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- 34. Aux mois de mars et d'avril 1962, toute une série de plaintes portant sur les mêmes faits a été déposée directement auprès de l'O.I.T concernant des atteintes qui auraient été portées à l'exercice des droits syndicaux au Congo (Léopoldville).
- 35. Ces plaintes émanaient des organisations suivantes: Confédération internationale des syndicats chrétiens, Union des travailleurs congolais, Confédération syndicale africaine et Union panafricaine des travailleurs croyants. La plainte de la Confédération internationale des syndicats chrétiens est contenue dans six communications datées, respectivement, des 29 mars, 30 mars, 4 avril, 5 avril, 13 avril et 24 avril 1962; la plainte de l'Union des travailleurs congolais dans deux communications datées, respectivement, des 29 mars et 10 avril 1962; la plainte de la Confédération syndicale africaine dans six communications datées, respectivement, des 2 avril, 5 avril, 6 avril, 7 avril (deux communications) et 11 avril 1962; la plainte de l'Union panafricaine des travailleurs croyants, enfin, dans une communication datée du 10 avril 1962.
- 36. Toutes ces communications ont été transmises au gouvernement pour observations à mesure de leur réception. Le gouvernement a présenté ses observations par une communication en date du 19 mai 1962, reçue trop tardivement pour permettre au Comité de l'examiner quant au fond à sa session du mois de mai 1962 (31ème session).
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 37. Les allégations des plaignants, qui sont appuyées par une très volumineuse documentation, se répartissent entre deux rubriques essentielles: arrestation de dirigeants de l'Union des travailleurs congolais à l'occasion d'une grève; confiscation de fichiers et de documents appartenant à cette organisation. Avant, toutefois, d'examiner en tant que telles ces allégations spécifiques, il convient de retracer les événements qui ont conduit aux faits allégués.
- 38. Dans la version qu'en donnent les plaignants, ces événements sont les suivants. Ayant constaté que la situation sociale et économique du pays était loin d'être satisfaisante, le gouvernement aurait décidé, dans le courant de 1961, d'instituer une politique d'austérité destinée à redresser cette situation. L'Union des travailleurs congolais (U.T.C.) aurait souscrit à cette politique d'austérité à condition qu'elle touche l'ensemble des catégories de la population. L'exécution du programme d'austérité se faisant trop attendre, le troisième congrès national de l'U.T.C, réuni en décembre 1961, aurait adopté une résolution par laquelle, d'une part, l'U.T.C dit considérer l'application de la politique d'austérité comme le seul moyen propre à assurer le redressement de la situation économique et sociale du pays, d'autre part, « elle invite le gouvernement à élaborer les mesures d'austérité et à les appliquer avant la fin du mois de mars 1962 ». Ultérieurement, l'U.T.C aurait précisé qu'elle exigeait la création d'une commission nationale du programme d'austérité aux travaux de laquelle les syndicats seraient appelés à participer.
- 39. Le gouvernement n'ayant toujours pris aucune mesure, une réunion extraordinaire du comité national de l'U.T.C aurait été convoquée à la mi-mars 1962, pour préciser les objectifs de l'U.T.C et déposer officiellement un préavis de grève générale expirant le 31 mars avec effet le fer avril.
- Allégations relatives à l'arrestation de dirigeants de l'Union des travailleurs congolais
- 40. Le gouvernement s'étant abstenu de donner suite aux revendications des travailleurs, l'U.T.C aurait maintenu le préavis de grève générale expirant le 31 mars. La grève devait durer deux jours - les 2 et 3 avril - et se dérouler dans le calme, les instructions données par le syndicat à ses militants étant de rester chez eux durant les deux jours de la grève.
- 41. C'est alors que M. André Bo-Boliko, président de l'U.T.C, aurait été convoqué par la Sûreté le 29 mars. Après avoir été entendu, il aurait été arrêté et incarcéré à la prison de Malaka.
