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- 220. La Fédération des travailleurs de l'électricité du Pérou (FTEP) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux, contre le gouvernement du Pérou, dans des communications datées des 19 juin 1989, 4 janvier et 9 mars 1990. Le gouvernement a envoyé ses observations sur ce cas dans des communications des 13 et 27 mars et 3 avril 1990.
- 221. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de la fédération plaignante
A. Allégations de la fédération plaignante
- 222. Dans sa communication du 19 juin 1989, la Fédération des travailleurs de l'électricité du Pérou déclare être une organisation syndicale de niveau supérieur, représenter plus de 15.000 travailleurs de l'industrie électrique nationale, et avoir conclu avec les entreprises de ce secteur, le 1er septembre 1978, une convention collective prévoyant un système de réajustement automatique trimestriel des salaires calculé en appliquant l'indice de l'inflation au salaire de base du travailleur. Or selon la fédération plaignante, depuis août 1988, le gouvernement essaie d'affaiblir ce système.
- 223. La Fédération des travailleurs de l'électricité du Pérou explique que le gouvernement tente, en lançant une campagne orchestrée par les mass média, d'éliminer le système d'ajustement automatique, inapplicable d'après lui en période d'inflation galopante, et de maintenir les augmentations salariales bien en deçà de l'inflation actuelle afin que les salaires augmentent moins rapidement que l'inflation. A partir d'août 1988, le gouvernement a tenté d'abroger des dispositions et des conventions collecitves qui prévoient un réajustement automatique des salaires en promulguant le décret suprême no 041-88-TR, qui a ensuite été remplacé par le décret suprême no 042-88-TR, à la suite de la bataille juridique et des mouvements de protestation qui avaient été déclenchés. Le gouvernement n'a pas renoncé, à ce jour, à affaiblir les conventions collectives qui prévoient le réajustement automatique des salaires.
- 224. La fédération plaignante signale que, depuis le mois de décembre 1988, on note dans les entreprises d'électricité du Pérou une volonté d'affaiblir la convention collective en vigueur, ce qui l'a poussée elle-même et des syndicats, qui ne lui sont pas affiliés, à intenter des recours en amparo pour défendre ces conventions collectives, lesquelles, d'après la Constitution politique du Pérou (art. 54), ont force de loi pour les parties. Les tribunaux ont rendu des décisions prudentes que les entreprises ont refusé d'appliquer, car le gouvernement a donné pour directive d'affaiblir les conventions collectives du secteur. Devant cette situation, la société mère a introduit un recours en amparo pour demander la suspension de la convention collective sur le réajustement automatique des salaires. C'est ainsi qu'en avril 1989, la convention collective a été modifiée, en fait, de façon unilatérale, car l'entreprise a commencé d'effectuer le paiement par tranches puis a décidé de le différer jusqu'à la fin de la relation de travail, violant ainsi la convention (no 95) sur la protection du salaire, 1949, qui interdit le paiement en billets à ordre, en bons ou en coupons, et la recommandation (no 91) sur les conventions collectives, 1951, qui stipule que toute convention collective devrait lier ses signataires.
- 225. La fédération plaignante affirme que les faits mentionnés sont survenus lorsque l'entreprise a voulu montrer qu'il était impossible d'appliquer la convention collective et a manifesté l'intention de fractionner le paiement des salaires, tout en déclarant respecter la convention collective qui ne définit ni les modalités ni la forme du paiement des sommes dues au titre du réajustement automatique des salaires.
- 226. La fédération plaignante demande, au cas où le Comité de la liberté syndicale le juge opportun, la constitution d'une mission d'investigation afin d'élargir l'examen du cas.
