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- 964. La plainte se trouve dans une communication du Syndicat des agrégés de l’enseignement supérieur (SAGES) en date du 9 mars 2006. Des informations complémentaires ont été transmises par communication du 10 avril 2007.
- 965. Le gouvernement de la France a transmis sa réponse dans des communications du 24 mai 2006 et 14 mars 2007.
- 966. Le gouvernement de la France a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 967. Le SAGES est un syndicat professionnel fondé le 13 janvier 1996 à Marseille (France). Les statuts actuellement en vigueur ont été adoptés le 23 mai 2003. Le SAGES jouit sans discontinuité depuis sa création de la qualité de syndicat représentatif pour se présenter aux élections professionnelles. Le SAGES a entre autres particularités celle de placer l’action juridictionnelle au premier rang de ses modes d’action, que ce soit pour la défense de l’intérêt collectif ou pour la défense des intérêts individuels, et le SAGES a à son actif de très nombreuses actions en justice, qu’il ait agi en son nom ou dans l’intérêt de travailleurs déterminés.
- 968. Le SAGES indique que le contentieux de la relation de travail dans le secteur privé relève en première instance du tribunal des prud’hommes, en appel de la chambre sociale de la Cour d’appel, et en cassation de la chambre sociale de la Cour de cassation. Selon l’article R. 516-5 du Code du travail, «[l]es personnes habilitées à assister ou à représenter les parties en matière prud’homale sont (…) les délégués permanents ou non permanents des organisations syndicales ouvrières ou patronales (…)». Selon ce même article, «[l]’employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l’entreprise ou de l’établissement». Les règles d’assistance et de représentation sont les mêmes en appel qu’en première instance. En ce qui concerne la cassation, l’article R. 517-10 du Code du travail disposait, jusqu’à l’entrée en vigueur du décret attaqué, «[qu’en] matière prud’homale, le pourvoi en cassation est formé, instruit et jugé suivant la procédure sans ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation». Le décret no 2004-836 du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile (décret no 2004-836 du 20 août 2004) abroge l’article R. 517-10 du Code du travail. Le SAGES souligne qu’avant que ce dernier ne soit abrogé, les travailleurs pouvaient se faire assister et représenter par des délégués syndicaux. Le syndicat plaignant était en outre dispensé du ministère d’avocat en cassation en tant qu’employeur. Le syndicat plaignant avait donc qualité pour assister et représenter devant les juridictions prud’homales non seulement ses propres adhérents, mais tout travailleur demandant son intervention, que ce soit au premier degré, en appel ou en cassation, puisque le droit constitutionnel français dispose que «tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale». En abrogeant l’article R. 517-10 du Code du travail, le pouvoir exécutif a donc supprimé la possibilité qu’avaient les travailleurs de se faire assister et représenter en cassation par des syndicats, et à ceux-ci de défendre eux-mêmes leurs intérêts d’employeur ou d’assister et représenter les travailleurs en cassation.
- 969. Pour les contentieux de la relation de travail concernant les fonctionnaires en fonction dans l’administration, le SAGES indique que ce n’est pas l’ordre judiciaire qui est compétent, mais l’ordre administratif (tribunaux administratifs en première instance, cours administratives d’appel en appel, Conseil d’Etat en cassation). Devant ces juridictions administratives, la possibilité de se faire représenter ou assister par un délégué syndical n’existe pas; cette différence avec la procédure de type prud’homal n’empêche pas l’assistance syndicale en première instance et en appel, dans la mesure où le fonctionnaire est dispensé du ministère d’avocat et où la procédure est écrite, mais elle est en revanche radicale en cassation, où le ministère d’avocat est obligatoire en matière administrative mais pas (avant la publication du décret attaqué) en matière judiciaire. Au moment où le décret incriminé est intervenu, le SAGES comptait exercer une action visant à aligner le régime de la cassation administrative sur celui de la cassation prud’homale, en se fondant notamment sur l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). La réforme de la cassation en matière prud’homale a donc également eu pour effet de priver le syndicat plaignant de la possibilité de pouvoir obtenir la suppression de l’obligation du ministère d’avocat en cassation dans les litiges opposant les fonctionnaires à leur employeur, Etat, collectivité territoriale ou établissement public.
