DISPLAYINEnglish - Spanish
- 285. Dans une communication datée du 15 juin 1994, l'Union générale des travailleurs (UGT) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Portugal. Le gouvernement a envoyé ses observations sur ce cas dans une communication du 23 février 1995.
- 286. Le Portugal a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 287. Dans sa communication du 15 juin 1994, l'Union générale des travailleurs soutient que le gouvernement portugais a porté atteinte aux conventions nos 87 et 98 à propos de la détermination des services minima à assurer en cas de grève.
- 288. L'UGT souligne qu'au Portugal le droit de grève est reconnu dans la Constitution (art. 59 (1)) et que son exercice ne peut être limité qu'exceptionnellement s'il entrave la satisfaction des besoins sociaux impératifs. Elle explique que les limitations exceptionnelles à l'exercice du droit de grève sont contenues dans l'article 8 de la loi no 65 du 26 août 1977 sur le droit de grève dans sa teneur modifiée par la loi no 30 du 20 octobre 1992, qui dispose que:
- Article 8. Obligations pendant la grève. (1) Dans les entreprises ou établissements dont l'activité consiste à satisfaire des besoins sociaux absolument nécessaires, les associations syndicales et les travailleurs sont tenus d'assurer, pendant la grève, la prestation des services minima indispensables pour satisfaire ces besoins.
- (2) Aux fins des dispositions du paragraphe précédent, sont considérés comme entreprises ou établissements, dont l'activité a pour but de satisfaire les besoins sociaux absolument nécessaires, ceux qui font partie, notamment, de l'un ou l'autre des secteurs suivants:
- a) postes et télécommunications;
- b) services médicaux, hospitaliers et de fourniture de médicaments;
- c) entreprises de salubrité publique, y compris de pompes funèbres;
- d) services de l'énergie et des mines, y compris fourniture de combustibles;
- e) approvisionnement en eau;
- f) sapeurs-pompiers;
- g) transports, y compris les ports, aéroports, gares de chemin de fer et de camions en ce qui concerne l'embarquement et le débarquement des passagers, le chargement et le déchargement des animaux, denrées alimentaires périssables et biens essentiels à l'économie nationale.
- (3) Les associations syndicales et les travailleurs sont tenus de prêter, pendant la grève, les services nécessaires à la sécurité et à l'entretien de l'équipement et des installations.
- (4) Les services minima prévus à l'alinéa 1 doivent être définis par accord collectif ou accord avec les représentants des travailleurs.
- (5) S'il n'y a pas d'accord avant le dépôt du préavis de grève quant à la définition des services minima prévus à l'alinéa 1, le ministère de l'Emploi et de la Sécurité sociale convoque les représentants des travailleurs auxquels il est fait référence à l'alinéa 3 et le représentant des employeurs en vue de négocier un accord sur le service minimum et les moyens d'y parvenir.
- (6) S'il n'y a pas d'accord le cinquième jour suivant le dépôt du préavis de grève, la définition des services et les moyens d'y parvenir auxquels il est fait référence à l'alinéa précédent seront établis par un arrêté conjoint et motivé du ministre de l'Emploi et de la Sécurité sociale et du ministre responsable du secteur d'activité en cause, en tenant compte des principes de nécessité, d'adéquation et de proportionnalité du service.
- (7) L'arrêté prévu à l'alinéa précédent entre en vigueur immédiatement après sa notification aux représentants mentionnés à l'alinéa 5, et il doit être affiché dans les installations de l'entreprise ou de l'établissement aux panneaux usuels d'affichage réservés à l'information des travailleurs.
- (8) Les représentants des travailleurs auxquels se réfère l'alinéa 3 doivent désigner les travailleurs, qui seront astreints à effectuer les services mentionnés aux alinéas 1 et 3, quarante-huit heures avant le début de la grève; s'ils ne le font pas, l'employeur devra procéder à cette désignation.
- (9) En cas d'inobservation des dispositions du présent article, le gouvernement pourra décider la réquisition ou la mobilisation, aux termes de la loi applicable.
- 289. L'UGT explique que le Procureur général de la République, dans une note de 1982, avait indiqué que "la fixation des services minima ne vise pas à assurer la continuité normale des services mais vise seulement à assurer une continuité minimale pour satisfaire les besoins sociaux vitaux ainsi que la maintenance de l'entreprise".
- 290. L'UGT précise que la Cour constitutionnelle, saisie d'un recours préventif concernant la constitutionnalité de l'article 8, alinéa 6, de la loi sur la grève modifiée en 1992, n'a admis l'existence de restrictions légales au droit de grève que dans les limites formelles et matérielles imposées par la Constitution. La Cour constitutionnelle a conclu à la constitutionnalité de cette disposition, compte tenu de l'importance des intérêts généraux comme fondement de cette restriction et du fait que l'intervention administrative constitue la dernière étape du processus et n'intervient qu'en cas de défaut d'accord entre les parties au conflit.
