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Interim Report - REPORT_NO310, June 1998

CASE_NUMBER 1943 (Canada) - COMPLAINT_DATE: 12-NOV-97 - Closed

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185. Par une communication du 12 novembre 1997, le Congrès du travail du Canada (CTC), l'Union internationale des employés des services (SEIU), section 204, et la Fédération des travailleurs (Ontario) ont présenté une plainte pour violations de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada (Ontario).

  1. 185. Par une communication du 12 novembre 1997, le Congrès du travail du Canada (CTC), l'Union internationale des employés des services (SEIU), section 204, et la Fédération des travailleurs (Ontario) ont présenté une plainte pour violations de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada (Ontario).
  2. 186. En réponse à ces allégations, dans une communication du 23 avril 1998, le gouvernement fédéral a transmis la réponse du gouvernement de la province de l'Ontario.
  3. 187. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 188. La plainte a trait à la législation portant sur l'arbitrage obligatoire de différends dans divers domaines du secteur public: la loi de 1996 sur les économies et la restructuration (projet de loi 26), en particulier son annexe Q; la loi de 1997 sur la stabilité dans le secteur public (projet de loi 136), en particulier l'annexe A qui est la loi de 1997 sur le règlement des différends dans le secteur public; la loi de 1993 sur le contrat social (projet de loi 48). Dans leur communication du 12 novembre 1997, le CTC, la SEIU et la Fédération des travailleurs (Ontario) affirment que la législation, d'une part, et l'absence persistante d'un organe indépendant chargé de nommer les arbitres de différends en Ontario, d'autre part, nuisent à l'indépendance des arbitres de différends et à l'intégrité de la procédure d'arbitrage, enfreignant ainsi la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.
    • Annexe Q de la loi sur les économies et la restructuration (projet de loi 26) et loi sur le règlement des différends dans le secteur public (projet de loi 136)
  2. 189. Les plaignants estiment que le fait d'obliger les arbitres de différends à tenir compte de certains critères, conformément au projet de loi 26 et au projet de loi 136, compromet le processus de négociation dans le secteur public et porte atteinte aux arbitres de différends en Ontario.
  3. 190. Les plaignants indiquent que plus de 250 000 employés syndiqués sont visés par l'annexe Q du projet de loi 26, laquelle porte sur la résolution des différends dans les hôpitaux, les services policiers, les services des pompiers et les conseils scolaires. Auparavant, le gouvernement de l'Ontario établissait que les différends ayant trait à la négociation de conventions collectives relatives aux travailleurs des hôpitaux et des cliniques, des services des pompiers et des services policiers n'étaient pas résolus par le recours à la grève ou au lock-out, mais par le biais d'un arbitrage obligatoire. La négociation collective et le droit de grève, dans le cas des employés municipaux et du personnel non enseignant du secteur de l'éducation, sont régis par les dispositions ordinaires de la loi sur les relations de travail. Toutefois, le projet de loi 136 a pour conséquence qu'en cas de restructuration d'un organisme employant des personnes dans le secteur municipal ou dans le secteur de l'éducation, il pourra être fait appel à un arbitre de différends pour conclure les premières conventions collectives après la restructuration. L'arbitre sera tenu d'appliquer l'ensemble des critères prévus par la loi qui font l'objet du présent cas.
  4. 191. L'annexe Q du projet de loi 26 prévoit un certain nombre de critères que les arbitres sont tenus de prendre en considération pour rendre une décision ou une sentence, notamment:
    • -- la capacité de payer de l'employeur, compte tenu de sa situation budgétaire;
    • -- la mesure dans laquelle des services devront peut-être être réduits, compte tenu de la décision ou de la sentence, si les niveaux de financement et d'imposition actuels ne sont pas relevés.
      • En outre, l'annexe A du projet de loi 136 prévoit qu'un arbitre de différends doit désormais tenir compte des "meilleures pratiques possibles pour assurer la prestation de services publics de qualité et efficaces qui soient abordables pour les contribuables".
    • 192. Les plaignants estiment qu'obliger les arbitres de différends dans le secteur public à tenir compte des critères susmentionnés permet au gouvernement de déterminer unilatéralement les conditions d'emploi, nuit à l'impartialité et à l'indépendance des arbitres, à la confiance dans la procédure d'arbitrage, laquelle est destinée à remplacer le droit de grève, et porte atteinte aux libres négociations collectives. De plus, les plaignants affirment que l'obligation d'observer ces critères est, de fait, un subterfuge pour diminuer les salaires.
  5. 193. Les plaignants indiquent qu'en Ontario la capacité de payer de l'employeur ou le fait que la prestation de services publics doit être abordable pour les contribuables ne sont pas des critères dont on tient habituellement compte dans l'arbitrage de différends. Certes, le critère selon lequel l'employeur doit être capable de payer peut être légitime dans le secteur privé mais il a été constamment et à maintes reprises rejeté dans le secteur public, au motif qu'il n'était pas approprié. L'un des principes essentiels de l'arbitrage de différends, compte tenu du fait que les travailleurs auxquels ladite procédure s'applique ne jouissent pas du droit de grève, est que cette procédure devrait, autant que possible, chercher à reproduire les résultats des libres négociations collectives. A cette fin, en Ontario et dans d'autres juridictions canadiennes, le critère que les arbitres utilisent habituellement pour déterminer les salaires dans le cadre de conventions collectives du secteur public est que les salaires des employés du secteur public soient comparables, pour une tâche et un employeur analogues, à ceux des employés du secteur privé. Ce critère de "comparabilité" garantit que les salaires des employés qui font l'objet d'un arbitrage de différends dans le secteur public suivent ceux qui sont fixés dans le cadre de conventions collectives librement négociées dans les secteurs où les parties jouissent du droit de grève.
  6. 194. Demander aux arbitres de tenir compte de la capacité de payer de l'employeur compte tenu de sa situation budgétaire permet au gouvernement, selon les plaignants, de déterminer en fait l'issue des différends relatifs aux rétributions en exerçant son pouvoir en matière de dépenses publiques. De fait, il s'agit moins de "la capacité de payer", telle qu'elle est mentionnée dans l'annexe Q du projet de loi 26, de l'employeur du secteur public, ou du gouvernement qui, en fin de compte, tient les cordons de la bourse, que de la somme que l'employeur est disposé à verser.
