DISPLAYINEnglish - Spanish
- PLAINTE CONCERNANT L'OBSERVATION PAR L'URUGUAY DE LA CONVENTION (no 87) SUR LA LIBERTE SYNDICALE ET LA PROTECTION DU DROIT SYNDICAL, 1948, ET DE LA CONVENTION (no 98) SUR LE DROIT D'ORGANISATION ET DE NEGOCIATION COLLECTIVE, 1949, PRESENTEE PAR PLUSIEURS DELEGUES A LA 61e SESSION (1976) DE LA CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL AU TITRE DE L'ARTICLE 26 DE LA CONSTITUTION DE L'OIT
- 5 Plusieurs organisations syndicales, dont la CMT et la FSM, ont présenté des allégations en violation de la liberté syndicale en Uruguay. En outre, trois délégués à la 61e session (juin 1976) de la Conférence internationale du Travail ont déposé, sur la base de l'article 26 de la Constitution de l'OIT, une plainte selon laquelle le gouvernement de l'Uruguay n'assurerait pas de manière satisfaisante l'exécution de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. Ces instruments ont été ratifiés par l'Uruguay.
- 6 Le comité a examiné l'ensemble de cette affaire à diverses reprises. De plus, deux missions de contacts directs ont été effectuées (en juin-juillet 1975 et en avril 1977) dans le pays par un représentant du Directeur général. Le comité a en outre entendu, à ses séances des 25 et 26 mai 1978, des représentants des organisations plaignantes (CMT et FSM) ainsi que du ministre du Travail de l'Uruguay. Il a présenté pour la dernière fois des conclusions intérimaires dans son 188e rapport, approuvé par le Conseil d'administration en novembre 1978 (208e session).
- 7 A la veille et depuis ce dernier examen de l'affaire, de nouvelles communications ont été reçues de la part d'organisations syndicales: un télégramme du 30 octobre 1978 émanant de l'Union internationale des syndicats de travailleurs des transports, des ports et de la pêche, une lettre de la Fédération syndicale mondiale en date du 11 décembre 1978, une communication reçue le 12 janvier 1979 de l'Union internationale des syndicats des travailleurs de la fonction publique et assimilés.
- 8 Le gouvernement a fait parvenir de nouvelles informations par des communications des 25 janvier et 12 février 1979.
A. Examens précédents de l'affaire par le comité
A. Examens précédents de l'affaire par le comité- 9. Le comité avait constaté, après la seconde mission de contacts directs effectuée en Uruguay en avril 1977, que la situation légale des syndicats n'avait pas changé depuis la visite effectuée en juin et juillet 1975. Néanmoins, la situation de fait s'était modifiée: celle des syndicats affiliés à la Confédération générale des travailleurs de l'Uruguay (CGTU) s'était améliorée et ceux-ci avaient pu développer certaines activités internes (réunions, élections, etc.). En revanche, les syndicats membres de la Convention nationale des travailleurs (CNT) - dissoute par le gouvernement après le changement de régime intervenu en 1973 - semblaient être restés dans une large mesure sans activité; beaucoup de leurs dirigeants étaient détenus, avaient quitté le pays ou avaient été congédiés; les locaux de certains de ces syndicats étaient gardés par la police, fermés, placés sous le contrôle des autorités, etc. Quant aux activités dans le domaine des relations professionnelles, le degré de reconnaissance des syndicats de la CGTU et de leurs dirigeants dépendait des bonnes dispositions des employeurs ou des chefs des administrations publiques. Par contre, les syndicats affiliés à la CNT ne paraissaient pas être reconnus, ni dans le secteur privé, ni dans le secteur public.
- 10. Dans les informations qu'il avait communiquées au comité (pour sa session de novembre 1977), le gouvernement s'était référé, comme il l'avait déjà fait précédemment, aux activités subversives auxquelles il avait dû faire face, pour expliquer les mesures exceptionnelles adoptées. A cet égard, le comité avait souligné qu'il ne fallait pas confondre l'exercice par les syndicats de leurs activités spécifiques, c'est-à-dire la défense et la promotion des intérêts professionnels des travailleurs, avec l'éventuelle poursuite de la part de certains de leurs membres d'autres activités, étrangères au domaine syndical. La responsabilité pénale que pourraient encourir ces personnes du fait de tels actes ne devrait en aucune façon entraîner des mesures équivalant à priver les syndicats eux-mêmes ou l'ensemble de leurs dirigeants de leurs possibilités d'action. Le comité avait regretté qu'en dépit du temps écoulé, les organisations syndicales rencontrent toujours de sérieuses difficultés; le maintien de graves divergences entre les conventions sur la liberté syndicale d'une part, la législation et la pratique nationales d'autre part, créait une situation très préoccupante.
