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Report in which the committee requests to be kept informed of development - REPORT_NO362, November 2011

CASE_NUMBER 2841 (France) - COMPLAINT_DATE: 17-FEB-11 - Closed

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965. La plainte figure dans une communication en date du 17 février 2011 de la Confédération générale du travail (CGT).

  1. 965. La plainte figure dans une communication en date du 17 février 2011 de la Confédération générale du travail (CGT).
  2. 966. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication en date du 3 juin 2011.
  3. 967. La France a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 968. Dans une communication en date du 17 février 2011, la CGT dénonce la violation de la liberté syndicale, et notamment du droit de grève, par des actes de réquisition pris par les autorités lors du mouvement social d’octobre 2010.
  2. 969. L’organisation plaignante rappelle d’abord que la France a connu, en octobre 2010, une mobilisation nationale exceptionnelle née de la contestation de la réforme des retraites. Dans tous les secteurs d’activité, des salariés ont exercé leur droit de grève, des manifestations d’une ampleur extraordinaire (plusieurs millions de personnes dans la rue) ont été organisées avec le soutien massif de l’opinion publique. Dans ce contexte, l’organisation plaignante dénonce l’attitude du gouvernement, qu’elle qualifie d’irresponsable à plusieurs titres: ce dernier a refusé toute négociation avec les organisations syndicales; il a tenté d’affaiblir le mouvement et il a usé abusivement de la réquisition de salariés grévistes. Ainsi, selon la CGT, plusieurs préfectures ont multiplié les réquisitions dans le secteur pétrolier, l’un des secteurs les plus mobilisés, en prenant des arrêtés qu’elles faisaient appliquer quelques jours avant de les retirer juste avant que les autorités judiciaires ne se prononcent sur leur légalité, cela afin d’éviter toute condamnation. De l’avis de l’organisation plaignante, ces réquisitions avaient un double objectif: maintenir l’activité économique en minimisant l’impact des grèves et mettre fin à la mobilisation nationale. Ainsi, des salariés de différents établissements pétroliers ont subi une violation manifeste de leur droit de grève. La réquisition constitue un obstacle très efficace à l’exercice du droit de grève, dans la mesure où le salarié gréviste réquisitionné qui refuse de reprendre le travail commet un délit pénal et est passible de six mois d’emprisonnement et 10 000 euros d’amende. Ainsi, selon l’organisation plaignante, en octobre 2010, quelque 160 salariés ont été réquisitionnés et se sont vu notifier par le préfet les sanctions pénales auxquelles ils s’exposeraient en refusant de reprendre le travail.
  3. 970. L’organisation plaignante indique que, par plusieurs arrêtés du 22 octobre 2010 (arrêtés préfectoraux de réquisition nos 183/DSCS/SIDPC et SIDPC 2010-303), les préfets des Yvelines et de Seine-et-Marne ont requis la majorité des salariés grévistes de l’établissement de stockage pétrolier de Gargenville et de la raffinerie de Grandpuits. Ces réquisitions visaient à rétablir le ravitaillement en carburant de la région Ile-de-France et, plus spécialement, de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Devant une telle violation de leur droit de grève, les salariés concernés ainsi que les organisations syndicales ont tenté d’obtenir la suspension des arrêtés de réquisition. En effet, le droit français prévoit une procédure d’urgence qui permet au juge administratif de mettre fin à une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Cependant, la mise en œuvre de la procédure n’a pas débouché sur le résultat escompté, dans la mesure où, par une décision du Conseil d’Etat (décision no 343966 du 27 octobre 2010), plus haute autorité juridictionnelle administrative, les salariés ont été contraints de reprendre le travail. Selon la CGT, le Conseil d’Etat a, semble-t-il, été influencé par une présentation alarmiste des faits par le ministère public, et qui n’a pu être contestée du fait de la nature même de la procédure d’urgence qui ne permet pas de mener une instruction approfondie. La CGT considère que les préfets, auteurs des réquisitions, sont les représentants de l’Etat. Ils sont placés sous le contrôle direct du gouvernement, et leurs actes (en l’espèce, les arrêtés de réquisition) engagent dès lors la responsabilité de ce dernier.
  4. 971. Selon l’organisation plaignante, les conditions posées par la législation nationale pour effectuer des réquisitions n’ont pas été respectées. Elle rappelle que les réquisitions sont extrêmement encadrées en droit français et que, aux termes du Code général des collectivités territoriales, la réquisition de salariés grévistes doit être effectuée selon les conditions suivantes: «en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées» (article L. 2215-1 4°). Le même code pose comme autres conditions: «L’arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application.»
  5. 972. La CGT rappelle en outre qu’il ressort des débats parlementaires que la volonté du législateur était alors de donner un outil général permettant aux préfets de veiller au mieux au maintien de l’ordre public. Ainsi, le ministre de l’Intérieur de l’époque, répondant aux craintes de donner aux préfets un pouvoir trop général contraire aux libertés des citoyens, soutenait qu’il s’agissait de faire face à des catastrophes naturelles, industrielles, à des risques sanitaires, à des urgences sociales en faisant appel à des moyens matériels exceptionnels: «Il n’est pas question de donner un seul pouvoir supplémentaire au préfet: le pouvoir de réquisition existe d’ores et déjà. Simplement, il est défini dans une telle myriade de textes épars, à la stabilité juridique incertaine, que j’ai souhaité donner à ce pouvoir de réquisition, dont tous les élus savent bien qu’il est indispensable pour accélérer le remboursement ou renforcer l’efficacité de l’Etat, une base législative plus forte.»
  6. 973. Aussi, la CGT rappelle que le droit national prévoit les réquisitions dans un seul but: la protection de l’ordre public. Contestant la lecture de la loi faite par les préfets par le biais des arrêtés préfectoraux d’octobre 2010, l’organisation plaignante soutient que ces derniers arrêts violent les conventions nos 87 et 98, dans la mesure où ils avaient pour unique objectif de rétablir l’activité économique. L’organisation plaignante rapporte ainsi des déclarations faites par le ministre de l’Intérieur selon lesquelles: «L’unique objectif de cette opération est de rendre disponibles les stocks de carburant de cette raffinerie en vue de faire face aux besoins de la population de la région d’Ile-de-France.» Les réquisitions d’octobre 2010 ne répondent pas à la définition du droit interne ni a fortiori à celle de l’OIT. La réquisition de salariés grévistes n’est admissible que lorsque la grève intervient dans un secteur essentiel ou en cas de circonstances de la plus haute gravité. Or la CGT indique qu’aucune de ces justifications ne pouvait être retenue pour les réquisitions d’octobre 2010.
  7. 974. En premier lieu, l’organisation plaignante considère que les réquisitions ont frappé un secteur qui n’entre pas dans la définition de services essentiels au sens strict du terme. La CGT rappelle que le Comité de la liberté syndicale a précisé que les réquisitions ne pouvaient être faites que lorsque les arrêts de travail interviennent dans des secteurs essentiels. A cet égard, la législation française rejoint la jurisprudence du comité en ce qu’elle circonscrit l’utilisation des réquisitions à une situation d’urgence dans laquelle il existe une atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité ou la sécurité publiques et à condition que les préfets ne disposent plus de moyens suffisants, autres que les réquisitions, pour faire cesser cette atteinte. La CGT indique que la plainte ne porte pas sur les textes eux-mêmes, mais sur l’interprétation abusive qu’en a faite le gouvernement à travers les arrêtés pris par les préfets. L’organisation plaignante regrette que les préfets aient établi un lien direct entre le maintien de l’activité économique et la notion d’ordre public. Les préfets ont ainsi présenté les perturbations, conséquences de la grève, comme constituant à elles seules un trouble à l’ordre public dans des secteurs qui présentent «une importance particulière pour le maintien de l’activité économique». Or, selon la CGT, le maintien de l’activité économique ne relève pas de l’ordre public. L’organisation plaignante indique que la principale difficulté réside dans la définition de l’ordre public, dans la mesure où le maintien de l’activité économique devenait une mission d’ordre public.
  8. 975. De plus, la CGT regrette le fait que cette interprétation abusive ait été validée par le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 27 octobre 2010 qui a reconnu que «le préfet peut requérir les salariés en grève d’une entreprise privée dont l’activité présente une importance particulière pour le maintien de l’activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public, qu’il ne peut prendre que les mesures nécessaires, imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public». L’organisation plaignante observe que la justice administrative a ainsi admis la réquisition ayant comme objectif le maintien de l’activité économique, ce qui est différent de la situation où il est nécessaire de satisfaire les besoins essentiels de la population ou de celle où la grève constituerait une menace pour l’ordre public. L’organisation plaignante ajoute qu’il ne revenait pas au juge administratif de trancher sur la coexistence de deux libertés fondamentales que sont le droit de grève et la liberté d’entreprendre, mais plutôt de déterminer si, en l’espèce, l’exercice du droit de grève, reconnu comme une liberté fondamentale, porte atteinte à la sécurité publique, la salubrité ou encore la tranquillité publiques. La tranquillité se rattache au maintien de l’ordre dans la rue, les lieux publics, la salubrité à la sauvegarde de l’hygiène publique, et la sécurité correspond aux secours en cas d’accidents, de fléaux humains et naturels, d’incendies, d’inondations, de complots armés ou de terrorisme. L’organisation plaignante rappelle que, lors de l’examen de la proposition de loi sur les réquisitions, le nouvel article L.2215-1 du Code général des collectivités territoriales avait ainsi été présenté comme «destiné à répondre aux situations d’urgence, telles que les catastrophes naturelles, ou aux situations exceptionnelles – catastrophes industrielles, risques sanitaires, urgences sociales – où le préfet est obligé de faire appel à des moyens matériels exceptionnels». Observant enfin que certains arrêtés, faiblement motivés, évoquaient des «perturbations» et non des atteintes à l’ordre public, l’organisation plaignante regrette que le Conseil d’Etat ait admis que de simples perturbations puissent justifier la réquisition de salariés grévistes, alors que la loi impose qu’il y ait une atteinte à l’ordre public. Or la CGT rappelle que l’objet même d’une grève étant de perturber, la limite à son exercice ne devrait être que l’atteinte à l’ordre public, qui était inexistante en l’espèce.