- 227. Dans une autre communication, en date du 4 janvier 1990, la Fédération des travailleurs de l'électricité du Pérou fait savoir que la convention collective sur le réajustement automatique trimestriel des salaires a été en fait modifiée unilatéralement par la Société nationale d'électricité du Pérou, de concert avec les pouvoirs publics, au nom d'une politique économique qui affecte directement les travailleurs, malgré les décisions judiciaires favorables à ceux-ci qui ordonnent l'application de la convention collective. La quatrième Chambre civile de la Cour supérieure de justice de Lima a en effet infirmé la décision autorisant la suspension du réajustement automatique et déclaré qu'il ne pouvait être renoncé aux droits concernant le travail, et que la convention collective était pleinement valable confirmant ainsi le jugement du troisième Tribunal civil de Lima qui ordonnait aux entreprises d'appliquer la convention collective. Malgré cet appui des tribunaux, signale la fédération plaignante, le gouvernement et les entreprises se refusent à appliquer la convention. C'est pourquoi les travailleurs de l'électricité, membres de la fédération plaignante, ont déclenché une nouvelle grève nationale d'une durée indéterminée pour défendre et réclamer le réajustement automatique. La fédération plaignante joint à sa communication une copie des décisions susmentionnées.
- 228. Dans une autre communication, en date du 9 mars 1990, la Fédération des travailleurs de l'électricité du Pérou demande à nouveau qu'une mission spéciale d'enquête se rende au Pérou pour éclaircir l'affaire.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 229. Dans sa communication du 13 mars 1990, le gouvernement fait remarquer que, comme le dit la fédération plaignante dans sa plainte, le Pérou connaît un processus inflationniste qui réduit le pouvoir d'achat des salariés et auquel il a tenté de parer, dans le cas des travailleurs non syndiqués, par plusieurs augmentations successives des salaires et par le réajustement périodique du revenu minimum vital. En ce qui concerne les travailleurs couverts par une convention collective, il a été décidé par décret suprême no 025-88-TR, en date du 9 août 1988, que, dans les conventions collectives entrant en vigueur à partir du 1er juillet 1988, les travailleurs relevant du secteur privé pourraient convenir avec leurs employeurs de deux autres augmentations des salaires à l'échéance du quatrième et du huitième mois à compter de l'entrée en vigueur de la convention collective. En cas de désaccord entre les parties au sujet du montant des augmentations, celui-ci sera calculé en fonction de l'évolution de l'indice des prix à la consommation de Lima et sa banlieue. Dans un des considérants de ce décret, il est dit que, conformément à la politique gouvernementale d'amélioration du revenu réel de la population, il convient d'accorder jusqu'à deux augmentations supplémentaires pendant la durée de la convention collective afin de permettre aux salaires de rattraper l'augmentation du coût de la vie.
- 230. Le gouvernement signale en l'occurrence que la crise économique nationale, qui ne permet pas d'appliquer l'indexation des salaires en la privant de la base matérielle sur laquelle elle devrait s'appuyer, a contraint les entreprises du secteur public de l'électricité à former un recours en amparo devant le pouvoir judiciaire, et que l'affaire est devant un tribunal qui devra prendre une décision définitive. En pareil cas, les autorités administratives chargées des questions de travail ne peuvent se prononcer ni - encore moins - intervenir dans les affaires qui relèvent de la compétence du pouvoir judiciaire.
- 231. Cependant, le gouvernement fait savoir que, afin de pouvoir appliquer la convention collective pour 1978-79 et 1979-80 concernant le réajustement automatique en fonction du coût de la vie, les entreprises ont proposé des solutions qui consistent essentiellement à verser, à partir du mois de juin de l'année en cours, 50 pour cent de l'augmentation trimestrielle due à chaque travailleur au titre de l'ajustement automatique, les 50 pour cent restants étant reconnus comme créance des travailleurs, à laquelle s'ajouteront les intérêts légaux, à compter du 1er avril 1989. Les 50 pour cent dus aux travailleurs devront être payés dès que la situation financière du secteur de l'électricité le permettra, selon les paramètres qui seront établis expressément pour chaque cas.