- 11. Le gouvernement avait fait parvenir, peu avant la session de novembre 1978 du comité, le texte d'un avant-projet de loi sur les associations professionnelles préparé par un groupe d'experts. En raison de la date de réception de cette communication, le comité n'avait pas pu examiner ce document de manière approfondie lors de cette session. Il avait néanmoins relevé avec intérêt que l'avant-projet prévoyait la possibilité de constituer des organisations de premier, deuxième et troisième degré. Il avait en revanche souligné que l'obligation imposée aux dirigeants syndicaux de faire une "profession de foi démocratique" pouvait donner lieu à des abus en l'absence d'un critère précis sur lequel pourrait se fonder une éventuelle décision judiciaire si un dirigeant se voyait accusé d'un manquement à sa déclaration. Sur recommandation du comité, le Conseil d'administration avait, en novembre 1978, signalé ce dernier point à l'attention du gouvernement. Le Conseil avait exprimé sa préoccupation devant les lenteurs dans l'adoption d'une législation fondée sur les principes de la liberté syndicale et prié le gouvernement d'indiquer la date à laquelle il prévoyait l'adoption et l'application du texte définitif de la loi.
- 12. Le comité avait également noté que le nombre des commissions paritaires en activité avait sensiblement augmenté. Ces organismes ne peuvent en aucun cas, avait-il répété, se substituer aux organisations syndicales et les représentants des travailleurs en leur sein devraient être élus librement, sans pouvoir être écartés pour des raisons tenant à leur passé syndical. Ces organismes pouvaient avoir, comme dans d'autres pays, un rôle utile à jouer dans le domaine des relations professionnelles mais, dans la situation syndicale actuelle du pays, ne sauraient constituer qu'une solution transitoire dans l'attente d'une possibilité légale, qui, devrait être prochaine, pour les travailleurs d'être représentés par des syndicats. Le comité avait néanmoins exprimé l'espoir que les commissions paritaires en voie de formation seraient instituées et fonctionneraient dans un très proche avenir. Sous les réserves qui précèdent, le Conseil d'administration, sur recommandation du comité, avait notamment prié le gouvernement de continuer à fournir des informations sur l'évolution de la situation concernant ces organismes.
- 13. Le comité avait en outre été appelé à examiner les cas de nombreux syndicalistes arrêtés. Si le nombre des détenus qui avaient été jugés par les tribunaux était en augmentation, avait-il constaté, beaucoup de syndicalistes attendaient encore, parfois depuis longtemps, d'être traduits devant un tribunal. Aussi le comité avait-il exprimé une fois encore ses préoccupations devant la lenteur des procédures judiciaires engagées. Il avait aussi relevé que M. Hector Enrique Altesor Hafliger semblait avoir été maintenu en prison après la décision de classer l'affaire sur le plan judiciaire. Le gouvernement avait par ailleurs indiqué qu'un certain nombre des personnes citées se trouvaient en liberté mais il n'avait pas fourni d'informations complémentaires sur les faits précis reprochés aux syndicalistes poursuivis ou condamnés (notamment la copie des jugements rendus). Le Conseil d'administration, sur recommandation du comité, avait regretté cette absence de renseignements complémentaires.
- 14. Les plaignants avaient également fait des déclarations sur les conditions de détention et sur les droits de la défense. Sur ce dernier point, ils avaient déclaré que, dans une première période, des avocats civils étaient en mesure d'exercer leur rôle pour la défense des détenus. Progressivement, la situation s'était détériorée et des obstacles avaient été mis dans la pratique à l'exercice de leur profession, notamment à la possibilité de communiquer avec leurs clients. Par la suite, déclaraient encore les plaignants, des avocats avaient été arrêtés pour des accusations telles que la complicité avec les détenus; d'autres avaient été menacés et avaient quitté le pays. Ceux qui avaient été libérés s'étaient vu interdire l'exercice de leur profession. Quant aux travailleurs détenus, ils se voyaient notifier, souvent après une longue incarcération, l'obligation de choisir un avocat dans les quarante-huit heures. Sans contact avec l'extérieur, ils étaient contraints d'accepter un avocat nommé d'office, pour que le procès ne fût pas encore retardé. A cet égard, un des représentants des organisations plaignantes aux séances du comité des 25 et 26 mai 1978, arrêté en 1973 puis en 1976, avait décrit son cas personnel ainsi que les sévices dont il avait été l'objet. Il avait ajouté que tous les détenus étaient torturés. D'autres allégations encore faisaient état de mauvais traitements qu'auraient subi même récemment (cas de M. Iguini) des syndicalistes détenus.
