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Interim Report - REPORT_NO51, 1961

CASE_NUMBER 156 (France) - COMPLAINT_DATE: 29-NOV-56 - Closed

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  1. 17. Lorsque le Comité a de nouveau examiné le présent cas à sa session des 17 et 18 février 1960, il a soumis au Conseil d'administration les recommandations figurant au paragraphe 98 de son quarante-quatrième rapport (approuvé par le Conseil d'administration à sa 144ème session (1er-4 mars 1960), dont la teneur est la suivante:
  2. 98. Compte tenu de cet ensemble de circonstances, le Comité, sans se prononcer pour autant sur les versions différentes qui ont été données par les plaignants et par le gouvernement de la mort de M. Aïssat Idir, recommande au Conseil d'administration:
    • a) d'attirer une fois encore l'attention du gouvernement français sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel les syndicalistes accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement estime étrangers à leurs activités syndicales doivent être, comme toute autre personne, jugés promptement par une autorité impartiale et indépendante;
    • b) d'exprimer l'opinion qu'une situation permettant que de telles personnes restent détenues après avoir été acquittées par le tribunal compétent n'est pas compatible avec le principe rappelé plus haut;
    • c) de demander au gouvernement de fournir une réponse rapide en ce qui concerne la situation, à la lumière des principes énoncés plus haut, de ceux des syndicalistes dont on allègue qu'ils auraient été détenus et qui se trouvent peut-être encore en détention, y compris, en particulier, M. Ali Yayia Madjid et M. Rabah Djermane, de même que les autres personnes mentionnées dans la communication du 3 août 1959 de la C.I.S.L.; de demander au gouvernement de fournir également des informations au Conseil d'administration quant aux résultats des procédures judiciaires en cours ou envisagées à cet égard;
    • d) de demander au gouvernement de dire en combien d'occasions l'application de la procédure d'examen périodique des cas de personnes assignées à résidence a abouti à la libération de personnes figurant dans la liste des trente-six militants syndicalistes désignés par les plaignants et de donner les noms de ceux d'entre eux qui auraient été libérés;
    • e) de demander au gouvernement français de fournir d'urgence les informations qui lui ont été demandées par le Conseil d'administration quand celui-ci a adopté le paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité, à sa 137ème session (octobre-novembre 1957), et au sujet desquelles des rappels ont été adressés au gouvernement dans les vingt-huitième et trente-cinquième rapports du Comité, adoptés par le Conseil d'administration à sa 138ème session (mars 1958) et à sa 142ème session (mai-juin 1959), respectivement;
    • f) de demander au gouvernement de fournir des informations détaillées au sujet des enquêtes faites en ce qui concerne les allégations relatives au coup de feu qu'aurait reçu M. Rabah Djermane et aux mauvais traitements subis par d'autres syndicalistes dont il est question au paragraphe 63 ci-dessus, et au sujet des résultats de ces enquêtes;
    • g) de prendre note du présent rapport intérimaire du Comité à l'égard des allégations relatives au retrait de la représentativité de certaines organisations syndicales, à la saisie et à l'interdiction de publications syndicales et aux restrictions à l'activité des dirigeants syndicalistes, au sujet desquelles le Comité a demandé au gouvernement de fournir des informations complémentaires, étant entendu que le Comité soumettra un autre rapport à cet égard lorsqu'il aura reçu ces informations.
      • En conséquence, le Comité s'est dessaisi des allégations concernant la détention et le décès de M. Aïssat Idir, secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens (U.G.T.A.). Les autres allégations au sujet desquelles le Conseil d'administration et le Comité, comme il est indiqué au paragraphe 98 du quarante-quatrième rapport du Comité, ont demandé au gouvernement français de fournir des informations complémentaires, sont examinées dans le présent rapport.

Allégations relatives à l'emprisonnement de M. Ali Yayia Madjid, M. Rabah Djermane et d'autres syndicalistes

Allégations relatives à l'emprisonnement de M. Ali Yayia Madjid, M. Rabah Djermane et d'autres syndicalistes
  1. 18. Dans sa communication du 3 août 1959, la C.I.S.L donne la liste, avec les noms et les fonctions syndicales des intéressés, de dirigeants syndicaux dont elle indique qu'ils étaient maintenus en état d'arrestation depuis deux ou trois ans et qu'ils l'étaient encore en juin 1959. La liste contient 36 noms et la C.I.S.L prétend qu'elle est loin d'être complète. La F.S.M déclare, dans sa communication du 15 août 1959, que de nombreux syndicalistes ont été emprisonnés ou internés dans des camps de concentration; certains l'auraient été durant plus de quatre ans, sans même avoir fait l'objet de poursuites ou avoir passé en jugement, ou même après que les juges d'instruction eurent prononcé un non-lieu ou que les tribunaux les eurent acquittés.
  2. 19. Dans une communication du 10 septembre 1959, la C.I.S.L donne des renseignements complémentaires concernant certaines des personnes qui figurent sur sa liste.
  3. 20. L'organisation plaignante déclare que M. Ali Yayia Madjid, secrétaire national de l'U.G.T.A, qui avait été arrêté le 23 mai 1956, et qui a été emprisonné depuis lors dans divers camps, est en danger de mort. Après plus de trois années de détention - indique l'organisation plaignante -, cette personne n'a jamais été inculpée; elle est toujours détenue au camp Paul-Cazelles, dont les conditions climatiques et sanitaires sont si déplorables que la Croix-Rouge internationale et la Commission internationale contre le régime concentrationnaire en avaient demandé la fermeture aux autorités françaises, qui s'y étaient engagées en 1957, mais n'ont jamais tenu leur promesse.
  4. 21. Les plaignants déclarent que, selon les rapports de l'U.G.T.A, une autre personne mentionnée sur la liste, M. Rabah Djermane, secrétaire national de l'U.G.T.A, détenu dans le même camp, a été touché à l'estomac par une balle tirée par un soldat français en mars 1957. Il est allégué que, dans un autre camp, les soldats français ont battu, à peu près à la même époque, des syndicalistes et d'autres détenus et ont tiré sur certains d'entre eux, dont plusieurs ont été grièvement blessés et admis dans des hôpitaux militaires, mais que l'on est sans nouvelles d'eux depuis lors.
  5. 22. Dans une lettre du 21 septembre 1959, le Directeur général a transmis au gouvernement français la communication du 10 septembre 1959 de la C.I.S.L, en attirant son attention sur le fait que ce cas rentre dans la catégorie de ceux que le Conseil d'administration considère comme urgents et en lui demandant, en conséquence, de répondre rapidement, ainsi que le veut la procédure prévue pour l'examen des cas de ce genre. Dans sa communication du 16 novembre 1959, le gouvernement a fourni des observations sur les questions faisant l'objet des allégations.
