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- 445. La Confédération démocratique du travail (CDT) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux contre le gouvernement du Maroc dans des communications datées respectivement des 6 et 28 juin 1989. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en date du 9 mars 1990.
- 446. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Par contre, il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations du syndicat plaignant
A. Allégations du syndicat plaignant
- 447. La Confédération démocratique du travail (CDT) a présenté une plainte pour violation de la convention collective régissant les conditions d'emploi et de salaire des travailleurs des entreprises sucrières du Maroc et pour licenciement de représentants du personnel dans deux entreprises sucrières, la SUTA et la SUCRAFOR.
- 448. La CDT soutient que les conditions d'emploi des travailleurs des entreprises sucrières sont régies par la convention collective conclue en 1975 entre l'Union marocaine des travailleurs et les sucreries du Maroc, convention à laquelle elle a adhéré par l'intermédiaire du Syndicat national du sucre et du thé (SNST) le 13 juillet 1987. (Copies du texte de la convention collective et de l'avis d'adhésion ont été communiquées par l'organisation plaignante.)
- 449. La CDT poursuit en indiquant que le 20 septembre 1987 le bureau national du SNST a adressé au ministre de tutelle des raffineries sucrières (le ministre du Commerce et de l'Industrie) une lettre lui rappelant ses engagements, formulés au cours d'audiences tenues les 8 juillet 1987 et 14 septembre 1987, concernant la révision de la convention collective de 1975 et la grille des salaires en vue de les adapter à l'évolution du coût de la vie.
- 450. Toutefois, selon la CDT, alors que le ministre de tutelle avait accepté que soit révisée la convention collective de 1975, il préparait parallèlement avec le ministre des Finances un protocole d'accord qui fut conclu le 22 octobre 1987 et appliqué rétroactivement à partir du 1er janvier 1987. Ce ministre n'avait consulté aucun délégué du personnel ni aucun membre du SNST qui, implanté dans les 14 usines sucrières du pays, représente plus de 80 pour cent du personnel. Il avait écarté par le fait même l'application de la convention collective de 1975 toujours en vigueur, en violation de la législation du travail, notamment du dahir no 1-57-067 du 17 avril 1957 relatif à la convention collective du travail et des conventions internationales, en particulier la convention no 98. (Copie du texte du protocole a été communiquée par l'organisation plaignante.)
- 451. Par ailleurs, la CDT allègue qu'entre le 23 juin 1981 et le 20 juillet 1987 la direction des sucreries SUTA et SUCRAFOR a procédé à plusieurs licenciements de représentants du personnel et de dirigeants syndicaux.
- 452. La CDT allègue en effet que le 23 juin 1981 Karib Lahcen, travailleur à la SUTA et militant de la CDT, a été licencié pour avoir participé à la grève générale du 20 juin 1981 déclarée par la CDT.
- 453. Le 16 juin 1986, Atraoui Abderrahman a également été licencié. Selon l'organisation plaignante, les causes de ce licenciement remontent au 4 avril 1986, date à laquelle le bureau syndical de la SUTA a adressé à la direction un cahier de revendications. Devant le refus de la direction de négocier, une grève de 24 heures a eu lieu le 20 mai 1986. Le succès de la grève a conduit le chef de la circonscription concernée à organiser une réunion direction-syndicat qui a débouché sur un protocole d'accord entre les parties que, par la suite, la direction a refusé d'observer. Une réunion ultérieure a eu lieu entre les délégués du personnel et la direction de l'usine. Au cours de cette réunion, Atraoui Abderrahman aurait indiqué que l'utilisation de menaces de licenciement à l'encontre de ceux qui maintiendraient les revendications constituait une entrave à la mission des représentants du personnel. Deux jours plus tard, ce travailleur fut licencié, et les demandes des délégués du personnel et du bureau syndical aux diverses autorités responsables, y compris le ministre de tutelle, d'examiner ce cas sont restées lettre morte.
- 454. Le 10 octobre 1986, El Yamani, secrétaire général du bureau syndical de la SUTA, et Mesnaoui Saïd, délégué du personnel et membre de la commission administrative du SNST, ont, selon la CDT, été licenciés pour avoir cosigné un rapport adressé le 21 août 1986 au ministre de tutelle et au gouverneur de la province de Beni Mellal sur les causes réelles des pertes encourues par la société afin de démentir les fausses allégations de la direction qui cherchait à se débarrasser de plusieurs membres du personnel. Les démarches entreprises par la CDT auprès de tous les ministères concernés au sujet de ces licenciements sont également restées lettre morte.
