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A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- Analyse de la plainte
- 127 La plainte contient les trois groupes d'allégations suivants:
- a) Les droits syndicaux auraient été abolis. L'autorisation d'organiser une fédération syndicale aurait été refusée. Le Congrès des syndicats de l'Afrique orientale (East African Trade Union Congress), créé en mai 1949, se serait vu refuser, en septembre de la même année, sa demande d'enregistrement.
- b) Le 15 mai 1950, les bureaux du T.U.C à Nairobi auraient fait l'objet d'une perquisition de police. Le président et le secrétaire général auraient été mis en état d'arrestation sous l'accusation d'avoir été les agents d'un syndicat non autorisé. Ils auraient été condamnés à une amende de 100 shillings chacun. Le secrétaire général, Makhar Singh, bien qu'il ait été reconnu, par la Cour suprême, en juillet 1950, non coupable de faux serment, aurait été condamné à trois mois d'emprisonnement et aurait déjà purgé les deux tiers de sa peine. Il aurait été arrêté de nouveau en vertu d'un ordre du gouverneur et envoyé en résidence forcée dans un village isolé.
- c) Il y aurait eu menace de grève générale en témoignage de solidarité à l'égard du président et du secrétaire général de l'East African Trade Union Congress. Quelque 6.000 travailleurs africains se seraient mis en grève à Nairobi. Les grévistes auraient également demandé un salaire minimum mensuel et « la liberté pour les Africains de l'Afrique orientale ». Le gouvernement aurait déclaré illégales toutes les grèves dans les «industries essentielles ». Une réunion de protestation, tenue le 18 mai 1950, aurait été dispersée par la police en autos blindées, qui aurait utilisé des bombes lacrymogènes. Au cours des deux semaines suivantes, il aurait été procédé à 300 arrestations.
- Analyse de la réponse et de la réponse supplémentaire
- 128 En ce qui concerne la première allégation, le gouvernement a déclaré, dans sa première réponse, que les droits syndicaux sont garantis par la législation, qui prescrit également l'enregistrement de tout syndicat. La législation prévoit notamment que, si le greffier préposé à l'enregistrement des syndicats est convaincu qu'un syndicat ayant fait une demande d'enregistrement est une organisation se composant de personnes exerçant des activités professionnelles différentes et que ses statuts ne contiennent pas de dispositions assurant convenablement la protection et le développement de leurs intérêts locaux et professionnels respectifs, il peut refuser l'enregistrement, le syndicat devant alors être dissous dans les trois mois. L'East African T.U.C représentait une tentative faite en vue de subordonner six syndicats séparés à un conseil exécutif central, et le greffier a refusé la demande d'enregistrement parce qu'il considérait que l'indépendance et les intérêts locaux et professionnels séparés de ces syndicats auraient été compromis. L'East African T.U.C n'a pas interjeté appel devant la cour suprême de la décision du greffier - possibilité que la législation lui offrait - de sorte qu'au bout de trois mois, le T.U.C est devenu une organisation illégale. Aucune mesure n'a été prise pour restreindre l'exercice des droits syndicaux par des syndicats enregistrés, y compris ceux qui avaient des liens avec l'East African T.U.C déclaré illégal.
- 129 En ce qui concerne la deuxième allégation, le gouvernement fait observer que le président et le secrétaire général ont été effectivement condamnés à une amende en tant qu'agents d'une organisation dont la dissolution avait été ordonnée dans le délai prescrit, soit dans les trois mois consécutifs au refus d'enregistrement. Makhar Singh, secrétaire général indien de l'East African T.U.C, a été arrêté en vertu de l'ordonnance sur la déportation (sujets britanniques immigrants) parce qu'aux termes de cette ordonnance, il était une « personne indésirable » (c'est-à-dire une personne qui se conduit de manière à compromettre la paix et le bon ordre, l'action gouvernementale normale ou la moralité publique, ou qui cherche intentionnellement, soit à soulever le mécontentement ou à créer de mauvaises dispositions à l'égard des autorités parmi les sujets ou les habitants de la colonie, soit à promouvoir des sentiments de mauvaise volonté et d'hostilité entre les différentes classes de la population de la colonie). Le procès s'est déroulé devant un juge de la Cour suprême, qui a retenu que les faits allégués avaient été prouvés ; le gouverneur en son conseil décida alors, conformément à l'ordonnance, de placer Makhar Singh en résidence surveillée.