  6. 23. En ce qui concerne l'arrestation et l'internement d'Ali Yayia, ancien adjoint d'Aïssat Idir, le gouvernement donne les précisions suivantes:
  7. 24. Le comportement d'Ali Yayia durant sa détention au centre d'hébergement de Paul-Cazelles, où il était assigné à résidence, a donné lieu au début du mois d'août à l'ouverture - d'une information judiciaire, et l'intéressé a lui-même été inculpé à la fin du mois de septembre de coups et blessures volontaires et d'atteinte à la sûreté de l'Etat.
  8. 25. En août 1959, déclare le gouvernement, une enquête effectuée au centre d'hébergement de Paul-Cazelles établissait l'existence dans ce centre d'une cellule F.L.N qui tentait par tous les moyens d'assurer son influence sur les hébergés, ayant notamment érigé un pseudo-tribunal qui administrait aux hébergés réfractaires à la discipline de l'organisation des peines variées allant jusqu'aux sévices corporels. L'un des chefs de cette organisation était Ali Yayia Abdelmadjid, dirigeant actif de l'U.G.T.A assigné à résidence pour activités subversives au profit de la rébellion. Le gouvernement déclare que de nombreux témoignages d'hébergés établirent clairement le rôle joué par Ali Yayia, et que ce dernier lui-même reconnut avoir exercé des sévices sur certains de ses coreligionnaires.
  9. 26. Une information était alors ouverte au parquet de Blida contre Ali Yayia et vingt-sept autres assignés à résidence, pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et coups et blessures volontaires, à la suite de laquelle Ali Yayia était inculpé le 24 septembre 1959.
  10. 27. Le gouvernement déclare que les griefs exprimés par la C.I.S.L selon lesquels les mesures prises à l'encontre de l'U.G.T.A et de ses principaux responsables en 1956 constitueraient autant d'atteintes aux conventions sur la liberté syndicale ratifiées par la France, sont ceux-là même qui avaient fait l'objet de sa part d'une première plainte en 1957. Dans ces conditions, les arguments présentés à l'époque par le gouvernement français conservent aujourd'hui toute leur valeur, et il ne peut lui être demandé que de s'y référer à nouveau. Toutefois, sur la question des assignations à résidence par décision administrative et celle des centres d'hébergement, le gouvernement français a tenu à apporter les précisions suivantes:
  11. 28. En ce qui concerne le premier point, le gouvernement déclare que l'application des procédures pénales de droit commun à la répression des menées antinationales en Algérie a dû être complétée par le recours à des mesures restrictives de liberté prises à l'initiative des autorités administratives, telles que l'interdiction de séjour et l'assignation à résidence. La mise en application de telles mesures procède des pouvoirs spéciaux dont les autorités chargées du maintien de l'ordre dans les départements d'Algérie ont été investies en vertu de la loi du 16 mars 1956 délibérée et votée par le Parlement français puis reconduite à plusieurs reprises. Ces pouvoirs - déclare le gouvernement - sont appliqués, sans distinction de personne, à l'encontre de tous ceux qui, quelles que soient leur qualité ou leurs fonctions, se sont placés délibérément hors de la légalité.
  12. 29. En ce qui concerne les centres d'hébergement, le gouvernement déclare que ces centres rassemblent toutes les personnes ayant fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence. Le cas de chaque assigné fait l'objet d'un examen périodique par une commission spéciale placée sous la présidence d'un magistrat de l'ordre judiciaire et siégeant auprès du délégué général du gouvernement en Algérie. Les hébergés sont placés sous un régime qui n'a rien de comparable avec le régime pénitentiaire: ils reçoivent courrier et visites, ils ont la faculté de suivre des cours et disposent d'une bibliothèque organisée dans chaque centre. Ils sont soumis à des contrôles médicaux fréquents et réguliers, et en aucun cas no sont astreints au travail obligatoire: certains d'entre eux participent sur leur demande aux services communs des centres (infirmerie, comptabilité) et reçoivent à ce titre une rémunération.
  13. 30. Le gouvernement poursuit en indiquant qu'un centre hospitalier antituberculeux de cent lits a été installé à Beni-Messous; il ne reçoit que des assignés à résidence, et certains d'entre eux y sont suivis et soignés, qui auparavant n'avaient jamais été traités. Les centres d'hébergement sont régulièrement visités par les membres de la Commission de sauvegarde, ainsi que par des représentants de la Croix-Rouge internationale. A leur libération, déclare le gouvernement, les hébergés sont généralement réintégrés dans leur ancien emploi sur intervention de leur commandant de centre; les autorités locales et les officiers des sections administratives spécialisées collaborent également à leur reclassement professionnel.
  14. 31. En conclusion, le gouvernement expliquait que le centre d'hébergement de Paul-Cazelles était, jusqu'en 1957, un camp provisoire sous tentes et, comme tel, était destiné à disparaître, mais l'année suivante, les installations provisoires furent remplacées par des constructions préfabriquées, les aménagements collectifs nécessaires furent successivement réalisés (eau, électricité, installations sanitaires, etc.), et le centre demeura à son emplacement initial.
  15. 32. Lorsqu'il a examiné ce cas à sa réunion du 19 novembre 1959, le Comité, notant la déclaration du gouvernement selon laquelle le cas de toute personne assignée à résidence forcée est examiné périodiquement par une commission spéciale, a prié le gouvernement de préciser à combien de reprises cet examen a abouti à la libération de personnes figurant sur la liste des trente-six dirigeants syndicaux établie par le plaignant. Le Comité désirait également savoir si les autorités appliquent leurs pouvoirs spéciaux en tenant compte, comme la réponse du gouvernement semblait l'indiquer, des opinions ou de l'affiliation des dirigeants syndicaux. En ce qui concerne ceux des syndicalistes qui figurent sur la liste fournie parles plaignants et qui n'ont pas été libérés, le Comité a demandé au gouvernement de préciser s'il a l'intention de prendre des mesures garantissant qu'ils seront jugés dans un proche avenir par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Ayant pris note des allégations selon lesquelles M. Rabah Djermane, secrétaire national de l'U.G.T.A, détenu dans le camp Paul-Cazelles, a été touché à l'estomac par une balle tirée par un soldat français, en mars 1957, et selon laquelle, dans un autre camp, les soldats français ont battu, à peu près à la même époque, des syndicalistes et autres détenus et ont tiré sur certains d'entre eux, dont plusieurs ont été gravement blessés et dont on est sans nouvelle depuis lors, le Comité a prié le gouvernement de fournir des observations sur ces allégations. Enfin, le Comité a demandé au gouvernement de fournir d'urgence les informations sollicitées par le Conseil d'administration lors de son adoption du paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité à sa 137ème session (octobre-novembre 1957), et au sujet desquelles des rappels ont été formulés dans les vingt-huitième et trente-cinquième rapports du Comité, approuvés respectivement par le Conseil d'administration à sa 138ème session (mars 1958) et à sa 142ème session (mai-juin 1959).
