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A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 80. Dans sa communication en date du 8 septembre 1955, l'organisation plaignante allègue que le gouvernement de Costa-Rica aurait violé les conventions internationales concernant les droits syndicaux des travailleurs. Deux fédérations ouvrières, la Federación de Trabajadores Bananeros y Anexos (FOBA) et la Federación de Trabajadores Bananeros (FETRABA), auraient décidé de s'unir en vue de déclencher une action collective de caractère économique et professionnel contre la Chiriqui Land Company. Conformément au Code du travail de Costa-Rica, le tribunal supérieur du Travail aurait reconnu le caractère légitime du mouvement.
- 81. Le gouvernement, pour favoriser la compagnie, aurait offert ses bons offices en vue de trouver un règlement au différend ; toutefois, il aurait méconnu dès l'origine le caractère d'organisation la plus représentative à la FOBA, alors que ce caractère serait une question de fait. Le ministre du Travail aurait, déclaré que le gouvernement était disposé à négocier avec les seuls dirigeants de la FETRABA, laissant de côté les dirigeants de la FOBA. Ainsi, déclare le plaignant, le gouvernement s'est fait en pratique le pire ennemi de l'unité ouvrière en n'étant que l'instrument servile de la compagnie fruitière.
- 82. Dans une communication en date du 23 septembre 1955, l'organisation plaignante présente certaines informations complémentaires à l'appui de sa plainte. Elle déclare qu'un accord d'union entre la FOBA et la FETRABA aurait été le seul moyen à la disposition des travailleurs pour déclencher dans la zone bananière un conflit collectif qui fût conforme aux exigences de la loi. Ce conflit aurait suivi le cours prescrit par la loi ; en effet, il aurait été fait recours à la procédure de conciliation, et les représentants des travailleurs auraient obtenu des tribunaux du travail la sentence déclaratoire de grève légale. C'est alors que le gouvernement aurait résolu d'intervenir d'office - en marge de la procédure légale - afin d'éviter que le conflit ne dégénère. L'organisation plaignante ne se serait pas opposée à l'intervention gouvernementale, puisque, au contraire, elle se serait efforcée de chercher un règlement conciliatoire. Mais, déclare le plaignant, cette intervention ne se serait pas limitée à chercher une formule de conciliation ; elle aurait eu pour but de rompre l'unité du front des travailleurs en agissant contre un accord nécessaire pour que la grève fût légale. Le plaignant signale à cet égard que, bien qu'il soit exact que, du point de vue juridique, les organisations syndicales en tant que telles n'aient rien eu à voir dans le conflit, il n'en reste pas moins que le ministre ne s'est pas adressé aux travailleurs directement, ni à leurs représentants légaux, mais à une seule des fédérations intéressées - la FETRABA - à l'exclusion de l'autre. Encore qu'une intervention des autorités administratives ne soit pas prévue par la loi, le plaignant reconnaît au ministre le droit de s'adresser, à des fins de négociations, à l'une des organisations intéressées ; en l'occurrence, toutefois, le choix équivaudrait à une discrimination puisqu'il ne tient pas compte du fait que c'est la FOBA qui est l'organisation majoritaire et, par suite, la plus représentative. Le pacte d'unité passé entre les deux organisations intéressées aurait été attaqué et il aurait été rendu public - sans que le ministre du Travail le démente - que le ministre refusait de traiter avec la FOBA en raison de son allégeance communiste. En fait, le ministère n'aurait traité qu'avec la seule FETRABA. Par des déclarations faites à la presse, le ministre du Travail aurait attaqué la FOBA ainsi que ses dirigeants et se serait ouvertement prononcé contre l'accord d'unité. Le 23 août 1955, le ministre aurait déclaré qu'il était décidé « à éviter que des personnes que le sort des travailleurs laisse indifférentes, j'ai nommé les communistes, n'apportent de l'eau à leur moulin à seule fin de promouvoir la lutte des classes et de maintenir l'agitation dans la zone bananière ». Le Président de la République, au cours dune interview, aurait attaqué directement l'accord : « La récente fusion des syndicats ouvriers FOBA (dirigés par les communistes) et FETRABA (non communistes) ne saurait être considérée exactement comme une mesure heureuse pour les travailleurs démocrates ; je suis convaincu en effet que ceux-ci pourraient obtenir de grandes améliorations de leurs conditions de travail sans avoir recours au communisme. Nous soutenons les mouvements ouvriers forts et démocratiques à condition qu'ils ne soient pas teintés de communisme. »
- 83. Toutes ces déclarations et toutes ces mesures contre l'accord d'union ont pour but, selon le plaignant, de susciter une division au sein clé la classe laborieuse. La pression gouvernementale aurait eu pour effet de faire dénoncer l'accord sans préavis par le président de la FETRABA. Cette dénonciation n'aurait cependant pas affecté l'unité de fait nouée par les travailleurs eux-mêmes dans les plantations de bananiers et les desseins du gouvernement se trouveraient déjoués.