- 291. L'UGT, pour sa part, énumère les critères limitatifs qui, selon elle, doivent être respectés dans la détermination des services minima à maintenir en cas de grève, dont le fait qu'il faut "maintenir intacte la dynamique des forces en présence". Or, d'après l'UGT, "presque à chaque fois qu'il est appelé à intervenir dans la fixation des services minima, le gouvernement ignore systématiquement les normes constitutionnelles et ordinaires relatives à la grève" dans les entreprises où il détient la majorité du capital. L'UGT présente des exemples survenus en 1993 et 1994 qui, selon elle, étayent ses affirmations.
- 292. En 1993, le premier exemple concerne la compagnie portugaise de radio Marconi SA, où le volume de services minima à maintenir visait à assurer le travail normal dans l'entreprise. Il en a été de même, à deux autres reprises, à la compagnie de transport Transtejo Transportes Tejo SA et à la compagnie de transports aériens portugais, la TAP SA, où, dans le premier cas, le service minimum imposé par les deux ministères a été de 75 pour cent des services habituels dans les périodes dites "chaudes" à Transport Transtejo et, dans le second cas, il a affecté toutes les opérations de vol entre le continent et les régions autonomes et entre elles.
- 293. En 1994, les exemples concernent à nouveau la compagnie de transport Transtejo Transportes Tejo SA ainsi qu'à deux reprises l'entreprise Carris de Ferro de Lisbonne. Selon l'UGT, dans le cas de l'entreprise Carris de Ferro de Lisbonne, le service minimum exigé comprenait les opérations normales et régulières de pratiquement toutes les lignes de transports urbains.
- 294. L'UGT ajoute que des limitations inacceptables du droit de négocier collectivement ont été imposées aux travailleurs puisque les employeurs de ces secteurs savaient que, lors des conflits, le gouvernement interviendrait en cas de grève pour fixer un service minimum qui irait au-delà de ce qui est autorisé par la loi. En outre, l'UGT explique que le refus d'obtempérer à l'ordre de fournir un service minimum entraîne la rupture pour juste motif du contrat de travail.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 295. Dans sa réponse du 23 février 1995, le gouvernement fait observer que les conventions de l'OIT ne contiennent aucune disposition qui traite expressément du droit de grève. Il indique cependant qu'on peut admettre, à l'instar des organes de contrôle de l'OIT, le principe selon lequel le droit de grève est l'un des éléments essentiels du droit syndical. Il considère toutefois que les développements jurisprudentiels de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur la question du droit de grève n'ont pas la valeur juridique contraignante qu'ils auraient s'il s'agissait de principes inscrits dans les instruments internationaux de l'OIT, ce d'autant plus qu'ils n'ont pas été élaborés avec la participation tripartite des gouvernements, des employeurs et des travailleurs.
- 296. En tout état de cause, s'agissant de la question de la prestation d'un service minimum dans le droit portugais, le gouvernement confirme que l'exercice du droit de grève est garanti par la Constitution et la législation mais qu'il peut - lorsqu'il est le fait des travailleurs d'entreprises ou d'établissements qui produisent des biens ou des services répondant à des besoins sociaux vitaux - empêcher la satisfaction de ces besoins. C'est pourquoi la loi oblige les travailleurs en grève et leurs syndicats à assurer, pendant la grève, le service minimum indispensable à la satisfaction de ces besoins. Le gouvernement ajoute que cette obligation a été établie dès 1977 par la loi no 65/77 dans sa première version. Toutefois, le texte initial de la loi ne prévoyait pas expressément à qui il revenait de décider si un service minimum devait être assuré par les travailleurs et les syndicats et quelle devait en être l'ampleur, et il ne prévoyait pas non plus de procédure pour cette prise de décisions. A l'époque, l'opinion selon laquelle la décision concernant la prestation d'un service minimum et la détermination des ressources humaines nécessaires à cet effet était une prérogative des travailleurs en grève ou de leurs syndicats était répandue dans les milieux sociaux. Le gouvernement souligne que, dans les cas objets de la plainte, chacune des grèves mentionnées par l'UGT a été précédée d'une réunion entre l'entreprise et les syndicats visant à définir d'un commun accord le service minimum à assurer pendant la grève. Dans toutes ces négociations, les syndicats ont refusé de négocier le service minimum, dans une attitude inspirée par la position selon laquelle la définition du service minimum est de la compétence des syndicats.
