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- 72. Par une communication du 19 mai 1960, adressée directement à l'O.I.T, la F.S.M a déposé une plainte en violation de la liberté syndicale contenant des allégations selon lesquelles il aurait été porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux dans la République du Congo. Les plaignants ont été informés, par une lettre du 30 mai 1960, de leur droit de présenter, dans le délai d'un mois, des informations complémentaires à l'appui de leur plainte, droit dont ils n'ont pas fait usage. La plainte de la F.S.M a été communiquée au gouvernement français, pour observations, par une lettre du 27 mai 1960, qui précisait que le cas rentrait dans la catégorie de ceux que le Comité et le Conseil d'administration sont tenus d'examiner en priorité. Par une communication du mois de juillet 1960, la C.G.A.T a déposé devant l'O.I.T une plainte sur le même sujet. Informée le 26 juillet de son droit de présenter des informations complémentaires à l'appui de sa plainte, la C.G.A.T n'a pas usé de cette latitude. La plainte de la C.G.A.T a été communiquée au gouvernement pour observations par une lettre du 27 juillet 1960. Par une communication du 8 août 1960, le gouvernement français a fait parvenir au Bureau les observations du gouvernement de la République du Congo au sujet des allégations qui avaient été formulées contre ce dernier.
- 73. En devenant Membre de l'Organisation internationale du Travail le 10 novembre 1960, le gouvernement de la République du Congo (Brazzaville) a déclaré que la République du Congo demeurait liée par les obligations découlant de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, dont les dispositions avaient été déclarées antérieurement applicables par la France à l'Afrique équatoriale française.
A. Allégations relatives à la perquisition de locaux syndicaux
A. Allégations relatives à la perquisition de locaux syndicaux
- 74. Les plaignants allèguent qu'en mai 1960, les bureaux de la C.G.A.T auraient fait l'objet d'une perquisition et que la police aurait fait main basse sur les documents de cette organisation; les scellés auraient été apposés au siège de la C.G.A.T.
- 75. Dans sa réponse, le gouvernement ne nie pas avoir procédé à la perquisition incriminée. Il précise toutefois que ladite perquisition a été ordonnée en raison du fait que la C.G.A.T partageait, à la Bourse du Travail, dans des locaux mis à la disposition des organisations syndicales par la municipalité de Brazzaville, ses bureaux avec une organisation politique, l'Union de la jeunesse congolaise, affiliée à la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, et qui tendait, par des méthodes illégales, à troubler l'ordre et à porter atteinte à la sécurité de l'Etat.
- 76. Le gouvernement déclare que c'est la recherche des documents de l'Union de la jeunesse congolaise qui a motivé la perquisition de la police, sur commission rogatoire d'un magistrat, le gouvernement ayant tout lieu de penser qu'il y avait collusion entre cette organisation politique et la C.G.A.T. Il précise que la perquisition a confirmé ses soupçons et que les documents saisis démontrent l'interpénétration des deux organisations, «les dossiers - déclare-t-il - contenant indifféremment des pièces de l'une ou de l'autre ».
- 77. Le gouvernement affirme qu'en tant que telle, la C.G.A.T n'a jamais subi aucune atteinte et que ses sections syndicales continuent à assurer leur tâche de défense des intérêts des salariés. C'est le fait que cette organisation a cru non seulement devoir donner asile à une organisation politique, mais encore l'appuyer de tous les moyens dont elle disposait, qu a obligé l'autorité judiciaire à se saisir provisoirement de ses archives. Le gouvernement fait remarquer que les locaux des autres centrales syndicales n'ont fait l'objet d'aucune poursuite ou perquisition; la C.A.T.C et la C.A.S.L. - déclare-t-il - n'ont jamais été inquiétées, de même que les syndicats autonomes.