  16. 33. Le gouvernement a fourni de nouvelles informations dans une communication du 22 janvier 1960.
  17. 34. En ce qui concerne la question de l'examen périodique du cas des personnes qui ont été assignées à résidence forcée, le gouvernement a déclaré que la commission d'examen, siégeant auprès du délégué général du gouvernement, apprécie l'opportunité des libérations qu'elle propose, après examen complet du dossier des intéressés et au seul vu des faits qui leur sont reprochés, sans considération de leur qualité de militant ou dirigeant syndical.
  18. 35. Au sujet de l'application des pouvoirs spéciaux permettant aux autorités de prendre des mesures susceptibles de restreindre la liberté individuelle, le gouvernement a déclaré que les autorités centrales ou locales, investies du pouvoir de prononcer l'assignation à résidence par décision administrative, s'inspirent de tous les éléments nécessaires à leur complète information. En raison de son caractère de gravité, toute mesure individuelle restrictive de liberté doit être prise en parfaite connaissance de cause et tenir compte de tous les faits qui peuvent éclairer l'autorité responsable sur l'opportunité et la durée de la mesure prise au regard des seules exigences de l'ordre et de la sécurité publiques. Ainsi - a ajouté le gouvernement -, l'appartenance à une organisation syndicale n'est jamais considérée comme une circonstance atténuante ou aggravante. Pour apprécier la durée maximum d'application de chaque mesure individuelle d'assignation à résidence, il est uniquement tenu compte des nécessités de l'ordre public et de la sécurité des personnes et des biens.
  19. 36. Le gouvernement a déclaré que le cas de chaque assigné fait l'objet d'un examen périodique par une commission spéciale placée sous la présidence d'un magistrat. La procédure ainsi instituée peut aboutir à la libération de l'assigné, à son inculpation pour atteinte à la sécurité de l'Etat ou à son maintien dans un centre d'hébergement. Ainsi - continue le gouvernement -, les syndicalistes qui avaient fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence ont été, soit libérés après examen de leur dossier par la Commission centrale d'examen des assignations à résidence, soit placés sous mandat de dépôt sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté extérieure de I'Etat, soit maintenus dans un centre d'hébergement sur avis de la Commission qui procède à intervalles réguliers à l'examen de leur dossier.
  20. 37. En outre, le gouvernement a expliqué que la commission d'examen siégeant auprès du délégué général peut recommander la libération de l'assigné et, d'autre part, que tous les cas font l'objet d'un examen périodique par une commission spéciale placée sous la présidence d'un magistrat. Il en résulte - déclare le gouvernement - que « les syndicalistes qui avaient fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence ont été, soit libérés après examen de leur dossier par la Commission centrale d'examen des assignations à résidence, soit placés sous mandat de dépôt sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat, soit maintenus dans un centre d'hébergement sur avis de la commission qui procède, à intervalles réguliers, à l'examen de leur dossier ».
  21. 38. En ce qui concerne les allégations relatives au coup de feu tiré sur M. Rabah Djermane et aux sévices qui auraient été infligés à d'autres militants syndicaux, le gouvernement a déclaré que les informations recueillies sur ce point ne permettaient pas de penser que les intéressés avaient fait l'objet du traitement dont il est fait mention.
  22. 39. Lors de sa session de février 1960, le Comité a rappelé que dans de nombreux cas antérieurs dont il a été saisi, où il était allégué que des dirigeants ou des membres de syndicats avaient été l'objet de mesures de détention préventive, il s'était montré d'avis que les mesures de détention peuvent impliquer une grave ingérence dans les activités syndicales, qui semblerait devoir être justifiée par l'existence d'une crise sérieuse et qui pourrait donner lieu à des critiques, à moins qu'elle ne soit accompagnée de garanties juridiques appropriées mises en application dans un délai raisonnable; il a déclaré en outre que chaque gouvernement devrait veiller à assurer le respect des droits de l'homme et, notamment, du droit de toute personne emprisonnée de passer en jugement dans le plus bref délai possible.
  23. 40. Le Comité a déclaré qu'il estimait que la communication du gouvernement du 22 janvier 1960 ne satisfaisait pas pleinement sa demande précise d'informations, compte tenu des principes ci-dessus, le Comité avait, en effet, demandé à combien de reprises l'examen périodique des cas avait abouti à la libération de personnes figurant sur la liste des trente-six dirigeants syndicaux établie par les plaignants. Le gouvernement n'a pas indiqué non plus, comme l'a remarqué le Comité, s'il a l'intention de prendre des mesures garantissant que les personnes encore en détention seront jugées dans un proche avenir par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Enfin, le gouvernement n'a pas répondu à la demande faite par le Conseil d'administration lorsqu'il a adopté le paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité, par lequel il décidait (à l'égard des personnes dont il était allégué, dans les plaintes alors examinées, qu'elles étaient en détention)
  24. c) d'appeler l'attention du gouvernement de la France sur l'importance qu'il attache à ce que, lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement considère comme étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question soient jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante; d'exprimer le voeu que le gouvernement tiendra compte de ce principe et lui fera connaître, en temps utile, les procédures légales ou judiciaires qui auront pu être suivies dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées, et le résultat de telles procédures.
  25. 41. Enfin, en ce qui concerne les allégations relatives au coup de feu tiré sur M. Rabah Djermane et aux sévices qui auraient été infligés à d'autres détenus, allégations au sujet desquelles le Comité avait demandé des informations à sa dernière réunion en novembre 1959, il a remarqué que le gouvernement se bornait à répondre que les informations recueillies «ne permettent pas de penser que les intéressés avaient fait l'objet du traitement dont il est fait mention».
  26. 42. Dans ces conditions, le Comité a recommandé, au paragraphe 84 de son quarante-quatrième rapport, à sa session de février 1959, au Conseil d'administration:
  27. ......................................................................................................................................................
