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Interim Report - REPORT_NO372, June 2014

CASE_NUMBER 3004 (Chad) - COMPLAINT_DATE: 16-NOV-12 - Closed

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Allégations: L’organisation plaignante dénonce le harcèlement de ses dirigeants, en particulier la mutation de responsables syndicaux, l’arrestation et la condamnation en justice de son président, son vice-président et son secrétaire général comme sanction d’un mouvement de grève dans les services publics

    3. Décision du 18 juin 2010 de l’Inspection générale du travail et son suivi

  1. 535. La plainte figure dans une communication en date du 16 novembre 2012 de l’Union des syndicats du Tchad (UST). L’organisation plaignante a fourni des informations additionnelles dans une communication du 29 décembre 2012.
  2. 536. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication en date du 18 mars 2013.
  3. 537. Le Tchad a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 538. Dans une communication en date du 16 novembre 2012, l’Union des syndicats du Tchad (UST) indique qu’en 2011 le gouvernement a décidé de relever le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) de 25 000 à 60 000 francs CFA (de 38 à 90 euros). Sur l’insistance de l’UST, le gouvernement a accepté d’appliquer ce nouveau SMIG tant dans le secteur privé que dans la fonction publique. Par arrêtés ministériels, des commissions paritaires ont été mises en place pour réviser les grilles salariales dans les deux secteurs respectivement. Selon l’organisation plaignante, si dans le secteur privé l’application d’une nouvelle grille salariale n’a pas posé de problème particulier, malgré une grève de courte durée, la mise en œuvre dans le secteur public a rencontré de multiples difficultés.
  2. 539. L’organisation plaignante précise que la grille salariale révisée dans le secteur public comprenait les trois éléments suivants: l’avancement par échelon, les indices catégoriels et la valeur du point d’indice servant de base de calcul des salaires bruts. Cette grille élaborée au sein de la commission mixte paritaire a ensuite été soumise à l’avis du comité consultatif de la fonction publique qui l’a entérinée. Cependant, avant son approbation par décret, le gouvernement a demandé son application sur trois ans au motif que l’Etat n’avait pas les moyens pour faire face à la masse salariale qu’induirait son application en une seule fois. Selon l’UST, pour ne pas apparaître «jusqu’au-boutiste» dans le contexte d’une grève déjà en cours pour réclamer l’application de la grille, cette dernière a accepté de faire des concessions et a accepté la proposition du gouvernement. Un protocole d’accord a ainsi été conclu.
  3. 540. L’organisation plaignante indique que l’application de la grille s’est révélée défavorable aux travailleurs. Les nouveaux indices n’ont pas été utilisés dans le traitement des salaires des agents, ce qui a conduit à une stagnation des salaires au lieu de leur augmentation. Au contraire, un grand nombre d’agents ont même vu leurs salaires réduits par rapport à ce qu’ils percevaient avant la révision de la grille. Interpellé, le gouvernement a expliqué que la situation préjudiciable relevait d’une simple erreur de paramétrage dans le traitement des salaires. Cette erreur n’a pourtant pas été corrigée pendant de nombreux mois car, saisi dès février 2012 de la situation, le gouvernement n’avait toujours pas pris de mesures correctives en mai.
  4. 541. Face à cette situation, l’UST a déposé un préavis de grève d’un mois courant du 13 mai au 13 juin 2012. L’organisation réclamait l’application de la valeur du point d’indice convenu dans le protocole d’accord signé avec le gouvernement, la régularisation des salaires qui ont diminué et l’adoption d’une convention révisée des contractuels de l’Etat. L’organisation plaignante précise que, à l’issue du préavis, celui-ci a été prorogé d’un mois, c’est-à-dire du 13 juin au 13 juillet 2012. Ces deux mois se sont achevés sans qu’aucun contact n’ait été établi avec le gouvernement.
  5. 542. La grève a débuté le 17 juillet 2012, quatre jours après l’expiration du préavis. Celle-ci a duré deux mois au cours desquels un semblant de négociation a été entamé par le gouvernement entaché de menaces et d’actes antisyndicaux. Devant le refus du gouvernement d’accéder aux revendications sous prétexte que l’Etat n’en avait pas les moyens, l’UST, réunie en assemblée générale le 1er septembre 2012, a adopté une pétition où elle dénonce la mauvaise gouvernance concernant la gestion des ressources financières du pays. L’organisation a ainsi dénoncé l’accaparement des richesses du pays par le seul chef de l’Etat, sa famille et ses proches. Or le gouvernement s’est alors saisi de cette occasion pour dénoncer le fait que l’UST a mis de côté ses revendications sociales pour se porter sur le terrain politique. Et, selon les autorités, il n’appartenait pas au syndicat de tenir de tels propos envers le chef de l’Etat et ses proches.