- 84. Dans sa communication du 16 septembre 1955, le gouvernement déclare que, bien qu'il ne lui ait pas été possible, pour des raisons d'ordre administratif de ratifier les conventions concernant les droits syndicaux, la législation et la pratique nationales renferment les garanties contenues dans lesdites conventions. A l'appui de cette assertion, le gouvernement cite l'article 262 du Code du travail aux termes duquel « est déclarée d'intérêt public la constitution légale d'organisations sociales, qu'il s'agisse de syndicats ou de coopératives, comme constituant un des moyens les plus efficaces de contribuer au maintien et au développement de la culture populaire et de la démocratie à Costa-Rica ». Le gouvernement actuel a fidèlement respecté ce principe en reconnaissant sans limitation le droit qu'ont les travailleurs de se grouper en syndicats. Le gouvernement déclare que tous les syndicats ont le droit d'intervenir en ce qui concerne l'étude, l'amélioration et la protection des intérêts économiques et sociaux de leurs affiliés et qu'aucune personne ni aucune organisation n'a fait l'objet d'un traitement discriminatoire relativement à la reconnaissance de ces droits. Le gouvernement précise qu'il a même fait preuve d'une extrême tolérance à des époques où la sécurité nationale était en danger. En effet, bien que la Constitution de Costa-Rica interdise la création de partis politiques qui - tels que le parti communiste - tendent par leur programme et leurs moyens d'action à saper l'organisation démocratique du pays, le gouvernement a accepté que des personnes anciennement affiliées au parti communiste travaillent dans des organisations syndicales. Malgré les liens existant entre ces personnes et le parti communiste, le gouvernement s'est abstenu d'intervenir en rien dans les affaires des syndicats auxquels elles étaient affiliées. Au dire du gouvernement, le signataire de la plainte serait une de ces personnes.
- 85. Se référant ensuite à la plainte spécifique formulée, le gouvernement indique que, juridiquement parlant, les organisations professionnelles n'avaient rien à voir dans le conflit qui opposait les travailleurs des plantations de bananiers et la Chiriqui Land Company. Aux termes de la loi, pour qu'il y ait conflit collectif, les travailleurs d'une entreprise doivent, sans intervention des syndicats, former une coalition comprenant au moins 60 pour cent des travailleurs de cette entreprise. Le différend doit être soumis à l'employeur aux fins de lui trouver une solution amiable ; s'il est impossible d'aboutir à un règlement, le différend est soumis à un tribunal de conciliation, dont la composition est tripartite ; la recommandation de ce tribunal n'a pas force obligatoire pour les parties. Si l'on ne peut aboutir à un accord, les travailleurs peuvent demander au tribunal judiciaire de les autoriser à recourir à la grève. Si cette autorisation est donnée, la grève sera alors légale.
- 86. La loi ne prévoit pas l'intervention des autorités administratives dans les relations entre employeurs et travailleurs. Toutefois, en l'occurrence, et afin d'éviter les dommages qui résultent toujours d'une grève, le pouvoir exécutif a jugé opportun d'intervenir d'office auprès de la compagnie et auprès des travailleurs sans se préoccuper - contrairement à ce qu'affirme le plaignant - de l'affiliation ou de la non-affiliation à telle ou telle organisation syndicale. L'intervention du ministère du Travail a été faite en toute bonne foi, sans qu'une préférence ait été donnée à un syndicat déterminé. Le ministère a consulté différentes personnes sans tenir compte de leur affiliation syndicale.
- 87. Comme conclusion à sa première réponse, le gouvernement déclare que la politique de protection des travailleurs suivie par l'actuel gouvernement costaricien est connue, et qu'il ne considère donc pas comme opportun de se référer aux autres aspects de la plainte, lesquels, à son avis, sont faux, malhonnêtes et s'inspirent d'idéologies antidémocratiques.
