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- 142. Le comité a examiné ce cas lors de sa dernière session (mai 1972), époque à laquelle il a présenté à son sujet un rapport intérimaire au Conseil d'administration (13 le rapport, paragr. 203-216) a.
- 143. Les plaintes étaient contenues dans deux lettres, l'une, en date du 10 mai 1972, adressée directement au BIT par la Confédération mondiale du travail (CMT) et l'autre, en date du 12 mai 1972, adressée directement au BIT par la Fédération internationale du personnel des services publics et la Confédération syndicale mondiale des enseignants. La CMT a présenté des allégations supplémentaires et des informations additionnelles dans une communication en date du 26 mai 1972. Le comité avait ajourné l'examen de l'affaire car le délai de trente jours imparti aux plaignants pour présenter les informations complémentaires à l'appui de leurs plaintes n'avait pas expiré. Dans une communication en date du 5 juin 1972, la Fédération internationale du personnel des services publics a présenté de nouveaux éléments au sujet des plaintes. Dans des communications datées, l'une, du 18 mai et, l'autre, du 8 juin 1972, adressées directement au BIT, des plaintes ont été présentées par le Secrétariat professionnel international de l'enseignement et par la Fédération syndicale mondiale.
- 144. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais il n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 145. Dans sa communication du 10 mai 1972, la Confédération mondiale du travail déclare que quarante-huit dirigeants syndicaux du Québec ont été arrêtés et condamnés pour avoir déclenché une grève. Parmi ces personnes figurent trois présidents de fédération, dont M. Marcel Pépin, qui est président de la Confédération nationale des syndicats et vice-président de la Confédération mondiale du travail. Dans leur communication du 12 mai 1972, la Fédération internationale du personnel des services publics et la Confédération syndicale mondiale des enseignants se réfèrent aux arrestations et aux jugements et protestent contre les actes du gouvernement.
- 146. Dans sa communication du 18 mai 1972, le Secrétariat professionnel international de l'enseignement évoque aussi la peine de douze mois de prison infligée aux trois syndicalistes mentionnés au paragraphe précédent, savoir Marcel Pépin, Yvon Charbonneau, président de la Corporation des enseignants du Québec (CEQ), et Louis Laberge, président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). L'organisation plaignante estime cette condamnation excessive et en contradiction avec les conventions relatives aux droits syndicaux.
- 147. Dans une communication complémentaire en date du 26 mai 1972, la Confédération mondiale du travail a envoyé au Directeur général du BIT un mémorandum concernant le cas et d'autres documents appuyant ses allégations. La FMT expliquait que le gouvernement du Québec avait conclu des contrats de travail avec l'ensemble des syndicats représentant les employés des services publics et les enseignants, pour tout le secteur public, parapublic et de l'enseignement. Le dernier contrat en cours, conclu pour une durée de trois ans, était arrivé à expiration entre la fin mars et la fin juin 1971, selon les secteurs en cause. Ces contrats couvraient les fonctionnaires de tous les niveaux, y compris les enseignants et le personnel des hôpitaux, cliniques et établissements psychiatriques.
- 148. Au début de 1971, continue la CMT, les organisations syndicales firent des propositions au gouvernement du Québec en vue du renouvellement de la convention en cours. Du côté syndicats, trois organisations constituent un « front commun » de la fonction publique groupant les travailleurs syndiqués des secteurs intéressés affiliés à la Confédération syndicale nationale (CMT), à la FTQ (CISL) et à la CEQ (autonomes). Le front commun représente 210 000 des 250 000 travailleurs de la fonction publique. Il est donc, affirme la CMT, très largement représentatif de l'ensemble des travailleurs intéressés. Au sein de ce front commun, la CSN est représentée sous la forme d'un comité de coordination des négociations dans le secteur public, groupant cinq fédérations professionnelles de la fonction publique, des services et de l'enseignement. Du côté du gouvernement, le partenaire aux négociations est le ministre de la Fonction publique du gouvernement du Québec.
