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Interim Report - REPORT_NO279, November 1991

CASE_NUMBER 1594 (Côte d'Ivoire) - COMPLAINT_DATE: 22-FEB-91 - Closed

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  1. 717. La Confédération mondiale du travail (CMT) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement de Côte d'Ivoire dans des communications datées des 22 février et 17 juillet 1991. Le gouvernement a fait parvenir sa réponse dans une lettre du 25 septembre 1991.
  2. 718. La Côte d'Ivoire a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 719. Dans ses communications des 22 février et 17 juillet 1991, la CMT allègue que le gouvernement fait entrave à la reconnaissance de la centrale syndicale "Dignité" et s'est livré à diverses mesures d'intimidation et de discrimination antisyndicales contre des dirigeants syndicaux de cette organisation.
  2. 720. La CMT explique que, depuis 1962, il n'existait en Côte d'Ivoire qu'une seule organisation syndicale dont la direction est acquise aux thèses gouvernementales et ne semble pas très concernée par la dégradation des conditions de travail et de vie des travailleurs, lesquels ressentent la nécessité d'une meilleure défense de leurs intérêts professionnels, sociaux et économiques. Ce mécontentement a donné lieu à l'émergence d'une nouvelle centrale syndicale dénommée "Dignité", affiliée à la Confédération mondiale du travail, qui regroupe un grand nombre de syndicats dans différents secteurs d'activité. "Dignité" a depuis plusieurs mois déclaré sa constitution et déposé ses statuts auprès des autorités concernées. A l'expiration d'un délai de trois mois, conformément aux textes en vigueur, sa reconnaissance aurait dû être faite par publication au Journal officiel. Or, à ce jour, le dossier reste sans suite. Ce retard constitue de toute évidence un obstacle destiné à limiter le développement et les activités de "Dignité" en tant qu'organisation syndicale.
  3. 721. Les plaignants soutiennent par ailleurs que des formes d'intimidation et des mesures arbitraires à l'encontre des travailleurs adhérant à "Dignité" et des entraves aux activités des dirigeants sont utilisées pour les empêcher de remplir leurs fonctions et de jouir pleinement de leurs droits syndicaux pour la défense des intérêts des travailleurs. C'est dire que la liberté syndicale et la protection du droit syndical ne sont pas respectées.
  4. 722. Les politiques d'austérité conjuguées à la chute des cours des matières premières se sont traduites par des coupes sombres dans les budgets sociaux et les bourses d'études, par des réductions de salaires et d'effectifs dans la fonction publique, mais aussi dans le secteur privé, et par des abus provoquant des protestations légitimes. Le 2 août 1990, une manifestation populaire a eu lieu contre les abattements de salaires, l'arrestation de syndiqués du SYNARES, du SYNACASSCI et de certaines de leurs épouses et contre les mesures arbitraires.
  5. 723. Lors de cette manifestation, 29 membres de "Dignité" ont été arrêtés et détenus pendant douze jours, et parmi eux trois instituteurs qui ont vu leur traitement mensuel suspendu. Il s'agit de MM. Gouali Gnonka, Zouzoua Kalou Prosper et N'cho Aké (secrétaire général national du syndicat d'instituteurs affilié à "Dignité"). Ces trois enseignants n'ont pas été convoqués en conseil de discipline de la fonction publique; cela laisse sous-entendre qu'il s'agissait d'une sanction disciplinaire du premier degré. Dans ce cas, les dispositions du Statut général de la fonction publique relatives aux sanctions disciplinaires n'ont pas été respectées, entre autres pour les raisons suivantes: aucune demande d'explication n'a été adressée aux intéressés; leur traitement a été suspendu à 100 pour cent au lieu de 50 pour cent. Par ailleurs, ces trois dirigeants syndicaux ont reçu une lettre les affectant pendant l'année scolaire à des postes éloignés, ce qui n'est pas normal en cours d'année scolaire et ressemble fort à une nouvelle mesure disciplinaire.
