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- 70. Le dernier rapport soumis au Conseil d'administration au sujet de ce cas, que le comité a examiné lors de sa session de novembre 1970, figure aux paragraphes 192 à 206 du 120e rapport. Le comité y a poursuivi l'analyse de la situation de M. Rubén Carlos Esguerra en ce qui concerne sa condamnation en première instance pour tentative d'homicide. Le jugement faisait alors l'objet d'un appel auprès de la Cour suprême du district et des territoires fédéraux, si bien que le comité avait ajourné l'examen du cas. M. Esguerra avait formulé certains commentaires à propos du procès, sur lesquels le gouvernement n'avait pas présenté d'observations.
- 71. Le comité rappelle qu'il s'agissait en l'occurrence du rôle que M. Esguerra avait joué dans une manifestation de protestation à laquelle plusieurs travailleurs et dirigeants syndicaux avaient participé et qui était destiné à appuyer leurs revendications. L'action de l'intéressé avait consisté en premier lieu à inciter lesdits travailleurs à déclencher une grève de la faim, ce qu'ils avaient fait de leur plein gré. Par la suite, M. Esguerra aurait essayé d'empêcher que les grévistes ne cessent de faire la grève ou qu'on ne leur donne des aliments et des soins, mettant ainsi leur vie en danger. Sur ce point, le jugement par lequel l'intéressé a été condamné pour tentative d'homicide relève qu'il a fallu que la force publique intervienne pour qu'on puisse emmener les grévistes à l'hôpital. Le comité a constaté cependant que le gouvernement avait indiqué précédemment (communication du 12 janvier 1968) que « sept personnes avaient participé à une grève de la faim aux portes de l'immeuble où se trouvent les bureaux de l'ONU. En raison du manque d'aliments, elles ont mis leur vie en danger, ce qui les a amenées à abandonner leur attitude et à demander des soins médicaux. » Sur ces sept personnes, « six furent emmenées, à, leur demande, par le personnel de la Direction de l'assistance sociale » et admises à l'hôpital de la ville de Mexico. Quant à la septième personne, elle a préféré se rendre dans une clinique privée.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 72. Le 29 janvier 1971, M. Esguerra a envoyé une nouvelle communication dans laquelle il signale que la Cour l'avait condamné en deuxième instance et formule des commentaires sur l'arrêt en question. Cette lettre a été transmise au gouvernement qui, pour sa part, a fait tenir au Bureau deux communications, l'une en date du 23 février 1971 et l'autre, à laquelle était joint le texte de l'arrêt de la Cour, en date du 23 avril 1971.
- 73. M. Esguerra signale que la Direction fédérale de sécurité lui a fait signer une déclaration en recourant à des moyens violents, que les accusateurs n'avaient pas comparu devant le juge chargé de la cause, ni présenté de preuves contre lui, que l'arrêt se fonde principalement sur les accusations de trois personnes (qui ont déclaré que l'accusé les avait contraintes à poursuivre la grève de la faim), personnes qui n'avaient pas participé à la grève, et que la Cour n'avait nullement tenu compte du fait que les accusateurs avaient indiqué un faux domicile dans leur déclaration afin de ne pouvoir être retrouvés.
- 74. Dans sa première communication, le gouvernement fait valoir que M. Esguerra a joui des garanties que la Constitution politique fédérale accorde à tout accusé et qu'il a été jugé par un tribunal impartial, indépendant, préalablement constitué, qui a appliqué des dispositions de caractère général. L'arrêt de la Cour peut faire l'objet d'un recours en application des garanties constitutionnelles. Le gouvernement poursuit en disant qu'il « reconnaît la haute mission de l'OIT en tant que garante des intérêts des travailleurs à l'échelle mondiale; il ne pense toutefois pas qu'il entre dans les attributions de l'OIT de se convertir en organisme de révision des décisions judiciaires prononcées par les Etats Membres, puisqu'elle se rendrait alors manifestement coupable d'une violation de la souveraineté de ces Etats et placerait les travailleurs dans une situation injustement privilégiée par rapport aux autres nationaux, en leur permettant de recourir à une instance à laquelle les autres n'ont pas accès ». Dans sa seconde communication, le gouvernement présente une synthèse du procès et des preuves sur lesquelles l'arrêt se fonde et dit qu'à son avis le Comité de la liberté syndicale se sera pleinement acquitté de ses obligations en s'assurant que M. Esguerra a bénéficié de toutes les garanties légales et que le jugement rendu repose sur des dispositions législatives qui qualifient des délits de droit commun.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 75. Le comité estime que, conformément aux principes relatifs à la liberté syndicale, les autorités publiques ne peuvent priver de leur liberté des dirigeants syndicaux afin de mettre un terme à leurs activités syndicales, mais cela ne signifie aucunement que les autorités doivent cesser d'utiliser leurs pouvoirs légitimes en matière d'ordre public dans les cas où des dirigeants syndicaux ont commis des délits prévus dans la législation nationale. La convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ratifiée par le Mexique, ne confère aucune immunité à ces dirigeants et dispose même que les travailleurs et leurs organisations sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité. Cependant, le comité estime aussi qu'en cas d'arrestation ou de condamnation d'un dirigeant il lui incombe de s'enquérir des buts ou des motifs d'une telle mesure. A cet égard, le comité tient à rappeler qu'il a déjà signalé, dans un rapport antérieur sur le même cas, qu'il est accoutumé à ne pas poursuivre l'examen d'une plainte quand il ressort des informations qui lui ont été fournies que les intéressés ont été jugés par les autorités judiciaires compétentes, qu'ils ont bénéficié des garanties d'un procès régulier et qu'ils ont été condamnés pour des actes qui n'avaient aucun rapport avec les activités syndicales ou qui débordaient le cadre des activités syndicales normales.