- 78. Le gouvernement déclare que l'Union de la jeunesse congolaise se servait non seulement du siège de la C.G.A.T mais encore de son papier à en-tête pour établir ses liaisons internationales et, notamment, pour solliciter des organisations communistes internationales et du parti communiste français l'octroi de fonds pour poursuivre et développer son action. Cette déclaration du gouvernement semblerait confirmée par la photocopie, fournie par le gouvernement, d'une lettre adressée à la C.G.T de France où il est dit entre autres: «Nous avons décidé de demander au P.C.F, malgré les difficultés qu'éprouve la classe ouvrière française, une aide financière dont le montant est laissé à sa libre détermination. Par ailleurs, nous savons que depuis la création de la C.G.A.T, il n'a cessé d'y apporter une aide technique et matérielle, mais nous avons jugé utile de passer sous le couvert de la C.G.T, qui nous connaît le mieux, pour traiter avec le P.C.F. La première chose que nous voulons obtenir est l'aide pour démarrer un journal du parti. Une fois que les questions de principe seront acquises, les modalités de transfert de cette aide peuvent être établies après. »
- 79. De cette lettre, il ressort également que la C.G.A.T a effectivement entendu ne pas borner son rôle à des activités uniquement syndicales; le signataire de la lettre, M. Julien Boukambou, secrétaire général de la C.G.A.T, s'exprime en effet en ces termes: «Il ne nous est plus possible de lutter sur le plan syndical simplement et nous avons décidé de sacrifier deux de nos militants et les chargeons de créer un parti politique... »
- 80. Il paraît bien se dégager des explications présentées par le gouvernement ainsi que des preuves fournies par lui à l'appui de ces dernières que la mesure de perquisition qui a frappé le siège de la C.G.A.T. - et qui visait d'ailleurs plus le mouvement politique qu'abritait la C.G.A.T que cette organisation elle-même - n'ait pas constitué une atteinte à l'exercice des droits syndicaux en tant que tels. Dans ces conditions, et tenant compte du fait que le gouvernement, dans sa réponse, ajoute aux déclarations rapportées plus haut que la C.G.A.T a conservé, du reste, non seulement son existence légale, mais tous ses moyens d'action, le siège légal de l'organisation ayant été transféré au mois d'avril au domicile d'un de ses dirigeants, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
- 81. D'autre part, étant donné qu'il apparaît que la C.G.A.T a eu - ou, du moins, a envisagé - une activité politique d'une portée dépassant celle qui s'attache normalement aux activités professionnelles des syndicats, le Comité estime approprié, comme il l'a fait dans des circonstances analogues, de recommander au Conseil d'administration d'exprimer l'avis que, dans l'intérêt du développement normal du mouvement syndical dans la République du Congo, il serait désirable que les parties intéressées s'inspirent des principes énoncés dans la résolution adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 35ème session, en 1952, qui prévoit notamment que l'objectif fondamental et permanent du mouvement syndical est le progrès économique et social des travailleurs, et que, lorsque les syndicats décident, en se conformant aux lois et usages en vigueur dans leurs pays respectifs et à la volonté de leurs membres, d'établir des relations avec les partis politiques ou d'entreprendre une action politique pour favoriser la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux, ces relations ou cette action politique ne doivent pas être de nature à compromettre la continuité du mouvement syndical ou de ses fonctions sociales et économiques, quels que soient les changements politiques qui peuvent survenir dans le pays.
- Allégations relatives à l'arrestation de dirigeants syndicaux
- 82. Les plaignants allèguent que, le 10 mai 1960, à la suite d'une grève déclenchée le 2 mai par les travailleurs de la Compagnie d'eau et d'électricité avec le soutien actif des différentes organisations syndicales: C.A.T.C (C.I.S.L), C.A.S.L (F.O.) et C.G.A.T (F.S.M.), M. Julien Boukambou, secrétaire général de C.G.A.T, aurait été arrêté ainsi que MM. Tauley Nganga, Matsika Aimé et Deoudi Ganga, tous trois membres du bureau confédéral.
- 83. Le gouvernement, dans sa réponse, admet l'arrestation de MM. Boukambou, Tauley, Matsika et Ganga; il nie toutefois que ces arrestations aient un lien quelconque avec la grève des travailleurs de la Compagnie d'eau et d'électricité. A l'appui de cette assertion, le gouvernement déclare qu'aucun des dirigeants de la compagnie ou des syndicats ayant participé à la grève autres que la C.G.A.T n'a été inquiété, que la grève s'est prolongée après les opérations de police incriminées, que les pourparlers entre les employés, le patronat et le gouvernement n'ont jamais été interrompus et que la grève s'est terminée par un accord paritaire.
- 84. C'est non pas en tant que dirigeants syndicaux - déclare le gouvernement - que les intéressés ont été arrêtés, mais bien en tant qu'animateurs du mouvement politique connu sous le nom d'Union de la jeunesse congolaise dont le gouvernement affirme, on l'a vu plus haut, qu'il trouble l'ordre public et, usant de méthodes illégales, porte atteinte à la sécurité de l'Etat.