  6. 724. MM. Gouali Gnonka et Zouzoua Kalou Prosper ont, par la suite, reçu tous les arriérés dus de leur salaire mensuel, mais M. N'cho Aké n'a pas bénéficié de la même mesure bien que son rendement professionnel ne soit pas en cause. Il est privé de salaire depuis avril 1990. Par ailleurs, il a été appelé pour entendre une proposition de rétablissement de son salaire à condition qu'il démissionne du syndicat "Dignité", proposition qu'il a refusée
  7. 725. Ces mesures arbitraires qui ont été prises à l'encontre de ces trois enseignants avaient entre autres pour objectif de décourager les travailleurs de revendiquer leurs droits légitimes, s'agissant de salaire, et de prendre part à l'avenir à toute manifestation publique de protestation. La CMT considère qu'une telle attitude viole la liberté de négociation et d'expression et est contraire au bon fonctionnement d'une véritable démocratie et d'un Etat moderne. Elle soutient que les actes du gouvernement constituent une violation des conventions nos 87 et 98 et demande que le nécessaire soit fait auprès des autorités ivoiriennes pour que:
    • - "Dignité" soit reconnu officiellement et qu'elles n'exercent aucune entrave à son fonctionnement et à ses activités, et ce conformément aux conventions nos 87 et 98 de l'OIT;
    • - les arriérés des salaires dus à M. N'cho Aké soient payés;
    • - la décision d'affectation à l'intérieur du pays, décidée arbitrairement à l'encontre des trois enseignants, Gouali Gnonka, Zouzoua Kalou et N'cho Aké, soit annulée.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 726. Dans sa communication du 25 septembre 1991, le gouvernement affirme que le droit syndical est reconnu aux fonctionnaires aux termes de l'article 13 de la loi no 64-488 du 21 décembre 1964 instituant le Statut général de la fonction publique. Leurs syndicats professionnels sont régis par le droit du travail. L'article 4, premier alinéa, du Code du travail dispose: "Les personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent constituer librement un syndicat professionnel. Tout travailleur ou employeur peut adhérer librement à un syndicat de son choix dans le cadre de sa profession." La liberté syndicale et la protection du droit syndical, telles que prévues par la convention no 87 de l'Organisation internationale du Travail, s'exercent pleinement en Côte d'Ivoire. Il existe actuellement 42 syndicats de fonctionnaires et assimilés et 108 syndicats de travailleurs du secteur privé.
  2. 727. En ce qui concerne la constitution et la reconnaissance de la centrale "Dignité", le gouvernement souligne les dispositions de l'article 5 du Code du travail: "Les fondateurs de tout syndicat professionnel doivent déposer les statuts et les noms de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de son administration ou de sa direction. ... Ce dépôt a lieu à la mairie ou au siège de la circonscription administrative où le syndicat est établi, et copie des statuts est adressée à l'inspecteur du travail et des lois sociales et au Procureur de la République du ressort." Le Code du travail ivoirien ne prévoit donc pas pour les syndicats professionnels une procédure de reconnaissance formelle et une publication au Journal officiel.
  3. 728. Les statuts d'une formation dénommée "Fédération des syndicats libres de Côte d'Ivoire" (FSLCI) - "Dignité" ont été déposés le 25 avril 1990 à la mairie de la ville d'Abidjan par M. Mahan Gahie Basile, secrétaire dudit syndicat. A l'examen de ces statuts, l'autorité administrative a fait observer que la dénomination "Fédération des syndicats libres de Côte d'Ivoire" ne répond pas aux exigences de l'article 24 du Code du travail, qui dispose que les syndicats professionnels régulièrement constitués peuvent se grouper en unions sous quelque forme que ce soit. Or les statuts de "Dignité" ne font pas mention des différents syndicats de base qui constitueraient cette fédération. En conséquence, la dénomination "Fédération" n'est pas conforme au principe posé à l'article 24 du Code du travail qui traite des unions de syndicats. Toutefois, des précisions ont été demandées à M. Mahan Gahie Basile.