  9. 976. L’organisation plaignante relève qu’à aucun moment la jurisprudence du comité n’a inclus dans la liste des secteurs économiques et industriels pouvant être éventuellement frappés par des restrictions à l’exercice du droit de grève celui du stockage, de la distribution, du transport ou de la transformation des carburants. Au contraire, l’organisation plaignante rappelle que le comité a eu à plusieurs reprises à indiquer que, pour ces activités, aucune restriction ne saurait intervenir sans contrevenir gravement à la liberté syndicale garantie dans la convention no 87.
  10. 977. Enfin, l’organisation plaignante rappelle que le Comité de la liberté syndicale a établi une liste de services pouvant être considérés comme essentiels et pour lesquels des restrictions à l’exercice plein et entier de la grève sont envisageables (en général la mise en place de services minima). Elle observe que les installations pétrolières, la production, le transport et la distribution de combustibles figurent en revanche dans la liste des services ne souffrant aucune restriction à l’exercice du droit de grève. Le gouvernement aurait dû limiter le champ des réquisitions éventuelles aux secteurs visés par le comité. Mais son raisonnement a été de considérer que le maintien de l’activité économique pouvait également justifier une réquisition. Une telle lecture abusive des textes de loi a permis de généraliser les réquisitions, ce qui constitue une violation de la liberté syndicale. Par ailleurs, l’organisation plaignante considère qu’en s’érigeant en défenseur de la liberté d’entreprendre le gouvernement a outrepassé ses missions. En effet, la défense de la liberté d’entreprendre, s’agissant d’entreprises privées, ne relève pas de l’ordre public.
  11. 978. Si l’organisation plaignante observe que le Comité de la liberté syndicale admet des réquisitions de salariés grévistes lorsqu’un Etat se trouve confronté à des «circonstances de la plus haute gravité», elle constate que rien dans la motivation des arrêtés préfectoraux de réquisition ni dans les arguments avancés par la suite par le gouvernement pour justifier les réquisitions ne caractérise l’existence de «circonstances de la plus haute gravité». La grève des salariés des établissements pétroliers en octobre 2010 a évidemment entraîné des perturbations, et le gouvernement a justifié les réquisitions par la situation de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et, plus généralement, celle de la région Ile-de-France. L’organisation plaignante observe qu’en l’espèce une partie seulement du territoire national était concernée par les perturbations. En outre, l’importance de ces perturbations ne permet pas davantage de qualifier la situation d’octobre dernier de «circonstances de la plus haute gravité».
  12. 979. S’agissant de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, l’arrêté préfectoral no SIDPC 2010303 du 22 octobre 2010 fait état de risques pour la salubrité, de pénurie de logement et d’alimentation, et de risques d’émeutes. Pour caractériser de tels risques, l’arrêté se contente de préciser que l’aéroport est une plate-forme de correspondance et qu’il n’est donc pas équipé pour accueillir, en cas de paralysie du trafic aérien, l’ensemble des passagers y transitant. L’organisation plaignante observe que la gravité des risques mentionnés dans l’arrêté préfectoral est impressionnante (risques pour la salubrité, la pénurie de logement et d’alimentation, des risques d’émeutes...), alors que rien ne permet de justifier de l’existence de tels risques. L’organisation plaignante indique que la question de la possibilité que des émeutes éclatent à cause de la grève aurait mérité des justifications plus poussées de la part des autorités. A titre de comparaison, lors de l’éruption volcanique en Islande, les aéroports avaient été fermés, de très nombreux vols annulés et les passagers en correspondance bloqués. Les perturbations étaient alors bien plus importantes qu’en octobre 2010 et avaient concerné toute l’Europe. Pourtant, à aucun moment un risque d’émeutes n’avait été évoqué. De même, s’agissant des éventuels problèmes de logement et d’alimentation pour les passagers bloqués, rien ne permettait de caractériser de tels risques selon l’organisation plaignante. La CGT indique par ailleurs que, de manière générale, dès lors que le nombre de passagers bloqués dans un aéroport – quelle qu’en soit la raison – atteint le seuil de saturation des capacités d’accueil de l’aéroport, il est attendu des autorités qu’elles prennent toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’arrivée de nouveaux passagers.
  13. 980. Ainsi, l’organisation plaignante en conclut qu’il est difficile de voir comment la cessation de travail des salariés des établissements de Grandpuits et de Gargenville aurait pu mettre en danger l’ordre public, alors qu’une crise beaucoup plus importante survenue quelques mois plus tôt n’avait pas eu d’incidence sur la sécurité publique. L’organisation plaignante indique par ailleurs que le soutien de l’opinion publique au mouvement de contestation de la réforme des retraites tendait au contraire à écarter un tel risque. Ce soutien de l’opinion publique au mouvement de contestation de la réforme des retraites est incontestable et est resté massif jusqu’à la fin des grèves. A titre d’exemple, l’organisation plaignante rappelle que la manifestation organisée le 12 octobre aurait rassemblé 3,5 millions de personnes selon la presse. De même, les sondages réalisés lors du mouvement ont montré un soutien ferme de l’opinion publique. Lors d’un sondage réalisé les 15 et 16 octobre 2010, 71 pour cent des Français ont ainsi déclaré soutenir ou avoir de la sympathie pour le mouvement de protestation contre le projet de réforme des retraites. L’organisation dénonce le fait qu’en procédant à ces réquisitions de salariés grévistes le gouvernement a très clairement entendu faire obstacle à la poursuite de ce mouvement, obstacle d’autant plus symbolique qu’il s’agissait de salariés d’établissements pétroliers situés en Ile-de-France et que la grève des salariés des raffineries bénéficiait d’un important écho médiatique. Ainsi, l’objectif du gouvernement était de mettre un terme au mouvement de grèves dans les raffineries.
  14. 981. L’organisation dénonce par ailleurs le fait que les arrêtés préfectoraux aient invoqué la nécessité de «garantir le ravitaillement des véhicules» de secours et, plus généralement, les risques liés aux difficultés d’approvisionnement en carburant en Ile-de-France, pour justifier les réquisitions. L’organisation plaignante dénonce le fait que les préfets aient utilisé une telle mesure exceptionnelle en dehors de toute atteinte à l’ordre public, directe ou indirecte. Elle rappelle que, en l’espèce, l’ordre public n’aurait été perturbé que dans la mesure où les véhicules prioritaires (ambulances, police...) n’allaient pas être approvisionnés en carburant. Or l’organisation plaignante indique que les grévistes ont eux-mêmes demandé des mesures afin que le ravitaillement de ces véhicules soit assuré. De plus, de nombreuses stations-service fonctionnaient encore et auraient pu être utilisées pour l’approvisionnement de ces véhicules sur décisions préfectorales. En tout état de cause, si l’approvisionnement en carburant des véhicules prioritaires avait été menacé, il revenait aux préfets de prendre les arrêtés nécessaires pour organiser la distribution de carburant en priorité à ces véhicules. Or la CGT constate que l’objectif des arrêtés préfectoraux de réquisition pris était plutôt de revenir à une situation normale d’approvisionnement en carburant dans la région Ile-de-France pour tous les véhicules, et non de mettre fin à une circonstance de la plus haute gravité.
  15. 982. L’organisation plaignante s’étonne aussi du fait que des risques liés à un encombrement des axes de circulation aient été invoqués pour justifier les réquisitions. Elle rappelle que l’encombrement des axes routiers est récurrent en Ile-de-France. Elle indique qu’un enneigement exceptionnel des routes dans la nuit du 8 au 9 décembre 2010, qui avait bloqué des automobilistes durant plusieurs heures, n’a pas donné lieu à l’emploi de mesures exceptionnelles de la part des autorités, alors même qu’il ne s’agissait pas d’un risque d’encombrement mais d’un encombrement bien réel des routes.
  16. 983. L’organisation plaignante indique que des alternatives à la réquisition étaient envisageables, mais celles-ci n’ont jamais fait l’objet d’un examen. L’organisation plaignante évoque la situation dans une autre région (Eure) où un arrêté préfectoral a été pris pour organiser la distribution de carburant aux véhicules prioritaires (arrêté préfectoral no D5/B2/10-0052 du 21 octobre 2010). En l’espèce, une liste des véhicules prioritaires a été établie, ainsi que les modalités de distribution du carburant. L’organisation plaignante rappelle qu’en Ile-de-France les grévistes avaient demandé la mise en place d’un dispositif permettant l’approvisionnement des véhicules de secours, mais l’objectif des autorités était clairement l’approvisionnement en carburant pour tous les véhicules. L’organisation rappelle que, même lorsqu’il s’agit d’un servie essentiel, le Conseil d’Etat a déjà eu à sanctionner les autorités en suspendant des réquisitions dans le secteur de la santé pour défaut de recherche d’alternatives (décision no 262186 du 9 décembre 2003). Dans son attendu, le Conseil indiquait ainsi qu’«en prescrivant une telle mesure générale, sans envisager le redéploiement d’activités vers d’autres établissements de santé ou le fonctionnement réduit du service, et sans rechercher si les besoins essentiels de la population ne pouvaient être autrement satisfaits compte tenu des capacités sanitaires du département, le préfet a commis une erreur de droit». L’organisation plaignante regrette par ailleurs que le Conseil d’Etat ait considéré dans sa décision du 27 octobre 2010 que, pour être retenues, les alternatives aux réquisitions auraient dû être plus efficaces que les réquisitions elles-mêmes. Par ailleurs, le Conseil d’Etat, pour justifier les réquisitions, a suggéré que la diminution des réserves en carburant était une menace pour la sécurité aérienne, en raison d’un risque d’erreur de calcul de ces réserves. L’organisation rappelle qu’en l’espèce la sécurité aérienne n’a jamais été menacée car, en cas de pénurie de carburant, les vols sont simplement annulés.