- 76. Compte tenu de ces considérations, le comité a examiné le texte de l'arrêt de la Cour, d'où il ressort ce qui suit. Selon les déclarations faites, devant le représentant du ministère public, par les travailleurs qui avaient participé à la grève de la faim menée devant l'immeuble où les Nations Unies ont leurs bureaux à Mexico et par les fonctionnaires de l'assistance sociale qui avaient examiné lesdits travailleurs pendant la grève, M. Esguerra s'était opposé à ce que les grévistes fussent conduits à l'hôpital, quand bien même ils se trouvaient dans un état d'inanition grave, contrariant ainsi la volonté des intéressés eux-mêmes. Finalement, il fallut l'intervention des autorités de police pour remettre à l'ordre Esguerra et emmener les grévistes à l'hôpital, où ils reçurent les soins médicaux nécessaires. L'avocat de M. Esguerra allègue, dans l'appel qu'il a formé, que lesdites déclarations manquent de valeur probatoire faute d'avoir été faites devant le juge instructeur, bien qu'elles aient été confirmées devant le représentant du ministère public; il fait valoir en outre que les accusateurs n'ont pas comparu devant le juge pour être confrontés avec l'inculpé. D'autre part, il signale que, même si les déclarations sont tenues pour valables, les éléments constitutifs du délit ne seraient pas réunis, étant donné que M. Esguerra ne se serait en tout cas opposé qu'en paroles à une interruption de la grève. A cet égard, il indique qu'il n'est pas établi « que l'accusé aurait eu recours à un moyen physique pour empêcher les intéressés de prendre des aliments et que ceux-ci pouvaient à tout moment changer d'attitude, puisque rien ne les empêchait de quitter l'endroit, situé sur la voie publique, où ils faisaient leur grève de la faim ».
- 77. Dans son arrêt, la Cour rejette les objections du défenseur relatives à la procédure appliquée et relève que les déclarations des accusateurs et des fonctionnaires du secrétariat d'Etat à la Santé et à l'Assistance faites devant le représentant du ministère public ont pleine valeur probatoire, conformément aux dispositions de l'article 286 du Code de procédure pénale, et que les confrontations ont eu lieu selon l'article 229, paragraphe 1er, dudit code. A propos de ce dernier point, le comité constate que la disposition susmentionnée a la teneur suivante: « Si l'une des personnes à confronter n'a pas été retrouvée ou si elle réside dans un autre ressort, il sera procédé à la confrontation supplétoire, la déclaration de l'absent étant lue au présent, qui devra signaler les contradictions qu'il pourrait y avoir entre ladite déclaration et ce qu'il a lui-même déclaré. »
- 78. En ce qui concerne le procès et les jugements rendus, le comité tient à relever ce qui suit. D'une part, la documentation disponible fait apparaître que les personnes qui ont participé à la grève de la faim et les fonctionnaires du secrétariat d'Etat à la Santé et à l'Assistance n'ont pas comparu devant le juge chargé de la cause et n'ont pas été confrontés avec l'accusé. Les premiers auraient indiqué un faux domicile au représentant du ministère public et ont disparu par la suite. D'autre part, la condamnation repose sur le fait que l'accusé aurait empêché les participants à la grève d'interrompre celle-ci, mettant ainsi leur vie en danger. Néanmoins, tous les faits se sont produits en un lieu public et il n'apparaît pas clairement dans quelle mesure pareille opposition a réellement pu empêcher les intéressés de renoncer d'eux-mêmes à la grève. Quoi qu'il en soit, toute opposition que M. Esguerra aurait pu manifester au désir des intéressés d'interrompre la grève constituerait un abus manifeste de sa part, dont la gravité, du point de vue pénal, doit être évaluée par les organes judiciaires compétents, à la lumière des circonstances du cas.
- 79. Le comité constate que M. Esguerra a été jugé par les autorités judiciaires normales, que celles-ci ont appliqué la procédure généralement en usage en la matière, que l'intéressé a été assisté par des avocats et qu'il s'est prévalu de son droit d'appel, moyen auquel il peut encore avoir recours contre l'arrêt de deuxième instance, s'il estime n'avoir pas bénéficié des garanties constitutionnelles.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 80. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration de prendre note du présent rapport, de signaler à l'attention du gouvernement les considérations qui précèdent et de prier le gouvernement de bien vouloir le tenir au courant de l'évolution de ce cas.