- 15. Le gouvernement n'avait pas répondu à ces allégations concernant les mauvais traitements infligés aux détenus et la précarité des droits de la défense. Sur cet aspect particulièrement important de l'affaire, avait signalé le comité, des réponses précises lui permettraient de s'assurer que les syndicalistes cités par les plaignants bénéficiaient de toutes les garanties relatives aux conditions de détention et aux droits de la défense. Le Conseil d'administration avait également regretté l'absence de commentaires du gouvernement sur ces aspects du cas. D'un autre côté, selon certaines allégations, M. Hugo Pereira, dirigeant syndical du bâtiment, serait mort à cause de mauvais traitements. Le comité avait souhaité que le gouvernement indique si des recherches avaient été effectuées sur les circonstances de sa mort et qu'il communique les résultats de ces recherches.
- 16. Le Conseil d'administration, sur recommandation du comité, avait invité le gouvernement à transmettre des informations ou observations sur les différents aspects du cas. Il l'avait notamment prié de communiquer des informations détaillées sur la situation des syndicalistes (qui étaient cités en annexe au 188e rapport) pour lesquels il n'avait pas encore donné de renseignements ainsi que sur les recherches qui seraient effectuées dans le cas de M. Hugo Pereira (paragraphe 12) et sur la situation actuelle de M. Altesor Hafliger (paragraphe 9).
B. Dernières communications reçues
B. Dernières communications reçues- 17. L'Union internationale des syndicats de travailleurs des transports, des ports et de la pêche proteste d'une manière générale dans son télégramme du 30 octobre 1978 contre la persécution syndicale dans le pays. La Fédération syndicale mondiale signale, dans une lettre du 11 décembre 1978, en se fondant notamment sur des témoignages de parents de l'intéressé que Oscar Tassino Atzu a été arrêté le 19 juillet 1978 à une certaine adresse à Montevideo par un membre des forces mixtes de l'armée et que depuis lors il a disparu il n'a pas été possible de connaître l'endroit où il se trouve malgré des démarches réitérées de ses parents auprès des autorités militaires et de police. Cette information, ajoute la FSM, contredit les renseignements donnés par le gouvernement au comité pour sa session de novembre 1978 (selon ces renseignements, ce dirigeant syndical aurait été arrêté le 10 février 1978, mais aurait recouvré la liberté le jour même). La FSM déclare craindre pour la vie de M. Tassino Atzu. L'Union internationale des syndicats des travailleurs de la fonction publique et assimilés allègue, quant à elle, dans une communication reçue le 12 janvier 1979, que le dirigeant syndical Adolfo Drescher a changé de lieu de détention deux semaines plus tôt et que depuis il a disparu; dans ce cas également, le plaignant déclare avoir des craintes pour la vie de l'intéressé.
- 18. Dans sa lettre du 25 janvier 1979, le gouvernement souligne, à propos de la législation annoncée sur les associations professionnelles, que son objectif principal est la reconstruction nationale et que celle-ci exige qu'un certain rythme soit observé. Le processus, ajoute-t-il, comprend l'adoption d'une législation syndicale, destinée à garantir la liberté des travailleurs et les protéger dans la défense de leurs intérêts. Ce processus se réalise plus rapidement que prévu. Le gouvernement insiste sur son attitude de coopération permanente avec l'OIT à qui il a fourni des informations sur le processus engagé sans aucune limitation. A propos de la date prévue pour l'adoption et l'application du texte définitif de la loi, le gouvernement considère qu'il est risqué d'avancer des dates précises: l'avant-projet doit faire l'objet de consultations et des commentaires doivent être fournis sur son contenu; l'étape suivante, qui viendra immédiatement après, sera celle de l'élaboration du projet qui sera envoyé au Conseil d'Etat; enfin, l'organe législatif sera appelé à discuter, analyser et finalement à approuver la loi. Le gouvernement met toutefois l'accent sur sa résolution de légiférer dans un proche futur.