- 149. La CMT affirme que, de février 1971 à mars 1972, les efforts du front commun pour négocier restèrent sans résultat, car le gouvernement refusait toute négociation globale avec le front commun pour n'accepter que des négociations sectorielles pour une quinzaine de secteurs inclus dans la fonction publique. Or les principales revendications du front commun concernaient l'ensemble du personnel de la fonction publique et elles portaient, pour l'essentiel, sur la garantie d'un salaire minimum, la garantie de la stabilité de l'emploi et l'harmonisation des définitions et des échelles de qualifications et de traitements dans l'ensemble des secteurs public et parapublic.
- 150. Devant les résultats négatifs enregistrés et alors que la convention précédente était déjà échue depuis huit à neuf mois, le front commun organisa un vote sur la grève dans l'ensemble de la fonction publique, en faveur de laquelle une très large majorité se prononça le 9 mars 1971. Il convient de noter, relève la CMT, que le droit de négociation collective est reconnu aux syndicats de la fonction publique depuis de nombreuses années et que le droit de grève est reconnu depuis 1965 au personnel de la fonction publique.
- 151. La CMT ajoute qu'au moment où elles avisaient le gouvernement des résultats du vote sur la grève les organisations constituant le front commun s'engageaient à discuter immédiatement les procédures relatives aux services essentiels. Cette procédure avait déjà été utilisée et elle était devenue effective une première fois en 1966 au cours d'une grève de trois semaines dans la fonction publique et les services parapublics, y compris le secteur hospitalier. En outre, continue la CMT, la CSN organisa et mit en place des équipes médicales de secours d'urgence destinées à répondre à certains besoins urgents et imprévus survenant pendant la grève.
- 152. Dans plusieurs établissements hospitaliers, cependant, les directions refusèrent d'accepter le préavis de grève et de négocier avec le front commun l'organisation des services essentiels, dramatisant délibérément la situation. Dans d'autres hôpitaux, la direction exigea comme personnel nécessaire aux services essentiels la totalité du personnel. L'ensemble du secteur hospitalier, affirme la CMT, était visiblement poussé à prendre cette attitude intransigeante par le gouvernement du Québec qui l'encourageait « à ne pas céder à la menace de grève ».
- 153. Après le dépôt du préavis de grève, c'est-à-dire après le 9 mars, le gouvernement du Québec accepta d'entamer la négociation globale réclamée par le front commun, mais, d'après la CMT, cette négociation globale ne donna aucun résultat.
- 154. Le 28 mars 1972, poursuit la CMT, le front commun organisa une grève d'avertissement de vingt-quatre heures, qui fut suivie par la quasi-totalité du personnel de la fonction publique. Cette grève d'avertissement n'ayant produit aucun effet positif sur les négociations, le front commun décida d'une grève générale illimitée dans tout le secteur public et parapublic, qui, affirme la CMT, devint effective le 11 avril 1972.
- 155. Dans le secteur hospitalier, où la grève devint également effective, aucun problème ne se posa, soutient la CMT, là où la direction avait accepté de discuter les procédures des services essentiels. Des incidents survinrent dans celles des institutions où ces procédures durent être improvisées mais, ajoute la CMT, avec ou sans l'accord des directions, le front commun assura dans tous les hôpitaux les services essentiels, en fournissant en moyenne un tiers du personnel occupé en temps normal, en plus des cadres et des médecins qui restèrent au travail dans leur totalité.
- 156. Le 12 avril, poursuit la CMT, le gouvernement recourut à la procédure d'injonction qui, selon la CMT, lui permet normalement d'imposer la reprise du travail au personnel, nécessaire et à la protection de la sécurité publique, du ravitaillement, etc. Mais, déclare la CMT, le gouvernement utilisa alors cette procédure à l'égard de la totalité du personnel occupé dans soixante et un hôpitaux, cliniques et institutions de santé de la province du Québec. La CMT ajoute que, dans un certain nombre d'hôpitaux, les délégués syndicaux refusèrent de se plier à l'injonction, celle-ci dépassant très largement l'objet pour lequel la procédure en question a normalement été instituée.
- 157. La CMT déclare que, le 21 avril 1972, l'Assemblée nationale du Québec adopta en toute hâte le projet de loi no 19 intitulé « Loi assurant la reprise des services dans le secteur, public ». Cette loi ordonnait aux travailleurs de la fonction publique de reprendre le travail le lendemain, 22 avril, et contenait d'autres dispositions coercitives.