- 297. Le gouvernement poursuit en expliquant que, pendant près de quinze ans, il y a eu divers cas de grève dans des entreprises pourvoyant à des besoins sociaux vitaux durant lesquels les travailleurs et les syndicats n'ont pas assuré le service minimum indispensable à la satisfaction de ces besoins. C'est cette expérience qui a incité l'Assemblée de la République à réviser la loi de 1977 en 1992. Dans sa version révisée, la loi maintient le principe selon lequel le droit de grève doit être exercé de manière à permettre la satisfaction des besoins sociaux vitaux et que les travailleurs et les syndicats doivent à cette fin assurer le service minimum indispensable pendant la grève. Les effets de la modification de la loi sont les suivants:
- 1) le préavis de grève à observer dans les entreprises et les établissements pourvoyant à des besoins sociaux vitaux est porté de cinq à dix jours;
- 2) des procédures de décision concernant la prestation d'un service minimum en vue d'assurer la satisfaction des besoins vitaux et les ressources humaines nécessaires à cet effet sont instituées.
- 298. Le gouvernement souligne que la loi prévoit que le service minimum doit être, en premier ressort, défini par accord entre les parties. Cet accord peut être inscrit dans une convention collective ou être l'aboutissement de négociations entre l'employeur et les représentants des travailleurs concernant une grève déterminée. Désormais, chaque fois qu'un préavis de grève est donné dans une entreprise pourvoyant à des besoins vitaux et qu'aucun accord n'intervient au sujet de la prestation d'un service minimum, le ministère de l'Emploi et de la Sécurité sociale doit susciter, avant le déclenchement de la grève, une réunion entre l'employeur et les représentants des travailleurs afin qu'ils négocient l'étendue du service minimum à assurer et des ressources humaines nécessaires à cet effet.
- 299. Le gouvernement admet qu'il peut arriver que les parties ne parviennent pas à se mettre d'accord. Le gouvernement explique que le service minimum à assurer peut alors être déterminé par un recours à l'arbitrage. Ce recours à l'arbitrage est possible dans deux cas:
- 1) Lors de la négociation d'une convention collective dans laquelle il est envisagé de réglementer la prestation du service minimum. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d'accord, elles peuvent décider de recourir à l'arbitrage, sur les conditions de travail et la prestation du service minimum (le décret-loi no 519-CC1/79 du 29 décembre 1979, qui réglemente la négociation des conventions collectives, prévoit expressément ce système d'arbitrage (art. 34)).
- 2) Lorsque l'entreprise et les syndicats négocient le service minimum à assurer pendant une grève déterminée, hors du cadre de la négociation d'une convention collective.
- Le gouvernement explique que l'arbitrage, dans un cas comme dans l'autre, peut permettre la définition par un organe indépendant du service minimum lorsqu'il n'y a pas eu accord.
- 300. Le gouvernement ajoute que la loi prévoit encore un autre processus de recours à l'arbitrage pour régler les conflits relatifs à la négociation de conventions collectives, auquel les parties peuvent avoir recours si elles souhaitent réglementer la prestation d'un service minimum au moyen d'une convention collective. En effet, au sein du Conseil économique et social, une institution tripartite comprenant les confédérations syndicales et patronales, est prévu l'établissement d'une liste de personnalités choisies par accord entre les organisations centrales d'employeurs et de travailleurs, qui peuvent assurer l'arbitrage des conflits relatifs à la négociation de conventions collectives. Le gouvernement explique que les confédérations syndicales et patronales n'ont cependant pas encore choisi les personnalités qui assumeront la fonction d'arbitres, et que le système ne peut donc pas fonctionner pour le moment.
- 301. Le gouvernement, par le truchement du ministre de l'Emploi et de la Sécurité sociale et du ministre responsable du secteur d'activité visé par la grève, ne peut intervenir et décider du service minimum à assurer et des ressources humaines nécessaires à cet effet qu'après la tenue d'une réunion de négociation entre les parties, si cette réunion n'a pas abouti à un accord. La décision doit être motivée et respecter les principes de la nécessité, de l'adéquation et de la proportionnalité du service imposé. L'allongement du délai de préavis de cinq à dix jours renforce un des effets du préavis, à savoir encourager les parties à éviter le conflit. Le délai de dix jours permet aussi la prise d'une décision pondérée, s'agissant de la négociation du service minimum à assurer, et laisse au gouvernement, le cas échéant, le temps de prendre une décision.
- 302. Le gouvernement souligne qu'à la demande du Président de la République la Cour constitutionnelle a examiné la constitutionnalité des amendements à la loi avant même leur adoption définitive. Cet examen a influé sur l'allongement de cinq à dix jours du préavis à observer et sur la responsabilité dévolue au gouvernement, en dernier ressort, de décider du service minimum à assurer. En effet, des doutes au sujet de la constitutionnalité de la loi avaient été suscités par la protection dont le droit de grève jouit dans la Constitution du Portugal, dont l'article 57 dispose ce qui suit:
- 1. "Le droit de grève est garanti.