- 19. S'agissant de l'obligation imposée par l'avant-projet aux dirigeants syndicaux de faire une "profession de foi démocratique", le gouvernement signale que cette obligation découle de l'article 82 de la Constitution de la République, selon lequel la nation adopte la forme démocratique et républicaine de gouvernement; le respect de cette disposition constitue une exigence fondamentale et impérative pour tous les citoyens. L'obligation imposée aux dirigeants syndicaux ne comporte ni en elle-même ni dans sa forme aucune intention de discrimination, et elle ne peut donner lieu à des abus puisque le critère à appliquer est précisé expressément dans la loi fondamentale. Le but de cette disposition est d'éviter que des responsables syndicaux n'utilisent leur position pour s'attaquer, par des moyens non légitimes, à l'ordre démocratique et républicain consacré dans la Constitution. En outre, cette obligation existe depuis longtemps en vertu des lois no 10.388 du 13 février 1943 et no 14.248 du 1er août 1974 (sur le statut des fonctionnaires), ainsi que de la loi no 11.925 du 27 mars 1953, qui sont d'ailleurs citées dans l'avant-projet.
- 20. Le gouvernement fournit ensuite les statistiques suivantes à propos des commissions paritaires: 18 sont en activité (notamment pour les industries textiles, l'électricité, les industries chimiques, l'industrie du sucre et celle du tabac); 38 autres sont en cours de formation et seront établies dans un bref délai (notamment pour les secteurs suivants: banque privée, industrie du verre, industrie du lait et de ses dérivés, industrie métallurgique, industrie textile, secteur hippique, fabrication de tissus, fabrication de récipients).
- 21. Le Conseil d'administration avait regretté l'absence d'informations complémentaires sur les faits précis reprochés aux syndicalistes poursuivis ou condamnés (y compris les copies des jugements) et l'absence d'observations sur les allégations concernant les mauvais traitements des détenus, ainsi que les obstacles aux droits de la défense. A cet égard, le gouvernement déclare qu'il a répondu à toutes les demandes formulées, fournissant la plus grande quantité de faits, ainsi que toutes les informations complémentaires sollicitées il l'a fait, ajoute-t-il, bien que, dans un nombre très important de cas, les demandes portaient sur des personnes qui n'étaient pas des dirigeants syndicaux, mais qui étaient seulement impliquées dans des délits prévus par le code pénal ordinaire ou militaire. Les jugements, poursuit-il, incombent aux organes juridictionnels compétents et aux personnes intéressées. Les articles cités des codes pénaux sont explicites en eux-mêmes et montrent que les personnes poursuivies l'ont été pour des délits et en aucune façon en raison de leur condition de dirigeants syndicaux. Les informations fournies jusqu'à ce jour démontrent clairement, selon lui, qu'actuellement tous les détenus ont été déférés aux autorités judiciaires compétentes et qu'il n'y a pas d'obstacles aux droits de la défense. Le gouvernement rejette les plaintes générales et imprécises concernant le mauvais traitement des détenus, présentées sans que les plaignants y joignent des preuves ou des commencements de preuve; autrement, le gouvernement estime qu'il devrait se défendre contre de pures présomptions, manquant d'un minimum de sérieux.
- 22. Le gouvernement fournit, en outre, des renseignements sur tous les syndicalistes cités en annexe au 188e rapport, à l'exception des personnes en liberté définitive (parmi lesquelles Oscar Tassino Atzu, à nouveau cité comme détenu par les plaignants): la situation d'un grand nombre de ces syndicalistes n'a pas changé; les renseignements fournis au sujet des autres figurent en annexe au présent rapport. Il signale en particulier qu'Hector Enrique Altesor Hafliger a quitté le pays le 12 mars 1916, après une décision judiciaire de classement de l'affaire, le 4 juin 1975. Le gouvernement rappelle, d'autre part, qu'il avait déjà fourni le rapport d'autopsie à propos d'Hugo Pereira Cunha qui, selon certaines allégations, serait mort à cause de mauvais traitements; selon le rapport, la mort avait été provoquée par un hématome et une hémorragie; il communique le texte de la décision judiciaire classant l'affaire relative à la mort de cette personne. Il ressort des considérants de cette décision que M. Pereira est décédé à l'hôpital central des forces armées, mais que l'enquête, pratiquée conformément à la procédure judiciaire militaire, a été classée en l'absence d'un début de preuve de la commission d'un délit. Par une communication du 12 février 1979, le gouvernement précise qu'Adolfo Drescher a été poursuivi le 7 novembre 1978 devant les juridictions militaires sur la base des délits suivants: association subversive (article 60 v du code pénal militaire), vol (article 340 du code pénal ordinaire), falsification et altération de document officiel par un particulier (article 237 du même code).