- 42. Alors que, d'après les plaignants, l'action des travailleurs congolais n'aurait été entreprise que pour dénoncer la carence du gouvernement, informé depuis trois mois des justes revendications des travailleurs présentées par l'U.T.C, le ministre de l'Intérieur aurait, dans un discours prononcé à la radio le 30 mars 1962, tenté de justifier l'arrestation de M. Bo-Boliko. Dans ce discours, le ministre aurait affirmé que l'Union des travailleurs congolais cherchait à provoquer des émeutes pour renverser le gouvernement et que l'action de l'U.T.C était « téléguidée par des influences étrangères »; le ministre aurait ajouté que le gouvernement était décidé à employer tous les moyens pour faire échec à la grève annoncée pour les 2 et 3 avril.
- 43. Les plaignants allèguent en outre, d'une part, que M. Bruno Ngoy, fonctionnaire permanent de l'U.T.C, aurait été arbitrairement arrêté par le bourgmestre de la commune de Bandalungwa, d'autre part, que deux secrétaires de l'U.T.C, MM. Bernard Tampungu et Modeste Mayapa, auraient été arrêtés par les autorités de Stanleyville. En ce qui concerne ces deux dernières personnes, les plaignants, dans une communication ultérieure, déclarent avoir appris qu'elles avaient été acquittées par le tribunal.
- 44. Dans sa réponse, le gouvernement indique que l'arrestation de M. Bo-Boliko a été décidée par le Parquet à la suite d'une plainte de la Sûreté nationale. Le président de l'U.T.C, déclare le gouvernement, a été poursuivi en application de l'article 186 du Code pénal, qui punit « quiconque, soit par des discours tenus dans des réunions ou lieux publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques, qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, aura excité les populations contre les pouvoirs publics ». Ces dispositions, précise le gouvernement, ont pour but non seulement d'assurer la sûreté de l'Etat, mais également la tranquillité publique. Le climat d'agitation sociale qui régnait aux mois de mars et d'avril 1962, poursuit le gouvernement, de même que certains indices d'ingérences extra-syndicales, voire étrangères, devaient amener la Sûreté nationale et la Justice à prendre les mesures nécessaires pour enrayer tout mouvement d'agitation; c'est pour les mêmes motifs et pour respecter la nécessité de mener à bien l'instruction que ces autorités ont estimé indispensable la mise en détention préventive de l'intéressé jusqu'à ce que les tribunaux se soient prononcés. Ces tribunaux, déclare le gouvernement, se sont prononcés dès la première instance en acquittant M. Bo-Boliko, lequel a été remis en liberté dès le jugement d'acquittement rendu.
- 45. En ce qui concerne M. Bruno Ngoy, qui avait été arrêté par le bourgmestre de la commune de Bandalungwa, le gouvernement déclare que, dès qu'il a appris la chose, il a fait libérer l'intéressé. Le gouvernement ajoute que les faits ont immédiatement été portés à la connaissance du procureur d'Etat, afin de lui permettre d'entamer des poursuites judiciaires contre le fonctionnaire responsable si l'instruction de l'affaire révèle que l'arrestation a été arbitraire.
- 46. En ce qui concerne, enfin, MM. Bernard Tampungu et Modeste Mayapa, arrêtés par les autorités provinciales de Stanleyville, le gouvernement déclare ici encore qu'il a fait procéder à la libération des intéressés dès qu'il a eu connaissance de leur arrestation. On a vu en outre que les personnes en question avaient été ultérieurement acquittées par le tribunal compétent (cf. paragr. 43 ci-dessus).
- 47. Dans de nombreux cas antérieurs, à l'occasion desquels on avait allégué que des fonctionnaires ou des membres de syndicats avaient été détenus à titre préventif, le Comité avait exprimé l'avis que des mesures de détention préventive peuvent constituer une atteinte sérieuse à l'exercice des droits syndicaux, qu'il semblerait nécessaire de justifier par l'existence d'un danger grave et qui pourrait faire l'objet de critiques, si elle n'est pas accompagnée de garanties judiciaires appropriées, accordées dans un délai raisonnable; le Comité avait aussi déclaré que tout gouvernement devrait se faire une règle de veiller au respect des droits de l'homme et, en particulier, au droit de toute personne détenue à être jugée équitablement le plus tôt possible.