- 130 En ce qui concerne la troisième allégation, le gouvernement a fait observer que quelque 6.000 personnes, sur un chiffre total d'environ 32.000 travailleurs africains de Nairobi, se sont mis en grève à différentes reprises. La grève dura dix jours et fut accompagnée de nombreux actes d'intimidation et de violence. Elle ne se limita pas aux services essentiels, mais certains de ceux-ci furent effectivement touchés. En vertu de l'ordonnance de février 1950 sur les services essentiels au Kenya (arbitrage), les différends du travail qui se produisirent dans certains services considérés comme essentiels doivent être signalés au gouvernement. Les grèves ne sont pas interdites dans les services essentiels, mais nul ne peut participer à une grève ou à un lock-out dans un tel service à moins que 21 jours ne se soient écoulés depuis le moment où la grève a été signalée à l'attention du gouvernement, et si le gouvernement n'a pas, pendant ce temps, pris les mesures prévues afin d'assurer un règlement du conflit, selon les procédures de négociation collective établies dans le service intéressé, ou, en dernier ressort, pas voie d'arbitrage. Aucune mesure ne fut prise contre les travailleurs pour avoir participé à la grève, et seule, une personne fut accusée d'avoir incité à la grève dans un service essentiel. Il y eu 102 condamnations pour atteintes diverses portées à l'ordre public. Lorsque celui-ci fut menacé par des rassemblements importants, la police dut employer les gaz lacrymogènes et se servir de ses matraques, mais personne ne fut sérieusement blessé.
- 131 A sa deuxième session, en mars 1952, le Comité avait abouti, en ce qui concerne la troisième allégation, aux conclusions qui figurent au paragraphe 134 ci-dessous. Quant aux autres allégations, il avait, par contre, jugé nécessaire, avant de présenter sa recommandation au Conseil d'administration, de demander au gouvernement du Royaume-Uni des renseignements complémentaires au sujet des modalités d'application des arrangements, en matière d'enregistrement des syndicats, prévus par la législation du Kenya, afin de se rendre compte si ces arrangements avaient pour effet d'empêcher la constitution d'une confédération générale des syndicats. Le Directeur général a écrit dans ce sens le 20 mars 1952 au gouvernement du Royaume-Uni, qui a communiqué, le 12 mai 1952, les informations complémentaires demandées.
- 132 Dans sa réponse, le gouvernement, se référant à la question soulevée par le Comité, a indiqué que les dispositions en matière d'enregistrement des syndicats prévues par la législation du Kenya ne tendent pas a empêcher la constitution d'une confédération générale des syndicats. La situation se présenterait comme suit : s'il devait se constituer au Kenya une confédération qui n'aurait pas pour mandat de régler, de concert avec les employeurs intéressés, les questions relatives aux salaires, aux heures de travail et aux conditions d'emploi des membres des syndicats faisant partie de cette confédération, celle-ci ne serait pas considérée comme un syndicat, au sens de l'ordonnance en vigueur au Kenya; elle pourrait avoir une existence valable et poursuivre librement ses activités, sans devoir être enregistrée. D'autre part, si les statuts d'une confédération lui permettaient de participer directement à la détermination des conditions d'emploi applicables aux membres des syndicats qui en feraient partie, une telle confédération rentrerait dans le cadre de la définition légale des syndicats et serait alors tenue de demander son enregistrement. Le greffier ne serait pas obligé d'en refuser l'enregistrement sur cette base, mais, en décidant de l'acceptation ou du refus de la demande d'enregistrement, il devrait tenir compte, notamment, des dispositions de la loi qui lui permettent de refuser l'enregistre, ment lorsqu'il est convaincu que l'organisation requérante se compose de personnes exerçant des activités professionnelles différentes, et que ses statuts ne contiennent pas de dispositions assurant convenablement la protection et le développement des intérêts locaux et professionnels respectifs de ses membres.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 133. Le gouvernement du Royaume-Uni a ratifié la convention de 1947 sur le droit d'association (territoires non métropolitains) en ce qui concerne le Kenya - convention qui prévoit : que le droit des employeurs et des salariés de s'associer en vue de tous objets non contraires aux lois sera garanti par des mesures appropriées ; que les employeurs et les travailleurs seront encouragés à éviter les conflits et, s'il s'en produit, à les régler équitablement par des moyens de conciliation; et qu'il sera institué, aussi rapidement que possible, des méthodes de règlement des conflits entre employeurs et travailleurs.