  17. 984. En conclusion, l’organisation plaignante dénonce le fait que le seul objectif des réquisitions d’octobre 2010 était un rétablissement total de l’activité économique, que le gouvernement ne peut nier compte tenu de certaines déclarations qui ont montré sa volonté de rétablir un service normal de stockage et de distribution de carburant et non d’assurer un service minimum. Dès lors, les réquisitions tendaient non pas à mettre fin à une crise dans un service essentiel, mais à empêcher la poursuite d’un mouvement de grève dans des établissements pétroliers qui ne fournissent pas un service essentiel au sens strict du terme. Cet objectif politique et les actes administratifs pris par les préfets violent gravement les conventions fondamentales nos 87 et 98 de l’OIT.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 985. Le gouvernement a communiqué ses observations dans une communication datée du 3 juin 2011. De manière liminaire, le gouvernement rappelle que l’année 2010 a été marquée en France par la réforme de son système de retraites. Officiellement annoncée en février 2010, une consultation des partenaires sociaux a été engagée dès avril 2010. L’examen du projet de loi de réforme des retraites a débuté à l’Assemblée nationale le 7 septembre 2010 et il a été définitivement adopté le 27 octobre 2010 puis promulgué par le Président de la République. La loi no 2010-1330 du 9 novembre 2010 a été publiée au Journal officiel le 10 novembre 2010. Le gouvernement indique que l’élaboration de cette loi a suscité une contestation durant toute l’année 2010, marquée par l’organisation de journées interprofessionnelles de mobilisation. La perspective de son adoption par les parlementaires a provoqué début octobre 2010 une recrudescence de la contestation. La journée de grève du 12 octobre 2010 a rassemblé dans toute la France entre 1,23 million de personnes selon le ministère de l’Intérieur et 3,5 millions de personnes selon les organisations syndicales. La journée de grève du 28 octobre 2010 a été marquée par une moindre intensité du mouvement qui aurait rassemblé entre 556 000 personnes selon le ministère de l’Intérieur et 2 millions de personnes de source syndicale. Le mouvement de contestation s’est poursuivi en novembre.
  2. 986. Selon le gouvernement, la mobilisation a pris la forme de grèves et de blocages d’entreprises dans de nombreux secteurs, dont le secteur pétrolier, où les 12 raffineries de pétrole que compte le territoire métropolitain ont été bloquées par des grèves reconductibles. Le gouvernement explique ainsi que, face au risque d’une paralysie énergétique du pays, les pouvoirs publics ont dû procéder à la réquisition de salariés grévistes dans trois cas: dans la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) et dans les dépôts pétroliers de Donges (Loire-Atlantique) et de Gargenville (Yvelines). Des réquisitions ont été décidées par voie d’arrêtés préfectoraux en application de l’article L. 2215-1 4° du Code général des collectivités territoriales (CGCT), qui dispose que «En cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées. L’arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application».
  3. 987. S’agissant du département des Yvelines, un arrêté préfectoral du 22 octobre 2010 a réquisitionné pour six jours une partie du personnel gréviste du dépôt pétrolier de Gargenville (arrêté no SIDPC 2010-303). Le dépôt de Gargenville alimente en carburant l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle dont la consommation journalière est de 15 000 m3. A la date de la réquisition, l’aéroport n’était alimenté par aucune autre source. Et en raison de la durée de la grève, les réserves de l’aéroport en carburant, à la date de l’arrêté, n’étaient plus que de trois jours, alors que l’alimentation de Gargenville à Roissy nécessite une durée minimale de traitement et de transfert de trois jours pour que les avions soient alimentés. Le 21 octobre 2010 à 18 heures, soit la veille de l’arrêté de réquisition, le stock de carburant utilisable n’était plus que de quelques jours, alors qu’un délai de quatre jours est nécessaire pour rendre disponible chaque livraison. Il faut en effet remplir un bac de 18 000 m3, contrôler le carburant de ce bac, puis le transférer en cuve de distribution. Selon le gouvernement, ces chiffres démontrent toute l’urgence de mobiliser les stocks de carburant disponibles dans le dépôt de Gargenville.
  4. 988. Le gouvernement précise que la plate-forme aéroportuaire de Roissy-Charles de Gaulle n’est pas équipée pour accueillir, en cas de paralysie du trafic aérien, l’ensemble des passagers qui y transitent, compte tenu de l’insuffisance de la capacité hôtelière de l’aéroport et de ses alentours (plus de 5 millions de passagers par mois et environ 600 000 entre le lundi 18 et le jeudi 21 octobre 2010 au soir, dont 70 pour cent en transit, sans solution d’hébergement). Pour le gouvernement, il importait donc d’assurer la continuité du service public aéroportuaire et d’éviter les risques d’atteinte à l’ordre public liés à l’insuffisance de cette capacité d’accueil hôtelier (notamment des risques de passagers en déroute, non logés, des risques pour la salubrité en cas d’afflux massifs de passagers, alors que les capacités d’hébergement et d’alimentation sont insuffisantes et que le calendrier de la grève coïncidait avec les départs en vacances).
  5. 989. Reprenant l’exemple cité par l’organisation plaignante, le gouvernement indique que, lors de l’interruption des vols liée à l’éruption du volcan en Islande et alors même que l’espace aérien européen était fermé et que le nombre de passagers était très faible, le préfet délégué pour la sécurité et la sûreté des plates-formes aéroportuaire de Roissy-Charles de Gaulle et du Bourget avait dû procéder à la réquisition de deux gymnases pour loger les passagers en transit, en raison de l’insuffisance des capacités hôtelières de l’aéroport de Roissy. Une telle situation n’aurait pas été possible ni acceptable avec le nombre de voyageurs transitant par Roissy en temps normal.
  6. 990. Le gouvernement ajoute qu’une pénurie de carburant est de nature à affecter directement la sécurité aérienne puisque les compagnies, et notamment les équipages, doivent tenir compte de la situation dans le calcul de leur parcours en tenant compte des réserves disponibles. Une erreur de calcul peut conduire à un avion en perdition, voire un crash pour panne sèche. A cet égard, même si la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a transmis les consignes nécessaires aux compagnies aériennes afin qu’elles effectuent le plein de carburant en dehors du territoire français, la situation était de nature à perturber l’organisation interne des compagnies opérant en France avec le risque d’une erreur humaine concernant le calcul des réserves en carburant pour tel ou tel vol.
  7. 991. Par ailleurs, le gouvernement fait état de la nécessité de garantir le ravitaillement en carburant des véhicules assurant notamment le secours aux personnes, les soins à domicile, la livraison de produits pharmaceutiques et médicaux et le maintien de l’ordre public. A cet égard, le gouvernement précise que le dépôt de Gargenville constituait un nœud stratégique de livraison pour les stations-service du département, en particulier en raison de la grève qui affectait les autres dépôts. Le gouvernement indique que, à la date de la réquisition du site de Gargenville, la situation de pénurie de carburant en Ile-de-France était exacerbée: 43 pour cent des stations-service d’Ile-de-France étaient complètement «à sec», et 29 pour cent en grande difficulté, affectant de manière grave le fonctionnement des services publics franciliens. Le gouvernement précise que la situation était telle que plusieurs compagnies de transports en commun en banlieue ne pouvaient plus fonctionner, de même que des véhicules de ramassage des ordures. Le fonctionnement des services de première nécessité (urgence, secours à la personne, soins à domicile, maintien de l’ordre public...) n’était pas davantage garanti. Enfin, le gouvernement rappelle qu’une pénurie de carburant est de nature à affecter directement et indirectement la circulation et la sécurité routières, comme l’ont démontré les abandons de véhicules sur la chaussée à proximité des aéroports, ou encore les files de camions-citernes aux abords des dépôts pétroliers.
  8. 992. Le gouvernement indique que toutes les raisons invoquées ont amené la préfecture des Yvelines à prendre des mesures propres à endiguer les troubles à l’ordre public présents ou futurs du fait de la pénurie de carburant, ce d’autant qu’à la date de l’arrêté aucun autre dépôt d’Ile-de-France n’avait encore pu être réquisitionné. L’arrêté de réquisition entrait donc bien dans le champ d’application de l’article L. 2215-1-4° du CGCT, ainsi que l’a admis le juge des référés de Versailles, à l’instar des juges des référés de Nantes (ordonnances des 22 et 25 octobre 2010-PJ 2 et 3), et de Melun (ordonnances des 22 et 25 octobre 2010-PJ 4 et 5).
  9. 993. Le gouvernement insiste sur le fait que, saisi sur la base de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative – qui permet au juge administratif de statuer en urgence et à titre conservatoire, d’ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration porte une atteinte grave et manifestement illégale, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande des requérants par une ordonnance du 23 octobre 2010: tout en estimant que la réquisition contestée constituait une limitation à l’exercice du droit de grève qui est une liberté fondamentale, il a jugé que cette mesure n’était pas entachée d’une illégalité manifeste. Les requérants ont interjeté appel de cette décision devant le juge des référés du Conseil d’Etat qui, après avoir procédé au contrôle du caractère nécessaire et proportionné de la mesure de réquisition et après avoir constaté l’absence de solutions alternatives immédiatement disponibles et aussi efficaces, a confirmé le refus de suspendre la mesure de réquisition.