- 232. Le gouvernement indique par ailleurs que, comme il a été dit au paragraphe précédent, l'entreprise a proposé des solutions à son personnel afin d'appliquer les conventions collectives conclues antérieurement, malgré la situation économique difficile créée par l'inflation. Les plaignants sont privilégiés par rapport aux autres travailleurs, bien qu'ils travaillent pour une entreprise de service public dont les augmentations salariales se répercutent sur les usagers - autrement dit sur l'ensemble de la population - dont les rémunérations ne sont pas réajustées chaque trimestre. Le gouvernement précise également qu'il n'existe pas de dispositions qui restreignent ou limitent ce type de convention prévoyant un réajustement salarial automatique qui, comme il a été noté, privilégie un groupe déterminé de travailleurs en période d'inflation. Les allégations formulées par les plaignants sont donc inexactes pour trois raisons: premièrement, le Pérou ne viole pas la convention no 95, qu'il n'a d'ailleurs pas ratifiée; deuxièmement, les réajustements salariaux automatiques ne sont ni interdits, ni limités; et troisièmement, l'entreprise a proposé des solutions au conflit sans se soustraire à ses obligations.
- 233. Dans sa communication du 27 mars 1990, le gouvernement précise que la Société nationale d'électricité du Pérou SA (Electro-Pérou) a formé devant la justice un recours en amparo contestant la validité de la convention collective sur le système de réajustement automatique trimestriel des salaires en fonction de l'évolution de l'indice général des prix à la consommation. Le tribunal de première instance a fait droit, à sa demande, mais la quatrième Chambre civile de la Cour supérieure de justice de Lima a par la suite infirmé cette décision, déclarant que la convention collective demeurait pleinement valable et applicable. L'entreprise ayant formé un recours en nullité contre l'arrêt de la Cour supérieure de justice, l'affaire a été portée devant la Cour suprême qui devra trancher en dernier ressort.
- 234. Dans une autre communication datée du 4 avril 1990, le gouvernement précise que la fédération concernée demande en fait que les entreprises de l'électricité appliquent la convention collective concernant l'indexation des salaires sur les variations de l'indice général des prix à la consommation. Electro-Pérou, ses filiales et Electro-Lima n'ont pas versé aux travailleurs la totalité des salaires indexés auxquels ils ont droit, en vertu d'une convention collective, ce qu'elles expliquent par le fait qu'elles n'en ont pas les moyens financiers, et que la seule solution serait d'augmenter les tarifs de consommation de l'électricité. Bien que sachant parfaitement que les conventions collectives ne sont pas appliquées, l'autorité administrative chargée des questions de travail ne peut se prononcer car divers recours en amparo introduits par les entreprises du secteur publics de l'électricité sont encore en instance, et elle ne peut intervenir dans les affaires qui relèvent de la compétence du pouvoir judiciaire, conformément à l'alinéa 2 de l'article 233 de la Constitution péruvienne.
- 235. Le gouvernement indique également dans sa communication que, malgré le recours en amparo, les entreprises en question ont fini par admettre la validité de la convention collective et par accepter de payer ultérieurement les sommes dues. Les représentants de l'entreprise et les travailleurs ont tenu plusieurs réunions dans le but de poursuivre et de renforcer les démarches et les efforts faits à tous les niveaux pour trouver une solution aux problèmes de l'entreprise dans leur ensemble et, plus précisément, à la situation des travailleurs. Il convient d'ajouter que la grève de la fédération plaignante s'est déroulée du 6 au 12 février 1990, qu'il s'agissait d'une grève partielle, et que les travailleurs ont dû ensuite réintégrer leur poste.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 236. Le comité observe que les allégations formulées par le plaignant ont essentiellement trait à l'intention prêtée au gouvernement de vouloir transgresser en fait un accord collectif conclu en 1978, qui prévoit un système de réajustement automatique trimestriel des salaires de l'ensemble des travailleurs des entreprises de l'électricité, calculé en appliquant l'indice de l'inflation au salaire de base des travailleurs.
- 237. Le comité observe également que, d'après les informations fournies par la fédération plaignante, la société de l'électricité a formé un recours en amparo afin de faire modifier unilatéralement la convention collective sur le réajustement automatique des salaires, laquelle a été suspendue au mois d'avril 1989; cette décision rendue au sujet du recours en amparo a été contestée et le troisième Tribunal civil de Lima a ordonné aux entreprises d'appliquer les conventions collectives en question. Le comité observe également que ce jugement a été confirmé par la quatrième Chambre civile de la Cour supérieure de justice de Lima, qui a infirmé la décision ordonnant la suspension du réajustement automatique. En outre, un recours en nullité a été porté devant la Cour suprême qui devra trancher en dernier ressort.