- 455. Le 21 novembre 1986, Moustarih Abdelaziz, délégué du personnel, secrétaire adjoint du bureau syndical et membre de la commission administrative du SNST, a été à son tour licencié pour avoir, selon la CDT, expliqué les causes du licenciement des travailleurs susmentionnés au cours d'une assemblée générale du personnel.
- 456. Enfin, le 16 juin 1987, cinq délégués du personnel: Mohammed Lahcen, Jad Bouzekri, Bouighjd Miloud, Bel Asri Hassan, Bel Filali Mustapha ont été licenciés pour avoir, au cours d'une réunion de délégués du personnel convoquée le 14 juin 1987, refusé de dénoncer deux articles parus les 11 et 12 juin 1987 dans le quotidien d'opposition Al-Itihad-Al-Ichtiraqui nos 1406 et 1407 relatifs à la dilapidation et à la mauvaise gestion de la SUTA. En raison des démarches infructueuses de la CDT auprès des autorités compétentes concernant ces licenciements, les travailleurs licenciés ont saisi les tribunaux qui, selon la CDT, ont ordonné leur réintégration. Toutefois, la direction de la SUTA refuserait d'exécuter les jugements. A l'appui de ces allégations, la CDT a joint deux copies de jugements prononcés en faveur des travailleurs Mesnaoui Saïd et Bouighjd Miloud.
- 457. S'agissant de l'entreprise SUCRAFOR, la CDT indique que cinq membres du bureau syndical, Mokhtar Ahmed, Chouaa Slimane, Hamdane Larbi, Belbakay Mohamed, Aïssaoui Mohamed, ont été licenciés pour avoir boycotté la fête de la fin de la campagne betteravière, décision prise devant l'inaction du gouverneur de la province et du délégué provincial du ministère du Travail après que leur ait été soumise le 25 mai 1987 une demande d'intervention en vue de régler différents problèmes existant au sein de l'entreprise. Malgré l'ordre verbal du gouverneur de procéder à la réintégration de Hamdane Larbi et de Belbakay Mohamed, dans un premier temps la direction, selon la CDT, s'y est refusée au motif que la décision de licenciement avait été prise après consultation du gouverneur; elle a par ailleurs proposé à Aïssaoui Mohamed sa réintégration en échange de sa démission du syndicat, ce que le travailleur n'a pas accepté. La CDT indique enfin que les démarches entreprises auprès des autorités, notamment du ministère de tutelle, concernant ces licenciements sont restées sans réponse.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 458. Dans sa réponse en date du 9 mars 1990, le gouvernement se réfère à une note établie par le ministère du Travail concernant le différend dans les raffineries du sucre, établie sur la base d'informations communiquées par le ministère du Commerce et de l'Industrie.
- 459. Pour ce qui concerne l'allégation de violation de la convention collective de 1975, les informations communiquées par le gouvernement se bornent à rappeler que ladite convention en vigueur a été signée au nom des travailleurs par l'Union marocaine du travail et que le protocole d'accord signé le 22 octobre 1987 ne porte pas atteinte aux droits acquis prévus dans la convention collective susmentionnée, mais accorde des avantages dans les domaines suivants: les salaires et leurs annexes; la promotion interne; les conditions d'emploi; l'indemnité de quinzième mois; la généralisation de la participation des salariés aux bénéfices; la création d'une caisse spéciale d'assistance à la famille du salarié en cas de décès de celui-ci.
- 460. S'agissant du deuxième volet de la plainte, le gouvernement indique que les mesures disciplinaires ont été appliquées, selon les déclarations de l'employeur, en raison de fautes graves commises par les salariés concernés, à savoir, avoir révélé des secrets professionnels, avoir abîmé les outils et les instruments de travail, avoir commis des actes de sabotage, et s'être absenté sans raison valable.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 461. Le comité note que la plainte de la CDT porte sur plusieurs questions: le refus des autorités compétentes de négocier avec la CDT, par l'intermédiaire du SNST, les conditions d'emploi et la grille des salaires des travailleurs des entreprises sucrières du Maroc, membres de ce syndicat; le non-respect de la convention collective par le gouvernement et des licenciements de représentants du personnel et de dirigeants syndicaux pour avoir participé à des activités syndicales dans les entreprises sucrières SUTA et SUCRAFOR.