  10. 994. S’agissant du département de Seine-et-Marne, le gouvernement précise que le préfet a pris une série d’arrêtés de réquisition de salariés de la raffinerie Total de Grandpuits le 17 octobre 2010 pour la mise en sécurité des installations et pour les expéditions (arrêtés préfectoraux nos 138/DSCS/SIDPC à 170/DSCS/SIDPC du 17 octobre 2010 portant réquisition de services). Cette raffinerie de Grandpuits alimente de nombreux points de distribution en Ile-de-France et en Seine-et-Marne. L’arrêt de la production dans plusieurs raffineries depuis plus d’une semaine avait empêché l’approvisionnement des stations-service, et nombre d’entre elles étaient en totale rupture de stock ou en grande difficulté. Il était dès lors nécessaire de garantir l’approvisionnement en carburant des véhicules assurant notamment le secours aux personnes, les soins à domicile, la livraison de produits pharmaceutiques et médicaux et le maintien de l’ordre public. Les compagnies de transports publics ne fonctionnaient plus. La situation était, selon le gouvernement, de nature à entraîner des troubles graves à l’ordre public (files d’attente générant des troubles de la circulation, tensions sur les points de distribution...) et, eu égard à la pénurie dans tout le pays, aucune autre source d’approvisionnement ne pouvait être mobilisée de manière rapide dans le département. Le gouvernement indique que ces arrêtés de réquisition ont été retirés le lendemain par arrêté préfectoral (arrêté préfectoral no l82/DSCS/SIDPC portant retrait d’arrêtés préfectoraux).
  11. 995. Le gouvernement explique qu’un nouvel arrêté préfectoral a été pris le 22 octobre (arrêté préfectoral no 183/DSCS/SIDPC), mais ce dernier a été suspendu le même jour par le tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne). En l’espèce, le juge a considéré que l’arrêté «a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève et que son exécution à ce titre doit être suspendue». Le juge a reproché au préfet de Seine-et-Marne d’avoir réquisitionné la quasi-totalité du personnel de la raffinerie, ce qui a eu pour effet d’instaurer un service normal au sein de l’établissement et non le service minimum que requièrent les seules nécessités de l’ordre et de la sécurité publics» (tribunal administratif de Melun (référé), 25 octobre 2010, CGT et autres contre préfet de Seine-et-Marne). De nouveaux arrêtés préfectoraux ont été pris les 22 octobre (arrêté préfectoral no 185/DSCS/SIDPC), 23 octobre (arrêté préfectoral no 186/DSCS/SIDPC), 24 octobre (arrêté préfectoral no 187/DSCS/SIDPC) et 26 octobre (arrêté préfectoral no 188/DSCS/SIDPC). Le recours en référé formé contre l’arrêté du 24 octobre a été rejeté le 25 octobre par le tribunal administratif de Melun. Aux termes du jugement, la grève qui se prolongeait depuis le 12 octobre 2010 compromettait sérieusement l’approvisionnement en carburant des véhicules d’urgence et de secours aux personnes, et il ne ressortait pas de l’instruction que le préfet disposait d’autres moyens en vue d’obtenir le résultat recherché et compte tenu du fait que seuls 14 agents sur les cent 170 environ affectés au site ont fait l’objet de la réquisition sans qu’il soit allégué que ce nombre était excessif par rapport aux besoins des opérations pour lesquelles ils sont requis. Le juge a conclu que l’arrêté du préfet ne paraissait pas disproportionné au point de porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève (tribunal administratif de Melun (référé), 25 octobre 2010).
  12. 996. En outre, le gouvernement indique que, dans le département de Loire-Atlantique, le tribunal administratif de Nantes a rejeté, le 22 octobre 2010, le recours en référé déposé par quatre salariés travaillant dans le dépôt de la société française Donges-Melun-Metz (SFDM) de Donges, qui contestaient leur réquisition par le préfet qui selon eux portait atteinte au droit de grève. Les juges ont estimé qu’«en procédant à la seule réquisition de quatre salariés et en mettant en place le dispositif contesté qui ne peut avoir pour objet ni pour effet d’assurer le fonctionnement normal du dépôt, mais qui vise à éviter des conséquences graves dans l’approvisionnement énergétique du pays, le préfet de Loire-Atlantique n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de grève, eu égard aux besoins urgents à couvrir qui s’étendent sur le Grand-Ouest de la France» (tribunal administratif de Nantes, 22 octobre 2010, no 1007766).
  13. 997. Selon le gouvernement, l’évocation du contexte dans lequel ont été pris les arrêtés préfectoraux de réquisition de salariés a pour objet de rappeler l’ampleur du blocage dans le secteur pétrolier où la grève, débutée le 12 octobre 2010, était suivie dans dix raffineries sur 12 dès le 14 octobre et allait toucher l’ensemble des raffineries le 25 octobre 2010. De nombreux dépôts de carburant et des terminaux pétroliers ont été bloqués à compter du 12 octobre. A cet égard, le gouvernement précise qu’une cellule interministérielle de crise pour assurer «la pérennité du ravitaillement en carburant» avait été mise en place dès le 11 octobre et activée le 18 octobre 2010.
  14. 998. Les arrêtés préfectoraux de réquisition de grévistes ont été pris dans une situation d’urgence caractérisée par un blocage généralisé et durable des moyens d’approvisionnement en carburant. Les premiers arrêtés préfectoraux de réquisition ont été pris cinq jours après le début des blocages des raffineries pour ce qui concerne la raffinerie de Grandpuits dans le département de Seine-et-Marne, et plus d’une semaine après pour les sites pétroliers de Gargenville dans les Yvelines et de Donges en Loire-Atlantique. Selon le gouvernement, ces arrêtés ont donc été adoptés pour préserver l’ordre public, qui s’est trouvé menacé par l’ampleur et la persistance du blocage des dépôts et raffineries de pétrole. Ils se caractérisent également, pour la plupart, par le nombre volontairement limité de salariés réquisitionnés et par la volonté de ne pas porter une atteinte excessive au droit de grève.
  15. 999. S’agissant de l’analyse des arrêtés préfectoraux concernant leur conformité avec le droit interne et au regard des conventions de l’OIT, le gouvernement indique que ces derniers répondent aux exigences définies par l’article L. 2215-1 4° du CGCT. Ils sont donc conformes au droit interne et respectent de fait les principes des conventions nos 87 et 98 en matière de liberté syndicale et de négociation collective. Le gouvernement rappelle que le droit de réquisition de salariés en France n’est admis que dans des circonstances exceptionnelles, en cas d’atteinte constatée ou prévisible à l’ordre public. Il respecte ainsi de fait le droit de grève et la liberté syndicale selon les recommandations du Comité de la liberté syndicale, qui permettent le recours à la réquisition lors de circonstances de la plus haute gravité ou pour les services essentiels.
  16. 1000. En ce qui concerne l’interprétation de la loi française en matière de réquisition, le gouvernement indique que, contrairement aux allégations de la CGT selon lesquelles les arrêtés de réquisition d’octobre 2010 ont été pris sur la base d’une interprétation abusive de la loi française, notamment en établissant un lien direct entre le maintien de l’activité économique et la notion d’ordre public, les arrêtés préfectoraux de réquisition ont visé expressément le maintien de l’ordre public, avec en particulier le rétablissement de l’approvisionnement en carburant des véhicules de soins et de sécurité. A cet égard, le gouvernement rappelle que l’article L. 2215-1 4° du CGCT est le fondement juridique du droit de réquisition préfectorale en France, en déterminant la notion d’ordre public ainsi: «En cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige (...), le préfet (...) peut, par arrêté motivé (...) réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien (...).» La réquisition vise ainsi l’ordre public qui comprend la salubrité, la tranquillité et la sécurité publiques. La jurisprudence française a précisé les conditions d’application de la réquisition préfectorale pour le maintien de l’ordre public. Le Conseil d’Etat a ainsi estimé que, «si le préfet, dans le cadre des pouvoirs qu’il tient du 4° de l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales, peut légalement requérir des agents en grève (...), il ne peut toutefois prendre que les mesures imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public, au nombre desquelles figurent les impératifs de santé publique» (Conseil d’Etat, 9 décembre 2003, no 262186).
  17. 1001. Selon le gouvernement, l’examen des arrêtés préfectoraux montre que leur objet premier a porté sur le maintien de l’ordre public, et notamment sur la prévention de troubles à la sécurité et à la salubrité publiques. Ils ne sont donc pas fondés sur le maintien de l’activité économique, comme le soutient l’organisation plaignante. Les décisions des juges administratifs, saisis en urgence, ont soutenu cette analyse. Ainsi, le tribunal administratif de Melun a fondé sa décision de rejeter la requête en suspension d’exécution de l’arrêté du 24 octobre 2010, en rappelant que «la grève des salariés des personnels des raffineries et dépôts d’hydrocarbures sur le territoire et notamment celle qui affecte l’établissement Total de Grandpuits en Seine-et-Marne [...] compromet sérieusement l’approvisionnement en carburant des véhicules d’urgence et de secours aux personnes» et «qu’il ressort des termes mêmes de l’arrêté que les mesures qu’il édicte sont exclusivement destinées à assurer cet approvisionnement prioritaire à l’exclusion de toute autre production et distribution de produits hydrocarbures».
  18. 1002. Le gouvernement ajoute que l’examen des arrêtés préfectoraux et des décisions du juge administratif permet aussi de souligner que les réquisitions ont une portée volontairement limitée dans la nature des tâches demandées aux salariés requis. Ces actes administratifs n’ont donc pas eu pour objet de rétablir une activité normale des sites pétroliers en vue de maintenir l’activité économique, comme le soutient l’organisation plaignante. Des limitations volontaires dans la nature des tâches demandées aux personnels réquisitionnés sont expressément mentionnées dans l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 187/DSCS/SIDPC: «Considérant que la réquisition ne vise pas la production de nouveaux produits bruts mais seulement la mobilisation des stocks déjà présents dans la raffinerie.» L’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 188/DSCS/SIDPC est également explicite: «Considérant que la portée des réquisitions ne vise pas la production de nouveaux produits bruts mais seulement la réception de gasoil en provenance de la société SFDM par oléoduc, son stockage et son mélange.» A cet égard, le juge administratif a également vérifié la légalité des réquisitions préfectorales en mesurant l’importance des tâches demandées aux salariés requis. Ainsi, le tribunal administratif de Nantes a estimé que la réquisition de salariés dans le dépôt de Donges ne visait pas à maintenir le fonctionnement normal du site. Au contraire, le tribunal administratif de Nantes a suspendu l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 183/DCSC/SIDPC du 22 octobre 2010 au motif qu’«en réquisitionnant la quasi-totalité du personnel de la raffinerie Total de Grandpuits (...), l’arrêté a eu pour effet d’instaurer un service normal au sein de l’établissement et non le service minimum que requièrent les seules nécessités de l’ordre et de la sécurité publics».
