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Definitive Report - REPORT_NO299, June 1995

CASE_NUMBER 1768 (Iceland) - COMPLAINT_DATE: 29-MRZ-94 - Closed

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  1. 71. Dans une communication datée du 29 mars 1994, la Fédération islandaise du travail (dont l'acronyme islandais est ASI) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement de l'Islande.
  2. 72. Le gouvernement a fourni ses observations sur le cas dans une communication du 20 février 1995.
  3. 73. L'Islande a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 74. Dans sa plainte du 29 mars 1994, l'ASI allègue que l'adoption par l'Althing (Parlement islandais) de la loi no 15 du 23 mars 1993, interdisant une grève et un lock-out à bord du ferry Herjólfur et en vertu de laquelle un tribunal spécial d'arbitrage a été désigné pour fixer au 1er août 1993 les salaires et conditions de travail des membres de l'équipage de ce navire, constitue une violation des conventions nos 87 et 98. Le jugement rendu par le tribunal d'arbitrage le 9 août 1993 a entraîné une détérioration des salaires et des conditions de travail des membres d'un syndicat qui n'était pas partie au différend et les a privés de leur droit de négociation collective, de façon à satisfaire les revendications des membres d'autres syndicats qui étaient parties au différend sur les salaires et les conditions de travail avec la direction de la société Herjólfur Ltd.
  2. 75. Plus concrètement, l'ASI explique que le Herjólfur est un ferry qui assure la liaison entre les îles Westman (Vestmannaeyjar, au large de la côte sud de l'Islande) et le territoire principal du pays. L'équipage du navire se compose normalement de 16 personnes environ qui sont membres de cinq syndicats: les officiers de navigation sont affiliés à l'Association islandaise des officiers de marine, les mécaniciens à l'Association des mécaniciens de marine islandais, les capitaines au Syndicat islandais des capitaines de la marine marchande, les garçons de pont ou de cabine au Syndicat islandais des garçons de pont ou de cabine et les serveuses, les matelots brevetés et les maîtres d'équipage (matelots) au Syndicat de marins "Jötunn". La direction de la Herjólfur Ltd. a conclu des conventions séparées en matière de salaires et de conditions de travail avec chacun de ces syndicats, conventions qui sont totalement indépendantes les unes des autres.
  3. 76. Le 3 février 1993, l'Association islandaise des officiers de marine a appelé à la grève les officiers travaillant à bord du Herjólfur. Les officiers réclamaient notamment une augmentation de leurs salaires par rapport à ceux des maîtres d'équipage. Peu de temps après que l'Association islandaise des officiers de marine eut entamé la grève, le Syndicat de marins "Jötunn" a été invité à prendre part à des négociations sur des changements dans les conditions de travail à bord du navire. Le Syndicat de marins "Jötunn" a signalé qu'il avait déjà signé une convention sur les salaires et les conditions de travail qui venait à échéance le 1er mars 1993, et s'y est référé lorsqu'il a été invité à prendre part à ces négociations.
  4. 77. Le 23 février, les matelots du Herjólfur, c'est-à-dire les maîtres d'équipage et les matelots brevetés, ont reçu une lettre de licenciement leur notifiant la cessation de leurs relations de travail à l'issue du délai légal de préavis. Le syndicat des marins a estimé que les licenciements avaient pour but de contraindre les matelots à accepter les exigences des officiers et de la direction de la Herjólfur Ltd. concernant les modifications des conditions de travail; les matelots ont considéré que les propositions qui avaient été présentées constituaient une violation flagrante de leurs droits. La Fédération des marins islandais et le Syndicat des marins de Reykjavík ont manifesté leur vive opposition au licenciement des matelots. Le comité de négociation de la Fédération des marins islandais, qui était mandaté pour négocier au nom du Syndicat de marins "Jötunn", a refusé de traiter avec la direction de la Herjólfur Ltd. au sujet de la conclusion de nouvelles conventions sur les salaires et les conditions de travail avec les matelots tant que les licenciements n'avaient pas été levés.
  5. 78. Le 8 mars 1993, la direction de la Herjólfur Ltd. a levé les licenciements à la condition que les représentants des matelots participent à une réunion. Une réunion s'est tenue le 9 mars 1993, au cours de laquelle les représentants des matelots ont avancé une offre contenant une convention inchangée en matière de salaires et de conditions de travail, assortie néanmoins d'un amendement en vertu duquel les salaires seraient majorés des montants correspondant à ceux qui seraient convenus lors de négociations sur les salaires et les conditions de travail entre l'ASI et la Confédération des employeurs islandais (VSI) en ce qui concerne les travailleurs autres que les marins. La proposition présentée par les matelots le 9 mars comportait également une déclaration sur l'éventualité d'élaborer une convention globale sur les salaires et les conditions de travail pour l'équipage du Herjólfur pendant la période de validité de la convention. Les matelots ont estimé qu'il serait préférable de discuter de changements dans les conditions de travail dans des circonstances autres que la grève des officiers, qui suscitait de vives tensions. En outre, dans le cadre de leurs revendications, les officiers ont mêlé les matelots au différend sur les salaires et les conditions de travail qui les opposait à la direction de la Herjólfur Ltd. Les matelots ont estimé qu'en pareilles circonstances il était impensable d'entamer des négociations sur des changements dans les conditions de travail à bord du navire.