  7. 195. Les plaignants affirment que l'obligation de tenir compte de la capacité de payer pour rendre une sentence compromet l'intégrité et l'indépendance des arbitres en les obligeant à devenir les exécutants de la politique budgétaire gouvernementale. De plus, demander aux arbitres de différends de tenir compte de la mesure dans laquelle les services risquent d'être réduits à la suite d'une sentence pourrait les dissuader de décider d'une augmentation de salaires, même si elle se justifie, si cette augmentation peut être préjudiciable à l'exécution d'un programme ou d'un service. Selon les plaignants, ce critère oblige les arbitres à prendre des décisions d'un ordre essentiellement politique. Les arbitres ne doivent pas ni ne devraient avoir à prendre certaines décisions, que ce soit la réduction de programmes, des licenciements, l'augmentation ou la diminution d'impôts. Cette responsabilité incombe aux élus. De plus, dans la mesure où l'annexe Q du projet de loi 26 oblige les arbitres à examiner la proportion dans laquelle il faudra éventuellement diminuer le volume des services, ce qui les incite à privilégier le niveau de services à fournir à la collectivité au détriment du niveau des salaires dans la fonction publique, il a pour effet d'obliger les employés du secteur public à subventionner la fourniture de services. De la sorte, on attribue aux employés du secteur public une proportion exagérée du coût des services dont bénéficie l'ensemble de la collectivité.
  8. 196. L'imposition de critères déterminés par le gouvernement et dictés par sa politique budgétaire sape les fondements d'une procédure d'arbitrage légitime, à savoir l'indépendance et la loyauté, ou, pour employer la terminologie de l'OIT, l'impartialité et la notion d'adéquation. Cette perte de loyauté et d'indépendance des arbitres conduit inéluctablement à une perte de confiance des intéressés dans la procédure d'arbitrage. Qui plus est, les travailleurs du secteur public visés par le projet de loi 26 et le projet de loi 136 sont privés d'une procédure de règlement des différends appropriée et susceptible de compenser le fait qu'ils ne jouissent pas du droit de grève.
  9. 197. De plus, les plaignants indiquent que l'ingérence du gouvernement dans la procédure d'arbitrage de différends, cela pour établir de manière unilatérale les taux de rémunération des travailleurs du secteur public, ne donne pas la priorité à la négociation collective, laquelle permet de régler les différends ayant trait aux conditions d'emploi. La capacité qu'a le gouvernement de fixer unilatéralement ces conditions par le biais de sa politique budgétaire, dont les arbitres sont obligés de tenir compte, a pour effet de fausser les conditions de négociation entre employeurs et travailleurs du secteur public et de rendre inutile la négociation. Rien n'incitera le gouvernement ou l'employeur qui dépend essentiellement des crédits publics à négocier les conditions d'emploi des agents du service public qui sont visés par le projet de loi 26 et le projet de loi 136 s'il est en mesure d'imposer unilatéralement ses conditions dans le cadre de la procédure d'arbitrage, au moyen des critères obligatoires prévus pour les arbitres.
  10. 198. Les plaignants affirment que le gouvernement, en cherchant à fixer unilatéralement les taux de salaire -- cela en obligeant les arbitres à tenir compte, d'une part, de la capacité de l'employeur du secteur public de payer, d'autre part, de la mesure dans laquelle des services devront peut-être être réduits et, enfin, du fait que les services doivent être abordables pour les contribuables --, cherche, dans les faits, à recourir à la procédure d'arbitrage pour imposer un contrôle des salaires et à porter atteinte à la procédure d'arbitrage. Les restrictions en matière de salaires ont été décidées alors que cela ne s'imposait pas clairement. Les critères en question, qui constituent une ingérence dans la fixation du taux des salaires, ne sont pas une mesure exceptionnelle en vigueur pour une période raisonnable mais un programme de diminution des salaires qui n'est pas limité dans le temps.
  11. 199. De plus, les plaignants indiquent que le gouvernement n'a pas consulté comme il l'aurait fallu les travailleurs intéressés ou leurs agents négociateurs avant d'adopter le projet de loi 26 et le projet de loi 136. Ils déclarent qu'en ce qui concerne l'adoption du projet de loi 26, jamais dans la province de l'Ontario on ne s'était aussi peu soucié de consulter les parties intéressées et la population. Dans un premier temps, le gouvernement a cherché à précipiter la procédure législative sans procéder à des débats publics. Ce n'est qu'à la suite de vives protestations de la population que le gouvernement a accepté un nombre limité d'observations dont il n'a écouté que le quart. Le gouvernement n'a pas tenu compte de celles des syndicats représentant les travailleurs visés par l'annexe Q du projet de loi 26, mais a tenu compte d'autres observations et a accru les contraintes imposées à la procédure d'arbitrage en ajoutant, à l'annexe Q, le critère de "niveaux d'imposition" à ceux dont les arbitres doivent tenir compte pour déterminer la mesure dans laquelle des services devront peut-être être réduits, compte tenu d'une sentence. De même, s'il est vrai que le gouvernement a été forcé d'apporter des amendements importants au projet de loi 136, sous la pression de la population et des syndicats, il s'est refusé obstinément à modifier le critère, contenu dans le projet de loi 136, selon lequel les services doivent être abordables pour les contribuables.
  12. 200. Les plaignants font observer que les entraves aux libres négociations collectives en matière de rétributions que constituent le projet de loi 26 et le projet de loi 136 font directement suite à la restriction de trois ans relative à la négociation collective en matière de rémunération qui est prévue dans la loi de 1993 sur le contrat social. Les plaignants affirment que cela ne peut être que préjudiciable au niveau de vie des travailleurs visés et que ni l'annexe Q du projet de loi 26 ni le projet de loi 136, ni toute autre législation introduite par le gouvernement actuel de l'Ontario ne prévoient de garanties appropriées à cet égard.
  13. 201. Enfin, cela étant, les plaignants estiment que les mesures prises par le gouvernement par le biais du projet de loi 26 et du projet de loi 136 s'inscrivent en outre dans le cadre d'une politique gouvernementale plus ample visant à entraver la liberté syndicale et la négociation collective. Cette politique comporte notamment les éléments suivants:
    • -- l'annulation, pour les travailleurs agricoles, les travailleurs domestiques et ceux de certaines professions libérales, du droit à la négociation collective et du droit de grève, ainsi que la résiliation des droits de négociation existants et l'annulation de négociations collectives pour ces travailleurs, mesures qui ont fait l'objet du cas no 1900 (voir 308e rapport, paragr. 139-194);
    • -- la tentative visant à supprimer la garantie de l'égalité de salaires, en passant outre aux programmes, qui avaient fait l'objet de négociations, sur l'égalité de salaires et en éliminant, en totalité ou en partie, les ajustements en vue de l'égalité des salaires auxquels avaient droit les travailleurs de l'Ontario les moins rémunérés, parmi lesquels on comptait un nombre important de membres de la SEIU. Les tribunaux de l'Ontario ont considéré que les amendements en question étaient inconstitutionnels;
    • -- les atteintes à l'indépendance et à l'impartialité de la Commission des relations de travail de l'Ontario (OLRB) par le biais de nominations et du non-renouvellement de certains mandats.
