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- 633. La plainte figure dans une communication du 10 novembre 2004 de la Commission intersyndicale d’El Salvador (CIEL). La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) s’est associée à la plainte dans une communication du 28 février 2006 et a transmis des informations complémentaires.
- 634. Le gouvernement a adressé ses observations dans des communications datées des 19 janvier et 26 août 2005.
- 635. El Salvador a ratifié le 6 septembre 2006 la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971, et la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants- 636. Dans sa communication du 10 novembre 2004, la Commission intersyndicale d’El Salvador (CIEL), composée de la Centrale des travailleurs salvadoriens (CTS), de la Centrale autonome des travailleurs salvadoriens (CATS), de la Centrale des travailleurs démocratiques (CTD), de la Confédération unitaire des travailleurs salvadoriens (CUTS), de la Confédération générale du travail (CGT) et de la Coordination syndicale des travailleuses et travailleurs d’El Salvador (CSTS), affirme que, le 5 novembre 2004, le syndicaliste José Gilberto Soto a été assassiné par des inconnus qui lui ont tiré dans le dos. Originaire d’El Salvador et citoyen des Etats-Unis d’Amérique, il était dirigeant du Syndicat des chauffeurs des Etats-Unis (d’Amérique), Los Teamsters. Les faits ont eu lieu au domicile de membres de sa famille à Usulután, département d’Usulután, El Salvador. M. Soto se trouvait en El Salvador alors qu’il se déplaçait en Amérique centrale pour resserrer des liens de travail et de collaboration avec des travailleurs du secteur des transports.
- 637. La Commission intersyndicale d’El Salvador (CIEL) indique que ces faits, en particulier parce que leurs mobiles n’apparaissent pas clairement, préoccupent beaucoup les organisations syndicales salvadoriennes, qui craignent que des dirigeants syndicaux ne soient à nouveau victimes, comme par le passé, de la répression. Selon la CIEL, jusqu’à ce jour, les autorités ont gardé le silence sur cet assassinat qui risque, comme cela a été déjà le cas, de rester impuni.
- 638. Dans sa communication du 28 février 2006, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) signale qu’un nombre considérable d’indices indiquent que l’enquête réalisée par le gouvernement sur la mort de M. Soto a été rien moins que professionnelle et objective. Elle se dit particulièrement préoccupée par les informations découvertes par Mme Beatrice Alamanni de Carrillo, Procureure pour la défense des droits de l’homme pour El Salvador, qui a enquêté de façon exhaustive sur la mort de M. Soto. Ses conclusions sont les suivantes:
- – La police n’a pas protégé la scène ni les preuves du crime lorsqu’elle s’est présentée sur les lieux. Ainsi, la bicyclette identifiée par des témoins comme celle utilisée par l’un des hommes qui ont tiré n’a pas été maintenue sur les lieux du crime mais a été placée à l’arrière d’une voiture de police. Il n’existe pas non plus de registre montrant que la chaîne de protection des indices ait été assurée comme il se doit.
- – Des entretiens directs avec les assassins présumés montrent que ceux-ci ont été maintenus dans l’isolement et qu’ils ont fait l’objet de tortures physiques et psychologiques – asphyxie, abus sexuels, menaces de mort. Les services du procureur ont appuyé l’action de la police et n’ont pas ouvert d’enquête relative aux allégations de torture. L’un des plaignants a déposé plainte pour torture devant le troisième juge d’Usulután, le 8 décembre 2004, mais celui-ci n’a pas ordonné d’enquête ni même donné instruction que le plaignant soit soumis à un examen médical.
- – Il y a eu allégation de torture également lorsque l’un des hommes qui ont tiré s’est publiquement rétracté après avoir identifié la belle-mère de M. Soto comme l’instigatrice de sa mort. L’assassin présumé s’est rétracté devant un tribunal ouvert en présence d’un magistrat, déclarant qu’on l’avait contraint par la force à identifier la belle-mère de la victime et que des membres des services du procureur général étaient présents et avaient participé aux actes de coercition.
- – Le bureau du procureur ainsi que la Division d’élite contre le crime organisé (DECO) d’El Salvador n’ont cessé de se référer à «des informateurs secrets ou confidentiels» comme la source de renseignements contre les assassins présumés et la belle-mère de la victime. L’un des hommes qui ont tiré étant revenu sur son témoignage qui identifiait la belle-mère de M. Soto, il n’est pas possible de prouver le recours à ces informateurs, ce qui rend la situation d’autant plus préoccupante.
- – Les services du procureur et la police ont scellé toutes les archives concernant l’enquête sur l’assassinat de M. Soto, en refusant l’accès tant à la famille qu’à la Procureure pour la défense des droits de l’homme. Il est difficile de comprendre cette décision, d’autant plus que le gouvernement affirme être certain que les véritables assassins sont sous les verrous.
