenté,
passant de douze mois au minimum et vingt-quatre mois au maximum à dix-huit mois au
minimum et vingt-quatre mois au maximum. Il prend en particulier note des indications
fournies par le gouvernement, selon lesquelles la nouvelle teneur de l’article permet au
juge d’opter entre une peine pécuniaire et une peine d’emprisonnement en fonction de la
gravité des faits et, surtout, du recours ou non à la violence.
- 498. Le comité observe dans le même temps que: i) les peines minimales
d’emprisonnement et les amendes minimales prévues par l’article 315.3 du Code pénal pour
le délit de contrainte lors d’une grève (d’un an et neuf mois à trois ans de prison, ou
de dix-huit à vingt-quatre mois de jours amendes) demeurent plus élevées que les peines
sanctionnant le délit général de contrainte visé par l’article 172.1 du Code pénal
(peine de six mois à trois ans de prison, ou de douze à vingt-quatre mois de
jours-amendes) et également supérieures aux peines minimales prévues pour le délit
général de contrainte lorsque l’exercice d’un droit fondamental est empêché (peine de
dix-huit mois et un jour à trois ans de prison), bien que les organisations plaignantes
soulignent que la Constitution espagnole n’inclut pas la liberté de travail (art. 35 de
la Constitution) dans la catégorie des droits fondamentaux; ii) l’article n’énonce pas
de critères pour distinguer les comportements punissables d’une peine d’emprisonnement
de ceux sanctionnés par une amende; et iii) si, dans la grande majorité des cas
spécifiques évoqués par les organisations plaignantes et le gouvernement, les peines
d’emprisonnement prononcées par les tribunaux l’ont été dans des cas d’actes de
contrainte accompagnés d’actes de violence physique, dans un cas au moins (la
condamnation de Mme Carmen Bajo et de M. Carlos Cano à trois ans et un jour de prison),
il n’est fait état d’aucun acte de violence physique de la part des personnes qui ont
été condamnées.
- 499. A la lumière des éléments qui précèdent, le comité prie le
gouvernement d’inviter l’autorité compétente à examiner également ces questions.
- 500. En lien avec les allégations selon lesquelles, ces dernières années,
les autorités publiques ont utilisé plus largement la législation pénale pour
sanctionner l’exercice du droit de grève, le comité prend note du fait que les
organisations plaignantes ont indiqué avoir recensé, en 2014, 81 procédures pénales ou
administratives en cours, sans que, dans la grande majorité des cas, des actes de
violence se soient produits. Le comité prend note également du fait que le gouvernement,
après s’être référé à des jugements antérieurs à 2010 fondés sur l’application de
l’article 315.3 du Code pénal, nie qu’il existe une pratique généralisée de la part des
autorités, qu’il s’agisse des forces de l’ordre, du ministère de l’Intérieur ou du
ministère public, consistant à ériger les mouvements de grève en infraction. S’il
souligne qu’il ne dispose pas d’éléments lui permettant de déterminer l’existence de la
pratique alléguée, le comité constate que le gouvernement ne nie pas l’existence d’un
grand nombre d’enquêtes et de procédures pénales en cours en lien avec l’exercice du
droit de grève. A cet égard, tout en rappelant que les principes de la liberté syndicale
ne protègent pas les abus dans l’exercice du droit de grève qui constituent des actions
de caractère délictueux [voir Recueil, op. cit., paragr. 667], le comité s’attend à ce
qu’il soit tenu compte du fait que le recours fréquent à des procédures pénales dans le
cadre des relations collectives de travail ne contribue pas à maintenir un système de
relations professionnelles stable et harmonieux.
- 501. Pour ce qui est des allégations selon lesquelles le ministère public
et les tribunaux ne sont pas soumis à des critères contraignants permettant de tenir
compte des atteintes à la liberté syndicale au moment de formuler des accusations et de
juger des faits liés aux activités des piquets d’information, le comité observe que les
organisations plaignantes et le gouvernement s’accordent à reconnaître la contribution
de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême en la matière. Vu
le grand nombre de cas liés aux activités des piquets d’information en souffrance devant
les tribunaux, le comité ne doute pas que la position de ces deux juridictions sera
largement diffusée.