      • Loi de 1993 sur le contrat social (projet de loi 48)
    • 202. Les plaignants estiment que l'article 48 1) de la loi de 1993 sur le contrat social (projet de loi 48) entrave l'indépendance des arbitres de différends dans le secteur public. C'est d'ailleurs ce qu'a estimé la Cour d'appel de l'Ontario et ce qu'a confirmé le règlement 594/95 de l'Ontario. On a considéré que l'article 48 1) empêchait qu'une sentence arbitrale débouche sur une augmentation de la rétribution. Le projet de loi 48 est entré en vigueur le 14 juin 1993 et a cessé ses effets le 31 mars 1996. Il prévoyait une "période de contrat social" de trois ans pendant laquelle les employeurs du secteur public étaient tenus de réaliser des objectifs du gouvernement en matière de réduction des dépenses.
  14. 203. L'article 48 du projet de loi 48 contient des dispositions spécifiques portant sur l'arbitrage de différends et prévoit que "Aucune augmentation de la rétribution ne doit être accordée par suite d'une sentence ou d'une décision arbitrale rendue le 14 juin 1993 ou après cette date." L'article 48 3) indique que "Malgré le paragraphe 1, une sentence ou une décision arbitrale peut augmenter les gains annuels des employés jusqu'à concurrence de 30 000 dollars." Une certaine ambiguïté subsistait quant à la compétence des arbitres pour accorder des augmentations aux employés gagnant plus de 30 000 dollars (CDN). La question était aussi de savoir si un conseil d'arbitrage pouvait accorder une augmentation tant aux personnes gagnant plus de 30 000 dollars qu'à celles gagnant moins de 30 000 dollars. La Cour d'appel de l'Ontario a donc été saisie de ces deux questions et a conclu que, en vertu des articles 48 1) et 3) du projet de loi 48, lesquels prévoient un gel des rétributions pendant une période de trois ans, un conseil d'arbitrage ne peut rendre une sentence accordant une augmentation de la rétribution pour les employés gagnant 30 000 dollars ou davantage, cette augmentation ne pouvant prendre effet ou être appliquée qu'à la fin de la période de trois ans du contrat social. De plus, la Cour d'appel a considéré que la capacité d'augmenter les rétributions d'employés gagnant moins de 30 000 dollars par an ne porte que sur les rémunérations monétaires directes et non sur d'autres prestations; ainsi, l'article 48 3) ne permet pas une augmentation des prestations versées aux employés gagnant moins de 30 000 dollars.
  15. 204. Le 19 décembre 1995, avant que la Cour d'appel ne se soit prononcée, le gouvernement avait toutefois adopté le règlement 545/95 qui portait sur l'article 48 1) du projet de loi 48: "Aucune augmentation de la rétribution ne doit être accordée par suite d'une sentence ou d'une décision arbitrale rendue le 14 juin 1993 ou après cette date. Cela revient à dire qu'une sentence ou une décision arbitrale rendue le 14 juin 1993 ou après cette date ne peut donner lieu à une augmentation, quelle qu'elle soit, de la rétribution." On a considéré que le règlement 545/95 était entré en vigueur rétroactivement le 14 juin 1993. De la sorte, l'application rétroactive du règlement pourrait avoir d'éventuelles conséquences pour quelque 57 décisions rendues par des arbitres de différends entre juin 1993 et juin 1995, la plupart de ces décisions prévoyant des augmentations que le règlement interdit. Les plaignants estiment qu'en prenant ce règlement le gouvernement a démontré qu'il est déterminé à entraver l'indépendance et l'intégrité de la procédure d'arbitrage en privant les arbitres de leur compétence.
  16. 205. Les plaignants estiment que l'article 48 1) du projet de loi 48, en entravant la capacité d'un arbitre d'accorder une augmentation de salaire ou de prestations -- entraves qui ont été interprétées comme telles par la Cour d'appel de l'Ontario et confirmées par le règlement 594/95 de l'Ontario -- constitue un motif de préoccupation, au même titre que le projet de loi 26, lequel porte atteinte à l'indépendance des arbitres et à l'intégrité de la procédure d'arbitrage. A n'en pas douter, si on les compare aux dispositions du projet de loi 48, les critères contenus dans le projet de loi 26 constituent, selon les plaignants, une violation encore plus grave et durable des principes de la liberté d'association. L'article 48 1) a pour conséquence que les arbitres indépendants de différends ne peuvent pas reproduire les résultats de la négociation collective libre. En empêchant les arbitres de différends d'exercer un aspect important de leur rôle, à savoir fixer des salaires justes et appropriés, l'article 48 1) en fait de simples exécutants de la politique gouvernementale de réduction des salaires.
  17. 206. Les plaignants estiment que ces entraves à l'impartialité et à l'indépendance des arbitres de différends entament la confiance dans la procédure d'arbitrage, nuit à l'efficacité de cette procédure qui devrait remplacer le droit de grève et va à l'encontre de la négociation collective libre. Le projet de loi 26 oblige les arbitres à tenir compte des critères imposés par le gouvernement. Le projet de loi 48 va plus loin puisqu'il les empêche totalement d'accorder des augmentations de rétribution.
  18. 207. Les plaignants affirment que l'atteinte à l'indépendance des arbitres que constitue le projet de loi 48 n'est pas simplement un acte isolé du gouvernement de l'Ontario, mais, en fait, qu'il est l'un des aspects de la politique budgétaire du gouvernement et qu'il vise à limiter la capacité des arbitres de rendre des sentences relatives au secteur public.
    • Organe indépendant en vue de la nomination des arbitres de différends Entraves à l'encontre de la Commission des relations de travail de l'Ontario (OLRB)
  19. 208. En ce qui concerne le secteur des hôpitaux et des cliniques, pour déterminer les premières conventions collectives faisant suite aux restructurations qui ont lieu dans le secteur municipal et le secteur de l'éducation, les arbitres sont nommés par le ministre du Travail, lequel est un ministre du gouvernement. La loi n'impose pas de restrictions au gouvernement en matière de nominations. Dans le secteur des services des pompiers, les arbitres sont nommés par le solliciteur général, qui est un ministre du gouvernement et qui a toute latitude en matière de nominations. Dans le secteur des services policiers, les arbitres sont nommés par le président de la Commission d'arbitrage, lequel est nommé par le solliciteur général.
  20. 209. Les plaignants estiment que, si les arbitres sont directement nommés par un gouvernement qui prévoit dans la législation les critères qu'ils seront tenus de suivre pour rendre leurs sentences, inévitablement, la confiance dans le système sera entamée.