  28. a) de demander au gouvernement de fournir d'urgence une réponse concernant la situation actuelle, à la lumière des principes énoncés au paragraphe 55 ci-dessus, de ceux des syndicalistes dont il est allégué qu'ils ont été détenus et qui peuvent se trouver encore en détention, y compris particulièrement M. Ali Yayia Madjid et M. Rabah Djermane et les autres personnes énumérées dans la communication de la C.I.S.L du 3 août 1959; de demander également au gouvernement de fournir des informations au Conseil d'administration sur les résultats des procédures légales ou judiciaires qui ont été engagées à cet égard ou qui pourront l'être;
  29. b) de demander au gouvernement de préciser à combien de reprises l'application de la procédure d'examen périodique du cas des personnes assignées à résidence forcée a abouti à la libération de personnes figurant sur la liste des trente-six dirigeants syndicaux établie par les plaignants et d'indiquer le nom de celles d'entre elles qui ont pu être libérées;
  30. c) de prier le gouvernement français de fournir d'urgence les informations qui lui ont été demandées par le Conseil d'administration lorsqu'il a adopté le paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité, à sa 137ème session (octobre-novembre 1957) et au sujet desquelles des rappels ont été formulés à l'adresse du gouvernement dans les vingt-huitième et trente-cinquième rapports du Comité, adoptés respectivement par le Conseil d'administration à sa 138-0 session (mars 1958) et à sa 142ème session (mai juin 1959);
  31. d) de demander au gouvernement de fournir des informations plus détaillées sur les enquêtes qui ont été faites sur le coup de feu dont aurait été victime M. Rabah Djermane et sur les sévices qui auraient été infligés à d'autres militants syndicaux, comme il a été indiqué au paragraphe 63 ci-dessus, et sur les résultats de telles enquêtes.
  32. 43. Le quarante-quatrième rapport du Comité ayant été approuvé par le Conseil d'administration à sa 144-0 session (1er-4 mars 1960), la demande d'information ci-dessus a été transmise au gouvernement français par le Directeur général dans une lettre du 9 mars 1960.
  33. 44. A sa réunion du 20 mai 1960, le Comité a ajourné l'examen du cas, faute d'avoir reçu de réponse du gouvernement français.
  34. 45. Le 23 mai 1960, le gouvernement français a fourni les explications suivantes. Le gouvernement déclare, comme il a déjà été mentionné, que M. Ali Yayia Madjid a été inculpé pour atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat et coups et blessures volontaires. Transféré d'abord au centre Bossuet, il a été ensuite écroué à la prison civile de Blida le 1er novembre 1959. Au début de février 1960, ses défenseurs ont fait état des sévices que leur client avait subis de la part des gardiens chargés de sa surveillance. Le procureur de la République près la Cour d'appel d'Alger, fit procéder à une enquête. Il est ressorti de cette enquête - déclare le gouvernement français - qu'« à aucun moment, M. Ali Yayia Madjid n'a eu des motifs légitimes de mettre en cause le comportement du personnel pénitentiaire de la prison de Blida ». Le gouvernement ajoute que, durant sa détention, M. Ali Yayia Madjid s'est livré à des activités qui ont entraîné son transfert du camp Paul-Cazelles au centre Bossuet, en septembre 1959, puis son inculpation. Il a été ensuite transféré au pénitencier d'Alger le 22 février 1960. Enfin, le gouvernement déclare que le 5 mars et le 8 avril 1960, sur l'ordre du procureur de la République, un substitut du procureur a visité le pénitencier et a constaté la parfaite régularité des conditions de détention de M. Ali Yayia Madjid. En conséquence, le 15 avril 1960, le procureur de la République décida de ne donner aucune suite à la plainte formulée par les défenseurs de M. Ali Yayia Madjid.
  35. 46. Le 13 juin 1960, le Directeur général a écrit au gouvernement français pour accuser réception de la communication susmentionnée du 23 mai 1960 et pour l'informer de la décision prise le 20 mai 1960 par le Comité d'ajourner l'examen du cas à sa prochaine session. Par cette même lettre, le Directeur général a prié le gouvernement de bien vouloir fournir les informations sollicitées par le Conseil d'administration et le Comité sur les divers points soulevés au paragraphe 98 du quarante-quatrième rapport du Comité (voir paragraphe 17 ci-dessus).
  36. 47. Dans une communication du 12 août 1960, la C.I.S.L a exprimé sa réprobation de ce qu'aucune décision définitive n'ait été prise au sujet d'une affaire qu'elle avait demandé de considérer comme un cas d'urgence. Les plaignants déclarent que des syndicalistes actifs, qui n'avaient été inculpés d'aucun crime, avaient langui dans des prisons et des camps de détention durant de nombreuses années. Bien que plus d'une année se soit écoulée depuis que les plaignants ont soumis, le 3 octobre 1959, une liste des détenus syndicalistes algériens, deux ou trois personnes seulement ont été relaxées, soutiennent-ils. Les plaignants citent le cas de M. Aïssat Idir comme preuve des dangers qu'encourent les détenus; ils se réfèrent au cas de M. Allal Abdelkader, secrétaire général de l'U.G.T.A, qui constituerait, selon eux, une violation du principe fixé au paragraphe 98 b) du quarante-quatrième rapport du Comité; ils déclarent que M. Abdelkader a été arrêté en mars 1957 et détenu jusqu'à son procès, qui a eu lieu devant un tribunal militaire d'Alger le 12 janvier 1959 et s'est terminé par le prononcé d'une peine d'emprisonnement qui a pris fin en mars 1960. Cependant - disent les plaignants -, il a été maintenu en détention, et l'on ignore où il se trouve.
  37. 48. La communication ci-dessus de la C.I.S.L a été transmise au gouvernement par une lettre du Directeur général du 14 septembre 1960. Dans cette lettre, le Directeur général a demandé une fois encore au gouvernement de bien vouloir fournir les informations sollicitées sur les divers points soulevés au paragraphe 98 du quarante-quatrième rapport du Comité. Par une lettre du 8 novembre 1960, le gouvernement déclare qu'aucune information complémentaire ne lui étant parvenue depuis l'envoi de sa lettre du 23 mai 1960, il ne peut que se référer à ladite lettre ainsi qu'à ses précédentes communications des 16 novembre 1959 et 22 janvier 1960.