- 88. Dans sa deuxième communication, en date du 13 février 1956, le gouvernement réitère les observations qu'il avait formulées dans sa première réponse, en précisant toutefois les points suivants : à Costa-Rica, le droit de déclencher un conflit collectif n'est pas un droit syndical, mais un droit des travailleurs en général. Le gouvernement, lorsqu'il se propose comme médiateur dans un différend, n'a pas à choisir entre dirigeants syndicaux ; il lui suffit de traiter avec des travailleurs démocrates ayant la confiance de leurs camarades. Les déclarations du Président de la République et du ministre du Travail mentionnées par le plaignant sont exactes quant au fond et se justifient, tant il est vrai que l'intervention dans le conflit de dirigeants et d'agitateurs communistes n'est un secret pour personne, Ce n'est pas entre organisations syndicales que le gouvernement fait une discrimination, mais à l'égard de groupes idéologiques entachés de communisme. Lorsque le gouvernement prend des mesures contre les membres de tels groupes, peu lui importe leur affiliation syndicale. Le gouvernement ne saurait soutenir d'autres types de syndicalisme qu'un syndicalisme démocratique, étranger à toute influence séparatiste.
- 89. En ce qui concerne la rupture du pacte d'unité liant les fédérations syndicales, le gouvernement déclare qu'il s'agit là d'un fait sans aucune relation avec la médiation gouvernementale dans le différend bananier : il ne s'agit que d'une affirmation gratuite du plaignant qu'aucun fondement ne vient étayer.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 90. Les allégations formulées par le plaignant consistent essentiellement en ceci : lorsque deux fédérations syndicales de travailleurs bananiers se sont unies pour déclencher une grève déclarée légale par le tribunal compétent, le gouverne ment, contrairement aux dispositions du Code du travail, serait intervenu aux fins de trouver une solution conciliatoire et ne se serait, pour ce faire, adressé qu'aux seuls dirigeants de l'organisation minoritaire (FETRABA), refusant de traiter avec les dirigeants de l'organisation la plus représentative (FOBA). Le plaignant n'élève pas d'objection à l'offre de médiation faite par le gouvernement, encore que l'initiative gouvernementale se soit exercée en marge de la loi ; il s'élève, par contre, contre la discrimination exercée par le gouvernement entre les deux organisations et contre les déclarations publiques faites par de hautes personnalités gouvernementales, déclarations qui, selon lui, auraient été à l'origine de la dénonciation par la FETRABA du pacte d'unité qu'elle avait conclu avec la FOBA. De son côté, le gouvernement déclare que, bien que favorisant seulement les syndicats démocratiques, il a toujours respecté le droit des travailleurs de toute tendance à s'organiser. Toutefois, aux termes du Code du travail de Costa-Rica, aucune organisation syndicale en tant que telle ne peut être partie à un conflit - fait admis par le plaignant -, car le Code prévoit et exige la formation d'une coalition ad hoc représentant au moins 60 pour cent des travailleurs d'une entreprise pour qu'il y ait conflit collectif; de plus, une grève ne sera légale que si cette procédure est suivie. Le gouvernement admet être intervenu en vue de trouver un règlement au conflit, bien que la loi ne prévoie pas l'intervention des autorités administratives en pareil cas ; il déclare avoir voulu par là éviter les conséquences désastreuses que la grève n'aurait pas manqué d'entraîner. Dans sa première réponse, le gouvernement déclare qu'il se serait mis en rapport avec les dirigeants ouvriers sans se préoccuper de leur affiliation syndicale. Dans sa seconde réponse, tout en maintenant sa déclaration qu'il n'a pas exercé de discrimination entre organisations syndicales, mais seulement entre dirigeants ouvriers de différentes tendances idéologiques, le gouvernement reconnaît que le Président de la République a déclaré, notamment, que l'accord d'union conclu entre les deux fédérations ne constituait pas une initiative heureuse en ce qu'elle liait la FORA, qu'il qualifie de communiste, à la FETRABA, qu'il ne considère pas comme communiste. Le gouvernement refuse d'admettre que les mesures adoptées par lui aient un rapport quelconque avec la rupture du pacte d'unité conclu par les deux fédérations.