  21. 210. Les plaignants indiquent aussi que, depuis son élection en 1995, le gouvernement actuel de l'Ontario a suivi une ligne de conduite qui, systématiquement et gravement, est allée à l'encontre de l'indépendance des tribunaux du travail dans la province. Ces mesures ne se limitent pas à imposer des critères aux arbitres, mais à procéder à des nominations et au renouvellement des mandats des membres de la Commission des relations de travail de l'Ontario. Les plaignants indiquent que cette commission est, en Ontario, le principal organe chargé de faire appliquer la législation en matière de relations de travail, notamment les garanties contre les pratiques déloyales en matière de travail, les dispositions régissant l'habilitation des agents négociateurs, le devoir de négocier de bonne foi, le fait de déterminer si une grève est légale et si une grève illégale devrait être interdite, ainsi que la supervision des votes en vue d'une grève ou d'une ratification.
  22. 211. Les plaignants indiquent que le gouvernement a destitué huit vice-présidents ainsi que le président de l'OLRB, soit neuf personnes en tout, en les congédiant ou en ne renouvelant pas leur mandat. Six de ces personnes étaient des juristes qui défendaient les intérêts des syndicats. Le pouvoir et l'autorité dont le président dispose traditionnellement pour veiller, dans les faits, à la continuité de la nomination des vice-présidents ont été restreints et, dans de nombreux cas de nominations ou de non-renouvellement d'un mandat, il n'a même pas été consulté par le gouvernement. Cette évolution, indique-t-on, n'est pas sans conséquences pour la commission. Les plaignants expliquent qu'un procès pour pratiques déloyales en matière de travail oppose la SEIU à M. Johnson, le président du Conseil de gestion du gouvernement. Au moment de cette procédure, demande a été faite à l'OLRB de restreindre les piquets de grève sur le réseau de transport public, à l'occasion d'une grève générale d'une journée contre la politique du gouvernement. Un journal a fait état d'une déclaration de M. Johnson selon laquelle il envisageait de procéder à un "réexamen" de la commission, car il considérait que la commission n'avait pas suffisamment restreint les piquets de grève. A la suite de cela, la SEIU a déposé une deuxième plainte au motif que M. Johnson avait cherché à intimider, contraindre ou même menacer les membres de la commission et à influer sur leur décision destinée à sanctionner la privation de la sécurité de l'emploi, étant donné en particulier que le gouvernement avait congédié plusieurs vice-présidents ou qu'il n'avait pas renouvelé leur mandat. M. Johnson a nié ces allégations.
  23. 212. Au cours de la procédure dont faisait l'objet la deuxième plainte déposée contre M. Johnson, le vice-président a estimé que la commission dans son ensemble n'avait pas compétence pour entendre de la plainte, car tous les vice-présidents de l'OLRB avaient connaissance de l'action du gouvernement visant à relever de leurs fonctions les autres vice-présidents. Par conséquent, le procès a été suspendu. La SEIU a pu obtenir un ordre émanant de la Cour de justice de l'Ontario en vertu duquel un juge indépendant serait nommé pour instruire les plaintes contre M. Johnson. S'il est vrai que le jugement de la Cour se limite aux seuls faits dont elle avait été saisie à propos de l'OLRB, les plaignants estiment que la SEIU et d'autres personnes s'occupant en Ontario des relations de travail craignent beaucoup que, pour toute affaire portée devant elle, l'ORLB fasse preuve de partialité, cela en raison des tentatives manifestes du gouvernement de remplacer les vice-présidents par d'autres personnes plus proches de ses objectifs en matière de relations de travail. Un vice-président sensé sait que la sécurité de son emploi dépend uniquement du Cabinet du Premier ministre, et non du président de la commission. Une personne sensée sait que seuls ceux qui rendent des décisions favorables au gouvernement ou aux employeurs conserveront leur mandat; on peut donc considérer que toutes leurs décisions équivalent à une demande d'emploi ou à une évaluation de leur action.
  24. 213. Cela étant, les plaignants se disent préoccupés par l'action du gouvernement en ce qui concerne la nomination et le renouvellement des mandats au sein de l'OLRB, action dont on peut considérer qu'elle ne respecte pas les normes et principes de la liberté syndicale. En l'absence, dans les faits et dans la forme, d'une commission des relations de travail qui soit indépendante du gouvernement et impartiale, le droit d'organisation ne peut être effectivement mis en oeuvre.
  25. 214. En conclusion, les plaignants estiment que, d'une part, les atteintes à l'indépendance des arbitres, par le biais des critères contenus dans le projet de loi 26 et dans le projet de loi 136, d'autre part, les entraves dont les arbitres font l'objet en ce qui concerne l'attribution d'augmentation de salaires -- même dans les cas où ces augmentations doivent prendre effet après l'expiration du projet de loi 48 -- et, enfin, les entraves à l'indépendance de l'OLRB rendent nécessaire, plus que jamais, la création d'un organisme indépendant chargé de nommer les arbitres de différends en Ontario.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  • Annexe Q de la loi sur les économies et la restructuration (projet de loi 26) et loi sur le règlement des différends dans le secteur public (projet de loi 136)
    1. 215 Le gouvernement indique que l'inclusion de critères financiers et économiques dans le projet de loi 26 et dans le projet de loi 136 répond aux critiques dont a fait l'objet, de longue date, le système d'arbitrage de différends dans les secteurs où cet arbitrage est obligatoire. Depuis des années, les employeurs de ces secteurs se disent préoccupés par les décisions des arbitres de différends, en particulier par le fait que ces arbitres ne tiennent pas compte des réalités économiques auxquelles les employeurs sont soumis ni des résultats obtenus dans les secteurs où le droit de grève existe. On a estimé que ces résultats découlent en partie de la tendance qu'ont les arbitres de différends à "couper la poire en deux" au lieu de prendre des décisions difficiles à propos des dispositions controversées de certaines conventions collectives. Le gouvernement indique que les critères en question ne nuiront en rien à l'indépendance des arbitres, mais permettront de fournir des orientations utiles pour parvenir à des sentences judicieuses.
    2. 216 Le gouvernement convient avec les plaignants du fait que l'arbitrage de différends devrait tenir compte, autant que possible, des résultats obtenus dans les secteurs où les droits de grève et de "lock out" existent. Les critères ont été conçus pour contribuer et, espère-t-on, parvenir à des résultats ou à des sentences d'un même ordre que ceux ou celles négociés par les parties qui jouissent du droit de grève. Le gouvernement soutient qu'il croit dans la procédure de négociation collective et qu'il l'appuie. Il estime que les meilleures solutions sont celles qui sont négociées et obtenues de manière indépendante et autonome. Il faut souhaiter que les parties résoudront elles-mêmes les questions qui sont du domaine de la négociation collective plutôt que de recourir à des arbitres pour sortir de l'impasse. Les critères en question ne s'appliquent que lorsque les parties ne peuvent pas résoudre elles-mêmes ces questions. Ni le projet de loi 26 ni le projet de loi 136 n'imposent de conditions quant au contenu spécifique des conventions collectives ou des sentences arbitrales.