- 2. Il appartient aux travailleurs de définir le champ des intérêts à défendre au moyen de la grève, sans que la loi puisse limiter ce champ."
- 303. La Cour constitutionnelle a conclu, à l'unanimité, que les amendements étaient conformes à la Constitution. Dans les considérants sur lesquels elle a fondé sa décision, la Cour constitutionnelle a indiqué:
- 1) L'obligation faite aux travailleurs en grève d'assurer la prestation d'un service minimum est conforme à la Constitution. A l'appui de cette position, la Cour a reconnu que le droit de grève a "des limites constitutionnelles non écrites afin de sauvegarder d'autres intérêts ou biens constitutionnellement garantis (par exemple, l'exigence de la garantie d'un service minimum dans les hôpitaux, les services de sécurité, etc.)".
- 2) Si, en l'absence d'accord, le gouvernement est amené, en dernier ressort, à intervenir pour assurer la prestation d'un service minimum, il lui revient d'évaluer les circonstances dans chaque cas, de peser les intérêts en présence, en procédant à un jugement concret d'opportunité.
- Le gouvernement explique que la Cour a estimé que la difficulté de prévoir dans la loi toutes les circonstances pouvant justifier une restriction du droit de grève impose au gouvernement d'adopter une décision motivée et d'observer les critères de nécessité, d'adéquation et de proportionnalité, afin qu'un contrôle judiciaire puisse être exercé.
- 304. L'UGT, en évoquant la possibilité pour le gouvernement de déterminer le service minimum à assurer en cas de grève lorsque la satisfaction de besoins sociaux vitaux est en jeu, énumère des critères limitatifs qui, à son avis, doivent être respectés, et notamment le fait qu'il faut "maintenir intacte la dynamique des forces en présence". D'après le gouvernement, cette expression n'est pas très claire et elle n'a aucun fondement juridique. Selon lui, si l'UGT a voulu dire que le gouvernement, en l'absence d'accord et "en dernier ressort", lorsqu'il détermine le service minimum à assurer par les travailleurs en grève en vue d'assurer la satisfaction de besoins sociaux vitaux, doit garantir que la grève maintiendra intacte l'efficacité de la pression exercée sur l'autre partie; il s'agit d'une revendication impossible. Le gouvernement fait remarquer que, dès lors que la détermination du service minimum et des ressources humaines nécessaires est le résultat d'un accord, d'un arbitrage ou, "en dernier ressort", de l'intervention du gouvernement, du moment que les travailleurs en grève doivent assurer un service minimum pour satisfaire des besoins sociaux vitaux, une partie, peut-être infime, de la force de persuasion de la grève disparaît inévitablement.
- 305. Contrairement à ce que l'UGT affirme, pour le gouvernement il n'est pas vrai de dire que, "presque chaque fois qu'il est appelé à intervenir dans la fixation du service minimum, il ignore systématiquement les normes constitutionnelles et ordinaires relatives à la grève". Si cette affirmation correspondait à la réalité, ce serait très grave; pour qu'elle soit crédible, l'UGT devrait l'étayer par des faits. Or elle se contente de présenter des cas dans lesquels, à son avis, il y aurait eu abus de pouvoir de la part du gouvernement dans la définition du service minimum.
- 306. Le gouvernement fournit une réponse extrêmement détaillée sur chacun de ces cas, réfutant la plupart des allégations. Il indique en particulier, en ce qui concerne la grève du 8 au 14 mars 1993 à la compagnie portugaise de radio Marconi SA, qu'il s'agit d'une entreprise de télécommunications concessionnaire d'un service public de télécommunications dont l'interruption pourrait mettre en danger la vie des personnes et la sécurité de l'Etat. Après le dépôt du préavis de grève, le ministère de l'Emploi et de la Sécurité sociale a organisé une réunion entre la direction de l'entreprise et les syndicats pour qu'ils essaient de se mettre d'accord sur la définition du service minimum. Au cours de cette réunion, tenue le 2 mars, l'entreprise a présenté une proposition de services minima que les syndicats ont rejetée. Ceux-ci ont proposé une définition insuffisante, à savoir que "pendant la grève un service devra être assuré de manière à identifier les communications relatives: à la sauvegarde de vies humaines, aux télégrammes entre services de l'Etat (ETAT) concernant la sécurité de l'Etat, du territoire national, etc.". L'entreprise a rejeté cette proposition, le gouvernement a dû "en dernier ressort" déterminer le service minimum à assurer en vue de satisfaire les besoins de base de la population.