  19. 1003. Le gouvernement souligne également que les arrêtés préfectoraux contestés ont porté sur la réquisition d’une partie restreinte du personnel des raffineries. A cet effet, ils ont spécifiquement indiqué le nombre limité de personnes réquisitionnées qui répond à la stricte nécessité de rétablir l’ordre public et de ne pas porter une atteinte excessive au droit de grève. A titre d’exemple, le gouvernement se réfère à l’arrêté préfectoral de SeineetMarne no 187/DSCS/SIDPC portant réquisition de personnels à la raffinerie Total de Grandpuits qui a requis sept personnes par équipe de quart, alors qu’un service normal pour la production et l’expédition de super sans plomb 95, super sans plomb 98 et gasoil est en principe composé de 14 personnes en trois équipes tournant toutes les huit heures. Dans les faits, cet arrêté a requis 23 salariés sur les 400 salariés qu’emploie la raffinerie. De même, l’arrêté préfectoral des Yvelines no SIDPC 2010/303 du 22 octobre 2010 portant réquisition de personnels du dépôt pétrolier de Gargenville a requis trois agents par équipe de quart, représentant «14 pour cent de l’effectif en personnel du site». En Loire-Atlantique, les réquisitions préfectorales ont porté sur quatre salariés, alors que le site SFDM de Donges compte plus d’une trentaine de salariés.
  20. 1004. Enfin, le gouvernement indique que les arrêtés ont également respecté le principe de proportionnalité dans la durée de la réquisition. Ainsi, l’arrêté préfectoral des Yvelines no SIDPC 2010/303 du 22 octobre 2010 «est exécutoire pour six jours, dès sa notification» (article 2), l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 187/DSCS/SIDPC du 24 octobre 2010 est «exécutoire du lundi 25 octobre 2010 à 6 heures, et ce jusqu’au mardi 26 octobre 2010 à 22 heures» (article 2), et le dernier arrêté de réquisition no 188/DSCS/SIDPC pris par le préfet de Seine-et-Marne est «exécutoire du mardi 26 octobre 2010 à 15h30, et ce jusqu’au vendredi 29 octobre 2010 à 22 heures» (article 2).
  21. 1005. S’agissant de la référence à la notion de services essentiels au sens strict du terme telle qu’elle ressort des recommandations du Comité de la liberté syndicale, le gouvernement prend acte que, selon le Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, le droit de grève peut être restreint, voire interdit (...) dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Il observe également que le comité propose également deux listes, l’une relative aux services pouvant être considérés comme essentiels, et l’autre relative aux services qui ne constituent pas des services essentiels au sens strict du terme et dans laquelle sont mentionnés les installations pétrolières, la production, le transport et la distribution de combustibles. Enfin, il relève que le comité a précisé que la notion de «service essentiel au sens strict du terme dépend largement des conditions spécifiques de chaque pays. En outre, ce concept ne revêt pas un caractère absolu dans la mesure où un service non essentiel peut devenir essentiel si la grève dépasse une certaine durée ou une certaine étendue, mettant ainsi en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population.»
  22. 1006. De l’avis du gouvernement, l’application du concept de «services essentiels» ne paraît donc pas être applicable à une situation de conflit collectif sans appréciation de l’impact de la grève sur la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. Ainsi, selon le gouvernement, les arrêtés préfectoraux de réquisition d’octobre 2010 respectent donc les recommandations du Comité de la liberté syndicale puisque l’arrêt total et prolongé du travail du secteur pétrolier a provoqué des perturbations pour le ravitaillement en carburant des services de sécurité et de secours qui sont des «secteurs essentiels» au sens strict, faisant en conséquence peser un risque sur la sécurité et la santé d’une partie de la population. Il n’est pas suffisant de relever, comme se borne à le faire la CGT, que les installations pétrolières ne figurent pas dans la liste des «services essentiels» pour en déduire l’irrégularité des réquisitions en cause. Le gouvernement souligne ainsi qu’une semaine après le début de la grève le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL) avait fait le constat que «dans au moins 17 départements l’accès aux soins des patients suivis à domicile ne pourra bientôt plus être assuré».
  23. 1007. Par ailleurs, le gouvernement observe que le Comité de la liberté syndicale a indiqué que «lorsque, dans un secteur important de l’économie, un arrêt total et prolongé du travail peut provoquer une situation telle que la vie, la santé ou la sécurité de la population peuvent être mises en danger, il semble légitime qu’un ordre de reprise du travail soit applicable à une catégorie de personnel déterminée en cas de grèves dont l’étendue et la durée pourraient provoquer une telle situation». Le gouvernement considère que le secteur pétrolier, s’il n’est pas un «service essentiel» au sens strict du terme, constitue néanmoins un secteur important de l’économie. Et, à cet égard, les réquisitions préfectorales d’octobre 2010 prises dans ce secteur important en raison des risques que les blocages occasionnés faisaient peser sur les «secteurs essentiels» au sens strict du terme rentrent bien dans le cadre évoqué par le comité.
  24. 1008. Sur la qualification du contexte d’octobre 2010 en «circonstances de la plus haute gravité», le gouvernement observe que l’organisation plaignante axe son propos sur les situations de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et de la région Ile-de-France, qui ont en particulier motivé l’arrêté préfectoral des Yvelines no 2010-303 pour la réquisition de salariés grévistes dans la raffinerie de Gargenville. L’organisation plaignante estime que le contexte ne pouvait pas être qualifié de «circonstances de la plus haute gravité», qui auraient pu justifier la réquisition de salariés grévistes. Le gouvernement rappelle que le Comité de la liberté syndicale a estimé que «l’usage de la force armée et la réquisition de grévistes pour briser une grève de revendications professionnelles, en dehors des services essentiels ou dans des circonstances de la plus haute gravité, constituent une violation grave de la liberté syndicale». Le gouvernement affirme que les arrêtés préfectoraux de réquisition d’octobre 2010 n’ont pas eu vocation à briser les mouvements de grève. En effet, ils étaient tous caractérisés par une durée très limitée de leurs effets et par le nombre volontairement restreint de salariés requis, qui n’étaient d’ailleurs pas tous grévistes. Dans les faits, les réquisitions préfectorales ont porté sur un nombre restreint de sites pétroliers: sur les 12 raffineries métropolitaines, seules deux ont fait l’objet d’une réquisition d’une portée limitée de leur personnel. Il apparaît donc difficile de considérer que ces réquisitions ont brisé l’ensemble de la grève, qui se poursuivait par ailleurs sur les autres sites pétroliers.
  25. 1009. S’agissant de la position de l’organisation plaignante qui estime que le «risque d’émeutes» dans l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle était infondé, que le ravitaillement des véhicules prioritaires n’était pas menacé et que les risques d’encombrement des axes de circulation de la région dus aux difficultés d’approvisionnement en carburant des points de distribution n’étaient pas évidents, le gouvernement affirme que les arrêtés de réquisition préfectorale se plaçaient dans une perspective anticipatrice des risques d’atteinte à l’ordre public, comme le permet l’article L. 2215-1 4° du CGCT, avec l’objectif de réduire les troubles potentiels induits par un blocage général et durable des sites pétroliers métropolitains. L’anticipation de troubles à l’ordre public ne permet pas, a posteriori, de mesurer l’ampleur des troubles que les grèves et blocages auraient pu provoquer puisque son objectif intrinsèque était précisément de les éviter. Il n’est donc pas justifié de comparer des situations imprévisibles qui ont eu des répercussions concrètes et irrésistibles aux répercussions des grèves dans le secteur pétrolier, dont les conséquences ont été anticipées par les arrêtés de réquisition préfectoraux.
  26. 1010. En ce qui concerne les allégations de l’organisation plaignante selon lesquelles le gouvernement n’a pas recherché d’alternatives aux réquisitions, notamment l’arrêté préfectoral des Yvelines no 2010-303 qui n’aurait pas établi d’alternatives équivalentes à celles qui ont pu être prises dans le département de l’Eure, où une liste de véhicules prioritaires a été établie, le gouvernement indique que l’arrêté en question ne constituait pas une réelle alternative, puisque son objet portait sur la priorisation de l’accès au carburant, et non au ravitaillement des points de distribution en carburant. Il affirme également que la situation de blocage générale et persistante a limité les possibilités pour les préfets de mettre en place des situations alternatives aux réquisitions. Par ailleurs, le gouvernement précise que les arrêtés préfectoraux de réquisition d’octobre 2010 ont expressément mentionné la recherche de solutions alternatives aux réquisitions pour le ravitaillement en carburant et ont fait état du caractère rédhibitoire du blocage général et durable des sites pétroliers concernés. A cet égard, ils se sont strictement conformés à l’article L. 2215-1 4° du CGCT aux termes duquel: «(...) lorsque (...) les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient les pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, réquisitionner tout bien ou service (...)». Ainsi, le gouvernement rappelle que l’arrêté préfectoral des Yvelines no SIDPC 2010-303 du 22 octobre 2010 justifie la réquisition de salariés du site de Gargenville en constatant «la grève qui affecte les autres dépôts». De même, l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 187/DSCS/SIDPC du 24 octobre 2010 remarque «que l’arrêt de production de plusieurs raffineries en France depuis plus d’une semaine empêche l’approvisionnement des stations-service distributrices de carburant, dont nombre d’entre elles sont actuellement en totale rupture de stock et d’autres en grande difficulté; que, eu égard à la situation de pénurie latente dans tout le pays, aucune autre source d’approvisionnement ne peut être mobilisée de manière rapide dans le département».