    3. 217 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle les consultations ont été insuffisantes avant l'adoption du projet de loi 26 et du projet de loi 136, le gouvernement indique qu'il a procédé à des consultations exhaustives sur ces deux projets. A propos du projet de loi 26, pendant trois semaines environ, des débats publics se sont tenus dans toute la province. Plusieurs centaines de personnes et de groupes ont fait des propositions orales et écrites qui ont été soigneusement examinées et qui ont conduit, en troisième lecture, à un certain nombre d'amendements. Ainsi, l'annexe Q a été amendée de façon à préciser que les critères ne donnaient pas aux arbitres de nouvelles facultés, en particulier que l'annexe ne les habilitait pas à rendre des décisions portant sur le volume des services, motif d'inquiétude qui a été évoqué lorsque le projet a été présenté pour la première fois. De même, avant et après la présentation du projet de loi 136, le gouvernement a procédé à des consultations fructueuses avec des syndicats, des municipalités et l'association des hôpitaux de l'Ontario, ainsi que d'autres parties soucieuses de parvenir, de la meilleure façon possible, à ces objectifs. A la suite de ces consultations, des amendements importants à l'ensemble du projet ont été déposés.
  • La loi de 1993 sur le contrat social (projet de loi 48)
    1. 218 Le gouvernement note que le projet de loi 48 a été adopté par le précédent gouvernement de l'Ontario et est entré en vigueur le 14 juin 1993. La loi contient des mesures de restrictions applicables au secteur public. Les dispositions portant sur ces mesures de restrictions ne sont plus en vigueur. Par conséquent, les employeurs et les syndicats du secteur public ne sont plus soumis aux restrictions relatives aux négociations collectives qui étaient contenues dans la loi.
    2. 219 Le gouvernement reconnaît que l'interprétation de l'article 48 a donné lieu à des controverses. Etant donné le manque de clarté de cet article, il a adopté le règlement 545/95 qui visait à clarifier le sens de l'article et non à faire obstacle à l'indépendance et à l'intégrité de la procédure d'arbitrage, ce qui n'a d'ailleurs pas été le cas.
  • Organe indépendant en vue de la nomination d'arbitres de différends Atteintes à l'encontre de la Commission des relations de travail de l'Ontario (OLRB)
    1. 220 Le gouvernement indique qu'en Ontario les arbitres de différends et les commissions d'arbitrage sont nommés, d'une manière générale, à la suite d'un accord entre les parties intéressées. Si celles-ci ne parviennent pas à un accord, une troisième partie est autorisée à procéder à des nominations, à la demande d'une partie. Dans les services des pompiers et dans le secteur des hôpitaux, si les parties ne peuvent pas se mettre d'accord sur le candidat à la présidence de la Commission d'arbitrage, conformément à la loi sur l'arbitrage des conflits de travail dans les hôpitaux et à la loi de 1997 sur la prévention et la protection contre l'incendie, la candidature est soumise au ministre du Travail qui nomme un arbitre. Dans le secteur des services policiers, la candidature est présentée conformément à la loi sur les services policiers ou, lorsqu'il s'agit des services policiers de la province, à la loi sur la fonction publique, à la Commission d'arbitrage de la police de l'Ontario, dont le président procède à la nomination.
    2. 221 Le gouvernement reconnaît qu'il est essentiel, pour l'intégrité de ces systèmes de règlement des différends, de nommer des arbitres loyaux et impartiaux afin de résoudre les différends relatifs à la négociation collective. Le gouvernement affirme qu'il veille à ce que les différentes parties des secteurs des pompiers, des services policiers et des hôpitaux aient accès à un système d'arbitrage ouvert et équitable. Il affirme avoir démontré son adhésion à ce type de système en remplaçant l'équipe en place d'arbitres de différends par une nouvelle équipe qui est composée de juges retraités, dont la neutralité est reconnue, qui peuvent prendre des décisions difficiles quant aux dispositions controversées de certaines conventions collectives. Le gouvernement peut faire appel à ces arbitres lorsque les parties ne peuvent se mettre d'accord sur un arbitre.
    3. 222 En ce qui concerne les nominations à l'OLRB, le gouvernement indique qu'il a toujours considéré qu'il a pour rôle essentiel de veiller à ce que les personnes nommées à la commission aient l'expérience et les connaissances suffisantes pour s'acquitter du rôle important que les pouvoirs publics, les travailleurs et les entreprises attendent d'elles. Le gouvernement indique qu'il est conscient de l'importance que revêt l'impartialité des vice-présidents nommés à la commission, et il confirme qu'il est résolu à garantir que la commission reste indépendante et neutre.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 223. Le comité note que le présent cas fait état d'allégations selon lesquelles le gouvernement porterait atteinte à l'indépendance des arbitres de différends et à l'intégrité du système d'arbitrage, ce qui constitue une violation des normes et principes de l'OIT sur la liberté syndicale. En particulier, le cas en question porte sur l'annexe Q de la loi de 1996 sur les économies et la restructuration (projet de loi 26) et sur la loi de 1997 sur le règlement des différends dans le secteur public (annexe A de la loi de 1997 sur la stabilité dans le secteur public (projet de loi 136)), lesquelles imposent des critères que les arbitres de différends doivent prendre en compte, notamment la capacité de payer des employeurs -- dans un système où la loi prévoit que l'arbitrage obligatoire de différends remplace le droit de grève pour les travailleurs des hôpitaux, des services policiers, des services de pompiers et des conseils scolaires. En outre, la loi de 1993 sur le contrat social (projet de loi 48), qui, comme cela a été interprété récemment, conduit à diminuer les rétributions dans le secteur public et pourrait porter atteinte à l'indépendance des arbitres de différends dans le secteur public. Enfin, les plaignants se disent préoccupés par l'ingérence du gouvernement dans la Commission des relations de travail de l'Ontario et demandent la création d'un organe indépendant chargé de nommer les arbitres.
  2. Annexe Q de la loi sur les économies et la restructuration (projet de loi 26) et loi sur le règlement des différends dans le secteur public (projet de loi 136)
  3. 224. L'annexe Q du projet de loi 26 porte amendement d'un certain nombre d'instruments juridiques, en particulier ceux qui régissent l'arbitrage de différends pour les travailleurs des hôpitaux, des services de pompiers, des services policiers, des conseils scolaires et des enseignants. Avec des variantes mineures qui n'entrent pas en ligne de compte dans le cadre du cas présent, ces divers instruments sont amendés comme suit:
  4. Pour rendre une décision ou une sentence arbitrale, l'arbitre ou le conseil d'arbitrage prend en considération tous les facteurs qu'il estime pertinents, notamment les critères suivants:
  5. 1) la capacité de payer de l'employeur, compte tenu de sa situation budgétaire;
  6. 2) la mesure dans laquelle des services devront peut-être être réduits, compte tenu de la décision ou de la sentence arbitrale, si les niveaux de financement et d'imposition actuels ne sont pas relevés;
  7. 3) la situation économique prévalant en Ontario et dans la municipalité;
  8. 4) la comparaison, établie entre les employés et les employés comparables des secteurs public et privé, des conditions d'emploi et de la nature du travail exécuté;
  9. 5) la capacité de l'employeur d'attirer et de garder des employés qualifiés.