- 158. La CMT appelle particulièrement l'attention sur les aspects suivants de ce texte de loi: a) elle enlève aux travailleurs le droit de grève qui leur était normalement accordé (art. 6); b) la Commission parlementaire de la fonction publique recevra des associations de salariés et d'employeurs les indications relatives aux négociations des accords collectifs (art. 8); c) à défaut d'entente collective entre salariés et employeurs avant le 1er juin 1972, c'est le lieutenant-gouverneur (autrement dit le gouvernement du Québec) qui déterminera par décret les conditions de travail des salariés jusqu'au 30 juin 1974 (art. 10); d) ce décret doit respecter les dernières offres définies aux syndicats par les employeurs (art. 10, paragr. 2, et art. 5) mais les qualifier comme ayant l'effet d'une sentence arbitrale; e) il frappe de lourdes amendes les travailleurs individuels et les syndicats qui ne respecteraient pas la loi (art. 11, 13 et 14); f) la loi ne prévoit aucune possibilité de recours ou d'appel pour les travailleurs ou les syndicats éventuellement condamnés.
- 159. De toute évidence, poursuit la CMT, les dispositions de la loi no 19 sont: 1) en opposition formelle avec la législation en vigueur auparavant, qui accordait aux syndicats de la fonction publique le droit de négociation et de grève; 2) en contradiction formelle avec les principes de la Constitution de l'OIT et de la Déclaration de Philadelphie, auxquels le gouvernement du Canada a souscrit; 3) contraires à la lettre et à l'esprit de la convention internationale du travail no 87, ratifiée peu auparavant par le gouvernement fédéral du Canada.
- 160. Le 22 avril 1972, poursuit la CMT, l'ensemble du personnel de la fonction publique reprit le travail. Aussitôt, le gouvernement fit inculper, d'une part, environ cent cinquante délégués syndicaux pour outrage au tribunal, c'est-à-dire pour avoir ignoré l'ordonnance d'injonction émise par les juges en date du 12 avril et, d'autre part, les trois présidents des organisations constituant le Front commun syndical de la fonction publique, soit Marcel Pépin, président de la CSN, Louis Laberge, président de la FTQ, et Yvon Charbonneau, président de la CEQ, pour avoir incité les travailleurs à ne pas respecter l'ordonnance d'injonction.
- 161. La Cour suprême de la province du Québec fonctionna, déclare la CMT, avec une célérité extraordinaire et rendit ses jugements dans un délai de quelques jours. Le 6 mai, elle condamna quarante-six travailleurs syndiqués à un total de 241 mois de prison et à 193 600 dollars d'amende, et quinze syndicats à 206 350 dollars d'amende, uniquement pour ce qui concernait les syndicats affiliés et les travailleurs syndiqués à la CSN. D'autres jugements devaient encore intervenir les 10, 12 et 15 mai contre huit syndicats et cinquante-trois travailleurs syndiqués, encore une fois uniquement pour ce qui concernait la CSN. D'autres jugements, déclare la CMT, étaient prévus à l'encontre des syndicats et des travailleurs syndiqués à la FTQ et à la CEQ.
- 162. La CMT ajoute qu'au moment où le jugement fut signifié aux travailleurs syndiqués ceux-ci furent mis en demeure, afin de pouvoir être mis en liberté, de signer un engagement, par lequel chaque délégué syndiqué inculpé promettait: a) de ne pas faire la grève avant le 9 juin 1972; b) de n'inciter personne à faire la grève et de conseiller aux membres du syndicat de continuer à travailler pour leurs employeurs; c) de révoquer toute directive ou recommandation quelconque de faire la grève (venant de leur organisation). La CMT a joint à sa communication le texte de l'engagement en question.
- 163. Cet engagement, soutient la CMT, enlevait par conséquent aux quarante-six délégués syndicaux condamnés la possibilité d'agir comme délégués syndicaux, même dans le cas où leur organisation ou eux-mêmes estimeraient que la grève était devenue le dernier recours pour faire aboutir les revendications des travailleurs. Cet engagement a été signé par les quarante-six délégués syndicaux condamnés.
