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- 142. Les plaintes figurent dans une communication envoyée au BIT par le Comité syndical national de défense des droits des travailleurs (Bolivie), en date du 1er octobre 1968 et dans une communication envoyée au BIT par la Confédération des éducateurs américains, en date du 7 février 1969. Le texte de ces plaintes a été transmis au gouvernement, qui a envoyé certaines observations préliminaires relatives à la première de ces plaintes, dans une communication en date du 16 janvier 1969.
- 143. La Bolivie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 144. Le Comité syndical national de défense des droits des travailleurs, dans sa communication du 1er octobre 1968, déclare avoir été constitué « à la suite de la dissolution par voie administrative de la Centrale ouvrière bolivienne, au moyen du décret promulgué par la Junte militaire du gouvernement le 17 mai 1965 ». Il affirme qu'en matière syndicale certaines mesures adoptées par ladite junte, qui est au pouvoir depuis août 1966, continuent d'être en vigueur. Des décrets suprêmes de mai et de juin 1965 ont décidé la réorganisation des organismes syndicaux, mis fin aux fonctions des dirigeants des syndicats, fédérations, confédérations et centrales ouvrières et prévu que les élections dans chaque syndicat doivent, pour être valides, être présidées par un représentant du ministère du Travail et de la Sécurité sociale et par l'autorité civile et militaire de la localité. Après vérification que toutes les conditions exigées par les décrets sont remplies, les organes dirigeants ainsi élus doivent être reconnus par un arrêté ministériel. Les candidats doivent faire connaître leur candidature et leurs antécédents personnels au ministère dix jours avant la date des élections. Les plaignants indiquent que, de cette façon, le gouvernement a cessé de reconnaître les organisations syndicales, qu'il est intervenu dans des questions d'organisation interne et qu'il a choisi les candidats aux fonctions de direction dans les syndicats. Cette intervention aurait soumis les organisations à la tutelle du gouvernement sous un contrôle absolu.
- 145. La plainte indique qu'à la faveur de ces dispositions le gouvernement, par des décrets de mai et de juin 1965 et par un autre décret du 7 septembre 1968, a adopté les mesures suivantes: refus de reconnaître la Centrale ouvrière bolivienne, les confédérations, fédérations et syndicats; refus de reconnaître la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie; appropriation de tous les biens syndicaux par des mesures de confiscation; abaissement des salaires des travailleurs des mines relevant de la Corporation minière de Bolivie; emprisonnement, exil et persécution des dirigeants syndicaux, « dont beaucoup continuent jusqu'ici d'ignorer les motifs de leur incarcération », comme c'est le cas pour les travailleurs de la Corporation minière de Bolivie; mesures de violence contre les populations ouvrières de Sora Sora, Siglo XX, Huanuni, Animas-Chocaya, Quechisla, aboutissant au massacre de Catavi, le 23 juin 1967; congédiement massif de vingt-cinq mille travailleurs de l'enseignement.
- 146. Les plaignants poursuivent en indiquant que le 23 septembre 1966 a été promulguée par décret une nouvelle réglementation qui régit actuellement la vie du syndicalisme bolivien et qui viole tant les conventions internationales du travail que les principes légaux et constitutionnels du pays. En vertu de ce décret, ajoutent-ils, le ministère du Travail « exerce sa protection sur les organisations syndicales, sans préjudice de leur liberté d'action »; la personnalité juridique de chaque organisation syndicale doit être obtenue par un arrêté suprême signé par le Président de la République; les dirigeants élus doivent être « reconnus nominativement par le gouvernement dans un arrêté ministériel ». Le décret limite la faculté pour les syndicats de disposer de leurs ressources économiques en fixant le montant maximum de 1000 pesos boliviens (90 dollars des Etats-Unis); les dirigeants doivent être boliviens de naissance, avoir au moins six mois d'ancienneté dans l'entreprise et ne pas être membres d'un organe dirigeant d'un parti politique. Les plaignants critiquent également les dispositions portant sur le système d'intégration des organes dirigeants syndicaux.
