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Report in which the committee requests to be kept informed of development - REPORT_NO359, March 2011

CASE_NUMBER 2771 (Peru) - COMPLAINT_DATE: 05-FEB-10 - Closed

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  1. 1072. La Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) a présenté la plainte dans une communication en date du 5 février 2010.
  2. 1073. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication en date du 20 octobre 2010.
  3. 1074. Le Pérou a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 1075. Dans sa communication du 5 février 2010, la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) indique que, ces dernières années, les conflits sociaux se sont multipliés comme jamais auparavant au Pérou. Ainsi, selon des chiffres du Service du Défenseur du peuple, le nombre des conflits pour décembre 2009 est plus de trois fois supérieur à celui de janvier 2006. L’Etat répond à cette instabilité croissante par la répression, s’attaquant aux organisations de la société civile et à leurs dirigeants au lieu de lutter contre les causes profondes du problème. Cette criminalisation de la contestation sociale se manifeste par une multiplication des peines prononcées pour des actes liés aux mouvements sociaux et du nombre de dirigeants poursuivis ou emprisonnés pour des délits commis dans ce cadre ou dans d’autres; l’utilisation des moyens de communication pour discréditer l’activité des organisations de la société civile; la radicalisation des interventions policières, des arrestations arbitraires et des actes de torture; l’utilisation de mécanismes administratifs en vue de restreindre les activités des syndicats et d’autres organisations de la société civile; l’envoi de l’armée en cas de conflits; et des représailles contre les journalistes et les médias qui dénoncent ces problèmes.
  2. 1076. La CGTP précise que l’industrie minière concentre dans ce contexte la plupart des tensions sociales. Selon le ministère du Travail, ce secteur, qui emploie moins de 1 pour cent de la population active, totalise 68 pour cent des conflits du travail.
  3. 1077. La CGTP indique que le Syndicat unitaire des travailleurs de la société minière de Casapalca est affilié à la Confédération générale des travailleurs du Pérou. M. Pedro Condori Laurente est secrétaire général du syndicat.
  4. 1078. La CGTP ajoute que, le 9 septembre 2009, M. Pedro Condori a participé avec d’autres représentants de l’organisation à une réunion tenue au ministère du Travail, qui portait sur l’amélioration des conditions de travail – précaires – des travailleurs visés et qu’il a été arrêté par la police alors qu’il sortait de cette entrevue. Personne n’avait été informé qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt. Quelques jours plus tard, M. Claudio Boza, secrétaire chargé des questions relatives à la sécurité et la santé au travail du syndicat, a rendu visite à M. Condori dans l’établissement où il se trouvait détenu pour lui apporter de la nourriture et aborder avec lui des questions relatives à leurs activités syndicales. M. Boza a été arrêté à son tour alors qu’il rentrait chez lui. Lui non plus n’avait pas été informé jusqu’alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt. MM. Boza et Condori sont détenus à la prison d’Aucallama (province de Huaral), alors que plusieurs autres établissements pénitentiaires sont situés bien plus près de leur domicile. Cet éloignement entrave considérablement la communication avec leurs avocats, leur organisation syndicale et leurs proches.
  5. 1079. Pour la CGTP, la détention de ces deux dirigeants est liée à la procédure pour homicide involontaire ouverte suite au décès d’un policier, Giuliano Villareal Lobatón, victime d’un jet de pierre lors d’une manifestation de travailleurs de Casapalca, en novembre 2008. Les autorités judiciaires imputent ce décès aux dirigeants syndicaux alors que leur inculpation n’est justifiée par aucun élément de preuve ni de droit: 1) rien ne permet d’attester leur présence sur les lieux au moment de l’incident. Les syndicalistes affirment du reste qu’ils étaient alors en route pour Lima où ils devaient assister à une réunion au ministère du Travail organisée le même jour. En outre, aucun d’entre eux n’est visible sur les enregistrements vidéo pris sur les lieux au moment des faits, qui sont versés au dossier; 2) étant donné la foule rassemblée lors de la manifestation, établir la présence des syndicalistes à l’endroit de l’incident ne suffit pas à prouver qu’ils sont les auteurs du jet de pierre ayant entraîné la mort du policier; 3) le droit ne prévoit aucune infraction dans laquelle la responsabilité du dirigeant syndical est engagée pour un délit commis involontairement par d’autres manifestants; et 4) beaucoup de travailleurs non syndiqués ont eux aussi participé à la manifestation, si bien que la pierre a pu être jetée par une personne étrangère à l’organisation syndicale.