- 970. Le syndicat plaignant a exercé un recours en annulation du décret abrogeant la dispense de ministère d’avocat en matière prud’homale (pièce jointe à la plainte). Le Conseil d’Etat français était compétent en premier et dernier ressort pour statuer sur ce recours en annulation. Le recours du SAGES comprenait de nombreuses considérations de fait et de droit, tant sur le fond du litige que sur la recevabilité de son action. Il en est de même des écritures en réplique (pièce jointe à la plainte). Le président du SAGES, M. Denis Roynard, a également intenté un recours en annulation en son nom propre, par une requête qui contient les mêmes moyens. L’affaire était toujours pendante devant le Conseil d’Etat au moment de la plainte.
- 971. Dans son arrêt du 18 mai 2005, le Conseil d’Etat a débouté le SAGES en considérant «que la disposition contestée ne porte, par elle-même, aucune atteinte aux droits que les agents concernés tirent de leurs statuts ni aux prérogatives des corps auxquels ils appartiennent non plus qu’aux conditions d’exercice de leurs fonction», «que, par suite, le ministre de la Justice est fondé à soutenir que le syndicat requérant est sans intérêt, et donc sans qualité, pour demander l’annulation de la disposition réglementaire contestée», et «que, dès lors, la requête n’est pas recevable et doit être rejetée» (pièce jointe). Le SAGES estime que les actes du gouvernement sont constitutifs de violation de la liberté syndicale. Le SAGES invoque notamment les articles 3, 8, paragraphe 2, et 11 de la convention no 87, certaines dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Par communication du 10 avril 2007, le SAGES informe le comité que la Confédération générale du travail (CGT) a également saisi le Conseil d’Etat pour obtenir la même abrogation et a été déboutée, comme le SAGES, après examen au fond.
- 972. Dans sa requête adressée au Conseil d’Etat, le SAGES entendait: 1) défendre le droit du professeur agrégé de pouvoir être assisté et représenté par un délégué syndical devant la Cour de cassation en matière prud’homale, le cas échéant, que le délégué soit du SAGES ou non – ceci mettait en jeu notamment la liberté de choix des professeurs agrégés concernés, la liberté de choisir librement son défendeur syndical; 2) défendre son propre droit de pouvoir assister et représenter des travailleurs devant la Cour de cassation en matière prud’homale, qu’ils soient professeurs agrégés ou non – ceci mettait en jeu la liberté du syndicat de définir son objet et son domaine d’intervention; 3) voir sa qualité d’employeur éventuel reconnue, et donc sa liberté de pouvoir employer des travailleurs à son service – ceci mettait en jeu la liberté du syndicat de s’organiser comme il l’entendait. C’est donc principalement sous ces trois aspects que la liberté syndicale a été violée par l’Etat défendeur. A ces trois aspects s’en ajoute un autre, qui est la discrimination de traitement au regard de la liberté syndicale dont le syndicat plaignant a été victime. Ces questions sont développées ci-dessous.
- 973. Le SAGES allègue l’atteinte à la liberté syndicale des professeurs agrégés affectés dans les établissements privés d’enseignement, mis à disposition ou détachés auprès d’un organisme de droit privé tout en continuant à appartenir au corps des professeurs agrégés. Les professeurs agrégés adhérents ou souhaitant adhérer ou faire appel au SAGES qui se trouvent dans la situation de pouvoir ou devoir se pourvoir devant les juridictions prud’homales pour la défense de leurs droits contre l’organisme de droit privé pour lequel ils travaillent ou ont travaillé sont dissuadés d’adhérer au SAGES par l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 2005. L’arrêt empêche le SAGES de facto et de jure de les assister ou de les représenter en matière prud’homale, et ceci non seulement en cassation, mais aussi en première instance et en appel, puisque la formulation générale de l’arrêt ne limite pas le champ d’action du SAGES à la seule cassation, et ce que le Conseil d’Etat a dit pour droit, l’employeur opposé à un travailleur assisté et défendu par un délégué du SAGES pourrait le lui opposer en première instance et en appel. L’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 2005 prive ainsi les professeurs agrégés affectés dans les établissements privés (notamment sous «contrat d’association» avec l’Etat), ainsi que ceux mis à disposition ou détachés auprès d’employeurs de droit privé, de pouvoir faire appel au SAGES pour les assister et les représenter dans les litiges les opposant à ces employeurs de droit privé. Il les prive également de la possibilité de se faire rembourser les frais engagés par une consultation syndicale relative à la défense en justice de leurs intérêts. Or la jurisprudence nationale établit de façon expresse et non équivoque que les professeurs placés dans les situations visées supra peuvent saisir les juridictions prud’homales, puis la Cour de cassation, pour faire valoir leurs droits.