  27. 1011. Le gouvernement ajoute que la recherche de mesures alternatives fait l’objet d’un contrôle par le juge administratif. A titre d’exemple, il évoque le tribunal administratif de Nantes qui a mesuré la régularité de la réquisition préfectorale des salariés du dépôt pétrolier de Donges en constatant que le préfet ne disposait pas de solutions alternatives: «le moyen tiré de ce que le préfet de Loire-Atlantique aurait dû, préalablement à la réquisition contestée, procéder à la réquisition desdites stations et mettre d’autres moyens en œuvre afin de procéder à la réquisition litigieuse ne peut qu’être écarté, eu égard à la situation de pénurie à laquelle les autorités préfectorales ont été brutalement confrontées en raison du comportement des consommateurs» (tribunal administratif de Nantes, jugement du 22 octobre 2010).
  28. 1012. Le gouvernement affirme que la mobilisation nationale contre la réforme des retraites s’est poursuivie durant le mois de novembre, avec des journées de mobilisation interprofessionnelle les 6 et 23 novembre, et avec des grèves et blocages dans plusieurs autres secteurs économiques. Le déclin de la mobilisation résulte d’avantage de l’adoption de la loi portant réforme des retraites et de sa publication, le 10 novembre 2010, que des mesures de réquisition dans le secteur pétrolier du mois d’octobre.
  29. 1013. Compte tenu des explications fournies, le gouvernement indique qu’il n’est ni démontré ni établi que les arrêtés préfectoraux de réquisition de salariés grévistes dans le secteur pétrolier durant le mouvement social d’octobre 2010 contre la réforme des retraites enfreignent les dispositions des conventions nos 87 et 98 de l’OIT ratifiées par la France.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 1014. Le comité note que la plainte présentée par la CGT dénonce des réquisitions de personnels dans le secteur pétrolier lors d’un mouvement de grève en octobre 2010.
  2. 1015. Le comité note, selon les informations fournies par l’organisation plaignante et le gouvernement, que la France a connu, au cours de l’année 2010, une mobilisation nationale marquée, née de la contestation de la réforme du système des retraites. Cette réforme, annoncée en février 2010, a fait l’objet d’une consultation des partenaires sociaux dès avril 2010, puis d’un projet de loi de réforme présenté à l’Assemblée nationale le 7 septembre 2010: le projet a été définitivement adopté le 27 octobre 2010, puis promulgué en tant que loi no 2010-1330 du 9 novembre 2010 publiée au Journal officiel le 10 novembre 2010. Le comité observe que l’élaboration de cette loi a suscité une contestation durant toute l’année 2010, marquée par l’organisation de journées interprofessionnelles de mobilisation, qui se sont accentuées dans la perspective de l’adoption du projet de loi par les parlementaires en octobre 2010. La journée de grève du 12 octobre 2010 a rassemblé dans toute la France entre 1,23 million de personnes selon le ministère de l’Intérieur et 3,5 millions de personnes selon les organisations syndicales. Le comité note que le mouvement de contestation a mobilisé tous les secteurs d’activité et a bénéficié du soutien massif de l’opinion publique.
  3. 1016. Le comité note l’allégation selon laquelle, face à des salariés qui ont exercé leur droit de grève durant les journées de mobilisation, l’attitude du gouvernement a été irresponsable à plusieurs titres: dans son refus de toute négociation avec les organisations syndicales; dans sa tentative d’affaiblir le mouvement de contestation; et dans l’utilisation abusive de la réquisition de salariés grévistes, en particulier dans le secteur pétrolier, l’un des secteurs les plus mobilisés. Le comité relève que, selon l’organisation plaignante, ces réquisitions avaient un double objectif: maintenir l’activité économique en minimisant l’impact des grèves et mettre fin à la mobilisation nationale.
  4. 1017. Le comité note l’indication de l’organisation plaignante selon laquelle, par plusieurs arrêtés, notamment les arrêtés nos 183/DSCS/SIDPC et SIDPC 2010/303 du 22 octobre 2010, les préfets des Yvelines et de Seine-et-Marne ont ordonné la réquisition de la majorité des salariés grévistes de l’établissement de stockage pétrolier de Gargenville et de la raffinerie de Grandpuits. Selon l’organisation plaignante, ces réquisitions visaient à rétablir le ravitaillement en carburant de la région Ile-de-France et, plus spécialement, de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle.
  5. 1018. Le comité note l’indication selon laquelle les salariés concernés ainsi que les organisations syndicales ont tenté d’obtenir, par recours en référé au juge administratif, la suspension des arrêtés de réquisition qui constituaient, selon eux, des violations du droit de grève. Le comité note que le juge administratif, et notamment la plus haute autorité juridictionnelle administrative, par arrêt no 343966 du 27 octobre 2010, n’a pas donné suite aux recours contraignant les salariés à reprendre le travail. Selon la CGT, le Conseil d’Etat a, semble-t-il, été influencé par une présentation alarmiste des faits par le ministère public et qui n’a pu être contestée du fait de la nature même de la procédure d’urgence qui ne permet pas de mener une instruction approfondie.
  6. 1019. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, les conditions posées par la législation nationale pour effectuer des réquisitions n’ont pas été respectées. L’organisation plaignante soutient que les réquisitions sont extrêmement encadrées en droit français et que, aux termes du CGCT , texte applicable en l’espèce, la réquisition de salariés grévistes doit être effectuée selon les conditions suivantes: «en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées» (article L. 2215-1 4°). Le code pose comme autres conditions: «L’arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application.» Ainsi, le comité note que, de l’avis de l’organisation plaignante, le droit national prévoit les réquisitions dans un seul but: la protection de l’ordre public.
  7. 1020. Le comité note que l’organisation plaignante conteste la lecture de la loi faite par les préfets par le biais des arrêtés préfectoraux d’octobre 2010, et qu’elle soutient que ces derniers arrêtés violent les conventions nos 87 et 98, dans la mesure où ils avaient pour unique objectif de rétablir l’activité économique. Le comité observe que l’organisation plaignante rapporte des déclarations faites par le ministre de l’Intérieur qui aurait indiqué que «L’unique objectif de l’opération est de rendre disponibles les stocks de carburant de cette raffinerie en vue de faire face aux besoins de la population de la région Ile-de-France.»
  8. 1021. Le comité note par ailleurs que, selon l’organisation plaignante, les réquisitions ont frappé un secteur qui n’entre pas dans la définition de services essentiels au sens strict du terme et dans lequel une réquisition ne saurait être ordonnée en dehors d’une situation d’urgence d’ordre public. A cet égard, l’organisation plaignante indique que la législation française rejoint la jurisprudence du comité en ce qu’elle circonscrit l’utilisation des réquisitions à une situation d’urgence dans laquelle il existe une atteinte au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité ou la sécurité publiques, et à condition que les préfets ne disposent plus de moyens suffisants, autres que les réquisitions, pour faire cesser cette atteinte.
  9. 1022. Le comité note que l’organisation plaignante ne dénonce pas les textes internes eux-mêmes mais l’interprétation abusive faite par le gouvernement à travers les arrêtés pris par les préfets. En effet, selon l’organisation plaignante, les arrêtés préfectoraux ont été motivés par le souci de maintenir l’activité économique dans la région, ce qui est différent de la situation où il est nécessaire de satisfaire les besoins essentiels de la population ou de celle où la grève constituerait une menace pour l’ordre public. L’organisation plaignante regrette que les préfets aient établi un lien direct entre le maintien de l’activité économique et la notion d’ordre public. Les préfets ont ainsi présenté les perturbations, conséquences de la grève, comme constituant à elles seules un trouble à l’ordre public dans des secteurs qui présentent «une importance particulière pour le maintien de l’activité économique». Or, selon la CGT, le maintien de l’activité économique ne relève pas de l’ordre public. L’organisation plaignante indique que la principale difficulté réside dans la définition de l’ordre public, dans la mesure où le maintien de l’activité économique devenait une mission d’ordre public.
  10. 1023. Le comité note que l’organisation plaignante regrette le fait que cette interprétation abusive ait été validée par les autorités judiciaires, notamment le Conseil d’Etat qui a reconnu dans l’arrêt no 343966 rendu le 27 octobre 2010 que «le préfet peut requérir les salariés en grève d’une entreprise privée dont l’activité présente une importance particulière pour le maintien de l’activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public, qu’il ne peut prendre que les mesures nécessaires, imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public». Le comité note que, selon la CGT, l’objet même d’une grève étant de perturber, la limite à son exercice ne devrait être que l’atteinte à l’ordre public qui était, de plus, inexistante en l’espèce. Le comité note également l’avis de la CGT, selon lequel il ne revenait pas au juge administratif de trancher sur la coexistence de deux libertés fondamentales, que sont le droit de grève et la liberté d’entreprendre, mais plutôt de déterminer si, en l’espèce, l’exercice du droit de grève, reconnu comme une liberté fondamentale, portait atteinte à la sécurité, la salubrité ou encore la tranquillité publiques.
  11. 1024. Le comité note que, tout en admettant que la grève d’octobre 2010 a évidemment entraîné des perturbations, l’organisation plaignante fait néanmoins observer que le gouvernement a justifié les mesures de réquisition dans les différents dépôts pétroliers et raffineries par la situation de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et, plus généralement, celle de la région Ile-de-France. L’organisation plaignante souligne ainsi qu’en l’espèce une partie seulement du territoire national était concernée par les perturbations et que, en outre, l’impact de ces perturbations ne permettait pas de qualifier la situation de «circonstances de la plus haute gravité», permettant des réquisitions.