- 462. S'agissant du premier point, le comité note, sur la base des documents qui lui ont été transmis, que le 1er mai 1975 une convention collective a été conclue entre l'Union marocaine du travail et les sucreries du Maroc pour une durée indéterminée régissant les conditions d'emploi et de salaire des ouvriers, agents de maîtrise et d'encadrement et qu'elle contient par ailleurs des dispositions réglementant la procédure de dénonciation, de révision et d'adhésion.
- 463. Le comité constate en outre que la CDT, par l'intermédiaire du SNST, est devenue "une partie" à la convention suite à l'adhésion du SNST le 13 juillet 1987 et qu'à ce titre le SNST était en droit de participer à la révision des conditions d'emploi et de salaire des travailleurs, conformément aux dispositions de la convention collective, droit dont il s'est prévalu en adressant le 20 septembre 1987 aux autorités compétentes une demande de participation aux négociations entre le ministre des Finances et le ministre de tutelle visant à réviser la convention collective. Cependant, le ministre de tutelle n'a pas répondu à cette demande et a conclu, le 20 octobre 1987, avec le ministre des Finances un protocole d'accord fixant unilatéralement les conditions d'emploi et de salaire des travailleurs des entreprises sucrières nationales.
- 464. Le comité note que le gouvernement n'oppose aucun démenti ni à l'adhésion à la convention collective de 1975 du SNST ni à la demande qui lui a été adressée par ledit syndicat de participer à la révision des conditions d'emploi et de salaire des travailleurs des entreprises sucrières.
- 465. Dans ces conditions, le comité est d'avis que la procédure suivie par les autorités compétentes pour réglementer les conditions d'emploi et de salaire des travailleurs des entreprises sucrières nationales membres du SNST constitue, pour ces travailleurs, un déni du droit de négocier collectivement par l'intermédiaire de leurs représentants, en l'occurrence le SNST, leurs conditions d'emploi et de salaire, contrairement au principe de libre négociation collective entre partenaires sociaux reconnu par la convention no 98.
- 466. Le comité attire donc l'attention du gouvernement sur le fait que les travailleurs couverts par la convention no 98, comme le sont ceux des entreprises sucrières objet du présent cas, devraient pouvoir négocier par l'intermédiaire de leurs représentants leurs conditions d'emploi et de salaire. A cet effet, les autorités compétentes sont tenues de prendre toutes les mesures appropriées aux conditions nationales pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédure de négociation volontaire de convention collective entre les employeurs et les organisations d'employeurs, d'une part, et les organisations de travailleurs, d'autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi.
- 467. Or le comité constate aux termes de l'article XVIII du protocole d'accord "que pour tout ce qui n'est pas expressément énoncé la société appliquera soit la législation du travail soit les décisions de la direction générale approuvées par le ministère des Finances" et que s'il est prévu, au paragraphe 3 du préambule, que ledit protocole puisse être révisé, rien n'indique que cette révision s'engage sur la base de négociations entre les parties intéressées. De l'avis du comité, ces dispositions semblent écarter toute possibilité de réglementer à l'avenir par la négociation collective les conditions d'emploi et de salaire des travailleurs des entreprises sucrières visées par le protocole en contradiction avec les principes susmentionnés.
- 468. En ce qui concerne les cas de licenciement de travailleurs, le comité déplore que le gouvernement n'ait pas fourni d'informations plus détaillées.
- 469. S'agissant des cas de MM. Mesnaoui Saïd et Bouighjd Miloud, le comité a pris connaissance du contenu des jugements prononcés respectivement les 9 avril 1987 et 28 juillet 1988 par le tribunal de première instance de Beni Mellal, ordonnant la réintégration de ces travailleurs. Il observe en particulier des considérants des jugements que les tribunaux ont relevé le défaut de preuve des motifs avancés par l'employeur, à savoir la divulgation de secrets professionnels, et le non-respect des procédures légales relatives au licenciement de représentants du personnel dans l'entreprise.
- 470. Compte tenu des allégations de la CDT relatives à la non-exécution de ces jugements par l'entreprise SUTA et en l'absence d'informations sur ce point de la part du gouvernement, le comité demande au gouvernement de veiller à la réintégration des travailleurs licenciés et de le tenir informé à cet égard.