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 23. Le comité note ces informations. Le gouvernement a déjà déclaré précédemment que le processus de régularisation dans le domaine syndical devait être analysé dans le cadre plus large de la normalisation politique et institutionnelle du pays. Le comité avait souligné à cet égards que, si le respect de la liberté syndicale est étroitement lié - comme l'a déclaré en 1970 la Conférence internationale du Travail dans la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles - au respect des libertés publiques en général, il importe sous cette réserve de distinguer la reconnaissance de la liberté syndicale de questions concernant l'évolution politique d'un pays. Le comité continue à penser que la législation des syndicats et la réforme des institutions politiques du pays sont deux choses distinctes. Il estime urgent que les syndicats se voient accorder la possibilité de mener, en droit comme en fait, leurs activités sans entraves; cela est la condition nécessaire à l'établissement d'un système harmonieux de relations professionnelles. Dans cette voie, l'adoption d'une loi sur les associations professionnelles devrait constituer une étape décisive. Il veut croire que celle-ci entrera en vigueur dans un très proche futur.
- 24. Le comité a examiné les dispositions de l'avant-projet de loi sur les associations professionnelles dont le gouvernement lui avait communiqué une copie peu avant la session de novembre 1978. Ce document contient, le comité a déjà eu l'occasion de le relever, des aspects positifs, comme le droit des associations professionnelles de se constituer sans autorisation préalable et de former des organisations de deuxième et de troisième degré. Le comité estime cependant nécessaire, au sujet de plusieurs autres dispositions qui ne semblent pas en pleine conformité avec certains principes de la liberté syndicale, de formuler des commentaires pour que ces dispositions puissent être réexaminées et que la législation devant être adoptée prochainement soit conforme à ces principes et aux conventions sur la liberté syndicale ratifiées par l'Uruguay.
- 25. Le comité a déjà souligné, que l'obligation pour les dirigeants syndicaux de faire une profession de foi démocratique peut donner lieu à des abus. En effet, l'avant-projet ne précise pas quels actes précis sont considérés comme attentatoires à la foi démocratique, empêchant ainsi un réel contrôle judiciaire de l'application de cette disposition. Les autres conditions requises pour être dirigeant syndical - et qui diffèrent des conditions demandées aux dirigeants des associations d'employeurs - imposent également des restrictions au droit des travailleurs d'élire librement leurs représentants syndicaux. En particulier, par le jeu des articles 4 et 5 combinés du projet, ceux-ci doivent faire partie de la branche d'activité représentée par le syndicat depuis deux ans au moins. Le comité a déjà signalé dans d'autres cas que, s'appliquant à tous les responsables des organisations syndicales, une telle obligation n'est pas compatible avec les principes de la liberté syndicale.
- 26. Pour ce qui est de la constitution même des organisations syndicales, le comité est d'avis que les travailleurs devraient pouvoir décider s'ils préfèrent former, au premier niveau, un syndicat d'entreprise - seule possibilité prévue, sauf exceptions, par l'article 6 du projet - ou une autre forme de regroupement à la base, tel un syndicat d'industrie ou de métier.