  10. ... (la disposition ci-dessus) n'a pas d'incidence sur les pouvoirs de l'arbitre ou du conseil d'arbitrage.
  11. 225. L'annexe A du projet de loi 136 complète la loi de 1997 sur le règlement des différends dans le secteur public et porte modification d'un certain nombre d'instruments juridiques portant sur l'arbitrage obligatoire. Les objets de cette loi sont les suivants:
  12. 1) assurer le règlement rapide des différends lors des négociations collectives;
  13. 2) encourager le règlement des différends par la négociation;
  14. 3) encourager les meilleures pratiques possibles pour assurer la prestation de services de qualité et efficaces qui soient abordables pour les contribuables." (article 1)
  15. L'article 2 2) de la loi indique que "Lorsqu'il rend une décision, l'arbitre ou le conseil d'arbitrage tient compte des objets de la présente loi." L'article 2 3) précise que "le paragraphe 2 n'a pas pour effet de soustraire un arbitre ou un conseil d'arbitrage à toute exigence qu'impose une autre loi de tenir compte de critères lorsque celui-ci rend une décision.
  16. 226. Le comité note tout d'abord que la plupart des services couverts par l'arbitrage obligatoire, au titre du projet de loi 26 et du projet de loi 136, peuvent être considérés comme des services essentiels, c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 526.) Les conseils scolaires et les enseignants ne remplissant pas ces critères, ils devraient donc avoir le droit d'exercer le droit de grève s'ils le souhaitent (voir Recueil, op. cit., paragr. 536, 545; voir également le 278e rapport, cas no 1570 (Philippines), paragr. 165-166), le comité note cependant que dans ce cas les plaignants ne cherchent pas à remettre en question la validité du système obligatoire d'arbitrage en soi, qui permet de défendre les intérêts économiques et sociaux des services qui ne jouissent pas du droit de grève, mais conteste certaines modifications apportées au système d'arbitrage.
  17. 227. Le comité rappelle que, lorsque le droit de grève est restreint ou supprimé, les travailleurs devraient bénéficier de garanties adéquates de manière à compenser les restrictions qui auraient été imposées à leur liberté d'action, notamment des procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 546-547.) Le comité note que le gouvernement et les plaignants s'accordent à penser que l'arbitrage de différends devrait viser autant que possible à reproduire les résultats des négociations collectives libres dans les secteurs où les parties jouissent du droit de grève.
  18. 228. Le comité note que les critères prévus dans la législation en question semblent viser à maintenir le niveau des rémunérations dans certaines limites budgétaires tout en autorisant une certaine flexibilité, par la recherche d'un équilibre entre d'autres facteurs qui ont été énumérés, notamment la comparaison établie avec des employés comparables des secteurs public et privé, et la capacité de l'employeur d'attirer et de garder des employés qualifiés. La capacité de payer figure parmi un certain nombre de facteurs que l'arbitre considère pertinents, et l'importance à accorder à chaque facteur semble laissée à l'appréciation de l'arbitre. Le comité note que certains critères contenus dans la législation sont particulièrement vagues et que l'arbitre dispose d'une grande latitude. Dans ces conditions, le comité considère que la compatibilité de ces critères avec les principes de la liberté syndicale et de la libre négociation dépend de leur application dans la pratique. Il demande donc au gouvernement et aux plaignants de fournir davantage d'informations à cet égard, et notamment d'indiquer si le résultat de l'arbitrage reproduit en fait les résultats de la libre négociation collective de la manière dont les parties la considèrent souhaitable.
  19. 229. Les plaignants affirment que le gouvernement n'a pas consulté comme il le fallait les travailleurs concernés ou leurs agents négociateurs avant l'adoption du projet de loi 26 et du projet de loi 136. En particulier, le plaignant indique à propos de l'adoption du projet de loi 26 que jamais dans la province de l'Ontario on avait fait aussi peu de cas de la consultation des parties intéressées et de la population. A propos du projet de loi 26, les plaignants déclarent que, alors qu'il avait cherché à précipiter la procédure législative sans procéder à des débats publics, le gouvernement, à la suite de vives protestations de la population, a accepté un nombre limité d'observations dont il n'a écouté que le quart. Or le gouvernement déclare qu'il a procédé à des consultations approfondies sur les deux projets de lois et que, dans le cas du projet de loi 26, des débats publics se sont tenus pendant trois semaines.
  20. 230. Le comité rappelle que, lorsqu'un gouvernement cherche à modifier une structure de négociation dans lequel il agit, directement ou indirectement, en tant qu'employeur, et que le système d'arbitrage constitue un prolongement de l'organisme de négociation en question, il est particulièrement important de suivre une procédure de consultation appropriée, dans laquelle toutes les parties intéressées pourront examiner tous les objectifs. Cette consultation doit être menée de bonne foi et les deux parties doivent disposer de toutes les informations nécessaires pour prendre une décision en connaissance de cause. (Voir 299e rapport, cas no 1802 (Canada/Nouvelle-Ecosse), paragr. 281; 300e rapport, cas no 1806 (Canada/Yukon), paragr. 126.) Le comité note que, s'il est vrai que des débats publics se sont tenus, ils ont eu lieu après l'adoption des projets de lois et à la suite de vives protestations de la population. Les consultations semblent avoir eu lieu à un stade très tardif de la procédure et le comité demande au gouvernement de veiller à l'avenir à procéder à des consultations de bonne foi, de telle manière que les parties disposent de toutes les informations nécessaires pour formuler des propositions et prendre des décisions en connaissance de cause.
  21. Loi de 1993 sur le contrat social (projet de loi 48)
  22. 231. Le comité note que la loi sur le contrat social a instauré une "période de contrat social" s'étendant du 14 juin 1993 au 31 mars 1996, période pendant laquelle des objectifs en matière de réduction des dépenses devaient être atteints dans le service public. Alors que les mesures de restriction prévues par la loi en question ne sont plus en vigueur, l'article 48 de la loi a fait l'objet d'une interprétation judiciaire et législative que les plaignants contestent. Les paragraphes en question de l'article 48 prévoient ce qui suit:
  23. "1) Aucune augmentation de la rétribution ne doit être accordée par suite d'une sentence ou d'une décision arbitrale rendue le 14 juin 1993 ou après cette date...