  38. 49. Le Comité estime que la réponse du gouvernement français du 23 mai 1960, qui se borne à donner un certain nombre de détails visant à réfuter l'allégation selon laquelle M. Ali Yayia Madjid aurait été maltraité pendant sa détention, ne répond en fait à aucun des points sur lesquels le Conseil d'administration, comme il est dit au paragraphe 42 ci-dessus, a demandé au gouvernement de fournir des renseignements. Il semble que l'on en puisse déduire que, malgré la procédure introduite devant un juge d'instruction contre M. Ali Yayia Madjid et vingt-sept autres personnes pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et coups et blessures volontaires, procédure à la suite de laquelle M. Ali Yayia Madjid a été inculpé le 24 septembre 1959 (voir paragraphe 26 ci-dessus), celui-ci n'a apparemment pas encore passé en jugement. A ce sujet, le Comité a pu prendre connaissance des allégations contenues dans une communication de la C.I.S.L du 12 août 1960, à laquelle le gouvernement n'a pas répondu, et selon lesquelles les trente-six personnes énumérées dans sa plainte du 3 août 1959 (et, entre autres, M. Ali Yayia Madjid) n'ont jamais, à l'exception d'une seule, passé en jugement, tandis qu'une ou deux seulement ont été libérées. Enfin, la C.I.S.L formule une nouvelle allégation concernant l'unique personne, à savoir M. Abdelkader, secrétaire général de l'U.G.T.A, qui semble avoir passé en jugement, et déclare que, bien que la peine d'emprisonnement prononcée contre M. Abdelkader par le tribunal militaire ait pris fin en mars 1960, celui-ci a été maintenu en détention.
  39. 50. Les trente-six personnes internées énumérées dans la plainte de la C.I.S.L sont les suivantes: MM. Akeb Mohamed, Ali Yahya Abdelnour, Ali Yayia Madjid, Abdelkader, Benaïssa Attalah, Bourouiba Boualem, Djermane Rabah, Flissi Mohammed, Lassel Mustapha (tous secrétaires nationaux de l'U.G.T.A.), Zitourni Messaoudi et Bourouiba Mahieddine (directeur et reporter de L'Ouvrier algérien), Abdellaziz Haddadi (agent du Syndicat des cheminots algériens), Babali Mustapha (trésorier du Syndicat ouvrier d'Electricité et Gaz d'Algérie), Habib Mohammed (secrétaire du même syndicat), Bourouiba Hacen et Gaïd Tahar (agents du Syndicat du personnel enseignant algérien), Laredj Djelloul et Maïne Mohamed (secrétaires du Syndicat des mineurs algériens), Zefouni Mahfoud (secrétaire du Syndicat des ouvriers du tabac d'Algérie), Harkati Hamida (agent du Syndicat des employés des tramways algériens), Benzireg Mohamed (secrétaire du Syndicat des employés de banque d'Alger), Ben Tayed Chebahi (secrétaire du Syndicat des ouvriers du bâtiment d'Alger), Chikbouni Abdelhamid (secrétaire du Syndicat des employés de commerce d'Alger), Laïmech Slimane (secrétaire du Syndicat des dockers d'Alger), Benbouabib Mafhoud (secrétaire du Syndicat des travailleurs des P.T.T d'Alger), Aït Saïd (secrétaire du Syndicat régional de l'Oranais), Ben Slimane Hamida, Bouhadjar Ahmed, Bouziane Mohamed et Trani Ouldene (agents du Syndicat local d'Oran), Fahassi Omar, Fes Youcef et Zetouni Rabah (secrétaires du Syndicat régional de Maison-Carrée), et Bendaoud Mohamed et Sari Meziane (agents du Syndicat des ouvriers de la métallurgie de Maison-Carrée).
  40. 51. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
  41. a) de prendre note avec regret que le gouvernement français n'a pas fourni d'informations sur les procédures légales ou judiciaires qui auraient pu être engagées dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées, ni sur le résultat de telles procédures, comme le lui avait demandé le Conseil d'administration lorsqu'il a adopté, à sa 137ème session (octobre-novembre 1957), le paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité, informations au sujet desquelles des rappels ont été adressés au gouvernement dans les vingt-huitième et trente-cinquième rapports du Comité adoptés par le Conseil d'administration à sa 138ème session (mars 1958) et à sa 142ème session (mai-juin 1959) respectivement, et que le Conseil d'administration a de nouveau invité le gouvernement français à fournir d'urgence, lorsqu'il a adopté, à sa 144ème session (mars 1960), le paragraphe 98 e) du quarante-quatrième rapport du Comité;
  42. b) de prendre note avec regret que le gouvernement n'a pas non plus fourni de renseignements complets sur les autres points au sujet desquels le Conseil d'administration lui avait demandé des informations, lorsqu'il a adopté les alinéas e) et f) du paragraphe 98 du quarante-quatrième rapport du Comité;
  43. c) d'appeler, une fois encore, l'attention du gouvernement sur l'importance que le Conseil d'administration attache au principe selon lequel les syndicalistes accusés de délits politiques ou de délits de droit commun que le gouvernement estime étrangers à leurs activités syndicales doivent être, comme toute autre personne, jugés promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
  44. d) de prendre note que, bien que le gouvernement ait déclaré dans sa communication du 16 novembre 1959 qu'une procédure avait été introduite devant un juge d'instruction contre M. Ali Yayia Madjid et vingt-sept autres personnes pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et coups et blessures volontaires et qu'une inculpation avait été prononcée le 24 septembre 1959 contre M. Ali Yayia Madjid, le gouvernement français n'a fourni aucun autre renseignement sur la suite donnée à l'inculpation prononcée contre M. Ali Yayia Madjid et à l'ouverture d'une procédure devant un magistrat instructeur dans les vingt-sept autres cas;
  45. e) de demander au gouvernement de fournir de toute urgence une réponse concernant la situation actuelle, à la lumière du principe énoncé à l'alinéa c) ci-dessus et à celle de ses propres déclarations mentionnées à l'alinéa d) de ceux des syndicalistes dont il est allégué qu'ils ont été détenus et qui peuvent se trouver encore en détention, et, en particulier, de MM. Ali Yayia Madjid et Rabah Djermane et des autres personnes énumérées dans la communication de la C.I.S.L du 3 août 1959 et dont les noms sont indiqués au paragraphe 50 ci-dessus; de demander au gouvernement de fournir également d'urgence, au Conseil d'administration, des informations sur les résultats des procédures légales ou judiciaires qui ont été ou seront suivies à ce sujet;
  46. f) de demander une fois encore au gouvernement, vu l'allégation précise contenue dans la communication de la C.I.S.L du 12 août 1960 - dont copie a été transmise au gouvernement le 14 septembre 1960 - et selon laquelle une ou deux au plus des trente-six personnes mentionnées au paragraphe 50 ci-dessus ont été libérées, de préciser à combien de reprises l'application de la procédure d'examen périodique du cas des personnes assignées à résidence forcée a abouti à la libération de personnes figurant sur la liste des trente-six dirigeants syndicaux et d'indiquer les noms de celles d'entre elles qui ont pu être libérées;
  47. g) d'appeler l'attention du gouvernement sur l'opinion énoncée par le Conseil d'administration et selon laquelle une situation qui permet de maintenir en détention une personne qui a purgé la peine prononcée contre elle n'est pas compatible avec le principe énoncé à l'alinéa c) ci-dessus, et de demander au gouvernement, eu égard à cette opinion, de répondre de façon précise à l'allégation, contenue dans la communication de la C.I.S.L du 12 août 1960, selon laquelle M. Abdelkader, secrétaire général de l'U.G.T.A, a été maintenu en détention après avoir purgé la peine prononcée contre lui par un tribunal militaire et qui avait pris fin en mars 1960;
  48. h) de demander une fois de plus au gouvernement de fournir d'urgence les informations mentionnées à l'alinéa a) ci-dessus;
  49. i) de demander au gouvernement de fournir des informations détaillées sur les enquêtes qui ont été faites sur le coup de feu dont aurait été victime M. Rabah Djermane et sur les sévices qui auraient été infligés à d'autres militants syndicaux, dont il est question au paragraphe 21 ci-dessus, ainsi que sur les résultats de ces enquêtes.