- 502. En ce qui concerne les allégations selon lesquelles les
représentants syndicaux sont visés de façon arbitraire par les accusations et les
condamnations relatives aux conflits découlant d’altercations ou d’incidents survenus
dans le cadre d’une grève, le comité note que le gouvernement indique que: i) les
représentants syndicaux sont habituellement ceux qui dirigent les piquets d’information
ou les manifestations, raison pour laquelle ils sont inclus dans les procédures engagées
pour cause d’actes de violence, sans préjudice de la décision ultérieure relative à la
responsabilité des faits; et ii) il est parfois difficile de déterminer à qui des
dommages illicites produits dans le cadre d’une grève doivent être imputés, c’est
pourquoi l’organisation syndicale pourra être appelée à répondre des actes individuels
de ses membres dans les limites prévues par la loi organique relative à la liberté
syndicale, laquelle dispose que le syndicat n’est pas tenu de répondre des actes
individuels de ses membres, sauf lorsque ceux-ci se produisent dans l’exercice ordinaire
des fonctions représentatives ou lorsqu’il est prouvé que lesdits membres ont agi pour
le compte du syndicat.
- 503. Au regard de la réponse du gouvernement et dans la mesure où le fait
d’imputer un délit à une personne sur la seule base de ses responsabilités syndicales
pourrait constituer un cas de discrimination antisyndicale, le comité souligne qu’un
travailleur, qu’il soit ou non représentant syndical, ne devrait faire l’objet
d’accusations pénales pour des faits illicites commis dans le cadre d’une grève que sur
la base d’éléments concrets suggérant sa participation aux faits dénoncés. Observant que
les organisations plaignantes allèguent l’existence de nombreux cas de dirigeants
syndicaux accusés de faits illicites supposément commis lors de mouvements de grève, le
comité s’attend à ce que ce principe soit pleinement respecté.
- 504. En lien avec les allégations relatives à la lenteur de nombreuses
procédures pénales en cours qui auraient un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté
syndicale et du droit de grève, tout en relevant l’absence de réponse du gouvernement à
cet égard, le comité prend note que, dans les commentaires de la Confédération espagnole
d’organisations d’employeurs (CEOE) transmis par le gouvernement, il est indiqué que
l’adoption de la loi 41/2015 de procédure pénale pour la réduction des délais de la
justice pénale et le renforcement des garanties de procédure, qui établit des délais
maximaux d’instruction, permettra d’éviter les retards dans les procédures pénales
concernant des faits commis pendant des mouvements de grève. Rappelant que le respect
des garanties de procédure n’est pas incompatible avec une justice rapide, tandis qu’au
contraire un retard excessif peut avoir sur les dirigeants concernés un effet
d’intimidation qui peut affecter l’exercice de leurs activités [voir Recueil, op. cit.,
paragr. 103], le comité s’attend à ce que les procédures pénales en cours relatives à
l’exercice du droit de grève et mentionnées dans la présente plainte soient menées à
terme avec la diligence requise. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à
cet égard.
- 505. S’agissant des allégations relatives aux situations spécifiques
mentionnées dans la plainte où l’exercice du droit de grève aurait été érigé en
infraction, le comité constate que, pour un grand nombre des cas mentionnés, les
organisations plaignantes ne fournissent pas suffisamment de détails pour qu’ils
puissent être identifiés et analysés individuellement, raison pour laquelle le comité ne
poursuivra pas leur examen.
- 506. En ce qui concerne les accusations d’atteinte aux droits des
travailleurs, voies de fait et lésions corporelles visant huit dirigeants syndicaux en
lien avec les incidents survenus au sein de l’entreprise Airbus, à Getafe, lors de la
grève générale du 29 septembre 2010, le comité note les indications du gouvernement
selon lesquelles le Tribunal pénal de Getafe, en vertu de sa décision du 16 février
2016, après avoir constaté l’existence d’actes de contrainte et d’actes d’agression, a
acquitté les accusés sur la base du principe de présomption d’innocence, aucune preuve
n’ayant permis d’imputer personnellement des faits concrets aux accusés.
- 507. Pour ce qui est des peines d’emprisonnement de neuf mois, quatorze
mois, et deux ans et trois mois requises contre trois travailleurs de Navantia pour
troubles à l’ordre public, voies de fait avec emploi de moyens dangereux, et coups et
blessures dans le cadre de la grève à San Fernando (Cádiz), le comité note que, selon le
gouvernement, les manifestants ont forcé la porte d’entrée du siège d’un parti
politique, ce qui a nécessité l’intervention de la police pour éviter d’autres dommages
plus importants, et ont répondu à cette intervention en agressant les fonctionnaires de
police, le président du comité d’entreprise ayant pour sa part à cette occasion lancé un
microphone contre l’un des policiers, raison pour laquelle il a été placé en
détention.