- 27. Les objectifs de l'organisation doivent, selon l'article 17 du projet, être uniquement professionnels et ne pas se référer à la politique. A ce propos, le comité a déjà considéré, dans un cas plus ancien concernant l'Uruguay, qu'une interdiction générale de toute activité politique ne semble pas compatible avec les garanties et les principes établis par la convention no 87, ni très réaliste du point de vue des possibilités d'application pratique. Ainsi, les syndicats peuvent souhaiter exposer au grand jour leur position sur des questions de politique économique et sociale qui affectent leurs membres. Les Etats devraient pouvoir, a-t-il ajouté, sans pour autant interdire de manière générale toute activité politique aux organisations professionnelles, laisser aux autorités judiciaires le soin de réprimer les abus qui pourraient, le cas échéant, être commis par des organisations qui auraient perdu de vue leur objectif fondamental, qui doit être le progrès économique et social de leurs membres. Plusieurs articles du projet prévoient d'un autre côté que les organisations et leurs membres doivent respecter l'ordre juridique national (articles 17, 20 et 39). A cet égard, le comité croit utile de rappeler les termes de l'article 8 de la convention no 87. Si, prévoit cette disposition, les travailleurs et leurs organisations sont tenus, dans l'exercice des droits reconnus par l'instrument - et à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées - de respecter la légalité, la législation nationale ne doit pas porter atteinte - ni être appliquée de manière à porter atteinte - aux garanties prévues par la convention no 87. Le comité tient à signaler, par exemple, que les dispositions nationales sur le règlement des conflits collectifs de travail et la grève, sur le droit de réunion ou la liberté d'expression pour les travailleurs syndiqués doivent être en harmonie avec les principes de la liberté syndicale.
- 28. L'avant-projet réglemente également de façon très minutieuse diverses questions relevant de l'administration interne des syndicats: les associations professionnelles peuvent être appelées à tout moment à fournir des rapports sur leurs activités aux autorités (article 23); les assemblées syndicales ne peuvent durer plus de quatre heures et doivent réunir au moins 30 pour cent des membres (article 25). Le vote est obligatoire aux élections syndicales (article 26); un plébiscite est requis pour l'examen des projets de conventions collectives (article 27); les membres qui s'abstiennent de voter lors des élections ou plébiscites sont suspendus pour un an (article 28); quand les organisations syndicales agissent "en représentation", les votes en leur sein doivent être publics (article 33); lors des élections et des plébiscites, diverses formalités doivent être accomplies auprès du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale (enregistrement de listes et notifications dont le projet ne précise pas la nature; article 35); les syndicats du degré inférieur sont responsables des décisions des organisations de niveau supérieur, sauf si leurs représentants au conseil directeur ont voté contre la décision entraînant la responsabilité ou s'ils sont désavoués par l'organisation de telle façon que la décision puisse être reconsidérée (article 29).
- 29. Même si certaines de ces dispositions peuvent avoir pour objectif un meilleur fonctionnement des organisations syndicales, les articles 3 et 6 de la convention no 87, le comité tient à le rappeler, protègent l'autonomie de ces organisations; ils leur garantissent notamment le droit d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action. Il ajoute que les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal. Dans le cas précité concernant l'Uruguay, le comité avait notamment estimé que des dispositions législatives qui réglementent minutieusement les procédures d'élection interne des syndicats sont incompatibles avec les droits reconnus aux syndicats par la convention. Il avait également considéré qu'une loi punissant les travailleurs qui ne participent pas aux élections n'est pas en harmonie avec les dispositions de la convention. D'une manière générale, indiquait-il encore, les principes établis dans l'article 3 de l'instrument n'interdisent pas le contrôle des décisions de gestion interne du syndicat lorsque celles-ci constituent une infraction à des dispositions législatives ou réglementaires; ce contrôle devrait toutefois être exercé par l'autorité judiciaire compétente de façon à garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure. Le comité est d'avis que ces considérations valent également dans le cas présent à l'égard des différentes dispositions citées au paragraphe précédent. En effet, l'idée de base de l'article 3 précité de la convention no 87 est de laisser aux travailleurs et aux employeurs eux-mêmes le soin de décider des règles à observer pour la gestion de leurs organisations et pour les élections en leur sein.
- 30. Les diverses obligations citées dans les paragraphes précédents constituent des conditions mises à l'enregistrement - obligatoire (article 16) et nécessaire à l'octroi de la personnalité juridique (article 21) - d'un syndicat et leur inexécution des motifs de retrait de cet enregistrement. Les autorités du travail sont compétentes pour accepter ou refuser l'inscription (article 18), mais il découle des principes constitutionnels (articles 309 et suivants de la Constitution) qu'un recours judiciaire existe contre la décision administrative. De plus, selon les articles 20 et 34 du projet, la suspension de l'association et l'annulation de l'enregistrement incombent aux tribunaux. Il reste toutefois que les magistrats seraient, si le projet était adopté dans sa forme actuelle, tenus d'appliquer, tant en cas de refus que de retrait de l'enregistrement, des dispositions qui ne sont pas, on l'a dit, en parfaite harmonie avec les termes de la convention no 87.