- 147. A leur avis, de telles dispositions violent les articles 2, 3, 4, 5, 7 et 11 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, parce qu'elles ne permettent pas d'organisation syndicale sans l'autorisation, le contrôle et la vérification préalables du ministère; parce que les autorités interviennent dans la reconnaissance des dirigeants syndicaux, dans l'élaboration des statuts et règlements ainsi que dans la consultation des fédérations, confédérations et centrales ouvrières, en restreignant le nombre de celles-ci ou en refusant directement de les reconnaître. En outre, la stabilité de l'emploi n'est pas garantie aux travailleurs qui cessent d'exercer un mandat syndical, qui sont dans bien des cas calomnieusement accusés de délits, poursuivis et exilés.
- 148. En conclusion, les requérants indiquent que ces faits ont des répercussions profondes sur la vie syndicale du pays, étant donné que, parallèlement à l'intervention du gouvernement dans le domaine de l'organisation, il a été procédé à la confiscation des postes émetteurs de radio des mineurs, des sièges des syndicats et au blocage des comptes bancaires. Les requérants demandent à l'OIT d'envoyer une commission pour procéder à une enquête sur les allégations formulées.
- 149. Il convient de signaler que la plainte résumée dans les paragraphes précédents est signée, en plus du président et du secrétaire du Comité syndical national de défense des droits des travailleurs, par «les dirigeants des organisations syndicales nationales affiliées à ce comité », à savoir la Fédération syndicale des travailleurs du pétrole, la Fédération graphique bolivienne, le Syndicat des travailleurs de la radio, la Fédération nationale des enseignants urbains, la Confédération nationale des enseignants de l'éducation rurale, la Fédération syndicale des travailleurs de la construction de La Paz, et autres.
- 150. Dans la plainte de la Confédération des éducateurs américains du 7 février 1969, il est indiqué que « la déplorable situation économique dans laquelle se trouvent les éducateurs boliviens est à l'origine du mouvement revendicatif auquel s'est jointe la majorité du corps enseignant de Bolivie ». Au lieu de donner satisfaction aux légitimes demandes d'augmentation des traitements et d'améliorer les conditions de travail des éducateurs, le gouvernement, selon les allégations, a décrété le licenciement de vingt-cinq mille enseignants. Il aurait institué un « Conseil suprême de l'éducation » rattaché à la Présidence de la République, « auprès duquel les enseignants doivent se réinscrire sans aucun recours syndical ». Telle était la condition imposée aux enseignants licenciés s'ils voulaient pouvoir travailler l'année suivante.
- 151. Le gouvernement aurait pris des mesures répressives contre les dirigeants syndicaux de l'enseignement. Le secrétaire général de la Fédération nationale des enseignants urbains, M. René Dávila Morales, ainsi que le secrétaire de presse de ladite fédération, M. Alex Quiroz Elguera, auraient été expulsés du pays.
- 152. La Confédération des éducateurs américains qui a indiqué qu'elle possède en Bolivie des organisations qui lui sont affiliées (la Confédération nationale du travail de l'enseignement et la Fédération départementale des enseignants de La Paz) estime que le gouvernement a violé les dispositions des conventions nos 87 et 98. Elle exprime l'espoir que l'intervention de l'OIT amènera les autorités nationales à abroger les décrets frappant de licenciement vingt-cinq mille enseignants, à rétablir le droit de négociation collective, et à faire cesser « les poursuites contre les dirigeants d'organisations d'enseignants officiellement reconnues par l'administration du pays ».
- 153. Jusqu'à présent, le gouvernement a seulement envoyé certaines observations au sujet de la plainte présentée par le Comité syndical national de défense des droits des travailleurs. Il a déclaré, dans sa communication du 16 janvier 1968, que ce comité n'est pas un organisme syndical constitué légalement et qu'il agit en marge des lois. Le gouvernement estime indispensable, avant que les allégations ne soient examinées, que les plaignants prouvent devant le Comité de la liberté syndicale de l'OIT que le comité a été constitué légalement et qu'il possède la personnalité juridique, « pour être habilité à représenter les travailleurs du pays ».