  50. Allégations relatives au retrait de la représentativité de certaines organisations syndicales
  51. 52. Dans sa communication du 10 septembre 1959, la C.I.S.L se réfère aux allégations examinées par le Comité aux paragraphes 252 à 266 de son vingt-septième rapport, relatives au retrait de la représentativité, en 1956, à un certain nombre de fédérations syndicales algériennes. Les allégations présentes du plaignant ont plus spécialement trait au cas de l'une de ces fédérations: l'U.G.T.A. Le plaignant allègue que dans la réponse qu'il a soumise au Comité, lorsque celui-ci a examiné le cas dans son vingt-septième rapport, le gouvernement français a cherché à justifier cette mesure et à en atténuer la portée.
  52. 53. Le plaignant déclare que, selon les informations fournies par le gouvernement français en 1957, un arrêté du 22 décembre 1956 a attribué le statut représentatif à quatre fédérations, en excluant l'U.G.T.A, l'Union générale des syndicats algériens (U.G.S.A.) et l'Union syndicale des travailleurs algériens (U.S.T.A). (La situation de l'U.G.S.A. a déjà fait l'objet d'une circulaire du 6 octobre 1956 et du décret no 56-276 du 26 novembre 1956.) Selon le plaignant, il est nécessaire, pour connaître véritablement la question en ce qui concerne l'U.G.T.A, de considérer les événements qui se sont produits au début de 1956.
  53. 54. Le plaignant déclare que l'U.G.T.A a été fondée le 26 février 1956 et s'est vu conférer le caractère représentatif vingt jours plus tard; elle a obtenu 72 pour cent des voix aux élections des membres du Conseil de discipline de la R.D.T.A. (tramways algériens). Elle a présenté ensuite des candidats aux élections du comité d'entreprise de la R.D.T.A. Le scrutin a eu lieu le 30 avril 1956. Le plaignant allègue que les urnes ont été scellées sans que les voix aient été décomptées et qu'au cours d'une réunion de l'ancien comité d'entreprise, le 14 mai 1956, la direction des tramways a simplement déclaré, en guise d'explication de l'annulation du scrutin, que les élections avaient été suspendues pour trois mois et que le mandat des délégués sortants était prorogé pour la même durée. A l'appui de cette déclaration - ajoute le plaignant -, la direction n'a produit aucune instruction écrite du Bureau du gouverneur général, et la protestation des délégués a été inscrite au procès-verbal de la réunion. De l'avis du plaignant, le caractère arbitraire de cette mesure ressort du fait que le gouvernement lui-même ne mentionne aucun texte officiel antérieur au 6 octobre 1956, soit plusieurs mois après les événements allégués ci-dessus. A cette date - ajoute le plaignant -; les dirigeants de l'U.G.T.A avaient été arrêtés, ses ressources avaient été confisquées, ses locaux occupés par l'armée et son journal, saisi et interdit, de sorte qu'en pratique, elle ne pouvait plus fonctionner ni engager de procédure contre les mesures administratives prises contre elle.
  54. 55. Le plaignant poursuit en déclarant qu'au cours du procès de M. Aïssat Idir et d'autres chefs syndicaux, on a tenté de prouver que l'U.G.T.A était une organisation subversive, mais le ministère public lui-même a dû reconnaître qu'elle était légale. Aux yeux du plaignant, le rejet de l'accusation d' « association de malfaiteurs » contre M. Aïssat Idir, secrétaire général de l'U.G.T.A, réfute l'argument du gouvernement selon lequel les mesures administratives prises contre l'U.G.T.A sont justifiées par le fait que celle-ci est une ramification du F.L.N et, qu'en conséquence, ses activités sont illégales.
  55. 56. Au sujet de la déclaration du Comité, au paragraphe 266 de son vingt-septième rapport, selon laquelle il apparaît que les organisations auxquelles a été retirée la représentativité ont eu « une activité politique d'une portée dépassant celle qui s'attache normalement aux activités professionnelles des syndicats », l'organisation plaignante exprime l'opinion qu'il n'y a pas contradiction entre les termes de la résolution concernant l'indépendance du mouvement syndical, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1952, à sa 35ème session - dont le Comité fait état dans le paragraphe mentionné - et le droit, sinon le devoir, d'un syndicat de se prononcer occasionnellement sur des questions politiques influençant directement les intérêts de ses membres. L'U.G.T.A, déclare l'organisation plaignante, a agi en faveur de l'indépendance algérienne, étant convaincue que seule l'indépendance politique permettrait de mettre fin à l'exploitation économique et sociale contre laquelle elle est en train de lutter.
  56. 57. Enfin, affirme l'organisation plaignante, les recommandations figurant au paragraphe 265 du vingt-septième rapport du Comité devraient être réexaminées, parce qu'elles sont restées sans effet, puisque aucune procédure offrant toutes garanties d'impartialité n'a été établie pour restituer à l'U.G.T.A la possibilité de rentrer en possession de ses locaux, de ses archives et des fonds qui lui ont été confisqués, de telle manière qu'elle puisse exercer librement son activité en tant qu'organisation dotée du statut représentatif.