  6. 543. Selon l’organisation plaignante, la situation était devenue explosive. Et c’est dans ce contexte que le secrétaire général de l’UST, M. Djondang François, a fait l’objet de harcèlements de la part des autorités pendant trois jours. Des chefs religieux, à savoir l’archevêque de N’Djamena, le secrétaire général de l’Entente des églises et missions évangéliques du Tchad et le président du Conseil supérieur des affaires islamiques sont également intervenus pour proposer leur médiation et permettre un retour à plus de sérénité. Afin de ne pas discuter sous la pression de la grève, l’UST a concédé la suspension de celle-ci pendant un mois, du 17 septembre au 17 octobre 2012.
  7. 544. Or, le 10 septembre 2012, les trois premiers dirigeants de l’UST, à savoir son président, M. Barka Michel, son vice-président, M. Younouss Mahadjir, et son secrétaire général, M. Djondang François, ont échappé de peu à une tentative d’enlèvement. Ces faits ont fait l’objet d’une déposition auprès de la police suite à la demande du Procureur général de la République sous la pression des avocats des victimes. Cependant, l’organisation plaignante indique que, lorsqu’ils se sont rendus au parquet accompagnés de plusieurs dizaines de militantes et militants, après leur audition, le procureur de la République leur a signifié leur inculpation pour délit de diffamation et d’incitation à la haine raciale.
  8. 545. Ainsi, un jour après la suspension de la grève, à savoir le 18 septembre 2012, le secrétaire général, le président et le vice-président de l’UST ont été condamnés à dix-huit mois de prison avec sursis et à 1 000 000 de francs CFA d’amende chacun (équivalent à 1 550 euros) pour diffamation et incitation à la haine raciale, cela à l’issue d’un pseudo-procès qui n’a même pas duré une demi-heure.
  9. 546. De plus, l’UST dénonce le fait que, lors du prononcé des peines, un militant syndical, M. MBaïlou Betar Gustave, dont la lourdeur de la sentence a fait sourire, a aussi été condamné séance tenante pour outrage aux magistrats et a écopé de trois mois de prison ferme et de 300 000 francs CFA d’amende. Ce dernier a purgé sa peine de prison dans des conditions qui ont mené à son décès le 9 décembre 2012 à l’Hôpital général de Référence nationale.
  10. 547. L’organisation plaignante dénonce aussi des représailles de la part des autorités à l’encontre de dirigeants syndicaux qui ont mené la grève dans le secteur de la santé, notamment les mutations administratives arbitraires de plusieurs responsables de l’UST (M. Younouss Mahadjir, M. Djondang François, M. Montanan N’Dinaromtan, Mme N’Doukolngone Naty Rachel, Mme Laoumaye Djerane et M. Abdoulaye Richard) dans plusieurs villes du pays.
  11. 548. L’organisation plaignante déclare que, malgré ces sanctions et nonobstant l’insistance de sa base à reprendre la grève pour répondre aux agissements des autorités, elle a démontré sa bonne foi en respectant la trêve jusqu’à son terme, du 19 décembre 2012 au 31 mars 2013. Malgré cela, le gouvernement a récusé la médiation religieuse, ce qui a eu pour résultat que, durant tout le temps de la suspension de la grève par l’UST, aucun contact n’a été établi entre les parties. Ce comportement de mépris et d’irresponsabilité de la part du gouvernement a conduit les travailleurs à reprendre la grève.
  12. 549. L’UST pose certains préalables à la reprise du dialogue avec le gouvernement et à la levée de la grève: 1) l’annulation de la condamnation des trois premiers dirigeants de la centrale syndicale; 2) l’annulation des sanctions arbitraires pour fait de grève des dirigeants syndicaux dans le domaine de la santé; et 3) l’adoption et l’approbation de conventions unifiées des agents contractuels et décisionnaires de l’Etat.
  13. 550. L’organisation plaignante dénonce le fait que le gouvernement, à court d’argument, se soit référé à la loi no 008/PR/2007 portant réglementation de l’exercice du droit de grève dans les services publics pour menacer de déclarer l’illégalité des grèves, cela alors même que ce dernier reconnaît la légitimité de l’action des travailleurs. L’UST rappelle que ladite loi, que le gouvernement souhaite utiliser pour restreindre l’activité syndicale, a fait l’objet de critiques de la part du Comité de la liberté syndicale dans un précédent cas (cas no 2581) mais n’a toujours pas été modifiée comme demandé.