  24. 3) Malgré le paragraphe 1, une sentence ou une décision arbitrale peut augmenter les gains annuels des employés jusqu'à concurrence de 30 000 dollars."
  25. 232. Il semble qu'il y ait eu un certain degré de controverse quant à la question de savoir si un arbitre pouvait rendre une décision en matière de rémunération pendant la période de contrat social, sentence ou décision qui, aux termes de l'article 48 1), ne pourrait être mise en oeuvre qu'à la fin de ladite période. A propos de l'article 48 3), on s'est demandé si les personnes qui gagnaient moins de 30 000 dollars pouvaient bénéficier, au titre d'une sentence, d'une augmentation de prestations. La Cour d'appel de l'Ontario, dans une décision en date du 15 avril 1996, dont copie a été jointe à l'annexe de la présente plainte, a estimé qu'il fallait entendre qu'en vertu de l'article 48 1), le 14 juin 1993 ou après cette date, le conseil d'arbitrage ne peut rendre une sentence prévoyant des augmentations de rétribution. La Cour indique plus loin que cette interprétation est la seule qui concorde avec le reste de l'article 48, avec les dispositions de l'ensemble de la loi ... et avec l'objet et l'intention de la législature. Quant à la question des prestations, la Cour a estimé que, s'il est vrai que l'article 2 de la loi en question indique que le terme "rétribution" comprend les prestations, l'article 48 3) se réfère aux "gains annuels" et que, par conséquent, le conseil d'arbitrage ne peut qu'accroître les "paiements monétaires directs" d'employés gagnant moins de 30 000 dollars et non les prestations. Alors que l'appel était en cours, et avant que la décision susmentionnée n'ait été rendue, le gouvernement a adopté le règlement 545/95 afin de préciser le sens de l'article 48 1). Le règlement indique qu'il faut entendre par l'énoncé "... aucune augmentation de la rétribution ne doit être accordée par suite d'une sentence ou d'une décision rendue le 14 juin 1993 ou après cette date" qu'une sentence ou une décision arbitrale rendue le 14 juin 1993 ou après cette date ne doit prévoir aucune augmentation de la rétribution.
  26. 233. Le comité note qu'il a examiné dans le cas no 1722 (voir 292e rapport, paragr. 511-554) la loi de 1993 sur le contrat social. Dans le cas mentionné, le comité avait noté que le but principal de la loi en question était de "réaliser, pendant trois ans consécutifs, des économies importantes dans les dépenses du secteur public, ce qui a entraîné nécessairement des interventions dans le processus de négociation collective ... et que des économies dans les dépenses peuvent être réalisées par un gel du taux des salaires ou, au cas où cela ne suffirait pas, par l'imposition de congés non payés ou de congés spéciaux" (paragr. 549). Le comité avait déploré que le gouvernement n'ait pas privilégié la négociation collective et qu'il ait cru devoir adopter la loi sur le contrat social. Le comité avait estimé qu'une période de trois ans de négociation collective limitée constituait une restriction considérable et qu'il voulait croire que la législation cesserait de produire ses effets à la fin de la période de trois ans. Le comité rappelle que, dans le cas no 1722, il a formulé ses conclusions en toute connaissance de la rigueur de la loi en question, rigueur qu'il a déplorée.
  27. Organisme indépendant en vue de la nomination des arbitres de différends Entraves à l'encontre de la Commission des relations de travail de l'Ontario (OLRB)
  28. 234. Le comité note que les plaignants émettent des objections quant à la nomination directe d'arbitres par le gouvernement, et non par un organisme indépendant de nomination, et qu'ils affirment que le gouvernement a porté atteinte à l'indépendance des tribunaux du travail (la Commission des relations de travail de l'Ontario-OLRB) par la décision de nommer et de renouveler le mandat des vice-présidents de l'OLRB.
  29. 235. Dans un premier temps, à propos de l'allégation selon laquelle il est porté atteinte à l'indépendance de l'OLRB, le comité déplore que le gouvernement ait répondu de manière générale aux allégations très précises des plaignants à ce sujet, et il rappelle au gouvernement que ses réponses aux plaintes qui sont portées contre lui ne devraient pas se limiter à des observations de caractère général. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 21.)
  30. 236. Le comité note que l'OLRB est dans la province de l'Ontario le plus important organe chargé de superviser les relations de travail. Entre autres, il incombe à la commission de se prononcer sur des questions concernant la reconnaissance des syndicats, la négociation des conventions collectives, les obligations de l'employeur successeur, les pratiques de travail déloyales et la grève. Dans la plupart des cas, les décisions de l'OLRB sont définitives. Le comité estime qu'à n'en pas douter le rôle attribué à l'OLRB en matière de relations de travail dans la province est fondamental, et il estime qu'il est essentiel qu'un organisme de ce type soit pleinement indépendant et impartial.
  31. 237. Les plaignants indiquent que, depuis le début de son mandat en 1995, le gouvernement a démis de leurs fonctions huit des vice-présidents, ainsi que le président, de l'OLRB, soit en les congédiant soit en ne renouvelant pas leur mandat. Les plaignants évoquent le cas particulier de M. Johnson, haut fonctionnaire du gouvernement, qui aurait cherché à intimider, à contraindre ou à menacer des membres de l'OLRB et à influencer leurs décisions prévoyant des sanctions pour privation de la sécurité de l'emploi.
  32. 238. Le comité a examiné de près les allégations et les décisions de l'OLRB et de la Cour de justice de l'Ontario qui ont trait à M. Johnson. Ces allégations et décisions sont jointes en annexe de la plainte. La SEIU a déclaré devant l'OLRB que M. Johnson avait joué un rôle décisif en désignant, au nom du gouvernement de l'Ontario, les quatre vice-présidents de l'OLRB qui devaient être destitués. Par ailleurs, les nominations d'octobre 1996, pour la première fois dans l'histoire de l'OLRB, ont été effectuées explicitement "à discrétion", c'est-à-dire qu'il pouvait y être mis un terme à n'importe quel moment. De plus, M. Johnson aurait fait plusieurs déclarations à la presse qui laissaient entendre qu'il procéderait à un réexamen de la composition de la commission en raison de la manière dont celle-ci avait traité une plainte. Enfin, M. Johnson aurait la faculté de déterminer les perspectives de carrière des vice-présidents de la commission en contrôlant leur inscription sur la liste, dressée par le ministère du Travail, des arbitres susceptibles d'être nommés conformément à la législation. Tout en partant du principe qu'il n'était pas autorisé à donner de précisions sur la procédure de destitution de certains vice-présidents, le vice-président chargé de cette affaire a indiqué que, lors d'une réunion ayant eu lieu en septembre ou en octobre 1996, les vice-présidents ont reçu des informations concernant la procédure de sélection utilisée pour déterminer quel vice-président serait destitué. Cette information a semblé essentielle au vice-président qui a estimé, craignant à juste titre une orientation tendancieuse, que le cas ne pouvait pas être entendu par l'OLRB. La Cour de justice de l'Ontario a soutenu cet argument et ordonné qu'une personne impartiale soit nommée pour se prononcer sur l'affaire en question.
