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- 89. La plainte présentée au nom de la Fédération générale des travailleurs est contenue dans une communication reçue le 10 juillet 1972.
- 90. Malgré des demandes réitérées, le gouvernement n'avait pas fourni de commentaires sur les allégations du plaignant. Des appels pressants lui ont alors été adressés par le comité pour qu'il envoie les informations demandées. Le comité a, en outre, signalé au gouvernement que, selon les règles de procédure, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l'affaire, même si les observations demandées au gouvernement ne lui étaient pas parvenues. Finalement, le gouvernement a transmis ses observations dans une lettre du 30 octobre 1974, reçue après la 68e session du comité.
- 91. Maurice n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 92. Le plaignant indique que l'ordonnance no 26 de 1965 sur les différends du travail limitait le droit de grève dans les services essentiels. A la suite d'une grève des dockers, catégorie de travailleurs qui ne rentrait pas dans la liste des services essentiels, ce texte fut amendé par une loi adoptée en une après-midi (loi no 49 de 1971). La nouvelle législation, poursuit le plaignant, ajouta le travail des dockers à la liste des services essentiels et rendit illégales les grèves (déclenchées dans un service essentiel ou non) après la désignation d'une commission d'enquête ou d'un tribunal d'arbitrage; les contraventions à cette dernière disposition étaient punies de six mois de prison.
- 93. La grève en question, ajoute le plaignant, devint donc illégale du jour au lendemain; elle continua malgré tout. Le gouvernement utilisa l'armée et d'autres briseurs de grève grassement rémunérés pour remplacer les grévistes. Tous les syndicats affiliés à la Fédération générale des travailleurs se joignirent alors à la grève qui devint générale. Le gouvernement avait déjà adopté au cours des mois précédents, continue le plaignant, une attitude répressive à l'égard des mouvements déclenchée par les syndicats, par exemple lors d'une grève lancée par le Syndicat des travailleurs des bus. Cette fois, le gouvernement déclara l'état d'urgence.
- 94. En conséquence, indique le plaignant, la censure de la presse fut instaurée, les réunions publiques et les réunions de plus de cinq personnes interdites et les mesures suivantes furent prises contre les syndicats responsables de la grève: l'enregistrement de la Fédération générale des travailleurs, de treize syndicats affiliés et du Syndicat des travailleurs du bâtiment et de la construction fut suspendu; tous les grévistes furent licenciés et, si la plupart furent réembauchés, ils perdirent leurs droits d'ancienneté ainsi que de nombreux bénéfices accessoires et garanties; de nombreux syndicalistes, parmi lesquels la plupart des dirigeants de la fédération plaignante et des syndicats affiliés, furent arrêtés et maintenus au secret sans inculpation ni jugement; les biens et les fonds syndicaux furent placés sous la garde du préposé à l'enregistrement des syndicats, l'utilisation des locaux syndicaux interdite et les immeubles abritant les bureaux placés sous scellés; enfin, les tribunaux d'arbitrage désignés pour régler les conflits de travail furent révoqués. Le plaignant indique encore que l'article 5 de la Constitution relatif à la protection du droit à la liberté personnelle et l'article 16 concernant la protection contre la discrimination fondée sur la race, etc., furent notamment suspendus.
- 95. Dans sa lettre du 30 octobre 1974, le gouvernement se borne à déclarer que la Fédération générale des travailleurs ne menait pas seulement une action syndicale, mais qu'elle s'était engagée dans des activités politiques et voulait renverser le gouvernement. Des mesures appropriées devaient dès lors être prises pour restaurer l'ordre public. Le gouvernement ajoute toutefois que les syndicats intéressés ont repris leurs activités au début de 1974 et que plusieurs syndicats affiliés à la Fédération générale des travailleurs ont été enregistrés récemment. Le gouvernement considère dès lors que les allégations de violation des droits syndicaux ne sont pas fondées.
- 96. L'affaire porte donc essentiellement sur les mesures prises par le gouvernement à la suite d'un conflit du travail et de la proclamation de l'état d'urgence, notamment sur la suspension de l'enregistrement de plusieurs syndicats, l'arrestation de dirigeants syndicaux et la saisie des biens syndicaux. Elle porte également sur les restrictions que la législation nationale apporte au droit de grève.
- Allégations relatives aux mesures prises suite à la proclamation de l'état d'urgence
- 97. Le comité note qu'à la suite du conflit du travail et de la proclamation de l'état d'urgence, entre autres mesures, les réunions publiques et les réunions de plus de cinq personnes furent interdites, l'enregistrement de plusieurs syndicats fut suspendu, les grévistes furent licenciés et, si la plupart d'entre eux furent réembauchés, ils perdirent certains avantages comme leurs droits d'ancienneté, plusieurs syndicalistes furent arrêtés et détenus sans inculpation et sans passer en jugement, les biens syndicaux furent saisis et les tribunaux d'arbitrage nommés pour régler les différends furent révoqués.