- 508. Concernant la condamnation, sur la base de l’article 315.3 du Code
pénal, de Mme Carmen Bajo et de M. Carlos Cano à trois ans et un jour d’emprisonnement
pour avoir obligé une propriétaire à fermer son local dans le cadre d’une grève
générale, le comité note les allégations des organisations plaignantes selon lesquelles
ces deux personnes n’ont commis aucun acte de violence et la justice s’est limitée à
vérifier qu’elles avaient tenu des propos offensants contre la propriétaire du local et
avaient collé des autocollants et apposé des graffitis sur les murs du local, causant
des dommages d’un montant de 767 euros. Le comité note également que le gouvernement se
limite à indiquer que les organisations plaignantes ont entrepris de multiples
initiatives en vue d’éviter que les deux personnes concernées ne soient incarcérées, ce
qui, de l’avis du gouvernement, restreint la portée de la présente plainte à une affaire
personnelle. Observant que, contrairement aux cas antérieurs, le gouvernement ne fait
mention d’aucun acte de violence physique qui aurait été commis par Mme Carmen Bajo et
M. Carlos Cano, et constatant que ces deux personnes ont été condamnées à de lourdes
peines de prison, le comité prie le gouvernement d’indiquer les motifs spécifiques qui
ont conduit à cette condamnation. Prenant note de la communication de la CEOE qui
indique que ces deux personnes se trouvent actuellement en liberté en attendant qu’une
décision soit prise sur leur recours en grâce, le comité prie le gouvernement de le
tenir informé de l’évolution de leur situation.
- 509. Concernant la situation de MM. Carlos Rivas Martínez et Serafín
Rodríguez Martínez, le comité prend note des éléments contenus dans la communication de
la CEOE qui indique que les deux travailleurs condamnés à trois ans de prison en 2011 se
trouvent actuellement en liberté en attendant qu’une décision soit prise sur leur
recours en grâce. Dans ces conditions, le comité prie le gouvernement de le tenir
informé de l’évolution de leur situation.
- 510. Le comité observe que le gouvernement n’a pas communiqué
d’observations concernant les cas, mentionnés dans la communication du 31 octobre 2014
de l’UGT, de Mme María Jesús Cedrún Gutierrez, M. José Manuel Nogales Barroso, M. Rubén
Sanz Martín, M. Juan Carlos Martínez Barros, Mme Rosario María Alonso Rodríguez et
M. Alonso Rodríguez, qui ont été condamnés à des peines variables en vertu de
l’article 315.3 du Code pénal. Le comité prie le gouvernement de lui transmettre ses
observations le plus rapidement possible.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 511. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité prie le
gouvernement d’inviter l’autorité compétente à évaluer l’impact de la révision de
2015 de l’article 315.3 du Code pénal et d’informer les partenaires sociaux du
résultat de cette évaluation. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à
cet égard.
- b) Le comité prie le gouvernement d’indiquer les motifs
spécifiques qui ont conduit à la condamnation de Mme Bajo et de M. Cano à trois ans
et un jour d’emprisonnement et, observant que ces deux personnes se trouvent
actuellement en liberté en attendant qu’une décision soit prise sur leur recours en
grâce, le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de leur
situation.
- c) Observant que MM. Carlos Rivas Martínez et Serafín Rodríguez
Martínez se trouvent actuellement en liberté en attendant qu’une décision soit prise
sur leur recours en grâce, le comité prie le gouvernement de le tenir informé de
l’évolution de leur situation.
- d) Le comité prie le gouvernement de lui
communiquer ses observations en lien avec la situation de Mme María Jesús Cedrún
Gutierrez, M. José Manuel Nogales Barroso, M. Rubén Sanz Martín, M. Juan Carlos
Martínez Barros, Mme Rosario María Alonso Rodríguez et M. Alonso Rodríguez. Le
comité veut croire que les procédures pénales relatives à l’exercice du droit de
grève mentionnées dans la présente plainte seront menées à terme avec la diligence
requise. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet
égard.