  57. 58. Le Comité a relevé, à sa session de février 1960, que dans sa réponse du 22 janvier 1960, le gouvernement déclare que l'U.G.T.A, l'U.G.S.A. et l'U.S.T.A n'ont jamais été dissoutes et qu'elles restent licites, étant donné que leurs statuts sont pleinement conformes aux prescriptions légales. Selon ces statuts, en effet, les trois fédérations sont constituées dans le cadre des lois et institutions et elles doivent s'interdire toute discussion politique et religieuse. Le gouvernement ajoute que les conditions de la représentativité sont définies par la loi du 11 février 1950, dans les perspectives de cette loi, et que le fait qu'un syndicat n'est pas reconnu comme représentatif ne fait pas obstacle au libre exercice des droits syndicaux.
  58. 59. Le Comité a pris note que, alors que la question même du retrait de la représentativité aux trois organisations en question a été examinée par le Comité dans les paragraphes 252 à 266 de son vingt-septième rapport, l'organisation plaignante, dans les cas présents, soulève un certain nombre de points nouveaux sur lesquels le Comité ne s'est jamais prononcé et au sujet desquels le gouvernement n'a pas fait d'observation. Ainsi, outre l'affirmation que les recommandations formulées dans le vingt-septième rapport du Comité ont été sans effet, l'organisation plaignante mentionne (voir paragraphe 54 ci-dessus) les événements de 1956 (antérieurs au retrait de la représentativité) liés à l'élection des représentants syndicaux auprès de certains organismes, de même que la confiscation des fonds de l'U.G.T.A. En conséquence, avant de poursuivre l'examen de ces allégations, le Comité a décidé de demander au gouvernement de formuler ses observations sur les points en cause.
  59. 60. Dans sa communication du 23 mai 1960, le gouvernement déclare qu'il n'a rien à ajouter aux précisions qu'il a déjà fournies.
  60. 61. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration d'inviter le gouvernement français à formuler des observations complémentaires sur les questions précises que soulèvent les allégations analysées aux paragraphes 52 à 57 ci-dessus.
  61. Allégations concernant la saisie et l'interdiction de publications syndicales
  62. 62. L'organisation plaignante mentionne d'abord le fait que, lorsque le Comité a examiné des allégations de même nature, aux paragraphes 276 à 280 de son vingt-septième rapport, les observations du gouvernement et les considérations présentées par le Comité se sont bornées à l'examen du cas du Travailleur algérien, organe de l'U.G.S.A. Les plaignants s'intéressent maintenant à l'allégation relative à la saisie et à l'interdiction de L'Ouvrier algérien, organe de l'U.G.T.A. Ils déclarent que l'une des principales accusations formulées contre M. Aïssat Idir était qu'en tant qu'éditeur responsable, il avait signé des articles en faveur de l'indépendance algérienne et de la lutte engagée par le F.L.N, mais que son acquittement prononcé par le tribunal militaire démontre que ses articles n'ont pas été considérés comme étant répréhensibles; au surplus, M. Aïssat Idir était, lors du procès, le seul syndicaliste qui n'était pas accusé d'être membre du F.L.N. Dans ces conditions - conclut l'organisation plaignante -, les raisons ayant provoqué la saisie et l'interdiction du journal ont été reconnues non motivées, et cette mesure a constitué une violation d'un droit syndical, le droit de publication de l'organisation intéressée.
  63. 63. Le gouvernement déclare, dans sa communication du 22 janvier 1960, que la plupart des numéros du journal ont été confisqués sur l'ordre des autorités administratives locales, ces mesures étant justifiées par la nature et le contenu des articles: appels répétés à la violence et à la grève insurrectionnelle, diffusion des consignes de la rébellion, imputations injurieuses à l'adresse d'administrateurs et de fonctionnaires, et, plus fréquemment encore, publicité accordée dans les colonnes de cette publication à des actes qui mettent gravement en danger l'ordre public et la sécurité des personnes et des biens.
  64. 64. A sa session de février 1960, le Comité a noté que, comme l'affirment les plaignants, le seul cas examiné en détail par le Comité dans son vingt-septième rapport était celui du de L'Ouvrier algérien à plusieurs reprises. Le Comité a abouti aux conclusions indiquées aux paragraphes 278 à 280 de son vingt-septième rapport après avoir considéré les raisons que le gouvernement a données de cette interdiction - ces raisons étant, à bien des égards, sensiblement pareilles à celles qui sont données dans le cas dont il s'agit actuellement. Cependant, dans le cas du Travailleur algérien, les arguments du gouvernement étaient étayés par un certain nombre d'extraits de numéros de ce journal, qui représentaient un facteur matériel ayant permis au Comité de se former une opinion sur la question, comme cela s'était passé précédemment dans un cas au sujet duquel le Comité avait dû se prononcer sur des questions semblables. Avant de formuler ses conclusions dans le présent cas, le Comité a décidé de demander au gouvernement de fournir des extraits des numéros de L'Ouvrier algérien qui ont été interdits, compte tenu de ses observations mentionnées au paragraphe 63 ci-dessus.
  65. 65. Dans sa communication du 23 mai 1960, le gouvernement déclare qu'il n'a rien à ajouter aux détails fournis antérieurement.
  66. 66. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement français de fournir des extraits des numéros de L'Ouvrier algérien qui ont été interdits, compte tenu de ses observations mentionnées au paragraphe 63 ci-dessus.
  67. Allégations relatives aux restrictions apportées à l'activité de dirigeants syndicalistes
  68. 67. Dans la plainte dont le Comité est saisi, la C.I.S.L borne ses allégations à un seul exemple. Il est prétendu que M. Delouvrier, le délégué général français, dans une déclaration faite le 7 août 1959, a dit qu'il avait reçu de nombreuses requêtes de personnes désireuses de rendre visite à M. Aïssat Idir à l'hôpital Maillot, mais qu'il les avait «filtrées », et qu'il avait refusé en particulier d'autoriser la visite d'un représentant de la C.I.S.L, « dont l'attitude avait été particulièrement violente». Il s'agissait - déclare l'organisation plaignante - de M. Bernasconi, secrétaire général de l'Union syndicale suisse, délégué par l'organisation plaignante pour entrer en contact avec M. Aïssat Idir. L'organisation plaignante déclare que ce fait constitue une violation du droit pour les organisations syndicales nationales de rester librement en contact avec les organisations internationales auxquelles elles sont affiliées.