- 164. La CMT affirme que les procès intentés par le gouvernement aux trois présidents des fédérations syndicales, savoir Marcel Pépin, Louis Laberge et Yvon Charbonneau, ont également été menés avec une remarquable célérité et que tous trois ont été condamnés le 8 mai à un an de prison. Ils ont été incarcérés le 9 mai. Tous les trois refusèrent de se pourvoir en appel, la liberté accordée sur appel étant, selon la CMT, assortie de conditions qui ne leur permettaient plus d'exercer librement et efficacement leurs responsabilités de présidents de fédérations syndicales dans le cadre nouveau créé par les dispositions de la loi no 19.
- 165. Le 12 mai, continue la CMT, trente-quatre des quarante-six délégués condamnés qui avaient été mis en liberté récusèrent l'engagement signé par eux, constatant que, dans la pratique, cet engagement les mettait dans l'impossibilité d'exercer normalement leurs fonctions de délégués syndicaux et les privait en fait de toute liberté d'action. Ils se présentèrent spontanément à la justice et furent aussitôt incarcérés. Par solidarité, les travailleurs de la fonction publique et de toutes les autres professions partaient spontanément en grève dans l'ensemble du Québec, à partir du 13 mai, mais reprenaient le travail le 18 mai, moyennant la promesse de la libération des délégués syndicaux et des présidents incarcérés, et moyennant l'engagement de la reprise des négociations globales pour la fonction publique. Cependant, ajoute la CMT, aucun des délégués détenus n'était encore libéré le 23 mai.
- 166. La CMT déclare qu'elle a déposé plainte par télégramme, dès le 10 mai, auprès du Bureau international du Travail, contre le gouvernement fédéral du Canada et qu'elle a protesté auprès du gouvernement du Québec. Le secrétaire général de la CMT, Jean Brück, se trouvait à Québec du 18 au 20 mai et, le 18, il demanda par télégramme à rencontrer le Premier ministre du Québec, M. Bourassa, pour chercher une solution au conflit permettant de rétablir le respect de la liberté, de la paix et du progrès social. En même temps, il demandait au ministre du Travail du gouvernement fédéral du Canada, M. O'Connell: 1) de confirmer si les gouvernements provinciaux et, en particulier, le gouvernement du Québec avaient exprimé un accord préalable sur la ratification de la convention no 87 par le gouvernement fédéral; 2) de faire connaître d'urgence son point de vue sur la mesure dans laquelle le gouvernement du Québec était lié par la convention no 87, ratifiée par le gouvernement canadien; 3) d'indiquer comment la loi no 19 du Québec était compatible avec cette convention no 87
- 167. D'après la CMT, en date du 20 mai, le Premier ministre du Québec n'avait pas trouvé le temps nécessaire pour ménager la rencontre demandée et le ministre du Travail du gouvernement fédéral n'avait pas donné de réponse au télégramme qui lui avait été envoyé.
- 168. La CMT déclare que son secrétaire général fut autorisé à rendre visite aux trois présidents à la prison d'Orsainville-Québec, le 18 mai, mais que, le 20 mai, l'autorisation de rendre simplement visite aux autres délégués syndicaux détenus lui a été refusée par le ministre de la Justice du Québec, M. Choquette, malgré le motif indiqué pour la visite: s'informer auprès des travailleurs directement intéressés de la manière dont le problème des services essentiels dans les hôpitaux avait été négocié avant la grève.
- 169. Enfin, la CMT déclare qu'elle pense pouvoir conclure des éléments qui précèdent: 1) que l'ensemble des mesures prises par le gouvernement du Québec, soit par le recours à la procédure d'injonction, soit par l'adoption de la loi no 19, soit par la condamnation et les emprisonnements des délégués syndicaux sont en contradiction formelle avec les dispositions légales en vigueur au moment où est né le conflit; 2) que les présidents et les délégués syndicaux ne peuvent pas être condamnés rétroactivement pour avoir usé d'un droit qui leur était légalement reconnu; 3) que les syndicats et les travailleurs avaient pris les dispositions nécessaires pour assurer les services essentiels, et que, là où ces services n'étaient pas organisés, c'était du fait du refus des employeurs de négocier sur ce point, 4) que les mesures prises par le gouvernement du Québec sont en contradiction avec la lettre et l'esprit de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail, de la Déclaration de Philadelphie et de la convention no 87, auxquelles le gouvernement fédéral du Canada a souscrit; 5) que le gouvernement du Québec ne peut se soustraire à l'engagement souscrit au nom de l'ensemble du Canada par le gouvernement fédéral.