- 31. Par ailleurs, le nombre de commissions paritaires en activité au sein des entreprises n'a pas augmenté par rapport aux chiffres donnés en novembre 1978. Le gouvernement avait pourtant indiqué, en mai 1978, que le chiffre de 210 commissions serait atteint après un délai de quatre à cinq mois.
- 32. Le comité prend note par ailleurs des renseignements donnés par le gouvernement sur de nombreux syndicalistes détenus; ce dernier signale six nouveaux cas de personnes qui se trouvent en liberté soit provisoire, soit définitive. Quant aux personnes encore détenues, le gouvernement se limite à citer les articles du code pénal ordinaire ou militaire, en vertu desquels des syndicalistes sont poursuivis ou condamnés par des juridictions militaires, c'est-à-dire à indiquer la qualification des actes qu'ils ont ou auraient commis sans fournir de précisions sur les faits concrets qui leur sont reprochés dans chaque cas ou sans communiquer les jugements prononcés, comme le Conseil d'administration en avait fait la demande. A un stade antérieur de l'examen de cette affaire, le gouvernement avait pourtant fourni des données de cette nature au cours d'une mission de contacts directs'; dans un certain nombre de cas, les informations obtenues permettaient de penser que les actions pénales engagées visaient en premier lieu des activités de type politique que le gouvernement jugeait dangereuses pour la sécurité et l'ordre publics; le représentant du Directeur général précisait toutefois que certaines de ces accusations se doublaient d'autres inculpations liées à des activités de la CNT, la centrale syndicale dissoute par le gouvernement en 1973. Dans d'autres cas moins nombreux, le comité avait constaté que les personnes arrêtées l'avaient été pour des questions qui pouvaient être considérées comme exclusivement liées à des activités syndicales.
- 33. Comme le comité l'a déjà signalé dans cette affairez, lorsque des personnes sont condamnées pour des raisons étrangères à l'exercice des droits syndicaux, la question échappe à sa compétence. Néanmoins, a-t-il signalé, le point de savoir si cette question relève du droit pénal ou de l'exercice des droits syndicaux ne saurait être tranché unilatéralement par le gouvernement intéressé. Si le comité a conclu dans certains cas que les allégations portant sur des mesures prises à l'égard de syndicalistes n'appelaient pas un examen plus approfondi, c'est après avoir pris connaissance des observations du gouvernement établissant de manière assez précise et circonstanciée que ces mesures n'étaient pas motivées par des activités syndicales, mais seulement par des actes dépassant le cadre syndical, soit préjudiciables à l'ordre public, soit de nature politique. Dans de tels cas, le comité, estimant que l'intéressé devait bénéficier d'une présomption d'innocence, a considéré qu'il appartenait au gouvernement de montrer que les mesures prises par lui n'avaient pas leur origine dans les activités syndicales de la personne concernée. Dans le cas présent, en l'absence d'informations plus détaillées, le comité ne dispose pas d'éléments lui permettant de s'assurer que les syndicalistes condamnés l'aient été exclusivement pour des faits sans rapport avec leurs fonctions ou leurs activités syndicales.
- 34. Le comité regrette, en outre, que le gouvernement n'ait pas fourni des observations précises sur les allégations relatives à la précarité des droits de la défense et aux mauvais traitements qu'auraient subis certains détenus nommément cités par les plaignants. Le comité note toutefois, à propos de la mort d'Hugo Pereira Cunha que l'enquête engagée a été classée, faute d'un début de preuve d'un délit militaire quelconque. Les plaignants affirment, d'un autre côté, qu'Oscar Tassino Atzu (dirigeant syndical à l'UTE) ne se trouve pas en liberté, comme le gouvernement l'avait indiqué dans des informations communiquées au comité, mais qu'il a été arrêté le 19 juillet 1978.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 35. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) au sujet de la loi en projet sur les associations professionnelles:
- 1) de souligner l'urgence qu'il y a à ce que l'Uruguay adopte et applique une législation fondée sur les principes de la liberté syndicale;
- 2) de noter que l'avant-projet, dont le texte a été communiqué par le gouvernement, contient des éléments positifs, mais de signaler à son attention les considérations et principes exposés aux paragraphes 24 à 30 à propos de plusieurs dispositions de ce document, qui ne semblent pas compatibles avec les principes de la liberté syndicale;
- 3) de prier le gouvernement de mettre l'avant-projet en pleine conformité avec les conventions sur la liberté syndicale et de fournir des informations sur les développements qui devraient intervenir dans ce domaine;
- b) au sujet des syndicalistes arrêtés:
- 1) de prendre note des derniers renseignements transmis par le gouvernement, notamment de la libération de six syndicalistes nommés dans les plaintes;
- 2) de regretter à nouveau que le gouvernement n'ait pas fourni d'informations plus détaillées au sujet des faits précis reprochés aux syndicalistes poursuivis ou condamnés (y compris les copies des jugements), et sur les allégations concernant les mauvais traitements des détenus ainsi que les obstacles aux droits de la défense;
- 3) de noter que, selon le gouvernement, M. Pereira est décédé à l'hôpital central des forces armées, mais que l'enquête pratiquée conformément à la procédure judiciaire militaire a été classée en l'absence d'un début de preuve de la commission d'un délit;
- 4) d'insister vivement auprès du gouvernement pour qu'il fournisse les informations demandées sur les syndicalistes cités en annexe, ainsi que sur la situation actuelle de M. Oscar Tassino Atzu;
- c) de prier le gouvernement d'envoyer les informations sur les points cités aux alinéas a) et b) pour le 15 avril au plus tard; et
- d) de prendre note de ce rapport intérimaire.