- 974. Selon le SAGES, l’article premier de la convention no 98 trouve également à s’appliquer à la présente cause. Il dispose que «la protection» des «travailleurs» contre «tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi» «doit notamment s’appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de» «[leur] porter préjudice [...] en raison de [leur] affiliation syndicale». Le SAGES précise par ailleurs que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) fait partie intégrante du droit interne, et les restrictions apportées à la liberté des travailleurs d’adhérer au SAGES ou au caractère effectif et efficient de cette liberté ne sont ni «prévues par la loi», ni «nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui» (art. 11(2) de la CEDH).
- 975. Le SAGES allègue que l’effet de l’arrêt du Conseil d’Etat s’étend bien au-delà de la seule Cour de cassation, puisque le motif décisoire qui a fondé son interprétation s’applique également aux affaires portées devant les tribunaux des prud’hommes et devant les chambres sociales des cours d’appel. La liberté des travailleurs de pouvoir faire appel au SAGES et celle du SAGES pour pouvoir assister et représenter des travailleurs devant les juridictions prud’homales se trouvent restreintes par l’arrêt du Conseil d’Etat bien au-delà de ce que prescrivait le décret attaqué, compte tenu de l’autorité qui s’attache aux arrêts du Conseil d’Etat, surtout (mais pas seulement) auprès des tribunaux des prud’hommes (premier degré), formés de juges non professionnels peu au fait des subtilités liées aux effets relatifs et absolus concernant les questions d’autorité de chose jugée.
- 976. Le SAGES indique en outre que les libertés et droits qu’il a invoqués emportent la liberté pour le syndicat plaignant d’agir comme employeur et de faire prendre en considération cette qualité par le juge national.
- 977. Le SAGES considère que son droit de voir sa cause entendue en matière de liberté syndicale a été violé. Il est hors de doute que, sauf à se voir vider de toute autre substance que symbolique, la liberté des syndicats d’organiser leur gestion, leur activité, et de formuler leur programme d’action ne peut se concevoir sans que les organisations dont lesdits travailleurs font ainsi leurs mandataires disposent des moyens légaux d’action collective propres, dans un Etat démocratique, à assurer la protection de ladite liberté, au premier rang desquels moyens figure évidemment l’action juridictionnelle. Dans leur engagement à ne pas porter atteinte à cette liberté, tant par leur législation que par la manière de l’appliquer, les Etats ne sauraient donc se contenter d’une reconnaissance purement formelle de ladite liberté, il leur faut encore y inclure le respect des moyens d’action par lesquels elle s’exerce, notamment et spécialement l’action juridictionnelle. Cela procède notamment des dispositions du PIDCP qui, comme la CEDH, a «pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs» (Cour européenne des droits de l’homme, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, paragr. 24). Le Comité des droits de l’homme a dit pour droit que «le fait que la compétence du comité pour recevoir et examiner des communications soit restreinte aux seules communications soumises par un individu ou au nom d’un individu (art. 1 du Protocole facultatif) n’empêche pas un tel individu de faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales et entités similaires constituent une violation de ses propres droits» (paragr. 6 de l’Observation générale no 31 concernant l’article 2 du Pacte: La nature de l’obligation juridique générale imposée aux Etats parties au Pacte: 21 avril 2004, CCPR/C/74/CRP.4/Rev.6). Le SAGES s’estime ici recevable et fondé à se prévaloir devant l’OIT des actions ou omissions de l’Etat défendeur ici incriminées, et non seulement de celles qui l’affectent en tant que syndicat, mais aussi de celles qui affectent les droits et intérêts de ses adhérents mis à disposition dans des établissements d’enseignement privé, et y compris celles qui mettent en jeu les droits inscrits aux articles 2 (droit au recours effectif) et 14 (droit au procès équitable) du PIDCP.