- Allégation concernant la grève à Nairobi
- 134. Le Comité a noté que, selon la réponse du gouvernement, le droit de grève n'a été restreint que d'une manière partielle et temporaire dans les services essentiels en vue de permettre le règlement d'un conflit sans que la communauté ait trop à en souffrir; que, si l'on exceptait un seul cas d'incitation à la grève dans un service essentiel, les condamnations prononcées n'avaient visé que des personnes qui s'étaient rendues coupables d'atteintes à l'ordre public et que l'action de la police s'est limitée à maintenir l'ordre. Prenant en considération les renseignements précis contenus dans la réponse, y compris la référence détaillée aux dispositions pertinentes de l'ordonnance de 1950 sur les services essentiels au Kenya (arbitrage), le Comité estime que les prescriptions légales qui conditionnent le droit de grève dans les services essentiels et les condamnations, motivées non pas par la participation à la grève, mais par la provocation de désordres, ne constituent pas, dans le cas actuel, une atteinte a la liberté syndicale ; il recommande en conséquence que cette partie de la plainte ne fasse pas l'objet, de la part du Conseil d'administration, d'un examen plus approfondi.
- Allégation concernant le refus d'enregistrer l'East African Trade Union Congress
- 135. Cette allégation doit être examinée en tenant compte du stade de développement actuellement atteint par le mouvement syndical au Kenya. La convention de 1947 sur le droit d'association (territoires non métropolitains), qui a été intentionnellement conçue en termes généraux pour correspondre aux conditions qui prévalent effectivement dans les territoires non métropolitains, prévoit simplement et d'une manière générale que le droit des employeurs et des salariés de s'associer en vue de tous objets non contraires aux lois sera garanti par des mesures appropriées. Il s'agit donc de déterminer si les dispositions concernant l'enregistrement qui sont prévues dans la législation du Kenya constituent des «mesures appropriées » dans le sens de cette disposition. La question de savoir si elles peuvent être ainsi considérées semble dépendre de la manière dont elles sont utilisées et des fins pour lesquelles elles sont mises en oeuvre ; si elles sont utilisées uniquement en vue d'empêcher le contrôle politique d'un mouvement syndical qui n'a pas encore eu l'occasion de constituer ses propres traditions, la question ne semble pas soulever de problème ; si elles étaient, au contraire, utilisées en vue d'empêcher la constitution d'une confédération syndicale générale, la question pourrait revêtir un aspect différent.
- 136. Il ressort clairement de la réponse supplémentaire du gouvernement que les syndicats peuvent, au Kenya, se constituer en confédération - sous la seule réserve implicite et légale que la confédération n'ait pas des objets contraires aux lois - aussi longtemps qu'elle ne participe pas directement aux négociations en matière de salaires et d'autres conditions d'emploi. Si elle se livre à une telle activité, la confédération doit demander son enregistrement et peut se voir refuser une telle demande pour les mêmes raisons qui s'opposeraient à la demande d'enregistrement d'un syndicat. La situation semble donc se présenter comme suit : dans la majorité des pays, les syndicats sont libres de se constituer en confédération sans la moindre restriction, qu'ils participent directement aux négociations collectives ou non, bien qu'en pratique et dans la plupart mais non dans tous les cas, ces confédérations ne participent jamais directement aux négociations collectives. Au Kenya, il semble que l'on dispose d'une entière liberté de constituer une confédération générale dans le genre de celles qui existent, en fait, dans la plupart des autres pays ; par contre, il ne semble pas y avoir le droit - qui appartient aux organisations dans la plupart des autres pays, même si elles ne l'exercent pas - de conférer à la confédération qui le désire des pouvoirs en matière de négociation collective et, en même temps, de comprendre parmi ses éléments constitutifs, des syndicats chargés des intérêts de professions différentes, comme aussi de déléguer au profit de la confédération, et sur ces éléments qui la constituent, l'autorité que ceux-ci acceptent de lui donner.
- 137. Compte tenu du stade de développement auquel le Kenya est actuellement parvenu en matière de syndicalisme, et du fait qu'une confédération peut être constituée en toute liberté, le Comité estime - bien qu'il soit désirable que les dispositions actuelles en matière d'enregistrement de fédérations de syndicats au Kenya fassent l'objet d'un nouvel examen - que cette partie de la plainte n'appelle pas, dans les circonstances présentes, un examen plus approfondi de la part du Conseil d'administration.
- Allégations concernant les sanctions prises contre les agents permanents de l'East African Trade Union Congress
- 138. Ces allégations portent sur des aspects qui sont la conséquence directe des questions déjà traitées au cours de l'examen des précédentes allégations.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 139. Prenant en considération toutes les circonstances de la cause, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que, sous réserve des observations formulées au paragraphe 137 ci-dessus, ce cas, pris dans son ensemble, n'appelle pas un examen plus approfondi de sa part.