  14. 551. Observant que l’attitude ouvertement antisyndicale du gouvernement viole les conventions ratifiées par le Tchad, l’organisation plaignante l’exhorte à cesser les actes de harcèlement des syndicalistes et d’entrave aux activités syndicales. Elle souhaite des recommandations du Comité de la liberté syndicale dans ce sens.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 552. Dans une communication en date du 18 mars 2013, le gouvernement déclare son attachement à la négociation collective et au dialogue social, outil incontournable face aux défis sociaux. C’est dans cet esprit que le gouvernement a souhaité adhérer au Projet d’appui à la mise en œuvre de la Déclaration (PAMODEC) de l’OIT, qu’il considère comme une opportunité de renforcer les capacités de l’administration et des partenaires sociaux à cet égard.
  2. 553. Le gouvernement indique avoir décidé de relever le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) de 25 480 à 60 000 francs CFA, tant dans le secteur public que privé, cela sans avoir subi aucune pression. Il a ainsi mis sur pied, par arrêté du ministre de la Fonction publique et du Travail, deux commissions, l’une paritaire et l’autre mixte paritaire, afin de réviser les grilles salariales du secteur privé et du secteur public. S’agissant de la commission mixte paritaire, cette dernière ne fait que des propositions au gouvernement et aux partenaires sociaux. Il appartient à ceux-ci de les accepter ou non. C’est dans ce sens que le protocole d’accord mentionné par l’organisation plaignante a été signé. Par ailleurs, le gouvernement tient à préciser que le Comité consultatif de la fonction publique, qui n’émet qu’un avis sur les actes qui lui sont soumis, a adopté la grille salariale mais n’a pu parvenir à un consensus sur la question de l’augmentation de la valeur du point d’indice proposée par la commission mixte paritaire. Ainsi, le gouvernement n’a pris aucun acte entérinant le relèvement de la nouvelle valeur du point d’indice proposée par la commission mixte paritaire et souhaitée par les organisations représentatives du personnel, membres du Comité consultatif de la fonction publique. Les trois éléments constitutifs de la révision de la grille salariale énoncés par l’organisation plaignante demeurent valables, mais la valeur du point d’indice devrait être celle en cours de validité (115) issue du protocole d’accord entre le gouvernement et les organisations syndicales du 20 juin 2007 entérinée par la loi no 013/PR/2007 du 3 octobre 2007, modifiant la loi no 001/PR/2007 du 5 janvier 2007, portant budget général de l’Etat pour 2007.
  3. 554. Le gouvernement indique que, alors qu’il examinait avec le patronat les erreurs contenues dans les grilles et les effets liés à leur application, l’UST et la Confédération libre des travailleurs du Tchad (CLTT) ont appelé leurs adhérents à observer une grève de trois jours renouvelables. Le gouvernement a alors été amené à engager des négociations avec les deux centrales syndicales, ce qui a abouti à la signature d’un protocole d’accord le 11 novembre 2011 sur une nouvelle grille indiciaire mise en place par le décret no 1249 du 12 novembre 2011. Selon le gouvernement, le protocole d’accord est clair et ne souffre d’aucune ambiguïté en ce qu’il conserve une valeur du point d’indice inchangée.
  4. 555. L’évaluation de l’incidence financière annuelle de la grille était de 12,5 milliards de francs CFA. Et compte tenu des possibilités de l’Etat à prendre en compte cette incidence en 2012, une application graduelle a été convenue: 20 pour cent en 2012; 40 pour cent en 2013 et 40 pour cent en 2014. Ainsi, une grille intermédiaire prenant en compte les 20 pour cent et un tableau de reversement dans ladite grille ont été élaborés pour l’année 2012. Le gouvernement déclare avoir pris toutes les dispositions pour que le protocole d’accord soit appliqué, cependant l’UST a soutenu que les indices salariaux auraient dû être multipliés par la valeur 150 au lieu de 115. Par ailleurs, l’UST a dénoncé le fait que les salaires de certains agents de l’Etat ont stagné et même diminué dans certains cas.