154. Le comité fait observer que la réponse du gouvernement au sujet de l'une des plaintes se borne à suggérer que le comité détermine en premier lieu quelle est la situation juridique d'une organisation plaignante. Le comité rappelle que dans le cas no 571 relatif à la Bolivie une situation analogue s'est présentée quand le gouvernement a demandé, comme question préalable à l'examen des allégations, que le comité détermine la situation juridique d'une organisation de travailleurs, l'Action syndicale bolivienne (ASIB), citée dans la plainte. A sa réunion de mai 1969, le comité a indiqué que la plainte présentée dans le cas no 571 émanait d'une autre organisation pour laquelle il ne saurait en aucun cas se poser de question de recevabilité, et a signalé que si l'ASIB n'a pas d'existence légale faute d'une reconnaissance de la part des autorités ou en raison d'un défaut d'enregistrement, cette situation pouvait être la conséquence d'une carence de l'organisation elle-même, mais elle pouvait également être due au refus des autorités d'accepter son enregistrement.
154. Le comité fait observer que la réponse du gouvernement au sujet de l'une des plaintes se borne à suggérer que le comité détermine en premier lieu quelle est la situation juridique d'une organisation plaignante. Le comité rappelle que dans le cas no 571 relatif à la Bolivie une situation analogue s'est présentée quand le gouvernement a demandé, comme question préalable à l'examen des allégations, que le comité détermine la situation juridique d'une organisation de travailleurs, l'Action syndicale bolivienne (ASIB), citée dans la plainte. A sa réunion de mai 1969, le comité a indiqué que la plainte présentée dans le cas no 571 émanait d'une autre organisation pour laquelle il ne saurait en aucun cas se poser de question de recevabilité, et a signalé que si l'ASIB n'a pas d'existence légale faute d'une reconnaissance de la part des autorités ou en raison d'un défaut d'enregistrement, cette situation pouvait être la conséquence d'une carence de l'organisation elle-même, mais elle pouvait également être due au refus des autorités d'accepter son enregistrement.- 155. Le comité croit devoir signaler, comme il l'a fait dans d'autres cas antérieurs, que la procédure en vigueur en matière de soumission de plaintes relatives à des violations de la liberté syndicale prévoit que ces plaintes doivent émaner soit d'organisations de travailleurs ou d'employeurs, soit de gouvernements. Le comité rappelle que, dans son premier rapport déjà, il avait indiqué que l'on pouvait parfois faire valoir que les personnes qui prétendent agir au nom d'une organisation de ce genre ne sont pas habilitées à le faire si cette organisation a été dissoute ou n'a pas été reconnue. Dans ces cas, constatait le comité, des contestations pourraient évidemment s'élever quant à l'autorité dont jouissent exactement les personnes qui prétendent agir au nom de l'organisation intéressée et il a fait savoir qu'il serait disposé à examiner chaque cas selon ses mérites. Il a déclaré toutefois qu'il ne jugerait jamais une plainte irrecevable par le seul fait que le gouvernement en cause a dissous l'organisation au nom de laquelle la plainte est présentée ou n'a pas reconnu cette organisation. En adoptant ce point de vue, le comité s'est inspiré des conclusions approuvées à l'unanimité par le Conseil d'administration en 1937 lorsque, à propos du cas relatif au Parti travailliste de l'île Maurice, il a examiné une plainte fondée sur l'article 24 de la Constitution de l'OIT (alors art. 23). Dans le cas en question, le Conseil d'administration a établi le principe selon lequel il se réserve la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider si un organisme doit ou non être considéré comme une organisation professionnelle aux fins de la Constitution de l'OIT et il ne se considère lié par aucune définition de l'appellation « organisation professionnelle » que pourrait donner un gouvernement. Le comité a toujours suivi les mêmes principes pour juger de la recevabilité des plaintes dont il a eu à connaître. C'est pourquoi il a toujours estimé qu'une plainte ne saurait être irrecevable pour la seule raison que le gouvernement visé a dissous l'organisation qui la présente ou n'a pas reconnu cette organisation.