  12. 1025. Le comité note l’indication selon laquelle l’arrêté préfectoral de réquisition no SIDPC 2010303 en date du 22 octobre 2010 a présenté la situation en ce qui concerne l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle comme présentant des risques d’atteinte à la salubrité publique, de pénurie de logement et d’alimentation, et d’émeutes. Cependant l’organisation plaignante s’étonne que, pour caractériser des risques aussi impressionnants, l’arrêté se contente de préciser que l’aéroport est une plate-forme de correspondance et qu’il n’est donc pas équipé pour accueillir, en cas de paralysie du trafic aérien, l’ensemble des passagers y transitant. L’organisation plaignante souligne que rien ne permet de justifier de l’existence de tels risques, en prenant en exemple la situation lors de l’éruption volcanique en Islande lorsque plusieurs aéroports d’Europe avaient été fermés, de très nombreux vols annulés et des passagers en correspondance bloqués. Ces perturbations étaient alors bien plus importantes qu’en octobre 2010; cependant, à aucun moment un risque d’émeutes ou d’éventuels problèmes de logement et d’alimentation pour les passagers bloqués n’avaient été évoqués. Ainsi, il est difficile de voir comment la cessation de travail des salariés des établissements de Grandpuits et de Gargenville aurait pu mettre en danger l’ordre public, alors qu’une crise beaucoup plus importante survenue quelques mois plus tôt n’avait pas eu d’incidence sur la sécurité publique.
  13. 1026. Le comité relève que l’organisation plaignante dénonce par ailleurs le fait que les arrêtés préfectoraux aient invoqué la nécessité de garantir le ravitaillement des véhicules de secours et, plus généralement, les risques liés aux difficultés d’approvisionnement en carburant en Ile-de-France pour justifier les réquisitions. Selon la CGT, les préfets ont invoqué ce besoin exceptionnel en dehors de toute atteinte à l’ordre public, directe ou indirecte, car en l’espèce il n’était pas avéré que les véhicules prioritaires (ambulances, police...) n’allaient pas être approvisionnés en carburant, cela d’autant plus que les grévistes ont eux-mêmes demandé des mesures afin que le ravitaillement de ces véhicules soit assuré. Le comité note, selon la CGT, que de nombreuses stations-service fonctionnaient encore et auraient pu être utilisées pour l’approvisionnement de ces véhicules sur décisions préfectorales. Mais, en tout état de cause, l’objectif des arrêtés préfectoraux de réquisition pris était plutôt de revenir à une situation normale d’approvisionnement en carburant dans la région Ile-de-France pour tous les véhicules, et non de mettre fin à une circonstance de la plus haute gravité.
  14. 1027. Le comité note l’indication selon laquelle des alternatives à la réquisition étaient envisageables mais celles-ci n’ont jamais fait l’objet d’un examen par le gouvernement. L’organisation plaignante évoque à titre d’exemple la situation dans une autre région (Eure), où un arrêté préfectoral a été pris pour organiser la distribution de carburant aux véhicules prioritaires. L’organisation plaignante dénonce le fait qu’en procédant à la réquisition de salariés grévistes le gouvernement a très clairement entendu faire obstacle à la poursuite d’un mouvement social d’ampleur, obstacle d’autant plus symbolique qu’il s’agissait de salariés d’établissements pétroliers situés en Ile-de-France, et que la grève des salariés des raffineries bénéficiait d’un important écho médiatique. Dès lors, l’objectif du gouvernement était selon la CGT simplement de mettre un terme aux mouvements de grève dans les raffineries.
  15. 1028. Le comité observe que, de son côté, le gouvernement rejette les allégations de l’organisation plaignante selon lesquelles les arrêtés de réquisition d’octobre 2010 ont été pris sur la base d’une interprétation abusive de la loi française, notamment en établissant un lien direct entre le maintien de l’activité économique et la notion d’ordre public. Selon le gouvernement, ces arrêtés préfectoraux de réquisition ont visé expressément le maintien de l’ordre public, avec en particulier le rétablissement de l’approvisionnement en carburant des véhicules de soins et de sécurité. A cet égard, le gouvernement confirme que l’article L. 2215-1 4° du CGCT constitue le fondement juridique du droit de réquisition préfectorale en France en déterminant la notion d’ordre public. Le comité note que la réquisition vise ainsi l’ordre public qui comprend la salubrité, la tranquillité et la sécurité publiques. En outre, le juge administratif a précisé les conditions d’application de la réquisition préfectorale pour le maintien de l’ordre public en estimant que «si le préfet, dans le cadre des pouvoirs qu’il tient du 4° de l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales, peut légalement requérir des agents en grève (...), il ne peut toutefois prendre que les mesures imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public, au nombre desquelles figurent les impératifs de santé publique» (arrêt no 262186 du Conseil d’Etat, 9 décembre 2003).
  16. 1029. Le comité note que, selon le gouvernement, l’examen des arrêtés préfectoraux montre que leur objet premier a porté sur le maintien de l’ordre public, et notamment sur la prévention de troubles à la sécurité et à la salubrité publiques. Les décisions des tribunaux administratifs, saisis en urgence, ont validé cette analyse. Ainsi, le comité observe que le tribunal administratif de Melun a fondé sa décision de rejeter la requête en suspension d’exécution de l’arrêté du 24 octobre 2010, en rappelant que «la grève des salariés des personnels des raffineries et dépôts d’hydrocarbures sur le territoire, et notamment celle qui affecte l’établissement Total de Grandpuits en Seine-et-Marne [...], compromet sérieusement l’approvisionnement en carburant des véhicules d’urgence et de secours aux personnes» et qu’«il ressort des termes mêmes de l’arrêté que les mesures qu’il édicte sont exclusivement destinées à assurer cet approvisionnement prioritaire à l’exclusion de toute autre production et distribution de produits hydrocarbures».
  17. 1030. En outre, le comité note que l’examen des arrêtés préfectoraux et des décisions des tribunaux administratifs montre aussi que les réquisitions avaient une portée limitée dans la nature des tâches demandées aux salariés requis. Ces actes administratifs n’ont donc pas eu pour objet de rétablir une activité normale des sites. Des limitations volontaires dans la nature des tâches demandées aux personnels réquisitionnés sont expressément mentionnées dans l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 187/DSCS/SIDPC: «Considérant que la réquisition ne vise pas la production de nouveaux produits bruts mais seulement la mobilisation des stocks déjà présents dans la raffinerie». L’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 188/DSCS/SIDPC est également explicite: «Considérant que la portée des réquisitions ne vise pas la production de nouveaux produits bruts mais seulement la réception de gasoil en provenance de la société SFDM par oléoduc, son stockage et son mélange». Le comité note que tant l’organisation plaignante que le gouvernement se réfèrent au contrôle du juge administratif dans l’évaluation de l’importance des tâches demandées aux salariés réquisitionnés. Ainsi, tous ont évoqué la décision de suspension du tribunal administratif de Nantes à l’égard de l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 183/DCSC/SIDPC du 22 octobre 2010 au motif qu’«en réquisitionnant la quasi-totalité du personnel de la raffinerie Total de Grandpuits (...), l’arrêté a eu pour effet d’instaurer un service normal au sein de l’établissement et non le service minimum que requièrent les seules nécessités de l’ordre et de la sécurité publics».
  18. 1031. Le comité note aussi que les autres arrêtés préfectoraux contestés ont porté sur la réquisition d’une partie restreinte du personnel des raffineries. A cet effet, ils ont spécifiquement indiqué le nombre limité de personnes réquisitionnées, qui répond à la stricte nécessité de rétablir l’ordre public et de ne pas porter une atteinte excessive au droit de grève. Ainsi, l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 187/DSCS/SIDPC portant réquisition de personnels à la raffinerie Total de Grandpuits a requis sept personnes par équipe de quart, alors qu’un service normal pour la production et l’expédition de super sans plomb 95, super sans plomb 98 et gasoil est en principe composé trois équipes de 14 personnes tournant toutes les huit heures». Le comité note que, selon le gouvernement, cet arrêté a requis dans les faits 23 salariés sur les 400 qu’emploie la raffinerie. Par ailleurs, selon le gouvernement, l’arrêté préfectoral des Yvelines no SIDPC 2010/303 du 22 octobre 2010 portant réquisition de personnels du dépôt pétrolier de Gargenville a requis trois agents par équipe de quart, représentant «14 pour cent de l’effectif en personnel du site». Enfin, en Loire-Atlantique, les réquisitions préfectorales ont porté sur quatre salariés, alors que le site SFDM de Donges compte plus d’une trentaine de salariés.
  19. 1032. Le comité note aussi l’indication selon laquelle les arrêtés ont respecté le principe de proportionnalité dans la durée des réquisitions. Ainsi, l’arrêté préfectoral des Yvelines no SIDPC 2010/303 du 22 octobre 2010 «est exécutoire pour six jours, dès sa notification» (article 2), l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 187/DSCS/SIDPC du 24 octobre 2010 est «exécutoire du lundi 25 octobre 2010 à 6 heures, et ce jusqu’au mardi 26 octobre 2010 à 22 heures» (article 2), et le dernier arrêté de réquisition no 188/DSCS/SIDPC pris par le préfet de Seine-et-Marne est «exécutoire du mardi 26 octobre 2010 à 15h30, et ce jusqu’au vendredi 29 octobre 2010 à 22 heures» (article 2).
  20. 1033. Le comité note que, de l’avis du gouvernement, l’application du concept de «services essentiels» ne paraît pas être applicable à une situation de conflit collectif sans appréciation de l’impact de la grève sur la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. Ainsi, selon le gouvernement, les arrêtés préfectoraux de réquisition d’octobre 2010 respecteraient donc les recommandations du Comité de la liberté syndicale, puisque l’arrêt total et prolongé du travail du secteur pétrolier aurait provoqué des perturbations pour le ravitaillement en carburant des services de sécurité et de secours qui sont des «secteurs essentiels» au sens strict, faisant en conséquence peser un risque sur la sécurité et la santé d’une partie de la population. Le gouvernement indique qu’il ne suffit pas de relever que les installations pétrolières ne figurent pas dans la liste des «services essentiels» pour en déduire l’irrégularité des réquisitions en cause.