- 978. Le SAGES invoque également le caractère discriminatoire des violations dont le syndicat plaignant a été et est victime. L’article 26 du PIDCP dispose que «toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination». Au sens de la jurisprudence du Comité des droits de l’homme de l’ONU, la «loi» dont il s’agit doit être entendue non au sens organique, mais au sens matériel.
- 979. Dans l’espèce de la cause, il est constant selon le SAGES: 1) que les personnes, morales ou physiques, susceptibles d’intenter des actions en justice sont recevables à faire examiner au fond par le juge administratif national les décrets modifiant les règles de procédure affectant les modalités d’exercice desdites actions en justice (Conseil d’Etat, 17 décembre 2003, «Meyet et autres», joint à la plainte); 2) que les syndicats français jouissent de la possibilité d’assister et de représenter en justice les travailleurs exerçant dans le secteur privé qui font appel à eux, et que la loi nationale n’établit aucune distinction entre les syndicats en ce qui concerne cette possibilité; 3) que c’est donc le Conseil d’Etat qui, par son arrêt du 18 mai 2005, a apporté des distinctions et des restrictions au détriment du syndicat plaignant, et que les statuts du syndicat plaignant ne sauraient constituer le fondement de sa décision, et a fortiori l’unique fondement de sa décision, ce qui est hélas pourtant le cas. L’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 2005 constitue donc une discrimination de traitement prohibée au détriment du syndicat plaignant et une restriction aux droits inscrits dans les normes précitées de l’OIT, du PIDCP, du PIDESC, et de la CEDH ne répondant pas aux prescriptions des articles 22(2) du PIDCP et 11(2) de la CEDH. Dans la mesure où ces restrictions, outre qu’elles ne répondent pas aux prescriptions précitées, affectent exclusivement, spécialement et de manière disproportionnée le SAGES, puisque c’est sa liberté syndicale et celle des professeurs qu’il s’est donné pour mission de représenter et de défendre que le Conseil d’Etat a limitée par son arrêt du 18 mai 2005, elles ont un caractère discriminatoire, ce qu’établit la comparaison dudit arrêt avec l’arrêt précité «Meyet et autres»).
- 980. Le SAGES était directement intéressé par la question soumise au juge national, et est intéressé directement par l’examen et les recommandations de l’OIT relatifs à la présente affaire car: 1) certains de ses adhérents sont susceptibles de relever de la cassation en matière prud’homale, ainsi qu’il est exposé ci-dessus; 2) l’emploi par lui de travailleurs est notamment conditionné par la possibilité de pouvoir se défendre par lui-même en cassation, compte tenu des frais élevés nécessités par le recours à un «avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation» (minimum 3 000 euros); 3) l’issue du litige porté devant le juge national était déterminante pour pouvoir engager l’action visant à obtenir la dispense d’avocat en cassation devant le Conseil d’Etat pour les litiges de la relation de travail concernant les fonctionnaires.
- 981. Le syndicat plaignant demande que les organes compétents de l’OIT disent pour droit qu’il y a bien eu violation par l’Etat défendeur de la liberté syndicale, du fait de la décision du juge national, pour les raisons exposées supra. Le syndicat plaignant demande également à ce qu’il soit remédié aux violations précitées. Ceci passe en premier lieu par la reconnaissance expresse et non équivoque par l’Etat défendeur du droit du SAGES d’assister et représenter les travailleurs devant les juridictions prud’homales, en première instance et en appel. Cette reconnaissance nécessite une législation ou une réglementation nouvelles ou modifiées, afin que le Conseil d’Etat ne puisse plus réitérer le considérant ayant abouti à déclarer la requête du SAGES irrecevable. Quant à l’assistance et la représentation pour la cassation en matière prud’homale, il conviendrait à titre principal que le Conseil d’Etat examine au fond la requête adressée par M. Denis Roynard en prenant en considération les demandes et recommandations de l’OIT, et à titre subsidiaire que le pouvoir exécutif national rétablisse la dispense d’avocat en cassation pour la matière prud’homale, si le Conseil d’Etat déclarait cette autre requête irrecevable. D’une part, il échoit principalement au juge national de prendre en considération les normes de l’OIT dans le contexte national, mais il doit, d’autre part, le faire conformément à l’interprétation que les organes de l’OIT donnent desdites normes.