- 471. Le comité note que le gouvernement n'a pas démenti l'affirmation de la CDT selon laquelle les travailleurs licenciés occupaient tous des fonctions de représentants du personnel ou de délégués syndicaux. Dans ces conditions, le comité demande au gouvernement de fournir des informations sur les conclusions auxquelles est arrivée l'inspection du travail qui, conformément à l'article 12 du dahir no 1-61-116 du 29 octobre 1962 relatif à la représentation du personnel dans les entreprises, est tenue de rendre un avis motivé en cas de licenciement d'un représentant du personnel, et sur toutes mesures qui auraient été prises par les autorités compétentes pour résoudre ces litiges, en particulier par les services du ministre de tutelle des entreprises sucrières.
- 472. Le comité constate qu'il a déjà été saisi par le passé de plusieurs cas relatifs au Maroc (voir notamment 208e rapport, cas no 1017, paragr. 392 à 403; 214e rapport, cas nos 992 et 1018, paragr. 80 à 92; 230e rapport, cas no 1116, paragr. 65 à 84) portant sur des allégations de licenciement de représentants du personnel pour activité syndicale et rappelle qu'il a toujours insisté, devant l'insuffisance de la législation nationale, sur la nécessité d'adopter des dispositions spécifiques assorties de sanctions civiles et pénales suffisamment dissuasives pour garantir une protection adéquate contre tout acte de discrimination antisyndicale de la part des employeurs conformément à l'article 1 de la convention no 98. Dans ces conditions, le comité ne peut qu'une fois encore insister auprès du gouvernement afin que soient adoptées des dispositions spécifiques en ce sens et attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur cet aspect du cas.
- 473. Par ailleurs, ayant pris connaissance du projet de Code du travail, communiqué par le gouvernement en décembre 1988 dans le cadre de l'examen de son rapport sur l'application de la convention no 98 par la commission d'experts, le comité constate qu'il contient des dispositions garantissant l'application de l'article 1 de la convention no 98. Le comité prie donc instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin que ces dispositions soient adoptées dans un proche avenir.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 474. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, la comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Notant qu'en 1987 les autorités compétentes ont élaboré un protocole d'accord réglementant les conditions d'emploi des travailleurs des sucreries nationales sans consultation ni négociation avec les représentants des travailleurs concernés, en l'occurrence le SNST, alors qu'une convention collective conclue en 1975 couvrait toujours les travailleurs membres du SNST, le comité attire l'attention du gouvernement sur le fait que cette procédure constitue une violation du principe de la libre négociation collective des conditions d'emploi et de salaire.
- b) Considérant par ailleurs que le protocole d'accord semble écarter pour l'avenir la négociation collective comme moyen de régler les conditions d'emploi et de salaire des travailleurs concernés, le comité demande donc au gouvernement d'adopter des mesures afin de rétablir pour l'avenir des procédures de négociation volontaire des conditions d'emploi et de salaire dans les sucreries nationales conformément au principe de libre négociation inscrit à l'article 4 de la convention no 98, et attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur cet aspect du cas.
- c) S'agissant des cas de licenciement de travailleurs des entreprises SUTA et SUCRAFOR, le comité, au vu des jugements prononcés ordonnant la réintégration des représentants du personnel, à savoir MM. Mesnaoui Saïd et Bouighjd Miloud, demande au gouvernement de le tenir informé sur les mesures prises pour assurer l'exécution de ces jugements, compte tenu des allégations de la CDT non démenties par le gouvernement de refus de la direction de ces entreprises d'exécuter lesdits jugements.
- d) Par ailleurs, déplorant l'absence d'informations détaillées sur les autres cas de licenciement de représentants du personnel dans lesdites entreprises, le comité prie le gouvernement de fournir des informations sur les conclusions auxquelles est parvenue l'inspection du travail tenue, aux termes de la législation nationale, de rendre un avis motivé en cas de licenciement de représentants du personnel dans une entreprise et sur toutes mesures prises par les autorités compétentes pour résoudre ces conflits, en particulier par les services du ministre de tutelle des entreprises sucrières.
- e) Rappelant la nécessité d'assurer par des dispositions spécifiques assorties de sanctions pénales et civiles la protection des travailleurs contre des actes de discrimination antisyndicale de la part des employeurs, conformément à l'article 1 de la convention no 98, et en l'absence de telles dispositions dans la législation nationale, le comité prie instamment le gouvernement d'adopter dans un proche avenir des mesures législatives ou autres pour assurer l'application de cette disposition de la convention no 98. Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur cet aspect du cas.