  6. 79. L'offre des matelots, présentée le 9 mars, est restée sans réponse et la loi no 15 de 1993 a été adoptée le 23 mars. (Une traduction de la loi est jointe à la plainte.) La loi a interdit la grève lancée par l'Association islandaise des officiers de marine à bord du Herjólfur, "ainsi que les lock-out, grèves et autres mesures visant à imposer un système de salaires et des conditions de travail autres que ceux prescrits dans la présente loi ...". La loi dispose ensuite que, si les syndicats des travailleurs employés à bord du navire et la direction de la Herjólfur Ltd. n'étaient pas parvenus à un accord sur les salaires et les conditions de travail avant le 1er juin 1993, la Cour suprême désignerait trois personnes qui constitueraient un tribunal d'arbitrage chargé de fixer, le 1er août 1993 au plus tard, les salaires et les conditions de travail des membres de l'équipage du Herjólfur. Vu que les parties au différend n'étaient pas parvenues à un accord au 1er août 1993, le tribunal d'arbitrage a rendu son jugement le 9 août de la même année. Les cinq syndicats ont été appelés à comparaître comme parties au différend devant le tribunal d'arbitrage, et leurs revendications étaient sensiblement les mêmes qu'auparavant. Les officiers, c'est-à-dire les officiers de navigation, les ingénieurs mécaniciens et les capitaines, ont demandé que leurs salaires demeurent toujours supérieurs d'une certaine proportion à ceux de leurs subordonnés. Le Syndicat de marins "Jötunn" a renouvelé l'offre du 9 mars, tout en réaffirmant que des changements dans les conditions de travail devaient donner lieu à des négociations et non pas être soumis à l'attention d'un tribunal d'arbitrage constitué par voie législative.
  7. 80. La conclusion à laquelle est arrivé le tribunal d'arbitrage était néanmoins que les salaires et les conditions de travail des officiers employés à bord du Herjólfur pendant la période allant du 23 mars au 31 décembre 1993 devaient être fondés sur les conventions en vigueur concernant les salaires et les conditions de travail qui avaient été conclues par les quatre syndicats (autres que le Syndicat de marins "Jötunn"). Pendant la même période, les salaires et conditions de travail des matelots, y compris ceux des maîtres d'équipage et des serveuses, devaient être fonction des dernières conventions en vigueur sur les salaires et les conditions de travail des gens de mer de la marine marchande, qui avaient été conclues entre le Syndicat des marins de Reykjavík et les employeurs, et entre le Syndicat de marins "Jötunn" et la partie défenderesse, la Herjólfur Ltd., exception faite de la disposition sur les heures supplémentaires énoncée à l'article 3 de la convention spéciale entre les parties, datée du 15 août 1989 et concernant les matelots brevetés, qui devait être supprimée. Les paiements effectués au titre des heures supplémentaires avaient été introduits en 1981 dans le cadre des conventions conclues entre les parties en vertu desquelles le nombre de matelots brevetés serait inférieur à l'effectif jugé nécessaire, moyennant quoi leurs heures supplémentaires seraient rémunérées. Cet arrangement était observé depuis 1981.
  8. 81. Cependant, le tribunal d'arbitrage, dans son résumé, a évoqué l'article 3 de la loi no 15 de 1993 qui dispose que, lorsqu'il fixera les salaires et les conditions de travail conformément à la loi, le tribunal d'arbitrage devra tenir compte des conventions en vigueur sur les salaires et les conditions de travail dans la marine marchande et de l'évolution générale des salaires dans le pays. Le tribunal a estimé que la rémunération des heures supplémentaires dont les matelots brevetés avaient bénéficié pendant douze ans portait leurs salaires à un niveau supérieur au niveau habituel dans la marine marchande, et devait donc être supprimée. Selon l'ASI, le jugement du tribunal d'arbitrage diminue de 10 pour cent le salaire des matelots et revient par conséquent à amputer de façon substantielle leurs salaires et leurs conditions de travail. L'ASI dénonce la conduite de l'affaire et la façon dont les salaires des membres d'un syndicat ont pu être réduits dans le but de régler un différend entre l'employeur et un autre syndicat. En outre, le tribunal d'arbitrage a déclaré dans son résumé que le différend était en grande partie imputable à un désaccord interne entre les syndicats, particulièrement en ce qui concerne les taux de salaire. De l'avis de l'ASI, il n'appartient pas aux syndicats de fixer d'un commun accord des taux de salaire.
  9. 82. En bref, l'ASI résume de la façon suivante les arguments qui démontrent, selon elle, que le gouvernement a violé les conventions nos 87 et 98. Tout d'abord, la loi du 23 mars 1993 dispose qu'un tribunal d'arbitrage est chargé de fixer les salaires et les conditions de travail des membres de l'équipage du navire, qu'ils aient ou non été parties à un différend sur les salaires et les conditions de travail avec leur employeur, et que toutes les procédures aient été épuisées ou non pour parvenir à un accord par voie de négociation. La convention sur les salaires et les conditions de travail entre le Syndicat de marins "Jötunn" et la direction de la Herjólfur Ltd. ne venait pas à échéance avant le 1er mars 1993. La seule réunion à laquelle aient été conviés les matelots après l'expiration de leur convention a eu lieu le 9 mars 1993. C'est alors que les matelots ont demandé, tout à fait logiquement, que les conventions sur les salaires et les conditions de travail demeurent inchangées, mais que leur soient accordées des augmentations de salaires correspondant à celles dont pourraient convenir d'autres syndicats dans le cadre de l'ASI lors de la négociation en cours de nouvelles conventions. De plus, les matelots ont déclaré qu'ils étaient disposés à engager des négociations sur des changements dans les conditions de travail à bord du navire. Toutefois, leur offre était restée sans réponse et la loi avait été peu après adoptée.