  4. 729. Quant à la rémunération de MM. Gouali Gnonka, Zouzoua Kalou Prosper et N'cho Aké, elle a été suspendue pour absence des intéressés à leur poste de travail à la reprise des cours fixée au 2 avril 1990, après la fermeture des établissements scolaires décidée par le gouvernement en raison des mouvements sociaux des mois de février et mars 1990. MM. Gouali et Zouzoua se sont par la suite présentés à leur service et ont rejoint leur nouveau poste d'affectation après avoir répondu à une demande d'explication; leur rémunération a alors été rétablie.
  5. 730. M. N'cho Aké, qui s'est présenté bien plus tard, a demandé un délai de réflexion pour répondre à la demande d'explication qui lui avait été présentée et pour rejoindre son nouveau poste d'affectation. Depuis, il ne s'est plus présenté aux autorités de son ministère employeur. Sa rémunération reste suspendue car il est en abandon de poste. Déféré devant le conseil de discipline pour ce motif conformément au Statut général de la fonction publique, M. N'cho Aké a, par lettre du 24 juillet 1991, indiqué son refus de se présenter devant le conseil. Fonctionnaire, M. N'cho Aké ne peut se soustraire aux dispositions du Statut général de la fonction publique et aux règles disciplinaires qui s'imposent à tous les fonctionnaires, quelle que soit leur appartenance syndicale. En conséquence, il a été jugé par défaut.
  6. 731. Par ailleurs, des enquêtes menées auprès du ministère employeur n'ont révélé aucun élément permettant d'accréditer les allégations selon lesquelles M. N'cho Aké aurait été convoqué pour entendre une proposition de rétablissement de son salaire à condition qu'il démissionne du syndicat "Dignité". Les plaignants doivent apporter la preuve d'une allégation aussi grave.
  7. 732. En résumé, le gouvernement soutient que les allégations de violation des droits syndicaux en Côte d'Ivoire et de formes d'intimidation et de mesures arbitraires à l'encontre des travailleurs adhérant à "Dignité" ne sont nullement fondées. Le Code du travail constitue la base juridique de la création des "unions de syndicats", et aucune disposition du Code ne fait obligation à l'autorité administrative de reconnaître explicitement un syndicat par une publication au Journal officiel. Les mesures disciplinaires prises à l'encontre de certains agents étaient conformes au Statut général de la fonction publique qui régit l'ensemble des fonctionnaires de Côte d'Ivoire; il ne s'agit aucunement de mesures discriminatoires à l'encontre d'adhérents d'une quelconque formation syndicale.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 733. La plainte concerne des mesures de répression qui auraient été prises par les autorités ivoiriennes à l'encontre de fondateurs et autres membres d'une centrale syndicale, qui aurait été créée en dehors de la centrale unique sous le nom de "Dignité". Les allégations portent sur la non-reconnaissance officielle de cette centrale. Elles portent également sur des mesures de discrimination antisyndicale qui auraient frappé des enseignants syndiqués (transfert à l'intérieur du pays, non-paiement des arriérés de salaires).