- 48. Dans le cas d'espèce, sur les quatre personnes mises en cause, l'une d'entre elles, M. Bruno Ngoy, a été libérée sans délai alors que, parallèlement une enquête était entreprise en vue d'infliger d'éventuelles sanctions au fonctionnaire responsable de l'arrestation au cas où celle-ci se révélerait avoir été abusive. Une autre personne, M. Bo-Boliko, est passée en jugement dans des délais raisonnables, a été acquittée puis libérée dès le jugement rendu. Les deux personnes restantes, MM. Tampungu et Mayapa, elles aussi acquittées par le tribunal compétent, avaient été remises en liberté avant même de passer en jugement.
- 49. Bien qu'il semble que le principe d'un jugement prompt et équitable mentionné au paragraphe 47 ci-dessus ait été respecté dans le cas des quatre personnes mentionnées, le Comité observe que les dispositions de l'article 186 du Code pénal, en vertu desquelles ces personnes ont été poursuivies, paraissent être conçues en des termes à ce point vagues et généraux qu'elles comportent un risque de pouvoir être appliquées de manière à porter atteinte aux droits syndicaux. Toutefois, étant donné le fait que les quatre personnes mises en cause sont toutes aujourd'hui en liberté, trois d'entre elles ayant en outre été acquittées par le tribunal, le Comité estime qu'il serait sans objet de poursuivre l'examen de cet aspect du cas et recommande en conséquence au Conseil d'administration de décider que, sous réserve de l'observation faite ci-dessus, il n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
- Allégations relatives à la confiscation de fichiers et de documents appartenant à l'Union des travailleurs congolais
- 50. Les plaignants allèguent que, le 30 mars 1962, des agents de la Sûreté se sont présentés au siège de l'U.T.C pour y perquisitionner. Les fichiers de la Fédération de Léopoldville, les documents de comptabilité interne, de la correspondance et d'autres documents auraient été saisis sans qu'il en fût dressé inventaire.
- 51. Aux yeux des plaignants, le fait d'emporter les fichiers de l'organisation constituerait une atteinte à la liberté syndicale. Ils estiment qu'en prenant cette mesure, la Sûreté aurait tenté de paralyser toute activité de l'U.T.C en la privant d'un instrument de travail essentiel.
- 52. Dans sa réponse, le gouvernement déclare que la perquisition et la saisie de documents au siège central de l'U.T.C ont été ordonnées pour les nécessités de l'instruction de l'affaire Bo-Boliko, et notamment pour rechercher la preuve de l'existence d'influences extra-syndicales et d'atteintes à la sûreté intérieure de l'Etat.
- 53. L'affaire, qui ne dépassait pas la personne du président de l'U.T.C, ayant été classée à la suite du jugement d'acquittement, les documents saisis, ont été retournés à l'organisation en cause ou sont en passe de l'être.
- 54. A l'occasion d'un cas antérieur, le Comité, tout en admettant que les syndicats, comme les autres associations ou les particuliers, ne peuvent se prévaloir d'aucune immunité contre une perquisition des locaux syndicaux, avait tenu à souligner l'importance qu'il attache au principe selon lequel une telle intervention ne devrait se produire qu'à la suite de la délivrance d'un mandat par l'autorité judiciaire ordinaire, lorsque cette autorité est convaincue qu'il y a de solides raisons de supposer qu'on y trouvera les preuves nécessaires à la poursuite d'un délit conformément à la législation ordinaire et à la condition que la perquisition soit limitée aux objets qui ont motivé la délivrance du mandat.
- 55. Dans le cas d'espèce, tant les déclarations du gouvernement que le fait qu'un mandat de perquisition a été délivré - mandat dont les plaignants eux-mêmes fournissent la copie - tendent à montrer que le principe mentionné au paragraphe précédent a été respecté.
- 56. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que les documents originairement saisis ont été ou sont sur le point d'être rendus à leur propriétaire, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 57. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) de réaffirmer l'avis qu'il avait exprimé selon lequel des mesures de détention préventive peuvent constituer une atteinte sérieuse à l'exercice des droits syndicaux, qu'il semblerait nécessaire de justifier par l'existence d'un danger grave et qui pourrait faire l'objet de critiques, si elle n'est pas accompagnée de garanties judiciaires appropriées, accordées dans un délai raisonnable, et selon lequel tout gouvernement devrait se faire une règle de veiller au respect des droits de l'homme, en particulier, au droit de toute personne détenue d'être jugée promptement et équitablement;
- b) de décider que, sous réserve des observations ci-dessus, le cas n'appelle pas un examen plus approfondi.