  10. 83. L'ASI ne considère pas qu'ont été épuisées toutes les possibilités de parvenir à un accord négocié avec le Syndicat de marins "Jötunn", du fait que la loi est entrée en vigueur très peu de temps après l'expiration de la convention avec le syndicat. Le seul fait que les officiers de marine ont lancé un mot d'ordre de grève ne peut conduire à priver les membres du Syndicat de marins "Jötunn" (matelots) de leur droit de négocier leurs salaires et les conditions de travail par la négociation collective, même si l'une des revendications des grévistes était la majoration de leurs salaires en rapport avec une augmentation que les matelots avaient reçue antérieurement. Une seule réunion ne peut guère être considérée comme une preuve suffisante de l'épuisement de toutes les possibilités de négociation, vu que les matelots n'ont jamais reçu de contre-proposition à l'issue de cette réunion. L'ASI estime donc qu'il est impossible de dire qu'un différend sur les salaires et les conditions de travail a surgi entre le Syndicat de marins "Jötunn" et la direction de la Herjólfur Ltd., étant donné que les revendications des matelots n'ont jamais reçu de réponse. La législation islandaise du travail pose en principe de base que, lorsqu'une convention sur les salaires et les conditions est en cours de révision, la convention la plus récente qui liait les parties est considérée comme demeurant en vigueur jusqu'à ce qu'un autre instrument soit conclu. En conséquence, une convention aurait pu être négociée pour les membres du Syndicat de marins "Jötunn", même s'il était jugé nécessaire de mettre un terme, par voie de législation, à la grève observée par les officiers et au différend sur les salaires et les conditions de travail qui les opposaient à leur employeur.
  11. 84. L'ASI conclut que le droit d'organisation est sans valeur si le gouvernement est en mesure de priver les membres de syndicats de leurs droits négociés, particulièrement lorsque cela intervient douze ans après la conclusion d'une convention, comme ce fut le cas dans le jugement du tribunal d'arbitrage par lequel était supprimée la rémunération des heures supplémentaires effectuées par les marins. L'ASI juge intolérable qu'il soit possible d'infirmer de la sorte une convention sur les salaires et les conditions de travail qui a été légalement conclue par un syndicat avec ses partenaires de négociation. Pareille intervention nuit à la crédibilité des syndicats et ébranle la confiance que les adhérents ont placée dans les activités de leur organisation.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 85. Dans sa communication du 20 février 1995, le gouvernement indique que l'activité économique du pays est largement tributaire de la pêche et de l'exportation des produits de la pêche, ce qui revêt une importance décisive dans le cas considéré, vu que les îles Westman comptent parmi les principales zones de pêche en Islande. Le gouvernement décrit ensuite les mesures qu'il a prises ces dernières années pour faire face à la montée de l'inflation et pour équilibrer la balance extérieure du pays. Enfin, le gouvernement expose les différends dans lesquels sont engagés depuis longtemps certains membres de l'équipage du Herjólfur et les raisons pour lesquelles l'Althing a approuvé une loi visant à mettre un terme à une grève qu'ils avaient organisée et qui avait duré sept semaines.
  2. 86. En premier lieu, le gouvernement explique le rôle considérable que joue la pêche dans l'économie islandaise. Les produits de la pêche constituent les trois quarts des exportations du pays et 55 pour cent environ du total des recettes en devises. Douze pour cent environ de la population active travaillent dans le secteur de la pêche. Toutefois, l'inégalité des prises et les oscillations des prix des produits de la pêche ont inévitablement entraîné des fluctuations économiques qui ont été plus fortes en Islande que dans bien d'autres pays industriels. Non moins de huit fois depuis la création de la République d'Islande en 1944, la production nationale a diminué. Bien que ces fortes variations soient devenues moins fréquentes, elles imposent néanmoins d'étroites limites à l'action des pouvoirs publics dans le domaine de la politique économique. Une diminution notable des prises ou un effondrement des prix peut faire perdre des emplois ou risque d'entraîner un alourdissement de la dette extérieure si les dépenses nationales ne sont pas réduites. Les mesures prises en Islande pour comprimer ces dépenses ont consisté notamment à dévaluer la monnaie et à agir directement sur les coûts salariaux réels des entreprises.
  3. 87. Le gouvernement fait ensuite observer que l'inflation est un problème persistant en Islande où elle a augmenté pendant les années soixante-dix jusqu'à atteindre un niveau plusieurs fois supérieur à celui qu'ont connu d'autres pays membres de l'OCDE. L'inflation est montée à 49 pour cent en 1975. Cette année-là et l'année suivante, des méthodes radicales ont été adoptées pour réduire le taux d'inflation, qui s'est établi à 30 pour cent pendant ces deux années. L'une des dispositions adoptées a été la limitation de l'indexation des salaires. Cependant, les conventions de 1977 sur les salaires et les conditions de travail prévoyaient notamment une augmentation générale de 25 pour cent des salaires assortie d'une indexation intégrale. L'inflation a progressé une nouvelle fois, atteignant 50 à 60 pour cent au début des années quatre-vingt, si bien qu'il a fallu prendre en 1983 des mesures comme la suppression pour deux ans de l'indexation salariale et une dévaluation de la monnaie. Le gouvernement déclare que l'inflation a été réduite progressivement au cours des quelques dernières années. Elle était de l'ordre de 20 à 25 pour cent dans les années 1986 et 1989 puis a fortement baissé en 1990, se situant à 7,3 pour cent entre le début et la fin de l'année. En 1991, le taux d'inflation était de 7,2 pour cent, en 1992 de 2,4 pour cent et en 1993 de 3,2 pour cent. En 1994, du début jusqu'à la fin de l'année, l'inflation n'a pas dépassé 1 pour cent environ, ce qui s'explique par la convention consultative de 1986 et par l'accord de "réconciliation nationale" de février 1990, tous deux fondés sur un front commun des partenaires sociaux et du gouvernement pour combattre l'inflation. Le gouvernement a donc adopté une politique d'extrême rigueur dans tous les secteurs de l'économie et à l'égard des conventions sur les salaires et les conditions de travail afin de ne pas compromettre ces réalisations. C'est en gardant cette situation à l'esprit qu'il faut examiner les mesures prises par le gouvernement dans ces domaines.