- 307. L'un des syndicats qui a déclaré la grève et participé aux négociations préalables "Sindetelco" a porté devant le Tribunal administratif suprême un recours en annulation de l'arrêté du gouvernement. Contrairement à ce qu'affirme l'UGT, d'après le gouvernement, la détermination du service minimum à assurer n'a pas fait obstacle à la grève dans l'entreprise. En effet, sur les 1 366 travailleurs que celle-ci employait à l'époque, 197 ont été désignés en fonction, naturellement, des exigences techniques du travail et des qualifications requises pour assurer le service minimum pendant les sept jours de grève. Sur ces 197 travailleurs, il n'y avait que 83 grévistes. Les autres ont travaillé normalement, conformément à leur contrat de travail, et l'arrêté du gouvernement ne leur a pas été appliqué. Autrement dit, 6,1 pour cent seulement de l'effectif total de l'entreprise, soit 83 travailleurs sur 1 366, n'ont pas pu faire grève comme ils le souhaitaient parce qu'ils ont dû assurer le service minimum indispensable. En réalité, les 197 travailleurs affectés au service minimum ne représentent que 14,4 pour cent de l'effectif total de l'entreprise.
- 308. En tout état de cause, le gouvernement explique que la procédure judiciaire de recours en annulation de l'arrêté gouvernemental devant le Tribunal administratif suprême suit son cours.
- 309. Le deuxième cas présenté par l'UGT est celui de la grève du 17 juin 1993 à la Transtejo Transportes Tejo SA, une entreprise de transport fluvial de passagers qui assure la liaison entre Lisbonne et six localités de la rive sud du Tage: Barreiro, Cacilhas, Montijo, Porto Brandao, Seixal et Trafaria. La réunion organisée par le ministère de l'Emploi et de la Sécurité sociale a eu lieu le 9 juin (huit jours avant la grève). Toutes les associations syndicales qui ont appelé à la grève y ont assisté, à l'exception d'une fédération affiliée à l'UGT qui avait également été convoquée. L'entreprise a présenté une proposition que les syndicats ont rejetée, jugeant pour des raisons de principe et vu la brièveté des périodes de grève qu'il n'était pas nécessaire de définir un service minimum. Face à cette situation, le gouvernement a estimé qu'il fallait assurer un service minimum, compte tenu des dizaines de milliers de passagers qui utilisent journellement la Transtejo, particulièrement aux heures de pointe, pour se rendre sur leur lieu de travail. Il a toutefois été tenu compte du fait qu'il existe d'autres moyens de transport entre Lisbonne et quatre des localités concernées, à savoir Montijo, Porto Brandao, Seixal et Trafaria. C'est pourquoi le service minimum a été limité aux liaisons avec les deux autres localités, Barreiro et Cacilhas, et déterminé compte tenu de la sécurité du transport fluvial et de l'accès aux bateaux. En effet, si l'offre avait été très réduite, l'affluence excessive, très difficile à contrôler, risquait de mettre en danger la sécurité des passagers, ce qu'il fallait éviter à tout prix. C'est pourquoi il a été décidé que le service minimum devait représenter 75 pour cent de l'offre normale de transports avec ces localités pendant les périodes de grève. Conformément à la décision du gouvernement, l'entreprise a assuré, le matin, l'après-midi et le soir, sept trajets sur dix, soit 70 pour cent de l'offre normale. En vertu de la loi et de l'arrêté, il incombait en premier lieu aux syndicats de désigner les travailleurs affectés au service minimum indispensable et, à défaut, à l'entreprise. Ceux-ci s'y étant refusés, l'entreprise s'en est chargée. Sur les 431 travailleurs de l'entreprise, 254 étaient grévistes, soit 58,9 pour cent. Six seulement des travailleurs affectés au service minimum étaient grévistes (soit 1,4 pour cent de l'effectif total).
- 310. L'UGT semble critiquer le fait que certains membres des services de l'administration et de la billetterie aient été appelés à travailler. Le gouvernement n'a pas d'éléments lui permettant de confirmer si, parmi ces derniers, se trouvaient certains des six partisans de la grève désignés pour assurer le service minimum. Toutefois, le gouvernement souligne que, même lorsqu'il se limite au minimum nécessaire pour assurer les services de base à la collectivité, le service de transport des passagers nécessite un minimum d'organisation et que, par ailleurs, il doit être payant, comme dans les conditions normales d'activité. Le service de billetterie doit alors fonctionner pour vérifier que les passagers sont munis de titres valides et faire payer ceux qui n'ont pas de titre de transport.