  33. 239. Etant donné l'issue du cas susmentionné de l'OLRB, le comité ne peut qu'exprimer sa profonde préoccupation quant à la perception de l'indépendance des membres de l'OLRB due aux pressions extérieures subies. Le comité considère, comme il l'a déclaré à propos des arbitres, que les membres d'une instance comme l'ORLB devraient non seulement être strictement impartiaux mais devraient apparaître comme tels, afin que la confiance dont ils jouissent de la part des deux parties soit assurée et maintenue. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 549.) Le comité demande au gouvernement de répondre aux allégations spécifiques qui ont été formulées à ce sujet et d'indiquer les modalités selon lesquelles les membres sont nommés, les procédures de consultation, quelles qu'elles soient, qui sont utilisées dans ces cas, le terme de ces nominations et les éléments, dans la législation et dans la pratique, selon lesquels il est ou peut être mis un terme à ces nominations. Le comité demande également d'être tenu informé de la décision prise par une entité indépendante sur le cas concernant M. Johnson, et il demande au gouvernement de lui communiquer une copie de cette décision, une fois qu'elle aura été rendue.
  34. 240. A propos de l'allégation selon laquelle les arbitres seraient nommés par le gouvernement sans restriction, dans le cas d'un arbitrage obligatoire dans le secteur municipal et dans le secteur de l'éducation, dans les services de pompiers et dans les services policiers, le comité note que, au regard de la législation, ce n'est que lorsque les parties ne s'entendent pas sur la nomination d'un arbitre que le gouvernement intervient. Toutefois, lorsque le gouvernement nomme l'arbitre, comme cela est indiqué précédemment, il est essentiel que cette personne soit non seulement strictement impartiale, mais qu'il ou elle apparaisse comme tel afin que la confiance dont il ou elle jouit de la part des deux parties soit assurée et maintenue. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 549.) Le comité souligne que ceci est d'autant plus important dans le secteur public où le gouvernement lui-même est une des parties. Il demande donc au gouvernement de lui fournir des informations sur la procédure utilisée pour choisir des arbitres en vue de leur nomination, lorsque les parties ne s'entendent pas sur la nomination d'un arbitre.
  35. Climat général des relations de travail
  36. 241. Enfin, le comité estime qu'il faut considérer les allégations mentionnées dans le présent cas en tenant compte du climat général des relations de travail en Ontario. Le comité ne peut que faire observer que, trois ans après la restriction des salaires imposés dans le secteur public en vertu de la loi sur le contrat social, des modifications ont été apportées au système d'arbitrage obligatoire sans que les parties intéressées n'aient été pleinement consultées. En outre, comme cela a été récemment traité dans le cas no 1900 (voir 308e rapport, paragr. 139-194), les travailleurs agricoles, les travailleurs domestiques et ceux de certaines professions libérales se sont vu refuser, conformément à la législation, l'accès à la négociation collective et au droit de grève, et la législation relative aux obligations des employeurs successeurs a été abrogée. Qui plus est, on a cherché à abroger des dispositions essentielles en matière d'égalité de salaire. Etant donné l'ensemble de facteurs qui compromettent les relations de travail en Ontario, le comité estime nécessaire de souligner que ces mesures et restrictions peuvent, à long terme, porter préjudice aux relations de travail et les déstabiliser. Le comité considère que, pour surmonter la perte de confiance des syndicats et d'autres conséquences négatives, pour les relations de travail, qui ont découlé des récentes mesures gouvernementales, le gouvernement devrait envisager de consulter pleinement les syndicats et les organisations d'employeurs afin de déterminer la façon de s'efforcer de promouvoir la confiance dans l'arbitrage, ce qui est essentiel à l'harmonie des relations de travail. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard. Le comité signale ce cas à l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 242. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a. Le comité demande au gouvernement et aux plaignants de fournir davantage d'informations à l'égard de l'application, dans la pratique, des critères contenus dans la loi 26 et dans la loi 136 que les arbitres doivent suivre, et notamment d'indiquer si le résultat de l'arbitrage reproduit en fait les résultats de la libre négociation collective de la manière dont les parties la considèrent souhaitable.
    • b. Le comité demande au gouvernement de veiller à l'avenir à ce que des consultations de bonne foi soient menées en ce qui concerne toute modification des structures de négociations, afin que les parties disposent de toutes les informations nécessaires pour faire des propositions et prendre des décisions en connaissance de cause.
    • c. A propos de l'allégation selon laquelle il est porté atteinte à l'indépendance de l'OLRB, le comité déplore que le gouvernement ait répondu de manière générale aux allégations très précises des plaignants à ce sujet. Gravement préoccupé par la perception de l'indépendance des membres de l'OLRB due aux pressions extérieures subies, le comité demande au gouvernement de répondre aux allégations spécifiques qui ont été formulées à cet égard et d'indiquer selon quelle modalité les membres sont nommés, ainsi que les procédures de consultation, quelles qu'elles soient, qui sont utilisées, le terme de ces nominations et les éléments, dans la législation et dans la pratique, en fonction desquels il est ou peut être mis un terme à ces nominations. Le comité demande également d'être tenu informé de l'issue de la décision confiée à une entité indépendante sur le cas concernant M. Johnson, et il demande au gouvernement de lui communiquer une copie de cette décision, une fois qu'elle aura été rendue.
    • d. Rappelant qu'il est essentiel que l'arbitre soit non seulement strictement impartial, mais qu'il doit aussi apparaître comme tel afin que la confiance dont il jouit de la part des deux parties soit assurée et maintenue, et soulignant que ceci est d'autant plus important dans le secteur public où le gouvernement lui-même est l'une des parties, le comité lui demande de lui fournir des informations sur la procédure permettant de choisir des arbitres en vue de leur nomination, dans les cas où les parties ne s'entendent pas sur la nomination d'un arbitre.
    • e. Le comité considère que, pour surmonter la perte de confiance des syndicats et les autres effets négatifs, pour les relations de travail, qui ont découlé des récentes mesures gouvernementales qui compromettent les relations de travail en Ontario, le gouvernement devrait envisager de consulter pleinement les syndicats et les organisations d'employeurs pour déterminer la façon de s'efforcer de promouvoir la confiance dans l'arbitrage, ce qui est essentiel à l'harmonie des relations de travail. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
    • f. Le comité signale le cas à l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
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