  5. 556. Le gouvernement reconnaît que le système informatique a connu quelques problèmes de paramétrage à l’origine des diminutions de salaires constatées. Ces erreurs ont cependant été immédiatement réparées. Il regrette que, en dépit de nombreuses réunions avec les partenaires sociaux au cours desquelles il a tenté d’expliquer que les problèmes techniques ont été automatiquement corrigés et qu’à la signature du protocole d’accord de novembre 2011 il n’était pas question de l’augmentation de la valeur du point d’indice, l’UST a campé dans sa position et a durci le ton. Ainsi, l’UST a déclenché une grève le 17 juillet 2012 sans tenir compte de l’avis de la CLTT, elle-même signataire du même protocole d’accord.
  6. 557. Selon le gouvernement, la grève déclenchée par l’UST a également été suivie par le Syndicat des travailleurs des affaires sociales et de la santé (SYNTASST) qui avait pourtant signé avec les autorités un protocole d’accord assorti d’une trêve sociale de trois ans qui expirait en 2014. Le gouvernement regrette que l’UST soit passée d’une grève perlée à une grève sèche, et cela même dans les services essentiels mettant en danger la vie et la sécurité de la population tout entière. Selon le gouvernement, l’UST, en empêchant des agents de l’Etat réquisitionnés de travailler dans certains services essentiels, est responsable de la mort de plusieurs personnes. Cette grève viole en outre la loi no 008/PR/007 du 9 mai 2007 portant réglementation du droit de grève dans les services publics.
  7. 558. L’UST a ensuite dérivé sur le champ politique en s’attaquant à la personne du chef de l’Etat et à sa famille dans une pétition rendue publique. La justice s’en est saisie et a engagé des poursuites contre les auteurs de la pétition.
  8. 559. Par ailleurs, le gouvernement nie avoir refusé la médiation de dirigeants religieux et du Réseau des associations des droits de l’homme et déclare avoir toujours voulu privilégier le dialogue à travers le Comité national du dialogue social (CNDS), institution tripartite mise en place par le décret no 1437/PR/PM/MFPT/09 du 5 novembre 2009 et chargée, entre autres, de faciliter la résolution des conflits sociaux. C’est ainsi que le 18 janvier 2013 une ouverture officielle des négociations a eu lieu dans les locaux du CNDS en vue d’aboutir à un pacte social.
  9. 560. Le gouvernement considère que le protocole d’accord du 11 novembre 2011 a non seulement été dénoncé unilatéralement, mais le protocole d’accord liant le gouvernement au SYNTASST également. Cette situation aurait pu dégénérer et l’ordre public aurait pu être menacé. En l’espèce, le gouvernement aurait pu prendre les dispositions qui s’imposent afin d’assurer le maintien de l’ordre.
  10. 561. Seulement, le gouvernement déclare avoir été convaincu que seul le dialogue pouvait régler la crise et a ainsi pu manifester, une fois de plus, sa bonne foi en revenant sur toutes les mesures prises considérées par l’UST comme des préalables à toute négociation afin de décrisper l’atmosphère. Ces mesures incluaient: 1) l’annulation pure et simple des affectations des responsables syndicaux; 2) la non-retenue des salaires des agents ayant fait grève; 3) le maintien des effets financiers des protocoles d’accord dénoncés unilatéralement par les centrales syndicales; et 4) l’adoption de conventions unifiées des agents contractuels de l’Etat. Sur ce dernier point, un projet de convention collective des contractuels du secteur public a été élaboré, adopté et examiné en conseil de cabinet. Le projet doit être adopté prochainement par le gouvernement.
  11. 562. En ce qui concerne la requête de l’UST de l’annulation de la condamnation des responsables de la centrale syndicale, le gouvernement déclare qu’il appartient aux instances judiciaires d’en décider, compte tenu de l’indépendance de la justice.
  12. 563. Le gouvernement affirme son souci de préserver la paix sociale et son engagement à trouver une issue heureuse dans le présent cas.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 564. Le comité observe que le présent cas porte sur des allégations de harcèlement et de discrimination à l’encontre de syndicalistes de l’Union des syndicats du Tchad (UST), notamment la mutation, l’arrestation et la condamnation de ses dirigeants pour fait de grève.