- 982. Il ne semble pas au syndicat qu’un «pourvoi dans l’intérêt de la loi» soit possible au niveau national pour obtenir la révision de l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 2005. Toutefois, si un tel pourvoi est possible, si le gouvernement français veut bien l’intenter, prendre l’ensemble des frais du procès à sa charge, et si le Conseil d’Etat y respecte la liberté syndicale et y reconnaît l’intérêt à agir du syndicat plaignant, un tel pourvoi pourrait constituer, si les moyens du syndicat étaient repris en substance, un recours effectif et adéquat au niveau national.
- B. Réponse du gouvernement
- 983. Par communication du 24 mai 2006, le gouvernement indique que le syndicat plaignant avait attaqué devant le Conseil d’Etat le décret no 2004-836 du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile, en particulier les dispositions de l’article 39 abrogeant l’article R. 517-10 du Code du travail aux termes duquel «en matière prud’homale, le pourvoi en cassation est formé et jugé suivant la procédure sans ministère d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation». Par arrêt rendu le 18 mai 2005, le Conseil d’Etat a rejeté la requête du SAGES au motif que celle-ci n’était pas recevable.
- 984. Par communication du 14 mars 2007, le gouvernement souligne que, par arrêt du 6 avril 2006, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la légalité interne de l’arrêté précité du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile à la suite d’un recours formé par la Confédération générale du travail (CGT) tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des articles 8, 24, 25, 28, 29, 39, 40, 41, 42 et 43 du décret du 20 août 2004. La requête de la CGT a été rejetée par le Conseil d’Etat et les dispositions de l’arrêté du 20 août 2004 ont été jugées conformes aux normes tant nationales qu’internationales invoquées.
- 985. Dans sa plainte au comité, le SAGES soutient que les actes de l’Etat français sont constitutifs de violations de la liberté syndicale en ce qu’ils privent un professeur agrégé de la faculté d’être assisté et représenté par un délégué syndical devant la Cour de cassation en matière prud’homale et, ainsi, constituent des obstacles à la liberté de choix des professeurs agrégés concernés de choisir librement leur défenseur syndical. L’article 39 du décret du 20 août 2004 a abrogé l’article R. 517-10 du Code du travail qui disposait qu’en matière prud’homale, le pourvoi en cassation est formé, instruit et jugé suivant la procédure sans ministère d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Tout d’abord, contrairement à ce qui est avancé par le SAGES, les arrêts du Conseil d’Etat du 18 mai 2005 et du 6 avril 2006 n’empêchent nullement le syndicat d’assister ses membres en première instance devant une juridiction prud’homale puis en appel devant une juridiction civile. Ensuite, il convient de souligner que l’action syndicale d’une organisation syndicale ne se limite pas à la défense de ses adhérents en justice. La grève (septième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946) ou encore la négociation collective (huitième alinéa du Préambule précité) constituent d’autres modalités d’action syndicale. Enfin, l’obligation du ministère d’avocat devant la Cour de cassation ne saurait, à elle seule, constituer une atteinte à la liberté syndicale. Eu égard à l’institution par le législateur d’un dispositif d’aide juridictionnelle, l’obligation du ministère d’avocat ne porte pas atteinte au droit des justiciables d’exercer un recours effectif devant une juridiction (CE, 21 déc. 2001, M. et Mme Hofmann, p. 652). De même, le monopole des avocats aux conseils a été jugé conforme aux exigences d’un procès équitable par la Cour européenne des droits de l’homme (26 juillet 2002, Meftah/France).