- 91. Il semble assez évident que la discrimination exercée par le gouvernement dans sa tentative de médiation - qu'elle ait été exercée entre organisations, ainsi que l'allègue le plaignant, ou entre personnes en raison de leurs tendances idéologiques et indépendamment de leur affiliation syndicale, comme l'affirme le gouvernement - a un caractère directement politique. Dans plusieurs cas antérieurs, le Comité a été appelé à se prononcer sur l'application de mesures qui, bien qu'étant de nature politique et n'ayant pas pour but de restreindre les droits syndicaux comme tels, pouvaient néanmoins affecter l'exercice de ces droits. Dans le cas d'espèce, bien que le gouvernement affirme que les mesures adoptées par lui n'impliquaient aucune discrimination entre syndicats, le Comité considère qu'il est saisi d'allégations précises selon lesquelles, directement ou indirectement, le gouvernement a pris des mesures qui équivalaient à consulter les dirigeants d'une organisation moins importante, à l'exclusion des dirigeants d'une organisation plus importante, à propos d'une question dont le caractère professionnel ne saurait faire de doute et que, par suite, il lui appartient d'examiner l'affaire quant au fond.
- 92. Il semblerait que les deux fédérations en question, afin que le mouvement de grève déclenché par elles fût conforme aux prescriptions légales, ont conclu un accord d'unité qui a donné naissance à un front commun représentant plus de 60 pour cent des travailleurs intéressés, front commun qui semble, aux yeux de la loi, avoir été considéré comme constituant une « coalition » au sens des dispositions du Code du travail en matière de conflits collectifs, puisque, aussi bien, le gouvernement n'a pas réfuté l'affirmation du plaignant selon laquelle la grève déclenchée par lui aurait été autorisée par le tribunal compétent.
- 93. Le gouvernement déclare que, lors de sa tentative de conciliation, il a consulté des dirigeants ouvriers sans se préoccuper de leur affiliation syndicale. Pour cette raison, et parce que, d'après la loi, les syndicats ne sont pas parties aux conflits collectifs, le gouvernement estime que toute discrimination qu'il aurait pu exercer lors du choix des personnes avec lesquelles il entendait négocier ne constitue en rien une discrimination entre syndicats. Le gouvernement admettant que des considérations d'ordre idéologique l'ont amené à estimer qu'il était suffisant pour lui de traiter avec les seuls dirigeants ouvriers qu'il considérait comme «inspirés d'une saine doctrine démocratique » ; étant donné, d'autre part, que le gouvernement réaffirme, comme l'avait fait le Président de la République, que la FORA est communiste et la FETRABA ne l'est pas et que leur fusion est une initiative malheureuse, le Comité estime qu'il était normal, dans ces conditions, que les dirigeants ouvriers consultés par le gouvernement aient été ceux de la FETRABA et non pas ceux de la FOBA.
- 94. Dans ces conditions, le Comité attire l'attention sur le fait que l'on admet généralement le principe selon lequel les travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants, selon lequel les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal, selon lequel, enfin, la législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues ci-dessus. Lorsqu'un groupe de personnes représentant les travailleurs dans un différend est élu par ces travailleurs, le Comité estime que le droit des travailleurs d'élire librement leurs représentants subit des restrictions si certains seulement de ces représentants sont - en raison de leurs opinions politiques - jugés aptes par le gouvernement à participer à une tentative de conciliation. Lorsque la législation nationale prévoit que le gouvernement aura le droit de traiter uniquement avec ceux qui lui semblent être représentatifs des travailleurs d'une entreprise, c'est-à-dire en fait, aura le droit de choisir avec qui il veut traiter, tout choix fondé sur les opinions politiques des personnes en cause ayant pour effet d'éliminer, même indirectement, les dirigeants de l'organisation la plus représentative de la catégorie de travailleurs intéressés reviendra, en fait, à ce que la législation nationale soit appliquée de manière à porter atteinte au droit qu'ont les travailleurs de choisir librement leurs représentants.
- 95. Dans le cas d'espèce, alors qu'il est allégué par le plaignant, mais nié par le gouvernement, que les mesures prises et les déclarations faites par ce dernier ont eu pour effet de faire dénoncer par une des fédérations le pacte d'unité qu'elle avait conclu avec l'autre, ni le gouvernement ni le plaignant ne semblent mettre en doute que la solidarité des travailleurs dans le conflit n'a pas été affectée.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 96. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache aux principes rappelés au paragraphe 94 ci-dessus, mais de décider que, sous cette réserve, étant donné que les plaignants ne paraissent pas s'élever contre la législation nationale en tant que telle, mais uniquement contre l'application qui en a été faite, pour des raisons politiques, dans des circonstances déterminées, il serait sans objet de poursuivre l'affaire et que le cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.