  2. 565. Le comité note que les difficultés alléguées dans le présent cas découlent de la mise en œuvre du relèvement du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) dans le secteur public, et notamment d’un différend entre le gouvernement et l’organisation plaignante sur les modalités de cette mise en œuvre suite à la signature d’un protocole d’accord en novembre 2011. Le comité observe par ailleurs que des problèmes techniques liés au traitement informatique ont également rendu cette mise en œuvre difficile dans un premier temps, mais que, selon le gouvernement, ces derniers ont été rapidement corrigés. Cependant, l’organisation plaignante a dénoncé les répercussions défavorables de la nouvelle grille salariale sur le traitement de certains agents de l’Etat. Selon l’UST, toutes ces difficultés et le défaut de mesures correctives de la part des autorités ont motivé le dépôt d’un préavis de grève en mai 2012, que la centrale syndicale a prorogé à deux reprises pour permettre des négociations éventuelles. Cependant, en l’absence de contact avec le gouvernement, la grève a été déclenchée le 17 juillet 2012 dans les services publics et a duré deux mois.
  3. 566. Le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle la grève déclenchée par l’UST a également été suivie par le Syndicat des travailleurs des affaires sociales et de la santé (SYNTASST) qui avait pourtant signé avec les autorités un protocole d’accord assorti d’une trêve sociale de trois ans qui expirait en 2014. Le gouvernement considère que le déclenchement de la grève a signifié une dénonciation unilatérale du protocole d’accord du 11 novembre 2011 mais également de celle qui liait le gouvernement au SYNTASST. A cet égard, de l’avis du gouvernement, la situation aurait pu dégénérer et l’ordre public aurait pu être menacé. Le gouvernement dénonce surtout le fait que la grève a touché les services essentiels mettant ainsi en danger la vie et la sécurité de la population. Selon le gouvernement, l’UST, en empêchant des agents de l’Etat réquisitionnés de travailler dans certains services essentiels, est responsable de la mort de plusieurs personnes. Cette grève viole en outre la loi no 008/PR/2007 du 9 mai 2007 portant réglementation du droit de grève dans les services publics.
  4. 567. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, le refus persistant du gouvernement d’accéder aux revendications sous prétexte que l’Etat n’avait pas les moyens financiers l’a amené à adopter en septembre 2012 une pétition dénonçant la mauvaise gouvernance dans la gestion des ressources financières du pays. L’organisation plaignante entendait ainsi dénoncer l’accaparement des richesses du pays par le chef de l’Etat et son entourage. Le comité observe que, de son côté, le gouvernement qualifie la pétition d’attaque politique à l’encontre de la personne du chef de l’Etat et de sa famille.
  5. 568. Le comité note l’indication de l’organisation plaignante selon laquelle la situation est alors devenue tendue. Pour diminuer la pression, l’UST a décidé d’une période de trêve et de suspendre le mouvement de grève. Mais ses dirigeants ont fait l’objet de harcèlement constant jusqu’à leur inculpation, le 18 septembre 2012, pour délit de diffamation et d’incitation à la haine raciale par le procureur de la République alors même qu’ils s’étaient rendus au parquet pour dénoncer une tentative d’enlèvement. Le secrétaire général, le président et le vice-président de l’UST ont ainsi été condamnés à dix-huit mois de prison avec sursis et à 1 000 000 de francs CFA d’amende chacun (équivalent à 1 550 euros) pour diffamation et incitation à la haine raciale, à l’issue d’un procès d’une demi-heure. De plus, l’organisation plaignante dénonce le fait que, lors du prononcé des peines, un militant syndical, M. MBaïlou Betar Gustave, a aussi été condamné pour outrage aux magistrats et a écopé de trois mois de prison ferme et de 300 000 francs CFA d’amende. Ce dernier a purgé sa peine de prison dans des conditions qui ont mené à son décès le 9 décembre 2012 à l’Hôpital général de Référence nationale. Le comité observe que l’organisation plaignante demande l’annulation des jugements prononcés.
  6. 569. Le comité note la déclaration du gouvernement selon laquelle, suite à la parution de la pétition, la justice s’est saisie de l’affaire et a engagé des poursuites contre ceux considérés comme les auteurs. En ce qui concerne la requête de l’UST de l’annulation de la condamnation de ses dirigeants, le gouvernement indique qu’il appartient aux instances judiciaires d’en décider compte tenu de l’indépendance de la justice.
  7. 570. Notant le contenu de ladite pétition, le comité considère qu’il lui appartient de rappeler les principes suivants en relation avec la liberté d’expression des organisations syndicales et patronales: le droit d’exprimer des opinions par voie de presse ou autrement est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux. La liberté d’expression dont devraient jouir les organisations syndicales et leurs dirigeants devrait également être garantie lorsque ceux-ci veulent formuler des critiques à l’égard de la politique économique et sociale du gouvernement. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 155 et 157.] Le comité veut croire que le gouvernement veillera au respect de ces principes. Par ailleurs, il prie le gouvernement de faire état de tout recours intenté contre les condamnations des dirigeants de l’UST et d’indiquer toute décision définitive rendue à cet égard.