- 85. Il paraît découler, tant des explications données par le gouvernement et analysées dans les deux paragraphes précédents que de ce qui est dit aux paragraphes 75 à 80 ci-dessus au sujet de la perquisition effectuée au siège de la C.G.A.T, que cette organisation et ses dirigeants - parallèlement peut-être à des activités syndicales authentiques - étaient engagés dans une activité politique dépassant en portée le cadre normal d'une action de défense des intérêts professionnels de leurs adhérents. Sur cette base, il aurait pu apparaître possible au Comité de recommander au Conseil d'administration de décider que, faute d'une preuve établissant qu'il y ait eu en l'occurrence atteinte à la liberté syndicale, cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
- 86. Le gouvernement, toutefois, dans sa réponse, indique que l'affaire se trouve actuellement à l'instruction, « dans les mains d'une magistrature libre et entièrement maîtresse de ses décisions». Or dans le passé, dans tous les cas où une affaire faisait l'objet d'une action devant une instance judiciaire nationale, lorsque toutes les garanties d'une procédure judiciaire régulière sont assurées, le Comité, estimant que la décision à intervenir était susceptible de lui fournir des éléments d'information utiles, pour son appréciation des allégations formulées, a décidé d'ajourner l'examen du cas en attendant d'être en possession du résultat des procédures engagées.
- 87. En l'espèce, le Comité, fidèle à sa pratique constante, a chargé le Directeur général d'obtenir du gouvernement des informations sur le résultat de la procédure d'instruction engagée au sujet de l'affaire en cause et a ajourné l'examen de cet aspect du cas en attendant d'être en possession des informations en question.
- Allégations relatives à la confiscation du passeport d'un dirigeant syndical désireux de se rendre à l'étranger pour y accomplir des tâches syndicales
- 88. Les plaignants allèguent que M. Julien Boukambou, alors qu'il avait l'intention, à l'occasion de la célébration du Premier mai, de se rendre à l'étranger pour y accomplir des tâches syndicales, se serait vu retirer son passeport par la police.
- 89. Encore que, dans sa réponse, le gouvernement s'abstienne de présenter aucune observation au sujet de cette allégation secondaire, il est permis de supposer, s'agissant d'une personne soupçonnée des activités politiques subversives décrites plus haut, que le gouvernement, par la mesure incriminée, ait tenu à s'assurer que la personne en question ne puisse quitter le territoire national.
- 90. Dans ces conditions, le Comité a estimé, étant donné les éléments dont il dispose et qui sont décrits aux paragraphes 74 à 80 et 82 à 85 ci-dessus, que les plaignants n'ont pas apporté la preuve que la confiscation du passeport de M. Boukambou ait constitué en l'occurrence une atteinte à l'exercice des droits syndicaux, et, tout en rappelant que - sans contester que le refus d'accorder un passeport est une question qui relève de la souveraineté d'un Etat - le droit des organisations nationales de travailleurs de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs, droit qui constitue un aspect important de la liberté syndicale, entraîne normalement le droit, pour les représentants des organisations nationales, de participer aux travaux des organisations internationales auxquelles sont affiliées leurs organisations, il recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 91. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) en ce qui concerne les allégations relatives à la perquisition de locaux syndicaux:
- i) de décider que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 74 à 80 ci-dessus, cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi;
- ii) d'exprimer l'avis que, dans l'intérêt du développement normal du mouvement syndical dans la République du Congo, il serait désirable que les parties intéressées s'inspirent des principes énoncés dans la résolution adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 35ème session, en 1952, qui prévoit notamment que l'objectif fondamental et permanent du mouvement syndical est le progrès économique et social des travailleurs, et que lorsque les syndicats décident, en se conformant aux lois et usages en vigueur dans leurs pays respectifs et à la volonté de leurs membres, d'établir des relations avec les partis politiques ou d'entreprendre une action politique pour favoriser la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux, ces relations ou cette action politique ne doivent pas être de nature à compromettre la continuité du mouvement syndical ou de ses fonctions sociales et économiques, quels que soient les changements politiques qui puissent survenir dans le pays;
- b) en ce qui concerne les allégations relatives à la confiscation du passeport d'un dirigeant syndical désireux de se rendre à l'étranger pour y accomplir des tâches syndicales:
- i) de rappeler, tout en reconnaissant que le refus d'accorder un passeport est une question relevant de la souveraineté d'un Etat, que le droit des organisations nationales de travailleurs de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs, droit qui constitue un aspect important de la liberté syndicale, entraîne normalement le droit, pour les représentants des organisations nationales, de participer aux travaux des organisations internationales auxquelles sont affiliées leurs organisations et qu'il convient que toute latitude leur soit donnée à cet effet;
- ii) de décider néanmoins, étant donné ce qui est dit aux paragraphes 74 à 80, 82 à 85 et 88 à 90 ci-dessus, que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi;
- c) de prendre note du présent rapport intérimaire, en ce qui concerne les allégations relatives à l'arrestation de dirigeants syndicaux, étant entendu que le Comité fera de nouveau rapport sur cet aspect du cas lorsqu'il sera en possession des informations complémentaires sollicitées du gouvernement.
- Genève, le 16 novembre 1960. (Signé) Roberto AGO, Président.