  4. 88. Le gouvernement décrit ensuite les particularités des îles Westman, qui comptent parmi les principales zones de pêche en Islande. En 1992, par exemple, 227 600 tonnes de poisson ont été déchargées sur les îles Westman; cette prise a été évaluée à 4 723 000 couronnes islandaises. De l'avis du gouvernement, le rôle crucial que jouent les îles Westman dans l'économie nationale est incontestable. Le gouvernement explique que les marchandises et les personnes sont transportées entre les îles et le territoire par avion et par bateau. Il existe des vols réguliers vers Heimaey, qui sont néanmoins souvent annulés en raison des conditions météorologiques. Le Herjólfur est donc, sans nul doute, le plus important des moyens de transport de marchandises et de passagers à destination et en provenance des îles. Il assure des trajets quotidiens entre le territoire principal et les îles, et jusqu'à dix trajets hebdomadaires pendant l'été. Le gouvernement insiste sur le fait que la qualité et la fiabilité des services de transport sont essentielles pour la survie de la communauté établie dans les îles.
  5. 89. C'est dans ce contexte que le gouvernement évoque le différend entre les membres de l'équipage et la société qui exploite le Herjólfur. A son sens, l'origine du différend réside dans la convention sur les salaires et les conditions de travail, qui avait été conclue en 1981 entre la direction de la Herjólfur Ltd. et le Syndicat de marins "Jötunn" dans les îles Westman. Il est apparu que l'organisation nationale des employeurs, la Confédération des employeurs islandais (VSI), n'a pas été consultée, et que la convention ne lui a pas non plus été communiquée pour approbation, alors que les entreprises qui lui sont affiliées sont tenues de le faire. Les signataires de la convention sont le président du Syndicat des îles Westman, au nom de la direction de la Herjólfur Ltd., et le président du Syndicat de marins "Jötunn". A cet égard, le gouvernement fait observer qu'à cette époque le président du Syndicat des îles Westman siégeait au conseil d'administration de la Herjólfur Ltd., en tant que représentant du ministre des Finances, et le président du Syndicat de marins "Jötunn" était l'adjoint du représentant du ministre des Finances au conseil d'administration de la Herjólfur Ltd. La convention précitée conférait aux membres du Syndicat de marins "Jötunn" des salaires et des conditions de travail bien supérieurs à ceux dont bénéficiaient les membres d'autres syndicats qui travaillaient à bord du Herjólfur. C'est pourquoi la convention est devenue un sujet de discorde et de querelles incessantes entre les membres de l'équipage. Le gouvernement prétend qu'aucune explication satisfaisante n'a été donnée permettant de comprendre quelle était la nécessité d'améliorer les conditions de travail d'une seule partie des membres de l'équipage et non celles des autres. On peut néanmoins affirmer, sans risque d'erreur, que la convention de 1981 sur les salaires et les conditions de travail conférait aux matelots du Herjólfur des augmentations salariales anormalement élevées par rapport aux autres groupes de travailleurs employés à bord, et en particulier si l'on tient compte des salaires et des conditions de travail des matelots travaillant à bord d'autres navires ailleurs en Islande.
  6. 90. De l'avis du gouvernement, la société qui exploite le Herjólfur s'est efforcée, à diverses reprises, de revoir les conditions de travail des membres de l'équipage en vue de coordonner les systèmes de salaires applicables aux effectifs. Le préalable nécessaire à la réalisation de cet objectif était la tenue de négociations simultanées avec tous les syndicats concernés. Le Syndicat de marins "Jötunn" avait maintes fois évité de participer à des négociations significatives sur la question car il avait antérieurement conclu, en 1981, une convention avec la société exploitante, afin d'assurer à ses adhérents des salaires et des conditions de travail nettement plus favorables que ceux dont bénéficiait le personnel du ferry affilié à d'autres syndicats. Le gouvernement estime que la société exploitante a eu tort de conclure un accord qui introduisait une discrimination entre les membres de l'équipage et soulevait inutilement un problème interne entre les syndicats.
  7. 91. En ce qui concerne les informations présentées par l'ASI dans sa plainte, le gouvernement est d'avis qu'elles ne donnent pas toutes une idée exacte des origines du différend qui a surgi à bord du Herjólfur. En premier lieu, selon le gouvernement, il est faux de prétendre que le Syndicat de marins "Jötunn" n'a pas été partie à un différend concernant les salaires et les conditions de travail. Le fait est que la VSI a porté le conflit qui visait les cinq syndicats représentant les travailleurs employés à bord du Herjólfur devant le fonctionnaire chargé de la conciliation et de l'arbitrage, dans une lettre datée du 12 février 1993, cherchant ainsi à obtenir son concours en vue de l'organisation de négociations auxquelles prendraient part simultanément les cinq syndicats, afin de conclure un accord avec eux. Le gouvernement signale qu'un différend portant sur les salaires et les conditions de travail peut résulter non seulement d'un appel à la grève, mais aussi de l'annonce d'un lock-out. Il a appelé l'attention sur le fait que la société exploitant le Herjólfur avait annoncé un lock-out à l'encontre des travailleurs qui n'observaient pas la grève. La VSI a demandé, dans la lettre précitée du 12 février 1993, que le conflit du travail avec les syndicats susmentionnés, y compris le Syndicat de marins "Jötunn", soit réglé en une seule démarche. De plus, cette lettre énonçait clairement que les conventions conclues avec tous les syndicats étaient en cours de révision, exception faite du Syndicat islandais des garçons de cabine et de pont, dont la convention venait à échéance le 1er mars 1993.