- 311. Le gouvernement précise que les syndicats n'ont d'ailleurs pas fait appel devant les tribunaux pour annuler l'arrêté définissant le service minimum à assurer pendant la grève.
- 312. Le troisième cas présenté par l'UGT est celui de la grève qui a été observée à TAP-Air Portugal SA, du 15 au 17 avril 1993, dans tous les services de transport aérien de l'entreprise. Au cours de la réunion du 8 avril (sept jours avant la grève) organisée par le ministère, l'entreprise a présenté une proposition que les syndicats ont rejetée. Ces derniers n'ont présenté aucune contre-proposition. Face à cette situation et en dernier ressort, le gouvernement a estimé que le service minimum indispensable pendant la grève devait permettre d'assurer normalement et régulièrement la totalité des opérations de vol pour le transport aérien entre le continent et les régions autonomes des Açores et de Madère, ainsi qu'entre ces archipels. Le gouvernement a jugé qu'il fallait affecter à ce service minimum un personnel suffisant compte tenu de l'organisation technique de l'entreprise, des conditions de sécurité à garantir et du respect des dispositions applicables au travail effectué dans des conditions normales. Certains syndicats ont introduit un recours en annulation contre l'arrêté gouvernemental devant le Tribunal administratif suprême.
- 313. L'UGT critique: 1) qu'un service minimum ait été déterminé pour la totalité des vols entre le continent et les régions autonomes des Açores et de Madère, ainsi qu'entre ces archipels; 2) que le personnel affecté à ces services minima ait été déterminé en fonction des dispositions applicables au travail effectué dans des conditions normales.
- 314. Le gouvernement a répondu dans le détail au premier point à l'occasion du recours contentieux en annulation, en démontrant que: 1) le transport aérien régulier de passagers, de marchandises et de courrier entre le continent et les régions autonomes des Açores et de Madère est un service public; 2) TAP a le monopole des liaisons aériennes entre le continent et les régions autonomes des Açores et de Madère, exception faite des opérations effectuées par une entreprise régionale dans les Açores; 3) la Constitution de la République portugaise fait obligation aux organes souverains d'assurer "le développement économique et social des régions autonomes, en s'attachant spécialement à corriger les inégalités résultant de l'insularité" (paragr. 1, art. 231); 4) la loi accorde aux résidents, aux étudiants et aux équipes sportives des tarifs spéciaux de transport aérien entre le continent et les régions autonomes; 5) en compensation, le budget de l'Etat indemnise TAP de charges qu'elle assume au titre de ses "obligations de service public"; 6) le statut politico-administratif de la région autonome de Madère, approuvé par la loi no 13/91 du 5 juin, dispose "que le transport aérien des passagers entre le continent et Madère est un service minimum indispensable qui doit obligatoirement être assuré en cas de grève" (paragr. 4, art. 65); 7) lorsqu'il a déterminé le service minimum à assurer, il a aussi tenu compte du fait que la grève se déroulait pendant la semaine suivant Pâques, période d'intense trafic aérien; 8) la grève a touché l'ensemble des vols de TAP, alors qu'un service minimum n'a été déterminé que pour les liaisons entre le continent et les régions autonomes des Açores et de Madère, ainsi qu'entre ces archipels. La grève a été observée pendant toute la journée du 16 avril, plus trois heures le jour précédent et trois heures le jour suivant. Sur les 122 vols prévus le 16 avril, la décision du gouvernement n'a concerné que 16 vols en direction ou en provenance de Madère et des Açores (équivalant à huit aller-retour). Cinq cent deux travailleurs ont été désignés. Sur un effectif total de 9 749, 3 352 ont fait la grève, de sorte que 15 pour cent des grévistes et 5,2 pour cent de l'effectif de l'entreprise ont été affectés par la décision d'assurer un service minimum. Dans ce cas également, le gouvernement indique que la procédure en annulation de l'arrêté gouvernemental devant le Tribunal administratif suprême suit son cours.
- 315. Le quatrième cas présenté par l'UGT est celui de la grève déclenchée le 24 mars 1994 par les syndicats dans l'entreprise Transtejo Transportes Tejo SA. "En dernier ressort", le gouvernement a estimé qu'il fallait assurer un service minimum de transport compte tenu des dizaines de milliers de passagers qui utilisent journellement les services de l'entreprise Transtejo, particulièrement aux heures de pointe. Un service minimum n'a été assuré que pour les liaisons entre Barreiro et Cacilhas, d'une part, et Lisbonne, d'autre part, à 75 pour cent de l'offre normale pour assurer la sécurité du transport fluvial et l'accès aux bateaux. Seulement 14 grévistes (3,3 pour cent de l'effectif total) ont été empêchés de faire la grève comme ils l'auraient souhaité, pour assurer le service minimum indispensable. Les syndicats n'ont pas engagé de recours en annulation de l'arrêté conjoint définissant le service minimum à assurer pendant la grève.