  21. 1034. Sur la qualification du contexte d’octobre 2010 en «circonstances de la plus haute gravité», le gouvernement fait observer que l’organisation plaignante axe son propos sur les situations de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et de la région Ile-de-France, qui ont en particulier motivé l’arrêté préfectoral des Yvelines no 2010-303 pour la réquisition de salariés grévistes dans la raffinerie de Gargenville. Le gouvernement indique que, dans les faits, les réquisitions préfectorales ont porté sur un nombre restreint de sites pétroliers. Ainsi, sur les 12 raffineries métropolitaines, seules deux ont fait l’objet d’une réquisition d’une portée limitée de leur personnel. Pour le gouvernement, il apparaît donc difficile de considérer que ces réquisitions ont brisé l’ensemble de la grève, qui se poursuivait par ailleurs sur les autres sites pétroliers. Le comité note, s’agissant de la position de l’organisation plaignante qui estime que le «risque d’émeutes» dans l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle était infondé, que le ravitaillement des véhicules prioritaires n’était pas menacé et que les risques d’encombrement des axes de circulation de la région dus aux difficultés d’approvisionnement en carburant des points de distribution n’étaient pas évidents, que le gouvernement considère plutôt que les arrêtés de réquisition préfectorale se plaçaient dans une perspective anticipatrice des risques d’atteinte à l’ordre public, comme le permet l’article L. 2215-1 4° du CGCT, avec l’objectif de réduire les troubles potentiels induits par un blocage général et durable des sites pétroliers métropolitains. Le gouvernement ajoute que l’anticipation de troubles à l’ordre public ne permet pas, a posteriori, de mesurer l’ampleur des troubles que les grèves et blocages auraient pu provoquer, puisque son objectif intrinsèque était précisément de les éviter. Le gouvernement estime ainsi qu’il n’est pas justifié de comparer des situations imprévisibles qui ont eu des répercussions concrètes et irrésistibles aux répercussions des grèves dans le secteur pétrolier dont les conséquences ont été anticipées par les arrêtés préfectoraux.
  22. 1035. Le comité observe que, en ce qui concerne les allégations de l’organisation plaignante selon lesquelles le gouvernement n’a pas recherché d’alternatives aux réquisitions, notamment l’arrêté préfectoral des Yvelines no 2010-303 qui n’aurait pas établi d’alternatives équivalentes à celles qui ont pu être prises dans le département de l’Eure où une liste de véhicules prioritaires a été établie, le gouvernement fait remarquer que l’arrêté en question ne constituait pas une réelle alternative, puisque son objet était de mettre la priorité sur l’accès au carburant, et non au ravitaillement des points de distribution en carburant. Par ailleurs, le gouvernement affirme que la situation de blocage générale et persistante a limité les possibilités pour les préfets de mettre en place des situations alternatives aux réquisitions. En outre, le comité note la précision du gouvernement, selon laquelle les arrêtés préfectoraux de réquisition d’octobre 2010 ont expressément mentionné la recherche de solutions alternatives aux réquisitions pour le ravitaillement en carburant et ont fait état du caractère rédhibitoire du blocage général et durable des sites pétroliers concernés. A cet égard, ils se sont strictement conformés à l’article L. 2215-1 4° du CGCT aux termes duquel: «(...) lorsque (...) les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient les pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, réquisitionner tout bien ou service (...)». Ainsi, le gouvernement rappelle que l’arrêté préfectoral des Yvelines no SIDPC 2010-303 du 22 octobre 2010 justifie la réquisition de salariés du site de Gargenville en constatant «la grève qui affecte les autres dépôts». De même, l’arrêté préfectoral de Seine-et-Marne no 187/DSCS/SIDPC du 24 octobre 2010 remarque «que l’arrêt de production de plusieurs raffineries en France depuis plus d’une semaine empêche l’approvisionnement des stations-service distributrices de carburant, dont nombre d’entre elles sont actuellement en totale rupture de stock et d’autres en grande difficulté; que, eu égard à la situation de pénurie latente dans tout le pays, aucune autre source d’approvisionnement ne peut être mobilisée de manière rapide dans le département».
  23. 1036. De manière liminaire, le comité tient à indiquer qu’il a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations le droit de grève comme moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 521.] Il a toutefois reconnu que le droit de grève peut être restreint, voire interdit, dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Le comité souhaite aussi rappeler que les installations pétrolières ou encore la production, le transport et la distribution de combustibles ne constituent pas des services essentiels au sens strict du terme. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 587.]
  24. 1037. Le comité rappelle en outre que: «le maintien de services minima en cas de grève ne devrait être possible que: 1) dans les services dont l’interruption risquerait de mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans l’ensemble de la population (services essentiels au sens strict du terme); 2) dans les services qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme mais où les grèves d’une certaine ampleur et durée pourraient provoquer une crise nationale aiguë menaçant les conditions normales d’existence de la population; et 3) dans les services publics d’importance primordiale». [Voir Recueil, op. cit., paragr. 606.]
  25. 1038. S’agissant des motifs qui sont à l’origine des arrêtés préfectoraux pris en octobre 2010 et qui font l’objet de la présente plainte, le comité observe que leur objet a porté sur le maintien de l’ordre public, et notamment sur la prévention de risques liés à la sécurité et à la salubrité publiques. Le comité relève que les décisions des tribunaux administratifs, saisis en urgence, ont validé une telle analyse. Le comité observe en outre que les réquisitions avaient une portée volontairement limitée dans la nature des travaux requis, dans le nombre de personnes affectées ainsi que dans la durée de la mobilisation, afin de répondre à la stricte nécessité de rétablir l’ordre public et à ne pas entraver davantage le droit de grève. A cet égard, le comité peut considérer que la réquisition d’une partie des salariés grévistes pour assurer les besoins de ravitaillement des véhicules prioritaires pourrait s’apparenter à la mise en place provisoire d’un service minimum pour répondre à une difficulté d’ordre public qui pouvait avoir un impact sur la vie, la santé ou la sécurité de la population.
  26. 1039. Le comité rappelle cependant que, dans la détermination des services minima et du nombre de travailleurs qui en garantissent le maintien, il importe que participent non seulement les pouvoirs publics, mais aussi les organisations d’employeurs et de travailleurs concernées. En effet, outre que cela permettrait un échange de vues réfléchi sur ce que doivent être en situation réelle les services minima strictement nécessaires, cela contribuerait aussi à garantir que les services minima ne soient pas étendus au point de rendre la grève inopérante en raison de son peu d’impact, et à éviter de donner aux organisations syndicales l’impression que l’échec de la grève tient à ce que le service minimum a été prévu d’une manière trop large et fixé unilatéralement. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 612.] Tout désaccord devrait être réglé par un organisme indépendant, comme par exemple les autorités judiciaires, et non par le gouvernement. A cet égard, le comité constate qu’aucune négociation préalable n’avait été engagée pour déterminer les services minima considérés comme nécessaires avant les décisions préfectorales de réquisition. Tout en notant la précision du gouvernement, selon laquelle les arrêtés préfectoraux de réquisition d’octobre 2010 ont expressément mentionné la recherche de solutions alternatives aux réquisitions pour le ravitaillement en carburant et ont fait état du caractère rédhibitoire du blocage général et durable des sites pétroliers concernés, le comité regrette que les autorités n’aient pas cherché davantage à engager des négociations sur l’organisation de services minima avec les organisations représentatives des travailleurs en grève et les employeurs concernés, d’autant plus que, d’après les informations fournies, le conflit à l’origine des arrêts de travail n’en était pas à ses débuts.
  27. 1040. Par ailleurs, s’agissant des argumentations sur la situation de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, qui a en particulier motivé l’arrêté préfectoral des Yvelines no 2010-303 pour la réquisition de salariés grévistes dans la raffinerie de Gargenville, le comité note que l’organisation plaignante s’est référée à des motivations d’ordre économique, tandis que le gouvernement a présenté la situation comme présentant des risques d’atteinte à la salubrité publique, de pénurie de logement et d’alimentation, et d’émeutes. Le gouvernement a en outre déclaré que les arrêtés de réquisition préfectorale se plaçaient dans une perspective anticipatrice des risques d’atteinte à l’ordre public, comme le permet l’article L. 2215-1 4° du CGCT.
  28. 1041. Le comité rappelle que, dans le secteur aéroportuaire, seul le contrôle du trafic aérien peut être considéré comme un service essentiel justifiant une restriction au droit de grève. Ainsi, ni la distribution de pétrole pour le fonctionnement du transport aérien ni le transport en lui-même ne sauraient être considérés comme des services essentiels au sens strict du terme. En outre, les considérations économiques ne devraient pas être invoquées pour justifier des restrictions au droit de grève. Cependant, le comité a déjà eu à considérer que, en cas de paralysie d’un service non essentiel au sens strict du terme dans un secteur de très haute importance dans le pays – comme peut l’être le transport de passagers et de marchandises –, l’imposition d’un service minimum peut se justifier. Un tel service pourrait aussi être approprié comme solution de rechange possible dans les situations où une limitation importante ou une interdiction totale de la grève n’apparaît pas justifiée et où, sans remettre en cause le droit de grève de la plus grande partie des travailleurs, il pourrait être envisagé d’assurer la satisfaction des besoins de base des usagers ou encore la sécurité ou le fonctionnement continu des installations. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 607.]
  29. 1042. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que la réquisition qui a imposé les services minima dans les établissements pétroliers ne fait pas référence à la participation des parties concernées, le comité demande au gouvernement de privilégier à l’avenir, devant une situation de paralysie d’un service non essentiel mais qui justifierait l’imposition d’un service minimum de fonctionnement, la participation des organisations de travailleurs et d’employeurs concernées à cet exercice, et de ne pas recourir à l’imposition de la mesure par voie unilatérale.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 1043. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité demande au gouvernement de privilégier à l’avenir, devant une situation de paralysie d’un service non essentiel mais qui justifierait l’imposition d’un service minimum de fonctionnement, la participation des organisations de travailleurs et d’employeurs concernées à cet exercice, et de ne pas recourir à l’imposition de la mesure par voie unilatérale.
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