- 170. Par conséquent, la CMT demande instamment au BIT: a) de bien vouloir faire siennes ces conclusions; b) de bien vouloir rappeler le gouvernement fédéral du Canada au respect des principes de la liberté syndicale, du droit de négociation et du droit de grève; e) d'inviter le gouvernement fédéral du Canada à user de tous les moyens constitutionnels en son pouvoir pour imposer au gouvernement du Québec: le retrait de la loi no 19; l'annulation de toutes les condamnations à l'égard des présidents et des délégués syndicaux ainsi qu'à l'égard des syndicats; d'une manière générale, l'annulation de toutes les mesures tendant à limiter ou à supprimer le droit de négociation collective et le droit de grève aux travailleurs du Québec représentés par le Front commun de la fonction publique.
- 171. Dans une communication en date du 18 mai 1972, le Secrétariat professionnel international de l'enseignement faisait état de l'emprisonnement des trois dirigeants syndicaux mentionnés plus haut en affirmant que cette condamnation était excessive et qu'elle équivalait à une violation des droits syndicaux.
- 172. Dans deux communications en date des 12 mai et 5 juin 1972, la Fédération internationale du personnel des services publics et la Confédération syndicale mondiale des enseignants faisaient toutes deux cause commune avec la Confédération mondiale du travail au sujet de la plainte présentée par cette dernière. Ces organisations adressaient au BIT toute une série de documents à l'appui de leurs allégations.
- 173. Dans une communication en date du 8 juin 1972, la Fédération syndicale mondiale s'est également référée à l'emprisonnement des trois dirigeants syndicaux en question et elle a affirmé que, bien que ceux-ci eussent été mis en liberté sous caution, elle élevait une protestation véhémente contre ces violations flagrantes des libertés civiles, des droits syndicaux et du droit de grève.
- 174. Le gouvernement a fait tenir ses réponses aux allégations dans une communication du 26 mai 1972, à laquelle il joignait le texte d'une lettre du gouvernement de la province de Québec, qui contenait les informations pertinentes.
- 175. Le gouvernement affirme que la grève générale des secteurs public et parapublic qui a eu lieu au Québec en avril 1972 de même que l'intervention des tribunaux ont été faites conformément aux lois en vigueur actuellement dans la province. La loi de la fonction publique et le Code du travail contiennent des dispositions assurant à ces salariés le droit à la grève. Le Code du travail établit des modalités pour exercer le droit de grève dans le secteur public: l'Association des salariés doit donner par écrit au ministre un avis préalable d'au moins huit jours indiquant le moment où la partie syndicale entend recourir à la grève.
- 176. Le gouvernement ajoute que l'article 99 du Code du travail prévoit toutefois que, « si le lieutenant-gouverneur en Conseil est d'avis que dans un service public une grève appréhendée ou en cours met en danger la santé ou la sécurité publique, il peut constituer à ce sujet une commission d'enquête pour constater les faits ». Le même article ajoute « sur requête du procureur général, après la constitution d'une commission d'enquête, un juge de la Cour supérieure peut, s'il est d'avis que la grève met en péril la santé ou la sécurité publique, décerner toute injonction jugée appropriée pour empêcher cette grève ou y mettre fin ». Le gouvernement souligne qu'une injonction n'a pas pour but d'enlever le droit de grève d'une façon permanente à des salariés, mais plutôt de la suspendre pour une période déterminée de quatre-vingts jours.
- 177. Le gouvernement déclare que, conformément à ces dispositions, le gouvernement du Québec a demandé qu'une injonction soit émise pour ordonner le retour au travail des salariés de certains secteurs tels que les hôpitaux psychiatriques, les hôpitaux pour malades chroniques et les foyers de vieillards. Ces injonctions étaient adressées aux travailleurs et à leurs chefs syndicaux. Or il s'est avéré, selon le gouvernement, que certains chefs syndicaux non seulement refusèrent d'obtempérer à cet ordre de la Cour supérieure, mais encouragèrent les travailleurs à ne pas respecter ces injonctions, et même le leur ordonnèrent.