- – Il est clair que le gouvernement n’a jamais examiné ni tenu compte de la possibilité que les activités syndicales de M. Soto aient pu être à l’origine du crime. Cela ressort de ce qui c’est passé quand la police salvadorienne s’est rendue aux Etats-Unis pour interroger la famille de M. Soto. La police détenait une photographie déchirée de membres de la famille de la victime, photo prétendument obtenue de l’un des assassins présumés. Selon la police, cette photographie aurait été remise à ces derniers par la belle-mère de M. Soto pour qu’ils puissent l’identifier. Y figure la personne de la famille qui a été interrogée, mais pas M. Soto. Une partie de la photo a été déchirée mais on peut encore voir la main d’une autre personne, posée sur la hanche de la personne interrogée. Cette dernière a déclaré ne pas savoir de qui est cette main. Sous la contrainte, elle a indiqué qu’il s’agissait peut-être de celle de M. Soto. Dans la déclaration sous serment, la police a écrit que, selon la personne interrogée, la main qui apparaît sur la photo était celle de M. Soto. Cette déclaration n’a pas été modifiée jusqu’à ce que l’interprète qui a assisté à l’entretien signale l’erreur et insiste pour qu’elle soit corrigée.
- – Un autre exemple montrant le manque d’empressement de la police à chercher d’autres motifs de l’assassinat est qu’elle n’a pas interrogé immédiatement les personnes avec lesquelles la victime s’était réunie le jour de sa mort et le jour précédent. On ne sait pas si ces personnes ont été ou non interrogées par la police et il est impossible de le vérifier car celle-ci a scellé les archives.
- 639. Pour les raisons susmentionnées, la CISL prie le comité de recommander que le gouvernement d’El Salvador:
- – rouvre l’enquête et examine sérieusement dans quelle mesure les activités syndicales de M. Soto ont un lien avec son assassinat;
- – cesse d’entraver le travail de la Procureure pour la défense des droits de l’homme;
- – rouvre les archives concernant le cas de M. Soto et autorise le Bureau des droits de l’homme, la famille de la victime et les syndicats intéressés à accéder pleinement à l’enquête et aux enquêteurs.
- B. Réponse du gouvernement
- 640. Dans sa communication du 19 janvier 2005, le gouvernement déclare que, comme la commission intersyndicale, il a condamné d’emblée ce fait déplorable, et que des enquêtes ont déjà été entamées pour trouver les coupables. Ainsi, le gouvernement a mis tout en œuvre pour garantir une enquête sérieuse, approfondie et impartiale, identifier les assassins de M. Soto et connaître leurs mobiles, et pour qu’ils soient jugés et dûment punis. Le gouvernement n’aura de cesse de poursuivre les responsables de ce crime. Il a demandé au Procureur général de la République d’enquêter sur tous les mobiles possibles, y compris en matière de travail. Il lui a aussi demandé un rapport officiel sur la progression de l’enquête.
- 641. Le gouvernement, à l’instar de la commission intersyndicale, se dit préoccupé par les situations déplorables de ce type qui mettent en péril la stabilité et le modèle démocratique d’El Salvador mais il donne l’assurance que, dans le pays, le respect du droit de liberté d’association est dûment garanti et que ce droit ne sera pas entamé par les faits en question.
- 642. Le gouvernement indique qu’il tiendra le comité informé de la progression de l’enquête menée par les services du Procureur général de la République.
- 643. Dans sa communication du 26 août 2005, le gouvernement réitère ses déclarations précédentes et souligne que la Division d’élite de la police nationale civile chargée de la lutte contre le crime organisé a mené une enquête qui a conduit à l’arrestation des inculpés actuels (dont la belle-mère de M. Soto). Tout indique que ces faits qu’il condamne ont été perpétrés pour des motifs personnels (familiaux) qui ne sont pas liés à l’activité syndicale de la victime. Ainsi, les poursuites judiciaires correspondantes ont été entamées et en sont au stade de l’instruction, c’est-à-dire du rassemblement de tous les éléments nécessaires pour fonder l’accusation du ministère public à l’encontre des détenus (art. 265 du Code pénal). Le gouvernement ajoute qu’en raison du secret de l’instruction les rapports ou enquêtes sur l’affaire ne peuvent pas être rendus publics. Il informera le comité des sentences qui seront prononcées.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 644. Le comité note que, postérieurement aux observations du gouvernement en date des 19 janvier et 26 août 2005, la CISL a présenté des informations additionnelles le 28 février 2006, lesquelles ont été communiquées au gouvernement sans que celui-ci ait répondu malgré deux demandes du comité en ce sens. Le comité note que le présent cas porte sur l’assassinat à Usulután (El Salvador) de M. José Gilberto Soto, originaire d’El Salvador, citoyen des Etats-Unis d’Amérique et dirigeant du Syndicat des chauffeurs des Etats-Unis (d’Amérique), Los Teamsters, alors qu’il était en déplacement en Amérique centrale pour resserrer des liens de travail et de collaboration avec des travailleurs du secteur des transports. Le comité prend note des déclarations du gouvernement qui, déplorant ces faits qu’il condamne, exprime sa préoccupation mais donne l’assurance qu’il ne sera pas porté atteinte au droit de liberté syndicale.