  6. 1080. Les résolutions du parquet et de l’autorité judiciaire ordonnant l’ouverture d’une information à l’encontre des deux syndicalistes et leur arrestation portent atteinte aux droits de la défense, car les comportements prétendument fautifs ne sont pas décrits précisément mais présentés de façon générale seulement, sans éléments attestant les faits ayant entraîné la mort du policier. Ces deux résolutions portent aussi atteinte aux droits de la défense en omettant d’indiquer les chefs d’accusation retenus contre les syndicalistes. La lecture de ces deux documents ne permet pas de savoir en effet si les syndicalistes sont accusés: a) parce qu’il est estimé, en l’absence de tout élément de preuve, qu’ils ont jeté la pierre ayant entraîné la mort du policier et qu’ils sont par conséquent les auteurs matériels de l’homicide involontaire, auquel cas il y aurait atteinte au droit à la présomption d’innocence; ou b) parce qu’il est considéré que leur responsabilité est engagée en leur qualité de dirigeants syndicaux et qu’ils sont dès lors responsables des actes des participants à la manifestation (c’est-à-dire les «auteurs indirects» de l’homicide involontaire, concept inexistant dans la loi, comme nous l’avons vu), la violation portant dans ce cas sur le principe de la légalité, qui suppose le droit de ne pas être poursuivi pour un acte si aucune loi ne l’érige en infraction.
  7. 1081. Les dispositions légales relatives au placement en détention de prévenus n’ont pas été respectées non plus d’après la CGTP puisque les deux syndicalistes sont des personnalités en vue, dont le domicile est connu, qui assistent très fréquemment à des réunions avec des représentants de l’Etat. Aucun risque de fuite ne justifiait dès lors leur arrestation. En outre, une telle mesure est tout à fait disproportionnée si l’on tient compte que l’homicide involontaire est passible de deux ans de prison seulement. Si les dirigeants avaient été condamnés à la peine maximale, ils auraient été libérés après trois mois de détention supplémentaires seulement compte tenu des aménagements de peine envisageables.
  8. 1082. La CGTP ajoute que, le 22 janvier 2010, près de cinq mois après qu’un recours a été formé, le mandat de dépôt contre M. Condori a été confirmé. Dans sa décision, la deuxième chambre chargée des affaires pénales de la Haute Cour de justice de Lima se contente de recopier presque mot pour mot le contenu de la décision contestée sans examiner aucun des arguments fournis par la défense. Les juges concluent à un risque de fuite au motif que l’adresse donnée par M. Condori dans sa déposition devant la police ne correspond pas à celle qui figure sur sa carte d’identité. Dès lors, le droit à la motivation des décisions judiciaires n’est pas respecté, pas plus que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Le recours formé contre le mandat de dépôt visant M. Boza en date du 15 janvier 2009 n’a toujours pas été examiné à ce jour. M. Condori a déjà passé cinq mois en détention. Sa santé, déjà altérée par le travail dans la mine, se détériore de jour en jour du fait de l’insalubrité de l’établissement pénitentiaire dans lequel il est détenu. Sa femme et ses trois enfants mineurs dépendent de la solidarité pour vivre. La situation de la famille de M. Boza, qui a deux enfants mineurs, est similaire.
  9. 1083. La CGTP déclare que, compte tenu de la surpopulation carcérale au Pérou, les deux syndicalistes doivent verser un «loyer» de 150 nouveaux soles mensuels pour pouvoir disposer d’un lit dans une cellule. Sans cela, ils en seraient réduits à dormir dans un couloir, à même le sol. En outre, leurs proches et leurs camarades du syndicat doivent leur apporter de la nourriture car l’alimentation des détenus est médiocre. Leurs familles s’en trouvent encore plus démunies. Enfin, M. Condori est la cible de menaces et d’attaques verbales et physiques de la part de deux autres personnes détenues dans le même bâtiment, qui affirment agir ainsi du fait de ses responsabilités syndicales. Même si rien ne permet d’attester cette version des faits, il n’est pas impossible que ces attaques soient commanditées depuis l’extérieur de la prison.
  10. 1084. Enfin, la CGTP considère que les atteintes aux droits civils ainsi exposées ont été portées à titre de représailles, en raison de l’activité syndicale de MM. Condori et Boza. En outre, ceux-ci seraient visés pour l’exemple afin de dissuader d’autres personnes d’occuper des fonctions dirigeantes au sein de syndicats ou d’organisations sociales. C’est pour toutes ces raisons que la CGTP demande au comité de prendre les mesures nécessaires à la libération immédiate de MM. Boza et Condori et à leur rétablissement dans leurs droits.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 1085. Dans sa communication du 20 octobre 2010, le gouvernement indique que le secrétaire général du bureau du Procureur de la Nation lui a remis un exemplaire des pièces de la procédure pénale visant MM. Pedro Condori Laurente et Claudio Boza (dossier no 40855-2009). Il en ressort que, le 24 novembre 2008, le procureur provincial titulaire de Huarochirí a ordonné la levée du corps de Giuliano Villareal Lobatón, capitaine de la police nationale tué lors d’affrontements survenus pendant la grève convoquée par le Syndicat unitaire des travailleurs de la société minière de Casapalca. Dans la résolution sans cote du 26 novembre 2008, le procureur provincial de Huarochirí a ordonné l’ouverture d’une enquête de police par la Division des homicides de la direction des enquêtes criminelles de la police nationale (DIRINCRI) dans les vingt jours en vue de retrouver les auteurs du délit.