- 178. A ce moment, poursuit le gouvernement, cette attitude des chefs syndicaux sortait du domaine des relations de travail; elle devenait une contravention à l'article 51 du Code de procédure civile, comme à l'article 761 du même code qui prévoit des pénalités pour refus d'obéir à une injonction, commettant ainsi un outrage au tribunal. Cet article prévoit des peines maxima de 50 000 dollars d'amendes, avec ou sans emprisonnement, dont le terme ne doit pas excéder un an.
- 179. Le gouvernement ajoute que la condamnation des trois chefs de centrales syndicales et des autres dirigeants syndicaux pour outrage au tribunal déborde les cadres du droit du travail pour devenir une condamnation de droit commun de la province de Québec. Le gouvernement souligne que la législation est absolument conforme aux exigences de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, comme l'écrivait l'honorable Jean-Jacques Bertrand dans une lettre qu'il adressait à l'honorable Pierre Elliott Trudeau en 1969. Le gouvernement mentionne l'article 8 de cette convention, aux termes de laquelle «... les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité ».
- 180. Le gouvernement faisait parvenir des exemplaires du Code du travail et de la loi de la fonction publique, ainsi que le texte du jugement contre les trois chef syndicaux, tel qu'il avait été publié dans le Devoir, le 10 mai 1972.
- 181. Dans une autre communication, en date du 2 juin 1972, le gouvernement affirmait qu'il n'avait rien à ajouter aux observations déjà formulées par lui. Le 30 octobre 1972, le gouvernement a transmis une lettre du gouvernement de la province de Québec contenant des informations complémentaires au sujet de l'affaire.
- 182. Dans sa communication en date du 30 octobre 1972, le gouvernement déclare qu'à la suite des négociations qui se sont déroulées au cours des mois écoulés une convention collective couvrant la majorité des salariés intéressés (quelque 140 000) a été signée et que seuls les enseignants (quelque 70 000) n'ont pas réussi à s'entendre avec le gouvernement sur les termes d'un nouveau contrat de travail. Le gouvernement déclare qu'à cet égard un décret stipulant les conditions de travail devrait être promulgué en vertu de la loi spéciale no 19, du 21 avril 1972, dans les cas où il n'y a pas eu entente. Toutefois, déclare le gouvernement, bien que ce décret pourrait être en vigueur depuis le 15 octobre 1972, il n'est pas envisagé de la publier avant le début décembre, permettant ainsi aux parties intéressées d'en venir à une entente par voie de négociation et évitant d'avoir à promulguer un décret. En ce qui concerne les trois dirigeants syndicaux qui avaient été condamnés, le gouvernement indique qu'ils ont interjeté appel du jugement rendu contre eux et que la procédure suit son cours normal.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 183. Le comité constate qu'à son article 991e Code du travail de 1964 (chap. 141) interdit la grève aux salariés à l'emploi d'un service public (y compris le personnel des hôpitaux, des sanatoriums et des institutions pour malades mentaux), à moins que l'association des salariés en cause n'y ait acquis droit suivant l'article 46 du Code du travail et n'ait donné par écrit au ministre avis préalable d'au moins huit jours lui indiquant le moment où elle entend y recourir. Aux termes de l'article 44 du Code du travail, si l'intervention du conciliateur a été infructueuse, le droit à la grève ou au lock-out acquis soixante jours ou, s'il s'agit de la conclusion d'une première convention collective, quatre-vingt-dix jours après la réception par le ministre de l'avis notifiant le désaccord dans les négociations, à moins que les parties ne soumettent leur différend à un conseil d'arbitrage.
- 184. En outre, selon l'article 99 du Code du travail, si le lieutenant-gouverneur en Conseil est d'avis que, dans un service public une grève appréhendée ou en cours met en danger la santé ou la sécurité publique, il peut constituer à ce sujet une commission d'enquête qui est investie des pouvoirs d'un conseil d'arbitrage pour faire enquête et rapport sur le différend, sauf qu'elle ne peut rendre une décision, ni formuler de recommandations mais seulement constater les faits en se conformant aux articles 69 à 78 du Code du travail.