- 98. Le comité note également la déclaration du gouvernement selon laquelle la Fédération générale des travailleurs s'était engagée dans des activités politiques et voulait le renverser. Cependant, le gouvernement n'a donné aucune précision à cet égard. Le comité tient d'abord à signaler, comme il l'a fait à maintes reprises dans le passé, qu'il peut être malaisé de tracer avec netteté une démarcation entre les questions politiques et les problèmes sociaux et économiques, vu que les deux domaines s'interpénètrent , et qu'il serait dès lors préférable que, sans sanctionner de façon générale toute activité politique des organisations professionnelles, les Etats laissent aux tribunaux le soin de réprimer des abus auxquels pourraient se livrer des organisations oublieuses de leur objectif fondamental, à savoir le progrès économique et social de leurs membres.
- 99. Le comité considère également que les gouvernements, soucieux de voir les rapports de travail se développer dans une atmosphère de confiance mutuelle, devraient avoir recours, pour faire face aux conséquences d'une grève ou d'un lock-out, à des mesures prévues par le droit commun plutôt qu'à des procédés d'exception qui risquent de comporter, de par leur nature même, certaines restrictions à des droits fondamentaux.
- 100. Le comité note que des syndicalistes ont été arrêtés et mis au secret sans inculpation et sans passer en jugement. A cet égard, le comité a déjà insisté sur l'importance qu'il convient d'attacher au principe selon lequel tout individu arrêté devrait être informé, au moment de son arrestation, des raisons de celle-ci et recevoir notification, dans les plus courts délais, de toute accusation portée contre lui. Le comité a également estimé que, dans tous les cas où des syndicalistes sont détenus préventivement, ces mesures peuvent entraîner de sérieux obstacles à l'exercice des droits syndicaux, et il a toujours mis en relief le droit pour toutes les personnes détenues d'être jugées équitablement dans les délais les plus prompts.
- 101. Par ailleurs, dans les cas impliquant l'arrestation, la détention ou la condamnation de militants syndicaux, le comité a considéré qu'il appartenait au gouvernement de montrer que les mesures prises par lui n'avaient pas leur origine dans les activités syndicales de ces personnes, mais résultaient uniquement d'activités dépassant le cadre syndical soit nuisibles à l'ordre public, soit de caractère politique.
- 102. Le comité remarque, d'autre part, que l'enregistrement de la Fédération générale des travailleurs et de plusieurs syndicats affiliés a été suspendu par ordonnance ministérielle et que les biens et fonds syndicaux ont été placés sous la garde du préposé à l'enregistrement des syndicats, que l'utilisation des locaux syndicaux a été interdite et que le commissaire de police a été chargé d'apposer les scellés sur les immeubles abritant les bureaux des syndicats.
- 103. A cet égard, le comité désire souligner l'importance qu'il attache au principe selon lequel les organisations de travailleurs ne devraient pas être sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative. Il a déjà signalé, dans d'autres cas, que la suspension ou la dissolution prononcée par le pouvoir exécutif, en vertu d'une loi de pleins pouvoirs ou dans l'exercice de fonctions législatives ne permet pas, tout comme une suspension ou une dissolution administrative, d'assurer les droits de la défense et que ceux-ci ne peuvent être garantis que par la procédure judiciaire normale, procédure que le comité considère comme essentielle.
- 104. Le gouvernement indique dans sa lettre que les syndicats ont repris leurs activités en 1974 et que plusieurs organisations affiliées à la Fédération générale des travailleurs ont récemment été enregistrées.
- 105. Le comité observe qu'en vertu de la loi no 67 de 1973 sur les relations professionnelles, l'enregistrement (obligatoire) des syndicats peut être actuellement refusé, sous réserve d'un recours auprès d'un tribunal d'arbitrage pour un certain nombre de motifs, et notamment si le syndicat s'est engagé (ou est sur le point de s'engager) dans des activités susceptibles de causer une menace grave pour la sécurité ou l'ordre publics, si ses statuts sont ambigus ou s'il existe un syndicat enregistré qui est suffisamment représentatif des intérêts que le syndicat postulant a l'intention de défendre (article 9 b), c) et d)).
- 106. A cet égard, le comité désire signaler qu'une disposition selon laquelle l'enregistrement d'un syndicat peut être refusé si celui-ci est "sur le point de" s'engager dans des activités susceptibles de causer une menace grave pour la sécurité ou l'ordre publics pourrait donner lieu à des abus, et que son application appelle donc la plus grande prudence. Le comité estime que le refus de l'enregistrement ne devrait avoir lieu qu'en raison de faits graves et dûment prouvés, normalement sous le contrôle de l'autorité judiciaire compétente.
- 107. Le comité considère également qu'une disposition autorisant le rejet de la demande d'enregistrement si un autre syndicat, déjà enregistré, est suffisamment représentatif des intérêts que le syndicat postulant se propose de défendre, signifie que, dans certains cas, des salariés peuvent se voir refuser le droit de s'affilier à l'organisation de leur choix contrairement aux principes de la liberté syndicale.