- 316. Le cinquième cas présenté par l'UGT est celui de la grève observée dans l'entreprise Carris de Ferro de Lisbonne SA, le 24 mars 1994, entre 14 et 18 heures. Cette entreprise est concessionnaire d'un service public de transport de passagers. Trois cent quarante-sept travailleurs soit 11,7 pour cent des 2 910 appelés à la grève, ont été désignés. Pendant la grève, 162 des 715 véhicules qui circulent normalement ont été utilisés, soit 22,7 pour cent. La grève a été suivie par 940 travailleurs, soit 32,3 pour cent des travailleurs appelés à la faire. Selon le gouvernement, le nombre de grévistes qui n'ont pas pu faire la grève comme ils l'auraient souhaité parce qu'ils ont dû assurer le service minimum a certainement été inférieur à 347. Les syndicats n'ont pas engagé de recours contentieux en annulation de l'arrêté déterminant le service minimum à assurer.
- 317. Enfin, le sixième cas présenté par l'UGT est celui de la grève suivie dans l'entreprise Carris de Ferro de Lisbonne SA, les 13 et 14 avril 1994. Le gouvernement donne des chiffres d'où il appert que 22 pour cent du personnel a fait grève, et il indique que les syndicats n'ont pas engagé de recours en annulation de l'arrêté conjoint définissant le service minimum à assurer pendant la grève.
- 318. Pour conclure, d'après le gouvernement, il ressort des explications ci-dessus que l'UGT ne justifie pas son allégation selon laquelle l'Etat portugais aurait violé les conventions nos 87 et 98 en organisant un service minimum lorsque des grèves ont été déclenchées dans des entreprises fournissant des services essentiels à la collectivité. Dans tous les cas soumis par l'UGT, la décision du gouvernement d'assurer un service minimum a été prise en "dernier ressort" et toujours dans le respect des autres dispositions de la législation nationale.
- 319. Le gouvernement affirme qu'il a agi dans le respect des règles recommandées par la commission d'experts et le Comité de la liberté syndicale en ce qui concerne la possibilité d'établir un régime de service minimum dans les services d'utilité publique de transports ou de télécommunications, afin d'éviter que des dommages irréversibles soient causés à un nombre élevé de personnes, celles-ci étant, en tant que tiers, étrangères aux conflits à l'origine des grèves. (Etude d'ensemble sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1994, paragr. 160.) Ce service a été réduit au minimum de manière à assurer la fourniture des services de base à la population, tout en garantissant la sécurité physique des travailleurs et des usagers. L'organisation de ce service aurait pu être déterminée par accord ou arbitrage. Or le recours à l'arbitrage, propre à assurer que la décision est prise par un organe indépendant, est tributaire de la volonté des parties. Les services du ministère de l'Emploi et de la Sécurité sociale ont toujours cherché à obtenir avant le déclenchement de la grève un accord négocié entre l'employeur et les représentants des travailleurs. Comparé à l'effectif total des entreprises, le nombre de travailleurs affectés au service minimum, et qui donc n'ont pu exercer leur droit de grève comme ils l'auraient souhaité, a toujours été limité. De plus, il n'y a pas eu atteinte à la convention no 98. Le gouvernement a déterminé le service minimum à assurer pendant les grèves en toute légalité, sans limiter le droit de négociation collective et d'organisation des travailleurs.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 320. Le comité observe que ce cas porte sur la question de la détermination des services minima à accomplir en cas de grève dans les services publics, et en particulier dans les secteurs des transports terrestres, aériens et fluviaux, et des télécommunications.
- 321. Selon l'organisation plaignante, la loi nouvelle no 30 du 20 octobre 1992 et les arrêtés d'application pris par le gouvernement en 1993 et 1994 portent atteinte aux garanties prévues par les conventions nos 87 et 98 en ce sens que, dans les cas où les parties ne parviennent pas à un accord sur la définition des services minima à maintenir en cas de grève, la loi autorise le gouvernement à définir ces services par arrêté. Selon l'organisation plaignante, le gouvernement est intervenu à six reprises pour imposer des services minima dans des services non essentiels au-delà de ce qui est strictement nécessaire à la satisfaction des besoins sociaux impératifs.
- 322. En revanche, pour le gouvernement, la loi nouvelle est conforme aux principes définis par les organes de contrôle du BIT. La loi prévoit en effet que les services minima peuvent être définis par convention collective ou par accord ad hoc entre l'employeur et les organisations de travailleurs, et que ce n'est qu'en dernier ressort, en cas de désaccord, que par arrêté motivé deux ministres peuvent décider de la définition des services minima à maintenir pour satisfaire les besoins sociaux impératifs.