- Genève, le 20 février 1979. (Signé) Roberto AGO, Président.
Z. Annexe
Z. Annexe- Informations sur des syndicalistes cités par les plaignants
- Dernières informations communiquées par le gouvernement
- 1 En liberté:
- Altesor Hafliger, Hector Enrique
- Mattos Ramós, José Antonio (a purgé sa peine)
- 2 En liberté provisoire:
- Carrasco de Armas, Juan Rosa
- Fernandez Lopez, Niurka
- Passarini Suarez, Pedro Abel
- Spinetti Iturralde, Julio Cesar
- 3 Personnes dont l'affaire a été classée sur le plan judiciaire:
- Perez, Gualberto
- Fernandez Nieves, Ivo (selon les plaignants, serait mort au cours de sa détention)
- 4 Poursuivis devant les juridictions militaires pour délits d'association subversive ou autres:
- Deus Martinez, Miriam Rita
- Drescher Caldas, Adolfo
- Gomez, Juan Felipe
- Trelles Merido, Gualberto
- 4 Condamnés
- Acosta Pereira, Mario (quatre ans de prison)
- Altuna Fernandez, Elsa Zulma (six ans de prison)
- Bardacosta Etcheverria, Nestor Hugo (six ans de prison)
- Carissimi Pino, Miguel Angel (six ans de prison)
- Carranza Vigano, Jorge Eduardo (quatre ans de prison)
- Carnio Elcarte, Pablo Emilio (quatre ans de prison)
- Fernandez Rodriguez, Alberto Leonardo (cinq ans de prison)
- García Passeggi, Silvia (quatre ans et six mois de prison)
- Gomez Duarte, Juan Bautista (dix-huit mois de prison)
- Marrero Fuentes, Hernando José (cinq ans de prison)
- Planellos Milán, Edison (six ans de prison)
- Ruiz Lavin, Oscar Pulcineo (sept ans de prison)
- Suarez Turcati, Alicia Dinonan (vingt-quatre mois de prison)
- Zapico Burcio, Ricardo (quatre ans de prison)
- 5 Mort
- Pereira Cunha, Hugo
- 6 Personnes pour lesquelles aucun renseignement n'est enregistré
- Aldobandi, Pedro
- Alzueta Mederos, Ciriaco Florentino
- Baccino, Raúl
- Bentancur, Pedro
- Casartelli, Victorio
- Chiminelli, Oscar
- Delgado Larrosa, Freddy
- De los Santos
- Doglio, Menardo
- Escudero, Julio
- Ferrari, Julio
- Ferreira, Paulina
- Gonzalez, Serafín
- Iglesias, J.
- Lopez, Antonio
- Lopez, Vicente
- Minetti, Santiago
- Osorio, Herminda
- Quiroga, Pedro
- Ramos Alboa, Ricardo Wilfredo
- Rodriguez, Celso
- Santana
- Santos, Antonio
- Vasquez, Sonia
- Le gouvernement n'a pas donné de renseignements sur la situation actuelle du syndicaliste suivant:
- Tassino Atzu, Oscar (dirigeant syndical à l'UTE).