  8. 92. En deuxième lieu, il n'est pas tout à fait exact de dire que le Syndicat de marins "Jötunn" n'a été convié aux négociations qu'après le déclenchement de la grève des officiers. Selon le gouvernement, la VSI a envoyé, le 14 février 1992, une lettre identique à chacun des syndicats auxquels étaient affiliés les membres de l'équipage, dans l'intention déclarée de conclure des conventions simultanées sur les salaires et les conditions de travail avec tout l'équipage du nouveau Herjólfur, en cours de construction en Norvège. En dépit d'une réaction initialement positive, cette démarche a échoué. En conséquence, le concours du fonctionnaire chargé de la conciliation et de l'arbitrage a été demandé le 12 février 1993.
  9. 93. En troisième lieu, étant rattachée à la convention du Syndicat des marins de Reykjavík, la convention sur les salaires et les conditions de travail du Syndicat de marins "Jötunn" était en vigueur jusqu'au 31 décembre 1992 et non jusqu'au 1er mars 1993, comme il est prétendu dans la plainte. Les conventions sur les salaires et les conditions de travail, conclues avec les équipages des navires de pêche, arrivaient à échéance le 1er mars 1993 tandis que celles qui concernaient les équipages des navires marchands n'étaient en vigueur que jusqu'au 31 décembre 1992.
  10. 94. En quatrième lieu, le gouvernement ne souscrit que dans une certaine mesure à l'opinion de l'ASI selon laquelle il n'appartient pas aux syndicats de fixer d'un commun accord des taux de salaire. L'expérience montre que les revendications des syndicats sont assez fréquemment fondées sur des comparaisons avec les salaires appliqués dans d'autres groupes ou par d'autres syndicats. Cette situation est peut-être plus perceptible dans une société de modeste dimension comme celle de l'Islande que dans des nations plus peuplées. Selon le gouvernement, les travailleurs employés à bord des navires ont tendance à se livrer à ce genre de comparaison et sont extrêmement attentifs aux écarts de salaires.
  11. 95. Au sujet de l'adoption de la loi no 15 de 1993, le gouvernement affirme que la grève observée par les officiers à bord du Herjólfur a débuté le 3 février 1993, et qu'à compter de cette date le navire est resté à quai jusqu'à ce que soit promulguée, le 23 mars 1993, la loi no 15 qui interdisait une grève et un lock-out à bord du Herjólfur. La raison principale pour laquelle cette loi a été adoptée était qu'il fallait limiter les dommages considérables que l'immobilisation persistante du Herjólfur pouvait causer à la vie économique des îles Westman et à la santé économique du pays dans son ensemble. Le gouvernement explique que le ministre du Transport avait reçu la résolution suivante du conseil municipal des îles Westman, que celui-ci avait adoptée à l'unanimité à sa réunion du 16 mars 1993:
    • Le conseil municipal des îles Westman a décidé de demander au gouvernement de l'Islande de présenter un projet de loi à l'Althing afin de mettre un terme au différend concernant les salaires et les conditions de travail, à la grève et au lock-out à bord du Herjólfur. Le conseil municipal des îles Westman souligne que le projet de loi s'appliquera inévitablement aux conventions sur les salaires et les conditions de travail conclues par tous les syndicats qui sont parties au différend et que la question devrait donc être résolue dans son intégralité.
    • Il est très urgent pour les îles Westman que ce différend prenne fin le plus tôt possible, vu que le navire est le principal moyen de transport dont les îles disposent, qu'il est immobilisé depuis six semaines et qu'aucune solution ne semble se présenter pour régler le différend.
  12. 96. Sur les seize hommes d'équipage, deux officiers étaient en grève. Ils réclamaient une augmentation de salaire car ils considéraient que l'écart était trop faible entre leur propre salaire et celui des matelots brevetés. Peu de temps auparavant, les matelots brevetés travaillant à bord du Herjólfur avaient négocié une réduction de leurs effectifs en échange de la rémunération d'une heure supplémentaire par jour ouvrable, tandis que les salaires des officiers étaient comparables à ceux des officiers employés à bord des autres navires. Avant que la grève ne soit déclenchée, maintes tentatives avaient été faites pour trouver un compromis et parvenir à un accord afin d'éviter la grève. Par la suite, lorsque l'arrêt de travail a débuté, l'affaire a été entièrement confiée au fonctionnaire chargé de la conciliation et de l'arbitrage car les parties considéraient que toute nouvelle négociation serait vaine; toutes les possibilités avaient été épuisées avant la grève. Une fois la grève déclenchée, le fonctionnaire précité a travaillé inlassablement à la recherche d'une solution, et un très grand nombre de réunions ont été organisées à des fins de conciliation. Il s'est rendu spécialement dans les îles Westman et y a séjourné une semaine environ pendant laquelle des réunions continuelles ont eu lieu entre les parties au différend. De l'avis du gouvernement, cela prouve l'importance qui était attachée à la conclusion d'une convention sur les salaires et les conditions de travail par la voie de la libre négociation collective entre les parties. Enfin, après sept semaines de grève, les parties au différend comme le fonctionnaire chargé de la conciliation et de l'arbitrage estimaient que les divergences entre les parties étaient si grandes qu'il n'était guère probable que le différend soit résolu dans un proche avenir. A ce stade, il était manifeste que l'arrêt de travail observé par les officiers influait sensiblement sur la sécurité de l'emploi des autres membres de l'équipage, outre le fait que l'emploi de ceux qui, directement ou indirectement, gagnaient leur vie en contribuant au fonctionnement et à l'entretien du navire était menacé.