  8. 571. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, malgré sa décision de respecter la trêve jusqu’à son terme (31 mars 2013), aucun contact n’a pu être établi entre les parties durant tout le temps de la suspension de la grève par l’UST. Ce comportement du gouvernement a conduit les travailleurs à reprendre la grève. Or le gouvernement aurait menacé d’appliquer la loi no 008/PR/2007 portant réglementation de l’exercice du droit de grève dans les services publics afin de déclarer l’illégalité des grèves. Le comité note en effet que, via un point de presse, le gouvernement a indiqué que la grève de l’UST est sans objet, qu’il décide de l’annulation du protocole d’accord du 3 juin 2011 avec le SYNTASST et du protocole d’accord du 11 novembre 2011 avec l’UST et la CLTT et qu’il se réserve le droit d’appliquer les textes en vigueur aux travailleurs réquisitionnés qui ne reprendraient pas le travail.
  9. 572. L’UST rappelle que ladite loi a fait l’objet de critiques de la part du Comité de la liberté syndicale dans un précédent cas (cas no 2581) mais n’a toujours pas été modifiée comme demandé. A cet égard, le comité avait rappelé les principes de la liberté syndicale relatifs à l’exercice du droit de grève dans les services publics et pour la détermination d’un service minimum. Il avait prié le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour revoir sa législation. [Voir 354e rapport, paragr. 1112 à 1115.] Le comité note avec regret que cet aspect législatif fait l’objet d’un suivi de la part de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations sans qu’aucun progrès n’ait été constaté (voir commentaires de 2013 sur l’application de la convention no 87 par le Tchad). Il se voit obligé de réitérer sa recommandation, à savoir qu’il demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour revoir, en consultation avec les partenaires sociaux concernés, sa législation concernant l’exercice du droit de grève dans les services publics (loi no 008/PR/2007 du 9 mai 2007) pour assurer la détermination d’un service minimum, conformément aux principes de la liberté syndicale. Notant que le gouvernement a adopté un arrêté (no 624/PR/PM/2013) portant création d’un Comité ad hoc de négociations (CAN) de composition tripartite afin, en vertu de son article 1, de rechercher les moyens de garantir le fonctionnement régulier des services publics et privés, le comité prie instamment le gouvernement de le tenir informé des travaux du CAN à cet égard.
  10. 573. Enfin, le comité note que l’organisation plaignante dénonce des représailles à l’encontre de dirigeants syndicaux qui ont mené la grève dans le secteur de la santé, notamment les mutations administratives arbitraires de plusieurs responsables de l’UST (M. Younouss Mahadjir, M. Djondang François, M. Montanan N’Dinaromtan, Mme N’Doukolngone Naty Rachel, Mme Laoumaye Djerane et M. Abdoulaye Richard) dans plusieurs villes du pays. A cet égard, le comité prend note avec intérêt de la déclaration du gouvernement selon laquelle, afin de manifester sa bonne foi, ce dernier a décidé d’accéder aux revendications considérées par l’UST comme des préalables à toute négociation, y compris l’annulation pure et simple des affectations des responsables syndicaux et la non-retenue des salaires des agents ayant fait grève. Tout en accueillant favorablement cette décision d’apaisement du gouvernement, le comité tient néanmoins à rappeler le principe selon lequel nul ne devrait faire l’objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 660.]

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 574. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement de veiller au respect des principes qu’il rappelle sur la liberté d’expression des organisations d’employeurs et de travailleurs et de faire état de tout recours intenté contre les condamnations prononcées en septembre 2012 contre les dirigeants de l’Union des syndicats du Tchad et d’indiquer toute décision définitive rendue à cet égard.
    • b) Le comité note avec regret que, depuis sa dernière recommandation sur la nécessité de modifier la loi no 008/PR/2007 portant réglementation de l’exercice du droit de grève dans les services publics, aucun progrès n’a été constaté. Il se voit obligé de demander de nouveau au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour revoir, en consultation avec les partenaires sociaux concernés, sa législation concernant l’exercice du droit de grève dans les services publics (loi no 008/PR/2007 du 9 mai 2007) pour assurer la détermination d’un service minimum, conformément aux principes de la liberté syndicale. Le comité prie instamment le gouvernement de le tenir informé des travaux du Comité ad hoc de négociations (CAN) à cet égard.
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