- 645. Le comité a signalé en d’autres occasions que l’assassinat ou la disparition de dirigeants syndicaux et de syndicalistes, ou des lésions graves infligées à des dirigeants syndicaux et des syndicalistes, exigent l’ouverture d’enquêtes judiciaires indépendantes en vue de faire pleinement et à bref délai la lumière sur les faits et les circonstances dans lesquelles se sont produits ces faits et ainsi, dans la mesure du possible, de déterminer les responsabilités, de sanctionner les coupables et d’empêcher que de tels faits se reproduisent. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 51.]
- 646. A ce sujet, le comité prend note des déclarations du gouvernement, à savoir que la procédure judiciaire a débouché sur l’arrestation des inculpés actuels, dont la belle-mère de M. José Gilberto Soto, et qu’elle en est au stade de l’instruction. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, les mobiles du crime n’étaient pas clairs. Il note aussi que des failles et des irrégularités concernant l’enquête ont été signalées par la CISL, qui estime qu’il n’a pas été tenu compte de l’hypothèse que M. Soto ait été assassiné en raison de ses activités syndicales; selon la CISL, la chaîne de protection des indices et preuves matérielles n’a pas été assurée; il n’y a pas eu d’enquête sur les allégations de tortures physiques et psychologiques (isolement, asphyxie, abus sexuels, menaces de mort) contre les assassins présumés; l’un de ceux qui ont tiré sur la victime a déclaré qu’il avait été contraint par la force d’identifier la belle-mère de la victime comme l’instigatrice du crime; les services du procureur général et les autorités de la DECO se sont référés à des informateurs secrets ou confidentiels comme source de renseignements sur la responsabilité de la belle-mère et des assassins présumés; les services du procureur et la police ont refusé l’accès aux dossiers relatifs à l’enquête, de sorte que la famille de la victime et la Procureure pour la défense des droits de l’homme n’ont pu les consulter; sur la photographie prétendument requise de l’un des assassins présumés et soi-disant remise à ceux-ci par la belle-mère du dirigeant syndical assassiné ne figurait pas M. Soto, mais une personne de sa famille ainsi que, selon la police, la main de M. Soto; cela n’a pas été confirmé par cette personne, laquelle a déclaré qu’ il s’agissait «peut-être» de la main de M. Soto; la police n’a pas interrogé immédiatement les personnes avec lesquelles la victime s’était réunie le jour de sa mort et le jour précédent, et il est impossible de savoir si elle l’a fait depuis. Le comité observe en revanche que, d’après le gouvernement, les enquêtes de la police nationale civile indiquent que les faits obéiraient à des motifs personnels (familiaux) qui ne sont pas liés à l’activité syndicale de M. José Gilberto Soto.
- 647. Dans ces conditions, déplorant profondément l’assassinat du dirigeant syndical M. José Gilberto Soto, le comité souligne qu’il est nécessaire de juger les coupables et demande au gouvernement de toute urgence de le tenir informé de la procédure pénale en cours, et exprime fermement l’espoir que la partie demanderesse sera autorisée à accéder à toutes les pièces du dossier, que l’enquête sera menée à terme de sorte qu’il soit remédié aux manquements signalés par la CISL s’ils sont confirmés sans qu’il soit fait obstacle au travail de la Procureure pour la défense des droits de l’homme, et qu’enfin cette procédure aboutira prochainement.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 648. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Déplorant profondément l’assassinat du dirigeant syndical M. José Gilberto Soto, le comité souligne qu’il est nécessaire de juger les coupables et demande au gouvernement de toute urgence de le tenir informé de la procédure pénale en cours, et exprime fermement l’espoir que la partie demanderesse sera autorisée à accéder à toutes les pièces du dossier, que l’enquête sera menée à son terme de sorte qu’il soit remédié aux manquements signalés par la CISL s’ils sont confirmés sans qu’il soit fait obstacle au travail de la Procureure pour la défense des droits de l’homme. Le comité compte fermement que cette procédure aboutira prochainement.