  2. 734. La confédération plaignante allègue le refus du gouvernement de reconnaître officiellement la centrale "Dignité", et l'arrestation le 2 août 1990 de 29 travailleurs syndiqués qui manifestaient contre des abattements de salaire provoqués par des mesures d'austérité économiques prises par le gouvernement. Elle reconnaît que ces personnes ont été libérées au bout de douze jours, mais elle explique que trois enseignants, parmi les personnes arrêtées, ont vu leurs salaires suspendus puis ont été transférés dans des postes à l'intérieur du pays, en cours d'année scolaire. Par la suite, deux enseignants ont perçu leurs arriérés de salaire, mais le troisième est privé de salaire depuis avril 1990. De son côté, le gouvernement affirme que la liberté syndicale est respectée en Côte d'Ivoire et que les fonctionnaires jouissent du droit de se syndiquer aux termes de la loi. Il admet que les statuts d'une formation dénommée "Fédération des syndicats libres de Côte d'Ivoire (FSLCI), appelée "Dignité", ont été déposés le 25 avril 1990 à la mairie d'Abidjan, mais il explique que cette fédération ne répond pas aux exigences du Code du travail, les statuts de la fédération ne faisant pas mention des différents syndicats de base qui la constitueraient. Il indique aussi que les deux enseignants qui ont rejoint leur poste ont perçu les arriérés de salaire les concernant, et que le troisième n'ayant pas rejoint son poste fait l'objet de sanctions disciplinaires conformes au Statut général de la fonction publique, indépendamment de son appartenance syndicale. Le gouvernement réfute énergiquement l'allégation selon laquelle l'intéressé se serait entendu promettre de voir son salaire rétabli s'il démissionnait du syndicat "Dignité".
  3. 735. Le comité observe que les versions de la confédération plaignante et du gouvernement sont contradictoires.
  4. 736. Sur le grief relatif au refus de reconnaître officiellement la Fédération des syndicats libres de Côte d'Ivoire appelée "Dignité" et les mesures de représailles antisyndicales, le comité rappelle l'importance qu'il attache au respect de l'article 2 de la convention no 87 ratifiée par la Côte d'Ivoire, à savoir que les travailleurs et les employeurs puissent effectivement former, en toute liberté, des organisations de leur choix et y adhérer librement quelle que soit la dénomination de ces organisations, qu'il s'agisse de syndicat, de fédération ou de confédération. En conséquence, toutes mesures prises à l'encontre de travailleurs ayant voulu constituer des organisations de travailleurs en marge de l'organisation syndicale existante sont incompatibles avec le principe d'après lequel les travailleurs doivent avoir le droit de constituer, sans autorisation préalable, des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à ces organisations. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 222 et 233.)
  5. 737. Le comité demande en conséquence au gouvernement d'indiquer si la fédération syndicale "Dignité" a été enregistrée et, dans la négative, de procéder à son enregistrement dans les meilleurs délais, et de le tenir informé à cet égard.
  6. 738. Il prie également le gouvernement de lui indiquer les raisons précises de l'arrestation et de la détention pendant douze jours de 29 militants syndicaux de la fédération syndicale "Dignité" qui, selon la confédération plaignante, auraient participé à une manifestation de revendications économiques et sociales.
  7. 739. Il prie enfin le gouvernement d'indiquer les raisons précises du transfert à l'intérieur du pays, en cours d'année scolaire, de trois enseignants qui, toujours selon la confédération plaignante, ont simplement voulu fonder la fédération syndicale "Dignité".

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 740. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité invite le gouvernement à respecter le principe selon lequel les travailleurs doivent pouvoir effectivement former en toute liberté des organisations de leur choix et y adhérer librement, quelle que soit la dénomination de ces organisations, pour la défense de leurs intérêts professionnels. Le comité demande en conséquence au gouvernement d'indiquer si la fédération syndicale "Dignité" a été enregistrée et, dans la négative, de procéder à son enregistrement dans les meilleurs délais et de le tenir informé à cet égard.
    • b) Le comité invite également le gouvernement à assurer qu'aucune mesure ne soit prise à l'encontre des travailleurs ayant voulu constituer des organisations de travailleurs en marge de l'organisation syndicale existante.
    • c) Le comité demande, en outre, au gouvernement d'indiquer les raisons précises de l'arrestation et de la détention pendant douze jours de 29 militants syndicaux de la fédération syndicale "Dignité" qui, selon la confédération plaignante, auraient participé à une manifestation de revendications économiques et sociales.
    • d) Le comité demande enfin au gouvernement d'indiquer les raisons précises du transfert à l'intérieur du pays de trois enseignants qui, d'après la confédération plaignante, ont simplement voulu fonder la fédération syndicale "Dignité".
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