- 185. Le comité note encore qu'en vertu du même article, sur la requête du procureur général et après constitution d'une commission d'enquête, un juge de la Cour supérieure peut, s'il est d'avis que la grève met en péril la santé ou la sécurité publique, décerner toute injonction jugée appropriée pour empêcher cette grève ou y mettre fin, à condition qu'une telle injonction prenne fin au plus tard vingt jours après l'expiration du délai de soixante jours accordé à la commission d'enquête pour la production de son rapport, délai qui ne peut être prolongé.
- 186. Dans le cas d'espèce, le comité note que les faits indiqués par les plaignants ne sont pas contestés par le gouvernement. Par conséquent, il reste au comité à examiner si les mesures prises dans les circonstances du cas par le gouvernement de la province de Québec, tout d'abord pour obtenir une injonction qui a valu à certains syndicalistes d'être emprisonnés pour n'y avoir pas obtempéré, puis en adoptant la loi no 19, le 21 avril 1972, constituaient une violation des droits syndicaux.
- 187. Il ressort clairement des dispositions de l'article 99 du Code du travail que le personnel des services publics peut recourir à la grève sous réserve que certaines conditions soient remplies et que certains services essentiels et la façon de les maintenir soient déterminés par entente préalable entre les parties ou par décision de la Commission des relations de travail (art. 75 de la loi de la fonction publique de 1965). De même, le comité note que le Code du travail contient des dispositions relatives à la conciliation et à l'arbitrage volontaire en cas de conflit du travail.
- 188. Le comité a toujours estimé que les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence puisqu'elles concernent l'exercice d'un droit syndical. Dans le cas présent, on peut estimer que le droit du lieutenant-gouverneur en Conseil de constituer une commission d'enquête si une grève appréhendée ou en cours dans un service public met en danger la santé ou la sécurité publique, et le droit de demander à la Cour supérieure, dans des cas de ce genre, une injonction pour empêcher cette grève ou y mettre fin ne constituent pas des violations des droits syndicaux.
- 189. Le comité constate que l'injonction décernée le 1er avril 1972 ne visait que quelque 14 500 travailleurs occupés dans une cinquantaine d'hôpitaux pour malades chroniques ou malades mentaux et qu'elle interdisait à ces travailleurs de se mettre en grève avant le 9 juin 1972. D'après le jugement de la Cour supérieure, presque tous les travailleurs des établissements visés refusèrent d'obtempérer à l'injonction et, cette grève ayant désorganisé les services hospitaliers, le procureur général décida de poursuivre pour outrage au tribunal certains chefs syndicalistes et les syndicats eux-mêmes, ce qui provoqua l'arrestation de certains syndicalistes et leur emprisonnement après jugement.
- 190. En ce qui concerne l'arrestation et l'emprisonnement de syndicalistes, le comité a souligné, par le passé, l'importance qu'il a toujours attachée à un jugement prompt et équitable, par une autorité judiciaire impartiale et indépendante, des syndicalistes accusés de délits de caractère politique ou de délits de droit commun dont le gouvernement estime qu'ils sont dépourvus de rapport avec les fonctions syndicales des accusés. Dans le cas d'espèce, le comité constate, notamment, que les trois dirigeants syndicaux désignés dans les plaintes ont été jugés et condamnés par la Cour supérieure du district de Québec pour refus d'obéir à une injonction décernée le 1er avril 1972. Les plaignants n'ont rien communiqué qui permette de penser que les trois chefs syndicalistes en question n'aient pas fait l'objet les procédures équitables et rapides ou qu'ils n'aient pas pu être dûment représentés à toutes de phases de ces dernières et, par conséquent, le comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi de sa part.
- 191. Le comité constate que la loi no 19, du 21 avril 1972, a été promulguée pour mettre fin à la grève qui perturbait gravement le secteur public et elle a ordonné à tous les travailleurs de ce secteur de reprendre le travail le jour suivant. De plus, ce texte disposait que la Commission parlementaire de la fonction publique siégerait à partir du 25 avril 1972 pour entendre les représentations des parties au conflit et présenter un rapport à ce sujet le 15 mai 1972 au plus tard. Le comité constate encore que la loi ordonnait que si un accord n'intervenait pas entre les syndicats et les employeurs avant le 1er juin 1972 le gouvernement réglementerait d'autorité, avant le 30 juin 1972, les conditions de travail pour une période allant jusqu'au 30 juin 1974. Dans l'intervalle, en attendant qu'un accord ou qu'une loi fixe les conditions de travail, la loi no 19 supprimait le droit de grève jusqu'au 30 juin 1972.