- 323. S'agissant de la mise en application dans la pratique de la loi nouvelle, le comité note que les organisations plaignantes considèrent que les services minima qui ont été imposés en 1993 et 1994 dans les secteurs des télécommunications et des transports étaient trop élevés. Le gouvernement reconnaît que des recours ont été introduits devant les instances judiciaires dans certains cas mais pas dans d'autres. Les secteurs en litige concernent seulement les grèves de mars 1993 dans le secteur des télécommunications et d'avril 1993 à la TAP.
- 324. Le comité estime qu'un service minimun pourrait être approprié comme solution de rechange possible dans les situations où une limitation importante ou une interdiction totale de la grève n'apparaît pas justifiée et où, sans remettre en cause le droit de grève de la plus grande partie des travailleurs, il pourrait être envisagé d'assurer la satisfaction des besoins de base des usagers ou encore la sécurité ou le fonctionnement continu des installations.
- 325. Le comité est également d'avis que, dans la détermination de ces services minima, il importe que participent non seulement les organisations d'employeurs et les pouvoirs publics, mais aussi les organisations de travailleurs concernées. En effet, outre que cela permettrait un échange de vues réfléchi sur ce que doivent être concrètement les services minima strictement nécessaires, cela contribuerait aussi à garantir que les services minima ne soient pas étendus au point de rendre la grève inopérante à force d'insignifiance, et à éviter de donner aux organisations syndicales l'impression que l'échec de la grève tient à ce que le service minimum a été prévu trop large et fixé unilatéralement. (Voir 244e rapport, cas no 1342 (Espagne), paragr. 154; et 248e rapport, cas no 1374 (Espagne), paragr. 270.) En outre, le comité a estimé qu'en cas de divergence entre les parties sur l'étendue des services minima à assurer la législation devrait prévoir que cette divergence soit résolue par un organe indépendant et non par le ministère du Travail ou le ministère ou l'entreprise publique concernés. (Voir 291e rapport, cas nos 1648 et 1650 (Pérou), paragr. 467; et 292e rapport, cas no 1679 (Argentine), paragr. 93.)
- 326. Dans le cas d'espèce, le comité note qu'aux termes de la législation portugaise le service minimum peut être déterminé soit par un accord entre l'entreprise et les syndicats, soit par un recours à l'arbitrage prévu de façon permanente dans une convention collective ou décidé de façon ad hoc pour une grève déterminée lorsqu'il n'y a pas d'accord. Le comité note aussi que la loi prévoit l'établissement, au sein du Conseil économique et social, d'une liste de personnalités choisies par accord entre les confédérations syndicales et patronales pour assurer l'arbitrage des conflits relatifs à la négociation collective, mais que les organisations concernées n'ont pas encore choisi les personnalités qui assureront les fonctions d'arbitres. Ce n'est qu'en dernier ressort, en l'absence d'accord, que les ministres concernés interviennent. Dans les cas soulevés par les plaignants, il semble que les interventions ministérielles aient conduit à l'imposition de réquisitions d'un nombre excessif de travailleurs. Le comité suggère en conséquence aux parties de procéder à la désignation des arbitres prévus au sein du Conseil économique et social pour permettre, en cas de désaccord sur l'étendue du service minimum, que la question soit tranchée avant le déclenchement d'une grève par un organe indépendant. L'intervention des ministres concernés dans la définition des services minima deviendrait donc ainsi sans objet et pourrait être abrogée.
- 327. Par ailleurs, observant qu'aux termes de la décision de la Cour constitutionnelle des critères ont été énumérés pour définir les services minima à maintenir en cas de grève, à savoir les critères de nécessité, d'adéquation et de proportionnalité, le comité n'a pas de raison de douter que les organes judiciaires indépendants, en l'occurrence le Tribunal administratif suprême, n'exerceront pas en pleine équité le contrôle qui leur incombe. Le comité invite le gouvernement à le tenir informé de l'issue des décisions judiciaires concernant les recours introduits par les syndicats.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 328. Vu les conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité, rappelant l'importance qu'il attache à ce que les organisations de travailleurs puissent participer à la définition des services minima à maintenir en cas de grève dans les services qui ne sont pas nécessairement essentiels au sens strict du terme, tout comme les employeurs et les autorités publiques, suggère aux organisations syndicales et patronales de procéder à la désignation des arbitres pour permettre, en cas de désaccord sur l'étendue du service minimum, que la question soit tranchée avant le déclenchement d'une grève par un organe indépendant.
- b) Le comité invite également le gouvernement à le tenir informé de l'issue des recours judiciaires introduits par les syndicats dans cette affaire.