- 156. Dans le cas présent, le Comité syndical national de défense des travailleurs allègue qu'il a été constitué à la suite de la dissolution par voie administrative de la Centrale ouvrière bolivienne. La plainte est signée en outre par diverses organisations professionnelles boliviennes qui déclarent être affiliées audit comité syndical. Le gouvernement n'a pas présenté d'observations au sujet de la situation légale de ces organisations, mais même dans l'hypothèse où celles-ci ne seraient pas non plus actuellement reconnues ou inscrites, il convient de tenir compte du fait que les questions soulevées dans les allégations portent en grande partie sur des dispositions établies par divers décrets de 1965 et reprises dans un autre décret de 1966, qui, d'après la plainte, empêchent que les organisations syndicales soient constituées et fonctionnent librement et que leurs représentants soient librement élus.
- 157. Dans ces conditions, le comité considère que l'argument du gouvernement bolivien selon lequel le Comité syndical national de défense des droits des travailleurs est dépourvu d'existence légale ne constitue pas un motif pour déclarer irrecevable la plainte présentée par ladite organisation avec l'appui d'autres organisations syndicales boliviennes.
- 158. D'ailleurs, certains aspects de cette plainte portent sur des questions que le comité a déjà eu l'occasion d'examiner dans d'autres cas relatifs à la Bolivie.
- 159. Ainsi, à sa réunion de novembre 1965, au sujet des décrets adoptés cette année-là, qui traitaient de l'élection des représentants syndicaux, du nombre des organisations qui peuvent être constituées et d'autres questions relatives aux syndicats en général, le comité a présenté au Conseil d'administration, notamment, les recommandations suivantes, qui ont été approuvées par ce dernier à sa 164ème session (février-mars 1966). Le comité a recommandé:
- a) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que les dispositions des décrets nos 07171, 07172 et 07205, relatives à l'intervention des autorités publiques aux différents stades des élections à des postes de dirigeants syndicaux, ne sont pas compatibles avec les garanties reconnues aux syndicats par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, que la Bolivie a ratifiée, et de suggérer par conséquent au gouvernement d'étudier une modification de ces textes qui permettrait aux organisations syndicales d'élire librement leurs représentants, les autorités publiques devant s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ces droits ou à en entraver l'exercice légal;
- b) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que les dispositions des décrets nos 07171, 07172 et 07204 qui subordonnent l'élection à un poste de dirigeant syndical à diverses conditions (être occupé activement dans l'entreprise considérée et n'avoir pas été condamné pour délit) et qui interdisent le renouvellement du mandat des dirigeants syndicaux, ne sont pas compatibles avec le droit d'élire leurs représentants garanti à tous les travailleurs par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et, par conséquent, de suggérer au gouvernement d'étudier une modification de ces textes de manière à permettre aux organisations syndicales d'élire librement leurs représentants;
- c) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il a toujours attachée au principe selon lequel les travailleurs et les employeurs doivent avoir le droit de constituer des organisations « de leur choix » ainsi que celui de s'y affilier - principe consacré à l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, que la Bolivie a ratifiée - et, par conséquent, de suggérer aux gouvernements d'étudier une modification du décret no 07204 qui mettrait ce texte en harmonie avec le principe rappelé plus haut;
- d) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que la disposition du décret no 07204 selon laquelle la constitution de syndicats proprement dits dans les entreprises de création récente est interdite n'est pas compatible avec le droit de constituer librement des organisations de leur choix, que l'article 2 de la convention (no 87) garantit à tous les travailleurs, et de lui suggérer d'étudier une modification de cette disposition qui assurerait à tous les travailleurs le droit de constituer des organisations syndicales conformément au principe rappelé plus haut;
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- 160. Les allégations présentées dans les cas présents portent, en partie, sur diverses mesures concrètes qui auraient affecté et continueraient d'affecter la Centrale ouvrière bolivienne, la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie et d'autres organisations. En outre, il est allégué que la nouvelle réglementation syndicale, qui a été promulguée le 23 septembre 1966 et a remplacé les décrets de 1955, contient diverses dispositions contraires à la liberté syndicale.
- 161. En ce qui concerne la plainte de la Confédération des éducateurs américains, le comité n'a pas encore reçu d'observations du gouvernement.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 162. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement de bien vouloir envoyer ses observations détaillées sur le fond des plaintes présentées dans le présent cas et résumées dans les paragraphes 144 à 152 qui précèdent, et de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le comité soumettra un nouveau rapport une fois que lesdites observations auront été reçues.