- Allégations relatives à la législation nationale sur la grève
- 108. Le comité observe que l'ordonnance no 26 de 1965 sur les différends du travail, modifiée par la loi no 49 du 8 décembre 1971, établissait une liste de services essentiels dans lesquels la grève était soumise à des restrictions (notification par écrit du différend au ministre avec indication de ses causes, délai de 14 jours sans qu'un règlement soit intervenu). En outre, lorsque le ministre avait désigné un conciliateur, un tribunal d'arbitrage ou une commission d'enquête pour connaître d'un différend de travail qui avait éclaté ou menaçait d'éclater, dans tout service essentiel ou non, il était illégal, quel qu'en soit le motif, pour un travailleur de prendre part à une grève dans ce service; en cas d'infraction, l'intéressé était passible d'une peine de prison de six mois au moins.
- 109. Le comité remarque que cette législation a été abrogée par la loi no 67 de 1973 sur les relations professionnelles. En vertu dé cette nouvelle loi, tout conflit du travail qui a éclaté (ou menace d'éclater) doit être signalé au ministre compétent qui accepte ou rejette le rapport qui lui en est fait par une des parties (en cas de rejet, un appel peut être introduit auprès du tribunal permanent d'arbitrage). Si le rapport est accepté, le ministre peut prendre différentes mesures, et notamment confier le différend au tribunal permanent d'arbitrage qui rendra une sentence (articles 79 à 83 de la loi).
- 110. Une grève ou une menace de grève est illégale, sauf si (article 92): a) le rapport précité du conflit a été fait; b) 32 jours se sont écoulés depuis que le ministre l'a reçu et que le différend n'a pas été réglé ou confié au tribunal d'arbitrage; c) la grève a commencé dans les 56 jours depuis la réception du rapport par le ministre. Ces délais peuvent être prolongés si les parties ont demandé un délai plus long pour régler leur différend. En outre (article 93), si une grève légale a débuté, mais que le Premier ministre est d'avis que sa continuation risque de mettre en péril l'économie nationale, celui-ci peut, par ordonnance, déclarer la grève illégale pour une période de 60 jours.
- 111. Le comité constate que la légitimité de la grève dépend finalement, en l'espèce, d'une décision prise à ce sujet par les pouvoirs publics, dans le cadre de mécanismes de règlement des conflits du travail. Il estime, à cet égard, que le droit de grève - qu'il a toujours considérée comme un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels - est lésé lorsqu'une disposition législative permet au ministre, chaque fois qu'il le juge opportun, de soumettre un conflit du travail à une décision arbitrale obligatoire, empêchant ainsi le recours à la grève. En effet, bien que le comité ait accepté des restrictions temporaires au droit de grève pendant les procédures de conciliation et d'arbitrage, ou l'interdiction de la grève dans la fonction publique et dans les services essentiels au sens strict (à condition toutefois qu'elle soit toujours accompagnée de procédures de conciliation et d'arbitrage tendant à protéger les intérêts des travailleurs), il n'en a pas moins fait observer que, lorsqu'un texte législatif entraîne directement ou indirectement une interdiction générale des grèves, cette interdiction peut constituer une limitation importante des possibilités d'action des organisations syndicales.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 112. Etant donné toutes ces circonstances et pour ce qui est du cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) quant aux allégations relatives aux mesures prises suite à la proclamation de l'état d'urgence:
- i) de souligner l'importance des considérations et principes exposés aux paragraphes 98 et 99 ci-dessus et, en particulier, du fait que les gouvernements, soucieux de voir les rapports de travail se développer dans une atmosphère de confiance mutuelle, devraient avoir recours, pour faire face aux conséquences d'une grève ou d'un lock-out, à des mesures prévues par le droit commun plutôt qu'à des mesures d'exception qui risquent de comporter, de par leur nature même, certaines restrictions à des droits fondamentaux;
- ii) au sujet de l'arrestation de syndicalistes, de souligner l'importance qu'il attache aux considérations et principes énoncés aux paragraphes 100 et 101 ci-dessus et de prier le gouvernement de fournir des renseignements à propos des militants syndicaux arrêtés de la Fédération générale des travailleurs et de ses syndicats affiliés, en indiquant en particulier les raisons précises de leur arrestation et en indiquant aussi si des procédures ont été engagées contre eux ainsi que, dans l'affirmative, quels en ont été les résultats;
- iii) au sujet de la suspension de l'enregistrement de la Fédération générale des travailleurs et de plusieurs syndicats affiliés ainsi que des mesures prises contre les biens syndicaux, de souligner l'importance des principes énoncés au paragraphe 103 ci-dessus, et de prier le gouvernement d'indiquer les raisons précises pour lesquelles certains des syndicats intéressés, dont la Fédération générale des travailleurs, n'ont pas encore été réenregistrés;
- b) quant aux allégations relatives à la législation nationale sur la grève, d'attirer l'attention du gouvernement sur les considérations et principes exposés au paragraphe 111;
- c) de prendre note de ce rapport intérimaire, étant entendu que le comité soumettra un nouveau rapport au Conseil d'administration lorsqu'il aura obtenu les informations demandées aux alinéas ii) et iii) de l'alinéa a) ci-dessus.