  2. 1086. Le 1er septembre 2009, le procureur provincial titulaire de la province de Huarochirí a adopté la résolution no 426-2008FP-H-MP-FN portant mise en accusation de MM. Pedro Condori Laurente, Claudio Boza et consorts, pour homicide involontaire sur la personne de Giuliano Carlo Villareal Lobatón, capitaine de la police nationale. La résolution no 1 du 8 septembre 2009 contient l’acte d’accusation dans lequel le juge mixte de Matucana de la Haute Cour de Lima requiert l’ouverture d’une information contre les dirigeants syndicaux et d’autres personnes et délivre un mandat de dépôt.
  3. 1087. Dans l’avis no 72-2010 du 2 mars 2010, le procureur provincial titulaire adjoint du 46e tribunal pénal indique qu’il ne présentera pas de réquisitions contre les prévenus, MM. Pedro Condori Laurente et Claudio Boza, et qu’il demande le non-lieu et l’envoi de copies certifiées conformes au bureau d’enregistrement du tribunal pénal compétent de Lima afin que celui-ci poursuive l’enquête jusqu’à identification de l’auteur du jet de pierre ayant entraîné la mort de la victime. Dans une résolution sans cote du 10 mars 2010, le 46e tribunal pénal de la Haute Cour de justice de Lima enregistre cet avis et ordonne que ces ordonnances soient mises à la disposition des parties pendant dix jours pour leur permettre de présenter des allégations, par écrit ou oralement.
  4. 1088. Le juge du 46e tribunal pénal de la Haute Cour de justice de Lima a demandé la libération immédiate des dirigeants syndicaux dans une ordonnance du 25 mars 2010. Le 11 juin 2010, il a rendu une ordonnance de non-lieu, demandant le classement définitif du dossier. Le gouvernement ajoute que le recours formé par la partie civile devant la deuxième chambre pénale pour contester l’ordonnance de non-lieu rendue par le 46e tribunal pénal de Lima est encore pendant.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 1089. Le comité observe que, dans le cas à l’examen, la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) allègue l’arrestation, en septembre 2009, de deux dirigeants syndicaux, MM. Pedro Condori Laurente et Claudio Boza, respectivement secrétaire général et secrétaire chargé des questions relatives à la santé et la sécurité au travail du Syndicat unitaire des travailleurs de la société minière de Casapalca, cela dans le cadre d’une enquête sur la mort d’un policier, et le comité ne peut que déplorer ce fait. La CGTP allègue aussi la violation du droit de ces dirigeants syndicaux à la défense, indiquant que ceux-ci sont détenus dans un établissement pénitentiaire surpeuplé et éloigné de leur domicile et que M. Condori Laurente est la cible de menaces et d’attaques verbales et physiques.
  2. 1090. Le comité note que, selon le gouvernement: 1) le juge du 46e tribunal pénal de la Haute Cour de justice de Lima a ordonné le 25 mars 2010 la libération immédiate des dirigeants syndicaux, adopté une ordonnance de non-lieu et demandé le classement définitif du dossier; et 2) la partie civile dans cette affaire a formé un recours contre l’ordonnance de non-lieu.
  3. 1091. Le comité rappelle que l’arrestation de syndicalistes contre lesquels aucune charge n’est ultérieurement retenue comporte des restrictions à la liberté syndicale, et que les gouvernements devraient prendre des dispositions afin que des instructions appropriées soient données pour prévenir les risques que comportent, pour les activités syndicales, de telles arrestations. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, paragr. 70.] Dans ces conditions et tout en regrettant profondément l’arrestation et les conditions de détention des intéressés, le comité demande au gouvernement de: 1) le tenir informé de l’issue du recours formé par la partie civile contre l’ordonnance de non-lieu rendue par le 46e tribunal pénal de Lima dans l’enquête concernant la mort d’un policier; et 2) de veiller à l’indemnisation intégrale des dirigeants syndicaux concernés, nommément MM. Pedro Condori Laurente et Claudio Boza, respectivement secrétaire général et secrétaire chargé des questions relatives à la santé et la sécurité au travail du Syndicat unitaire des travailleurs de la société minière de Casapalca, pour les sept mois qu’ils ont passés en détention.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 1092. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • a) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’issue du recours formé par la partie civile contre l’ordonnance de non-lieu rendue par le 46e tribunal pénal de Lima dans l’enquête concernant la mort d’un policier.
    • b) Le comité demande au gouvernement de veiller à l’indemnisation intégrale des dirigeants syndicaux concernés, à savoir MM. Pedro Condori Laurente et Claudio Boza, respectivement secrétaire général et secrétaire chargé des questions relatives à la santé et la sécurité au travail du Syndicat unitaire des travailleurs de la société minière de Casapalca, pour les sept mois qu’ils ont passés en détention.
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