  13. 97. Compte tenu de l'évolution de la situation, le ministre du Transport a accepté, après avoir reçu la résolution susmentionnée du conseil municipal des îles Westman, de présenter un projet de loi interdisant grève et lock-out à bord du Herjólfur. Si le projet de loi a recueilli le soutien de l'immense majorité des membres de l'Althing, certaines de ces dispositions ont été critiquées. La critique émise, en général, était que le corps législatif n'était pas habilité à intervenir dans un différend du travail par l'adoption d'une loi, et que cette intervention diminuait l'obligation qui incombe aux partenaires sociaux de résoudre leur différend par la voie de la libre négociation collective. Le premier article du projet de loi a soulevé des critiques. Il n'a pas semblé juste que la loi s'applique aux membres de l'équipage qui n'avaient pas appelé à la grève et qui étaient étrangers au conflit. Il a également semblé injuste que ceux qui n'étaient pas responsables du différend soient liés, jusqu'à la fin de 1993, par une décision prise par le tribunal d'arbitrage.
  14. 98. Le gouvernement soutient néanmoins que de nombreuses tentatives avaient été faites au cours des années précédentes pour mettre un terme au différend concernant les salaires et les conditions de travail à bord du Herjólfur. Elles avaient échoué du fait que les parties n'étaient pas toutes disposées à prendre part aux négociations. C'est pourquoi il apparaissait clairement que les différends qui avaient surgi à bord de ce navire ne pourraient pas être réglés tant que ne serait pas trouvée une solution applicable à toutes les catégories de travailleurs concernées. Le gouvernement a estimé que le différend existant à bord du Herjólfur intéressait l'ensemble des travailleurs du ferry étant donné que la société exploitante avait annoncé un lock-out à l'égard des salariés qui n'étaient pas en grève. En conséquence, il a été proposé que la loi s'applique non seulement aux grévistes, mais aussi à tous les autres travailleurs du ferry qui étaient visés par le lock-out proposé. On a estimé que c'était le seul moyen de trouver une solution durable garantissant que le ferry, qui joue un rôle crucial dans le transport des marchandises et des passagers entre le territoire et les îles, demeure en service.
  15. 99. Aucune critique n'a été émise au sujet de l'article 3 qui disposait que, lors de la fixation des salaires et des conditions de travail conformément à la loi, le tribunal d'arbitrage devait tenir compte des conventions en vigueur sur les salaires et les conditions de travail dans la marine marchande et de l'évolution générale des salaires dans le pays. Une attention particulière doit être accordée à cette disposition, dont la mention résulte de l'accord de "réconciliation nationale" de 1990, à l'occasion duquel un large consensus s'est dégagé en Islande en faveur d'un effort délibéré visant à surmonter l'inflation persistante qui avait frappé l'économie islandaise pendant des décennies. La politique du gouvernement avait consisté fondamentalement à empêcher l'inflation de remonter au niveau atteint précédemment. De ce fait, les quelques dernières années ont été marquées par une politique très restrictive en matière de salaires et de finances publiques. De concert avec les organisations des partenaires sociaux, le gouvernement a placé au premier rang de ses objectifs prioritaires la sauvegarde des résultats qui ont été indéniablement obtenus dans ce domaine. C'est à la lumière de ces événements qu'il faut considérer l'action du gouvernement en ce qui concerne le différend du travail qui est en cours d'examen.
  16. 100. L'article 2 de la loi no 15 de 1993 dispose que, si les parties au différend n'étaient pas parvenues à un accord sur les salaires et les conditions de travail avant le 1er juin 1993, la Cour suprême désignerait trois personnes qui constitueraient un tribunal d'arbitrage chargé de fixer au 1er août 1993 les salaires et les conditions de travail des membres de l'équipage du Herjólfur. Un accord n'étant pas intervenu, un tribunal d'arbitrage a été désigné conformément aux dispositions de la loi et a rendu son jugement le 9 août 1993.
  17. 101. Le gouvernement explique que l'adoption d'une loi afin de régler le différend qui avait éclaté à bord du Herjólfur n'était autre qu'une mesure d'exception. La grève avait duré sept semaines, des pénuries commençaient à se faire sentir, la vie économique était en cours de paralysie, et la vie et la santé de la population seraient sous peu menacées. Le gouvernement souligne que le différend avait abouti à une impasse et qu'il était contraint de régler le problème par la voie législative. Le gouvernement rejette en particulier la thèse selon laquelle toutes les possibilités n'avaient pas été épuisées pour parvenir à un accord négocié. A cet égard, il fait observer qu'un grand nombre de réunions qui ont eu lieu entre les parties au différend et le fonctionnaire chargé de la conciliation et de l'arbitrage se sont soldées par un échec.
  18. 102. Le gouvernement conclut donc en rejetant catégoriquement la thèse selon laquelle cette loi et le jugement du tribunal d'arbitrage sont en contradiction avec les obligations qui lui incombent au titre des conventions nos 87 et 98. Il attire l'attention sur les particularités du marché du travail en Islande, et notamment sur la multitude des petits syndicats, chacun étant investi d'un mandat pour négocier. Il insiste sur le fait que les problèmes les plus ardus auxquels il doit faire face sont les différends qui résultent de querelles internes entre syndicats. Le conflit qui a surgi à bord du Herjólfur est un cas d'espèce; cinq syndicats sont mandatés pour négocier au nom de 16 membres de l'équipage. En dépit de nombreuses réunions de conciliation, il s'est révélé impossible de résoudre le conflit par voie de négociation. A l'issue d'une grève qui a duré sept semaines, le gouvernement a considéré que le conflit avait abouti à une impasse totale et s'est jugé contraint de le résoudre par la voie législative.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 103. Le comité note que les allégations avancées dans le présent cas portent sur la violation des conventions nos 87 et 98, due à l'adoption par l'Althing (Parlement islandais) de la loi no 15 du 23 mars 1993 (ci-après dénommée la loi), interdisant une grève et un lock-out à bord du ferry Herjólfur et portant création d'un tribunal d'arbitrage chargé de fixer les salaires des membres de l'équipage de ce navire. Le gouvernement prétend qu'à l'issue d'intenses consultations il était manifeste que le différend qui avait surgi à bord du Herjólfur ne serait pas réglé par la négociation, et affirme que le législateur n'est intervenu en adoptant la loi no 15 de 1993 qu'après sept semaines de grève.