- 238. Le comité prend note des informations fournies par le gouvernement selon lesquelles les entreprises du secteur public de l'électricité auraient été contraintes par la crise économique nationale de s'adresser aux tribunaux, l'indexation des salaires ne pouvant être appliquée, faute de la base matérielle sur laquelle elle devrait s'appuyer. Le comité relève, d'autre part, que l'autorité administrative chargée des questions de travail ne peut intervenir tant que les recours introduits par les entreprises du secteur public de l'électricité sont en instance.
- 239. Le comité relève également qu'afin d'appliquer les conventions collectives (concernant le réajustement automatique pour hausse du coût de la vie) les entreprises de l'électricité ont proposé de payer 50 pour cent du réajustement trimestriel au titre du coût de la vie, les 50 pour cent restants étant reconnus comme une créance des travailleurs et devant être payés avec les intérêts légaux dès que la situation financière du secteur de l'électricité le permettra.
- 240. A cet égard le comité, bien que pleinement conscient de la situation économique actuelle dans laquelle se trouve le Pérou, estime nécessaire de rappeler qu'il attribue une importance capitale au principe selon lequel les autorités publiques devraient, en règle générale, s'abstenir d'intervenir pour modifier le contenu des accords collectifs librement conclus. Ces interventions ne se justifieraient que pour des raisons impérieuses de justice sociale et d'intérêt général. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 593.)
- 241. En conséquence, le comité suggère au gouvernement que, si l'autorité publique estime que les termes d'une convention sont manifestement contraires aux objectifs de la politique économique reconnus comme souhaitables dans l'intérêt général, le cas pourrait être soumis pour avis et recommandation à un organisme consultatif approprié, étant entendu cependant que les parties devraient rester libres de leur décision finale.
- 242. Le comité considère que les pouvoirs publics favoriseraient le développement harmonieux des relations de travail en adoptant, face aux problèmes posés par la perte de pouvoir d'achat des travailleurs, des solutions qui n'entraînent pas de modification des accords conclus sans le consentement des deux parties. Compte tenu des circonstances du cas, le comité estime par ailleurs que si, au nom d'une politique de stabilisation, un gouvernement juge que les taux de salaires ne peuvent pas être fixés librement par voie de négociations collectives, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception limitée à l'indispensable, qu'elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et qu'elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs, ces mesures devant assurer à chaque travailleur les conditions nécessaires à une existence convenable. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 641.)
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 243. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité considère que, face aux problèmes posés par la perte de pouvoir d'achat des travailleurs, les pouvoirs publics favoriseraient le développement harmonieux des relations professionnelles en adoptant des solutions qui n'entraînent pas de modifications des accords conclus sans le consentement des parties.
- b) Le comité suggère au gouvernement que, si l'autorité publique estime que les termes d'une convention sont manifestement contraires aux objectifs de la politique économique reconnus comme souhaitables dans l'intérêt général, le cas pourrait être soumis pour avis et recommandation à un organisme consultatif approprié, étant cependant entendu que les parties devraient rester libres de leur décision finale.
- c) Le comité rappelle l'importance du principe selon lequel les autorités publiques ne devraient pas intervenir pour modifier le contenu des conventions librement conclues. Conscient, toutefois, de la situation économique dans laquelle se trouve le pays, il prie le gouvernement de faire en sorte que toutes les mesures relatives à des politiques de stabilisation économique et, dans ce cas particulier, celles qui touchent les travailleurs du secteur de l'électricité, soient des mesures d'exception limitées à l'indispensable qui n'excèdent pas une période raisonnable et, surtout, qui s'accompagnent de garanties appropriées pour protéger le niveau de vie des travailleurs leur assurant les conditions nécessaires à une existence convenable.
- d) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation et, en particulier, de l'issue des recours en justice formés par les entreprises du secteur public de l'électricité.