- 986. Le SAGES avance également que les actes de l’Etat français le privent d’assister et de représenter des travailleurs devant la Cour de cassation en matière prud’homale, qu’ils soient agrégés ou non, et donc constituent des atteintes à la liberté du syndicat de définir son objet et son domaine d’intervention. Il convient sur ce point de rappeler que la loi française a réservé le monopole de la représentation en justice à des professionnels (art. 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques pour les avocats, art. 1 de l’ordonnance no 45-2591 du 2 novembre 1945 relative au statut des avoués, ordonnance du 10 septembre 1917 relative aux avocats aux conseils et à la Cour de cassation). Ainsi, en matière civile, le ministère d’un avocat aux conseils est, normalement, obligatoire. Selon l’article 973 du nouveau Code de procédure civile, «les parties sont tenues, sauf disposition contraire, de constituer un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation». La fonction propre du pourvoi en cassation qui vise à «faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit» (art. 604 du nouveau Code de procédure civile) justifie en effet le recours à des avocats spécialisés dans la technique du pourvoi en cassation. Au niveau européen, la directive no 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification est acquise prévoit que «dans le but d’assurer le bon fonctionnement de la justice, les Etats membres peuvent établir des règles d’accès aux cours suprêmes, tel le recours à des avocats spécialisés» (art. 5, paragr. 3, al. 2). Il peut, à cet égard, être souligné que de nombreux Etats de l’Union européenne connaissent la représentation obligatoire par avocat en matière civile, y compris sociale, devant la juridiction de cassation soit par un avocat spécialisé (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Grèce, Italie et Norvège) soit par un avocat non spécialisé (Espagne, Grande-Bretagne, Luxembourg, Portugal).
- 987. Le SAGES soutient par ailleurs que les actes de l’Etat français l’empêchent de voir sa qualité d’employeur reconnue et donc sa liberté de pouvoir employer des travailleurs à son service et plus largement mettent en jeu sa liberté d’organisation interne. Les éléments invoqués ne relèvent nullement de violation de la liberté syndicale. L’article 39 du décret du 20 août 2004 et les deux arrêts du Conseil d’Etat du 18 mai 2005 et du 6 avril 2006 ne portent en effet aucune atteinte à la liberté d’organisation interne du SAGES. Ainsi, la circonstance que le Conseil d’Etat ait, par arrêt du 18 avril 2005 et sur le fondement d’un examen de légalité, rejeté le recours formé par le SAGES contre l’article 39 du décret du 20 août 2004 pour défaut d’intérêt et de qualité pour agir, n’affecte aucunement la liberté d’organisation interne du SAGES.
- 988. Le SAGES invoque enfin une discrimination de traitement au regard de la liberté syndicale. La législation sus-évoquée ne saurait constituer une discrimination au détriment du SAGES dès lors qu’elle a vocation à s’appliquer à l’ensemble des organisations syndicales et professionnelles. Il ressort de l’ensemble de ces éléments que les violations de la liberté syndicale invoquées par le SAGES ne sont pas établies.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 989. Le comité note que l’organisation plaignante allègue que le décret no 2004-836 portant modification de la procédure civile, modifiant le Code du travail, rend obligatoire la représentation par avocat en cassation en matière judiciaire, la privant ainsi du droit de représenter ses membres et portant ainsi atteinte au droit des organisations de travailleurs d’organiser librement leur gestion et leurs activités.