  2. 104. Le comité observe que les vues de l'organisation plaignante et celles du gouvernement diffèrent sur certains faits qui se sont produits avant l'adoption de la loi. Par exemple, l'organisation plaignante prétend que le Syndicat de marins "Jötunn" a été invité à prendre part aux négociations sur les salaires et les conditions de travail peu après l'appel à la grève lancé le 3 février 1993 par les officiers du Herjólfur. Le syndicat a répondu en faisant référence à la convention sur les salaires et les conditions de travail qu'il avait conclue avec la direction de la Herjólfur Ltd. et qui n'arrivait à échéance que le 1er mars 1993. En outre, à l'expiration de cette convention, le syndicat a présenté une offre, le 9 mars 1993, à la direction de la Herjólfur Ltd., proposant une convention inchangée sur les salaires et les conditions de travail. Or les membres du Syndicat de marins "Jötunn" (matelots) n'ont jamais reçu de contre-proposition à la suite de cette réunion qui a précédé l'entrée en vigueur de la loi. De l'avis de l'organisation plaignante, toutes les possibilités n'ont donc pas été épuisées pour parvenir à un accord négocié avec le Syndicat de marins "Jötunn". En outre, les revendications des matelots étant restées sans réponse, l'organisation plaignante estime qu'il n'y a jamais eu conflit entre le Syndicat de marins "Jötunn" et la direction de la Herjólfur Ltd. Il ne voit pas comment la possibilité peut être donnée à un tribunal d'arbitrage de fixer les salaires des membres d'un syndicat afin de régler un différend entre l'employeur et un autre syndicat (en l'occurrence l'Association islandaise des officiers de marine).
  3. 105. Pour sa part, le gouvernement prétend qu'en dehors du contexte de la plainte elle-même la société qui exploite le Herjólfur s'était efforcée à plusieurs reprises de tenir des négociations avec tous les syndicats représentant l'équipage du navire afin de coordonner les systèmes de salaires qui leur étaient applicables. Néanmoins, le Syndicat de marins "Jötunn" avait maintes fois évité de participer à des négociations significatives sur la question parce qu'il avait antérieurement conclu en 1981 un accord avec la société exploitante en vue d'assurer à ses adhérents des salaires et des conditions de travail nettement plus favorables que ceux dont bénéficiait le personnel du ferry affilié aux autres syndicats. Au sujet de la plainte elle-même, le gouvernement explique que le Syndicat de marins "Jötunn" a été convié par la Confédération des employeurs islandais (VSI) à prendre part à des négociations avant même le déclenchement de la grève des officiers, afin que des conventions simultanées sur les salaires et les conditions de travail soient conclues avec l'ensemble des membres de l'équipage. Cette démarche ayant échoué, le concours du fonctionnaire chargé de la conciliation et de l'arbitrage a été demandé le 12 février 1993. Ce dernier a organisé ultérieurement un grand nombre de réunions entre les parties au différend à des fins de conciliation. Pour ce qui est de la question de savoir quelles étaient les parties au différend, le gouvernement prétend que le Syndicat de marins "Jötunn" était étroitement lié à un conflit concernant les salaires et les conditions de travail. En portant le différend, auquel étaient parties les cinq syndicats, devant le fonctionnaire chargé de la conciliation et de l'arbitrage le 12 février 1993, la VSI souhaitait que celui-ci lui prête assistance de sorte que les cinq syndicats participent en même temps à des négociations pour conclure avec eux un même accord. De plus, le gouvernement insiste sur le fait qu'un différend concernant les salaires et les conditions de travail peut résulter non seulement d'un appel à la grève, mais aussi de l'annonce d'un lock-out, ce qui s'est produit dans le présent cas. En tout état de cause, la convention sur les salaires et les conditions de travail du Syndicat de marins "Jötunn" étant liée à celle du Syndicat des marins de Reykjavík, la première était en vigueur jusqu'au 31 décembre 1992 et non jusqu'au 1er mars 1993, comme l'a prétendu l'organisation plaignante.
  4. 106. Le comité relève pour sa part que les deux versions précitées diffèrent largement sur les questions de savoir: i) si le Syndicat de marins "Jötunn" était partie ou non à un différend; et ii) si des tentatives suffisantes avaient été effectuées pour parvenir à un accord négocié. En ce qui concerne la première question, le comité est enclin à penser que ce conflit particulier ne concernait pas le Syndicat de marins "Jötunn" vu que la grève avait été déclenchée par des membres de l'Association islandaise des officiers de marine. Cela ne veut pas dire que le différend ne rejaillissait pas indirectement sur le Syndicat de marins "Jötunn" vu que, selon l'organisation plaignante comme selon le gouvernement, l'une des principales revendications des grévistes (les officiers) était une majoration de leurs salaires, en rapport avec une augmentation que les membres du Syndicat de marins "Jötunn" avaient obtenue antérieurement. En outre, un lock-out avait été annoncé à l'égard des membres de l'équipage qui n'étaient pas en grève. Cependant, la loi no 15 de 1993 a été adoptée dans le but essentiel d'interdire la grève des officiers, autrement dit par suite de l'incapacité des officiers de parvenir à un accord avec la direction de la Herjólfur Ltd. sur leurs salaires et leurs conditions de travail. Le comité ne voit donc pas pourquoi cette loi devrait s'appliquer également au Syndicat de marins "Jötunn", et déterminer les salaires et les conditions de travail de ses adhérents. Il est conforté dans son opinion par l'argument de l'organisation plaignante qui n'est pas réfuté par le gouvernement et selon lequel les conventions sur les salaires et les conditions de travail des cinq syndicats du Herjólfur sont entièrement indépendantes les unes des autres.