  69. 68. A sa session de février 1960, le Comité a noté que, dans sa communication du 16 novembre 1959, le gouvernement déclare que la C.I.S.L avait été autorisée, au début de 1959, à envoyer un observateur au procès de Aïssat Idir et que l'autorisation de rendre visite à celui-ci avait été accordée à M. Carrigues, représentant à Alger de Me Rolin, l'avocat de la défense, ainsi qu'à M. Vust, délégué de la Croix-Rouge internationale. Le gouvernement ne fait aucune mention cependant du cas de M. Bernasconi ni de la déclaration qui aurait été faite en ce qui le concerne par M. Delouvrier, le 7 août 1959. Dans ces conditions, le Comité a décidé de demander au gouvernement de formuler ses observations sur cet aspect de la question.
  70. 69. Le gouvernement n'a fait parvenir aucune observation sur cet aspect du cas.
  71. 70. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement de formuler ses observations sur les allégations mentionnées ci-dessus.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 71. Compte tenu de cet ensemble de circonstances, le Comité considérant que la déclaration du gouvernement français, selon laquelle, aucune information complémentaire ne lui étant depuis parvenue, il ne peut que se référer à ses précédentes communications, ne lui permet pas de remplir de façon satisfaisante le mandat qui lui a été confié par le Conseil d'administration, recommande au Conseil d'administration:
    • a) de prendre note avec regret que le gouvernement français n'a pas fourni d'informations sur les procédures légales ou judiciaires qui auraient pu être engagées dans le cas de celles des personnes mentionnées par les plaignants qui sont encore internées, ni sur le résultat de telles procédures, comme le lui avait demandé le Conseil d'administration lorsqu'il a adopté, à sa 137ème session (octobre-novembre 1957), le paragraphe 293 c) du vingt-septième rapport du Comité, informations au sujet desquelles des rappels ont été adressés au gouvernement dans les vingt-huitième et trente-cinquième rapports du Comité adoptés par le Conseil d'administration à sa 138ème session (mars 1958) et à sa 142ème session (mai juin 1959), respectivement, et que le Conseil d'administration a de nouveau invité le gouvernement français à fournir d'urgence, lorsqu'il a adopté, à sa 144ème session (1er-4 mars 1960), le paragraphe 98 e) du quarante-quatrième rapport du Comité;
    • b) de prendre note avec regret que le gouvernement n'a pas non plus fourni de renseignements complets sur les autres points au sujet desquels le Conseil d'administration lui avait demandé des informations lorsqu'il a adopté les alinéas e) et f) du paragraphe 98 du quarante-quatrième rapport du Comité;
    • c) de décider, au sujet des allégations concernant la détention de MM. Ali Yayia Madjid, Rabah Djermane et d'autres syndicalistes:
    • i) d'appeler, une fois de plus, l'attention du gouvernement sur l'importance que le Conseil d'administration attache au principe selon lequel les syndicalistes accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement estime étrangers à leurs activités syndicales doivent être, comme toute autre personne, jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
    • ii) de prendre note que, bien que le gouvernement ait déclaré dans sa communication du 16 novembre 1959 qu'une procédure avait été entamée devant un juge d'instruction contre M. Ali Yayia Madjid et vingt-sept autres personnes pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et coups et blessures volontaires et qu'une inculpation avait été prononcée le 24 septembre 1959 contre M. Ali Yayia Madjid, le gouvernement français n'a fourni aucun autre renseignement sur la suite donnée à l'inculpation prononcée contre M. Ali Yayia Madjid et à l'ouverture d'une procédure devant un magistrat instructeur dans les vingt-sept autres cas;
    • iii) de demander au gouvernement de fournir de toute urgence une réponse concernant la situation actuelle, à la lumière du principe énoncé à l'alinéa c) i) ci-dessus et à celle de ses propres déclarations mentionnées à l'alinéa c) ii), de ceux des syndicalistes dont il est allégué qu'ils ont été détenus et qui peuvent se trouver encore en détention, et, en particulier, de MM. Ali Yayia Madjid et Rabah Djermane et des autres personnes énumérées dans la communication de la C.I.S.L du 3 août 1959 et dont les noms sont indiqués au paragraphe 50 ci-dessus; de demander au gouvernement de fournir également d'urgence, au Conseil d'administration, des informations sur les résultats des procédures légales ou judiciaires qui ont été ou seront engagées à ce sujet;
    • iv) de demander une fois encore au gouvernement, vu l'allégation précise contenue dans la communication de la C.I.S.L du 12 août 1960 - dont copie a été transmise au gouvernement le 14 septembre 1960 - et selon laquelle une ou deux au plus des trente-six personnes mentionnées au paragraphe 50 ci-dessus ont été libérées, de préciser à combien de reprises l'application de la procédure d'examen périodique du cas des personnes assignées à résidence forcée a abouti à la libération de personnes figurant sur la liste des trente-six dirigeants syndicaux et d'indiquer les noms de celles d'entre elles qui ont pu être libérées;
    • v) d'appeler l'attention du gouvernement sur l'opinion émise par le Conseil d'administration et selon laquelle une situation qui permet de maintenir en détention une personne qui a purgé la peine prononcée contre elle n'est pas compatible avec le principe énoncé à l'alinéa c) i) ci-dessus, et de demander au gouvernement, eu égard à cette opinion, de répondre de façon précise à l'allégation contenue dans la communication de la C.I.S.L du 12 août 1960 et selon laquelle M. Abdelkader, secrétaire général de l'U.G.T.A, a été maintenu en détention après avoir purgé la peine prononcée contre lui par un tribunal militaire et qui avait pris fin en mars 1960;
    • vi) de demander une fois de plus au gouvernement de fournir d'urgence les informations mentionnées à l'alinéa a) ci-dessus;
    • vii) de demander au gouvernement de fournir des informations détaillées sur les enquêtes qui ont été faites sur le coup de feu dont aurait été victime M. Rabah Djermane et sur les sévices qui auraient été infligés à d'autres militants syndicaux et dont il est question au paragraphe 21 ci-dessus, ainsi que sur les résultats de ces enquêtes;
    • d) de demander au gouvernement de formuler de plus amples observations sur les points précis contenus dans les allégations concernant le retrait de la représentativité à certaines organisations syndicales qui ont été analysées aux paragraphes 52 à 57 ci-dessus;
    • e) de demander au gouvernement de fournir des extraits des numéros de L'Ouvrier algérien qui ont été interdits, compte tenu de ses observations mentionnées au paragraphe 63 ci-dessus;
    • f) de demander au gouvernement de formuler ses observations sur les allégations concernant les restrictions apportées à l'activité de dirigeants syndicalistes, allégations analysées au paragraphe 67 ci-dessus.
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