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- 174. La Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) a porté plainte contre le gouvernement de la Sierra Leone en violation à la liberté syndicale dans une communication en date du 29 novembre 1990. Le Secrétariat professionnel international de l'enseignement (SPIE), dans une communication datée du 3 décembre 1990, a lui aussi porté plainte contre ce gouvernement pour le même motif, en fournissant des renseignements complémentaires. Aucune information ou observation n'a été reçue du gouvernement à propos de ces plaintes, malgré les demandes réitérées qui lui ont été adressées.
- 175. A sa session de novembre 1991, le comité a noté que, malgré le temps écoulé depuis le dépôt de ces plaintes, il n'avait reçu aucune observation de la part du gouvernement; il a fait remarquer que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, il examinerait le fond de cette affaire à sa prochaine session, même si les observations demandées au gouvernement ne lui étaient pas encore parvenues.
- 176. La Sierra Leone a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes
- 177. Les organisations plaignantes reprochent au gouvernement son ingérence dans les affaires intérieures du Syndicat des enseignants de la Sierra Leone (SLTU). En mai 1990, un groupe d'enseignants, connu sous le nom de Comité national d'action des enseignants (NTRC), a organisé une grève; en alus de ses revendications concernant les conditions de travail, le NTRC exigeait le démantèlement de la totalité du comité exécutif et du secrétariat du SLTU dont la représentativité était contestée. Au lieu de répondre aux revendications des enseignants qui, notamment, se plaignaient du retard dans le paiement de leurs traitements, réclamaient une amélioration de leurs conditions de travail et demandaient à recevoir des rations de riz aux mêmes conditions que l'armée et la police, le gouvernement, par l'intermédiaire de l'Inspecteur général de police et des ministres du Travail et de l'Education, a décidé d'obliger le SLTU à organiser des élections générales. Le comité exécutif du SLTU avait prévu qu'une conférence quadriennale des délégués aurait lieu en décembre 1990, mais le gouvernement est intervenu et a exigé qu'elle soit convoquée en juillet 1990. Selon les plaignants, le gouvernement cherchait délibérément par ce moyen à se débarrasser du comité exécutif du SLTU, à mettre en place de nouveaux dirigeants syndicaux inexpérimentés et à détourner l'attention des enseignants et de la population dans son ensemble des grands problèmes soulevés par les enseignants.
- 178. En outre, le gouvernement aurait violé les normes internationales du travail:
- - en ordonnant que les élections soient organisées par sa commission électorale et par le Congrès du travail de la Sierra Leone et en mettant à cette fin une somme de 1.300.000 leones à leur disposition;
- - en exigeant que les élections soient organisées sur la base des statuts de 1977 du SLTU et non des statuts de 1986, alors en vigueur;
- - en mettant à la disposition du NTRC un véhicule pour lui permettre de faire campagne;
- - en ayant recours à la police pour intimider des membres du comité exécutif du SLTU et pour empêcher le comité exécutif national de tenir des réunions dans certains sièges provinciaux;
- - en ordonnant à la police d'user de la force pour pénétrer dans les locaux du SLTU et y dresser un inventaire des biens.
- 179. Le gouvernement a mis en place un nouveau comité exécutif national à la tête du syndicat, et la totalité du personnel précédent a été remplacée, notamment le secrétaire général du SLTU qui, sous la pression, a été contraint de se démettre de ses fonctions. Le SLTU proclame qu'il demeure le seul organe syndical régulièrement élu et indique qu'il a dû mettre en place un bureau parallèle pour poursuivre ses activités.
B. Conclusions du comité
B. Conclusions du comité
- 180. Le comité regrette vivement que le gouvernement, malgré le temps écoulé depuis le dépôt de la plainte, et bien qu'il y ait été invité à plusieurs reprises, n'ait pas fait connaître ses commentaires et observations à propos des allégations des organisations plaignantes.
- 181. Dans ces conditions, et conformément à la règle de procédure applicable (voir paragr. 17 du 127e rapport du comité, approuvé par le Conseil d'administration à sa 184e session (novembre 1991)), le comité se voit contraint de présenter un rapport sur le fond de cette affaire en l'absence des informations qu'il espérait recevoir du gouvernement.