  5. 107. Abordant la question de savoir si des efforts ont été déployés par le Syndicat de marins "Jötunn" et la direction de la Herjólfur Ltd. pour conclure une nouvelle convention sur les salaires et les conditions de travail par voie de négociation, le comité relève que les thèses de l'organisation plaignante et celles du gouvernement sont largement divergentes. Eu égard à cette opposition entre les deux versions, le comité se bornera à appeler l'attention des deux parties sur le principe selon lequel employeurs et syndicats doivent négocier de bonne foi en s'efforçant d'arriver à un accord, et souligne que des relations professionnelles satisfaisantes dépendent essentiellement de l'attitude qu'adoptent les parties l'une à l'égard de l'autre et de leur confiance réciproque. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 590.)
  6. 108. En ce qui concerne les motifs invoqués pour justifier l'adoption de la loi, le comité note l'argument du gouvernement selon lequel cette loi a été adoptée le 23 mars 1993, soit plus de sept semaines après le déclenchement de la grève, période pendant laquelle le Herjólfur a cessé de fonctionner. Le comité prend note également de la déclaration du gouvernement selon laquelle, pendant la grève, de nombreuses réunions visant à concilier les officiers et la direction de la Herjólfur Ltd. ont été organisées par le fonctionnaire chargé de la conciliation et de l'arbitrage. La loi n'a été adoptée qu'après sept semaines de grève, au moment où les deux parties au différend et le fonctionnaire précité estimaient que les divergences de vues entre les parties étaient si grandes que le conflit ne serait pas réglé par la négociation.
  7. 109. A cet égard, le comité admet, à l'instar de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, qu'il arrive un moment dans les négociations où, après des négociations prolongées et infructueuses, l'intervention des autorités peut être justifiée, lorsqu'il devient évident que l'impasse ne pourra être résolue sans une initiative de leur part. (Voir Etude d'ensemble sur la liberté syndicale et la négociation collective, CIT, 81e session, 1994, paragr. 258.) Le comité estime que le différend considéré était arrivé à une impasse semblable. Il est conforté dans son opinion par le fait qu'aux termes de l'article 2 de la loi susmentionnée le tribunal d'arbitrage était chargé de fixer les salaires et les conditions de travail des membres de l'équipage pour autant seulement que les parties au différend ne fussent pas parvenues à un accord sur ces questions avant le 1er juin 1993 (non souligné dans la loi). Les parties au différend se sont donc vu accorder un délai supplémentaire de deux mois pour s'entendre par la négociation, ce qui néanmoins ne s'est pas produit. En conséquence, un tribunal d'arbitrage a été désigné.
  8. 110. Le comité note également avec inquiétude que l'article 3 de la loi dispose que "lorsqu'il fixera les salaires et les conditions de travail conformément à la présente loi, le tribunal d'arbitrage devra tenir compte des conventions en vigueur concernant les salaires et les conditions de travail dans la marine marchande et de l'évolution générale des salaires dans le pays". Le gouvernement prétend que cette disposition a été insérée dans la loi en raison de l'accord de "réconciliation nationale" de 1990, à l'occasion duquel un large consensus s'était dégagé en Islande au sein des partenaires sociaux pour entreprendre une action délibérée en vue de combattre l'inflation persistante qui avait frappé l'économie islandaise pendant des décennies. Le comité observe en outre que les trois membres du tribunal d'arbitrage ont été désignés par la Cour suprême. Il doit néanmoins noter que le libellé de cette disposition ne confère pas au tribunal une souplesse d'interprétation. Le tribunal l'a d'ailleurs lui-même reconnu, en faisant observer, dans son jugement, que cette disposition limite considérablement sa marge de manoeuvre dans le règlement de ce cas. A cet égard, le comité rappelle au gouvernement que, pour obtenir et conserver la confiance des parties, tout système d'arbitrage doit être véritablement indépendant, ce qui signifie que les résultats des arbitrages ne doivent pas être prédéterminés par des critères législatifs.
  9. 111. Pour toutes ces raisons, le comité considère que, dans la mesure où elles s'appliquent à un syndicat qui n'était pas directement partie au différend considéré, la loi constitue un acte d'ingérence qui restreint le droit des syndicats de négocier librement avec les employeurs et viole de ce fait le principe de l'autonomie des parties dans le processus de négociation collective. Le comité demande donc au gouvernement de s'abstenir à l'avenir d'avoir recours à de telles interventions législatives.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 112. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration a approuvé les recommandations suivantes:
    • a) Le comité appelle l'attention de l'organisation plaignante et du gouvernement sur le principe selon lequel employeurs et syndicats doivent négocier de bonne foi en s'efforçant d'arriver à un accord, et souligne que des relations professionnelles satisfaisantes dépendent essentiellement de l'attitude qu'adoptent les parties l'une à l'égard de l'autre et de leur confiance réciproque.
    • b) Le comité rappelle au gouvernement qu'en vue d'obtenir et de conserver la confiance des parties tout système d'arbitrage doit être véritablement indépendant, ce qui signifie que les résultats ne doivent pas être prédéterminés par des critères législatifs.
    • c) Considérant que, dans la mesure où elle s'applique à un syndicat qui n'était pas directement partie au différend en question, la loi no 15 du 23 mars 1993 constitue un acte d'ingérence qui viole le principe de l'autonomie des parties dans le processus de négociation collective, le comité demande au gouvernement de s'abstenir à l'avenir d'avoir recours à de telles interventions législatives.
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