- 990. Le comité note que le décret no 2004-836 du 20 août 2004 a abrogé l’article R.517-10 du Code du travail, qui disposait qu’«en matière prud’homale le pourvoi en cassation est formé et jugé suivant la procédure sans ministère d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation». La représentation par avocat est donc devenue obligatoire en matière prud’homale (de droit privé) suite à l’adoption du décret no 2004-836. Le comité note par ailleurs que la représentation par avocat est obligatoire en cassation en matière administrative. Le comité prend également note que le syndicat plaignant a exercé un recours en annulation du décret abrogeant la dispense de représentation par avocat en matière judiciaire et que le Conseil d’Etat français était compétent en premier et dernier ressort pour statuer sur ce recours en annulation. Dans son arrêt du 18 mai 2005, le Conseil d’Etat a débouté le SAGES en considérant «que la disposition contestée ne porte, par elle-même, aucune atteinte aux droits que les agents concernés tirent de leurs statuts ni aux prérogatives des corps auxquels ils appartiennent non plus qu’aux conditions d’exercice de leurs fonctions», «que, par suite, le ministre de la Justice est fondé à soutenir que le syndicat requérant est sans intérêt, et donc sans qualité, pour demander l’annulation de la disposition réglementaire contestée», et «que, dès lors, la requête n’est pas recevable et doit être rejetée». Le comité note que, selon le gouvernement, le Conseil d’Etat s’est prononcé le 6 avril 2006 sur la légalité interne du décret suite à un recours formé par la Confédération générale des travailleurs et que le décret a été déclaré conforme aux normes nationales et internationales invoquées. Le comité note que le SAGES allègue que l’arrêt du Conseil d’Etat porte atteinte aux droits de certains de ses membres d’être assisté ou représenté, qu’il porte atteinte aux droit du SAGES d’organiser sa gestion, son activité, et de formuler son programme d’action, que sa qualité d’employeur n’a pas été prise en considération, que le Conseil d’Etat aurait dû l’entendre sur le fond et aurait dû faire trancher la question de l’interprétation de ses statuts par un juge judiciaire, et qu’il y a eu discrimination de traitement.
- 991. Le comité note que les allégations du SAGES se dirigent davantage contre l’arrêt du 18 mai 2005 du Conseil d’Etat que contre le décret en question. Le comité observe que le SAGES allègue que le décret porte atteinte à la liberté syndicale des professeurs agrégés affectés dans des établissements privés d’enseignement, mis à disposition ou affectés auprès d’un organisme de droit privé car il supprime la possibilité qu’avaient ces travailleurs de se faire assister et représenter en cassation par le SAGES, ainsi que le droit qu’avait le SAGES de défendre ses intérêts d’employeurs ou d’assister et représenter les travailleurs en cassation. Le SAGES allègue également que la formulation générale de l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 2005 limite cette possibilité en première instance et en appel également. Les professeurs agrégés adhérents ou souhaitant adhérer ou faire appel au SAGES, qui se trouvent dans la situation de pouvoir ou de devoir se pourvoir devant les juridictions prud’homales pour la défense de leurs droits contre l’organisme de droit privé pour lequel ils travaillent ou ont travaillé, sont donc dissuadés selon le SAGES d’adhérer à ce dernier par l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 2005. Le comité prend note des arguments du gouvernement selon lesquels, contrairement à ce qui est avancé par le SAGES, les arrêts du Conseil d’Etat du 18 mai 2005 et du 6 avril 2006 n’empêchent nullement le syndicat d’assister ses membres en première instance devant une juridiction prud’homale puis en appel devant une juridiction civile. Le comité note que le gouvernement souligne ensuite que l’action syndicale d’une organisation syndicale ne se limite pas à la défense de ses adhérents en justice, la grève ou encore la négociation collective constituant d’autres modalités d’action syndicale. Enfin, le gouvernement indique que l’obligation de représentation par avocat devant la Cour de cassation ne saurait, à elle seule, constituer une atteinte à la liberté syndicale (il cite à cet égard une décision du Conseil d’Etat et de la Cour européenne des droits de l’homme). Par ailleurs, le comité note que le gouvernement souligne que la loi française a réservé le monopole de la représentation en justice à des professionnels et que la fonction propre du pourvoi en cassation justifie le recours à des avocats spécialisés dans la technique du pourvoi en cassation. Au niveau européen, la directive no 98/5/CE prévoit que, «dans le but d’assurer le bon fonctionnement de la justice, les Etats Membres peuvent établir des règles d’accès aux cours suprêmes, telles le recours à des avocats spécialisés» (art. 5, paragr. 3, 2). Le comité note que le gouvernement souligne que de nombreux Etats de l’Union européenne connaissent la représentation obligatoire par avocat en matière civile, y compris sociale, devant la juridiction de cassation soit par un avocat spécialisé (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Grèce, Italie et Norvège), soit par un avocat non spécialisé (Espagne, Grande-Bretagne, Luxembourg, Portugal). Le gouvernement souligne que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que le monopole des avocats aux Conseils était conforme aux exigences d’un procès équitable.