- 182. Le comité rappelle tout d'abord au gouvernement que le but de l'ensemble de la procédure instituée à l'OIT pour l'examen des allégations faisant état d'atteintes à la liberté syndicale est d'assurer le respect de celle-ci, en droit comme en fait. Si cette procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci doivent reconnaître de leur côté qu'il importe, pour leur propre réputation, qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. (Voir premier rapport du comité, paragr. 31.)
- 183. Le comité note que les allégations dans le cas présent concernent les actes d'ingérence commis par le gouvernement:
- - en modifiant unilatéralement le cycle des élections et les règles à appliquer, sans respecter les statuts du syndicat légitimement élu;
- - en intervenant financièrement dans la campagne électorale;
- - en accordant un traitement de faveur à un groupe rival auquel il a fourni un véhicule pour faciliter sa campagne;
- - en mettant en place unilatéralement un nouveau comité exécutif à la tête d'un syndicat d'enseignants;
- - en faisant appel à la police pour intimider des dirigeants syndicaux et les empêcher de tenir des réunions;
- - en s'emparant des locaux et des biens du syndicat.
- 184. Le comité rappelle que le droit des organisations de travailleurs d'élire librement leurs dirigeants constitue une condition indispensable pour qu'elles puissent effectivement agir en toute indépendance et promouvoir avec efficacité les intérêts de leurs membres. Pour que ce droit soit pleinement reconnu, il importe que les autorités publiques s'abstiennent de toute intervention de nature à en entraver l'exercice, que ce soit dans la détermination des conditions d'éligibilité des dirigeants ou dans le déroulement des élections elles-mêmes. Le contrôle des élections devrait, en dernière instance, appartenir aux autorités judiciaires. (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 295-296.)
- 185. En outre, une intervention des autorités publiques dans les élections syndicales de même que la désignation par ces autorités des membres des comités exécutifs des syndicats constituent une ingérence dans le fonctionnement des organisations de travailleurs, qui est incompatible avec le droit de ces derniers d'élire librement leurs dirigeants. (Recueil, ibid., paragr. 455-458.) Le comité demande par conséquent au gouvernement de réinstaller le comité exécutif qui a été régulièrement élu dans ses fonctions.
- 186. La non-intervention des gouvernements dans la tenue et le déroulement des réunions syndicales constitue aussi un élément essentiel des droits syndicaux, et les autorités devraient s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal (à moins que cet exercice ne trouble l'ordre public ou ne le menace de manière grave et imminente). En particulier, les organisations de travailleurs et d'employeurs devraient avoir le droit de tenir des congrès sans autorisation préalable et d'en rédiger les ordres du jour en pleine liberté. (Recueil, ibid., paragr. 141 et 145.)
- 187. Enfin, en ce qui concerne l'intervention de la police et les actes d'intimidation perpétrés à l'encontre des dirigeants du SLTU, le comité rappelle qu'un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer que dans le respect des droits fondamentaux de l'homme. Comme le souligne la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1970, l'absence de libertés civiles enlève toute signification au concept des droits syndicaux, et les droits conférés aux organisations de travailleurs et d'employeurs doivent se fonder sur le respect des libertés civiles. (Recueil, ibid., paragr. 68 et 72.)
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 188. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité regrette vivement que le gouvernement n'ait pas fait connaître ses commentaires ou observations sur les graves allégations formulées à son encontre dans cette affaire.
- b) Le comité demande au gouvernement de prendre d'urgence les mesures nécessaires pour que le SLTU puisse de nouveau jouir pleinement de tous ses droits légitimes et notamment du droit de représentation et de celui d'utiliser les locaux et les biens du syndicat. Il demande également au gouvernement de réinstaller le comité exécutif qui a été régulièrement élu dans ses fonctions. Le comité demande en outre au gouvernement de le tenir rapidement informé des mesures prises pour donner suite à cette recommandation.
- c) Le comité invite le gouvernement à s'abstenir à l'avenir de s'immiscer dans les élections syndicales et de faire appel à la police pour intimider des dirigeants syndicaux et les empêcher de tenir des réunions syndicales.