- 192. Le comité note, au vu des dernières informations fournies par le gouvernement, que des négociations ont effectivement eu lieu entre le gouvernement de la province de Québec et les syndicats intéressés, et qu'une convention collective a été conclue, qui couvre quelque 140 000 employés de la fonction publique. Le comité note également que seuls les enseignants (environ 70 000 personnes) n'ont pu jusqu'ici arriver à un accord mais que l'on espère que des négociations finiront par conduire à une entente, évitant ainsi qu'il soit nécessaire de promulguer un décret, conformément à la loi ne 19, stipulant les conditions de travail de cette branche du secteur public.
- 193. Le comité note que, par suite de l'adoption de la loi no 19, les travailleurs du secteur public étaient empêchés de se mettre en grève avant le 30 juin 1972 et que, si les parties ne parvenaient pas à régler le différend et à se mettre d'accord, le gouvernement réglerait d'autorité les conditions de travail ce même jour au plus tard.
- 194. Dans le cas des agents de la fonction publique, la reconnaissance du principe de la liberté d'association n'implique pas nécessairement aussi le droit de grève. Par le passé, le comité a souligné l'importance qu'il attache - lorsque les grèves sont interdites ou qu'elles souffrent des restrictions dans la fonction publique et les services essentiels - à l'existence de garanties adéquates destinées à sauvegarder pleinement les intérêts des travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de promouvoir leurs intérêts professionnels; il a également relevé que de telles restrictions devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et que les sentences rendues devraient, dans tous les cas, lier l'une et l'autre partie, après avoir été rendues, ces sentences devraient être appliquées intégralement et rapidement.
- 195. A ce propos, le comité estime que la simple promulgation, par le gouvernement, de la loi ne 19 n'a pas constitué en elle-même une violation des droits syndicaux. Cependant, il tient à souligner que, puisque, en vertu de la loi no 19, le droit de grève des fonctionnaires est interdit ou qu'il souffre des restrictions, cette interdiction ou ces restrictions devraient aller de pair avec des garanties suffisantes et notamment avec l'existence d'un système spécial et impartial d'arbitrage pour sauvegarder pleinement les intérêts des travailleurs. Dans le cas d'espèce, on n'a pas recouru à la procédure légale d'arbitrage, qui est de toute manière volontaire, et la loi no 19 ne contient aucune disposition concernant le règlement du conflit au moyen d'une procédure impartiale d'arbitrage. Dans ces circonstances, le comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur les considérations qui précèdent et de souligner l'importance qu'il attache aux principes énoncés au paragraphe 194.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 196. Dans ces circonstances et compte tenu de l'ensemble du cas, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) pour ce qui est des allégations relatives à la procédure d'injonction à laquelle le gouvernement a recouru, d'exprimer l'avis que, pour les raisons exposées au paragraphe 189 ci-dessus, les mesures prises par le gouvernement pour obtenir du tribunal une injonction en vue de mettre provisoirement fin à une grève dans le secteur public ne constituaient pas une violation des droits syndicaux;
- b) pour ce qui est des allégations concernant l'arrestation et l'emprisonnement des dirigeants syndicaux Marcel Pépin, Louis Laberge et Yvon Charbonneau, de décider, pour les raisons exposées au paragraphe 191 ci-dessus, que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi de sa part;
- c) pour ce qui est des allégations relatives à la loi ne 19, de noter que cette loi n'a pas encore été appliquée, une convention ayant été conclue couvrant la majorité des salariés du secteur public, d'appeler l'attention du gouvernement sur les considérations figurant au paragraphe 195 et de souligner l'importance qu'il attache aux principes énoncés au paragraphe 194 en ce qui concerne les garanties dont devraient bénéficier les travailleurs de la fonction publique ou des services essentiels, pour que leurs intérêts soient protégés lorsque le droit de grève souffre des restrictions ou qu'il est interdit en ce qui les concerne.