- 992. Le comité rappelle que son mandat consiste à déterminer si, concrètement, telle ou telle législation ou pratique est conforme aux principes de la liberté syndicale et de la négociation collective énoncés dans les conventions portant sur ces sujets. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 6.] Tout en rappelant que la liberté syndicale n’implique pas seulement le droit, pour les travailleurs et les employeurs, de constituer librement des associations de leur choix, mais encore celui, pour les associations professionnelles elles-mêmes, de se livrer à une activité licite de défense de leurs intérêts professionnels [voir Recueil, op. cit., paragr. 495], le comité considère que la limite imposée aux syndicats de représenter eux-mêmes leurs membres en cas de pourvoi en cassation, ou la limite imposée aux membres d’être représentés par un avocat plutôt que par leur syndicat, ne constitue pas en soi une entrave indue à ce principe. Le comité est également d’avis que le droit des syndicats d’organiser leur gestion, leur activité, et de formuler leur programme d’action ne se trouve pas affecté par l’imposition d’une obligation de représentation par avocat devant les tribunaux nationaux. Le comité considère cependant que le fait d’imposer une obligation auparavant non existante et onéreuse de représentation par «avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation», c’est-à-dire par avocat spécialisé, pourrait notamment avoir comme effet de limiter les recours intentés par des syndicats ou des travailleurs. Le comité reconnaît également que ce décret pourrait avoir un effet sur le taux d’affiliation syndicale car, une fonction du syndicat disparaissant, l’intérêt des travailleurs de s’affilier pourrait diminuer. Le comité prie donc le gouvernement de suivre de près les conséquences de ce décret, en consultation avec les organisations syndicales, et de surveiller en particulier qu’il n’entraîne pas de conséquences négatives ou indûment déséquilibrées sur la capacité des syndicats de représenter leurs membres, notamment en facilitant leurs recours devant la Cour de cassation. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 993. Par ailleurs, le comité prend note de l’argument de l’organisation plaignante concernant l’atteinte à ses droits de défendre lui-même ses intérêts d’employeur et de la réponse du gouvernement. Considérant son mandat rappelé ci-dessus, le comité est d’avis qu’il n’a pas le mandat de se prononcer sur des questions touchant aux droits du travail en général et non à la liberté syndicale. Le statut d’employeur du SAGES n’est pas une question touchant à la liberté syndicale.
- 994. Le comité prend note de l’allégation de discrimination de traitement avancée par l’organisation plaignante. Selon cette dernière, l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 2005 constitue une discrimination de traitement au détriment du syndicat plaignant et une restriction aux droits inscrits dans les normes de l’OIT. Le SAGES ajoute que, dans la mesure où ces restrictions affectent exclusivement, spécialement et de manière disproportionnée le SAGES, puisque c’est sa liberté syndicale, et celle des professeurs qu’il s’est donné pour mission de représenter et de défendre, que le Conseil d’Etat a limitée par son arrêt du 18 mai 2005, elles ont un caractère discriminatoire. Le comité prend note de la réponse du gouvernement selon laquelle la législation évoquée ne saurait constituer une discrimination au détriment du SAGES dès lors qu’elle a vocation à s’appliquer à l’ensemble des organisations syndicales et professionnelles. Dans ces circonstances et rappelant qu’il considère que le décret ne constituait pas une violation des principes de la liberté syndicale, le comité estime qu’il n’y a pas de discrimination en l’espèce.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 995. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité prie le gouvernement de suivre de près les conséquences du décret no 2004-836, en consultation avec les organisations syndicales, et de surveiller, en particulier, qu’il n’entraîne pas de conséquences négatives ou indûment déséquilibrées sur la capacité des syndicats de représenter leurs membres, notamment en facilitant leurs recours devant la Cour de cassation. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.