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A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  • Analyse de la plainte
    1. 112 Le plaignant allègue les deux griefs suivants:
      • a) La police de la colonie de la Grenade, renforcée par la police amenée des îles voisines et par des troupes débarquées à cet effet, aurait brutalement brisé une grève organisée en bon ordre en février 1951. Plusieurs personnes auraient été tuées ou blessées, d'autres auraient été arrêtées.
      • b) Les dirigeants des syndicats, et notamment le président et le secrétaire de l'Union des travailleurs manuels et intellectuels, auraient été déportés dans une île proche de la Grenade.
    2. Analyse de la première réponse et de la réponse supplémentaire
    3. 113 Dans sa réponse en date du 5 février 1952, le gouvernement a fait valoir les arguments suivants.
    4. 114 En ce qui concerne la première allégation, le gouvernement fait observer que des désordres se produisirent lorsque l'Union des travailleurs manuels et intellectuels de la Grenade s'opposa à un accord conclu entre les employeurs et le Conseil des syndicats de la Grenade qui jusqu'alors avait été reconnu comme représentant des travailleurs agricoles. Le gouvernement resta en contact étroit avec les parties intéressées mais de nombreuses grèves se produisirent, accompagnées d'actes d'intimidation, d'entraves aux travaux de réparation des communications, et de menaces de violence. L'ordre publie étant menacé, le gouvernement fut obligé de déclarer l'état d'exception. Néanmoins, des actes de violence et de pillage ainsi que des incendies criminels se produisirent. La police renforcée par de petits détachements de police venant de deux autres îles, après avoir tenté vainement de disperser la foule au moyen de gaz lacrymogène, aurait été obligée d'ouvrir le feu. Les membres de la marine qui furent débarqués ne remplirent aucun autre rôle que celui de monter la garde à certains endroits-clés. Aucune troupe ne fut envoyée à la Grenade au cours de la grève. Trois personnes furent tuées et trois autres blessées. A une autre occasion, une personne fut tuée dans la foule en train de piller une ferme ; deux personnes furent blessées au cours d'un autre incident. Plusieurs personnes furent arrêtées et traduites en justice pour actes de violence et de pillage et pour incendies volontaires. Le gouvernement conclut que la police n'est pas intervenue pour briser la grève, mais uniquement pour établir l'ordre public.
    5. 115 Quant à la deuxième allégation, le gouvernement soutient qu'il a procédé à la détention de deux dirigeants syndicalistes à titre de mesure préventive prise en vertu de ses pouvoirs extraordinaires résultant de la proclamation de l'état d'exception, mais qu'il les a libérés dès la levée de l'état d'exception lorsque les désordres eurent cessé. L'Union des travailleurs manuels et intellectuels aurait continué de fonctionner sous l'ancienne direction. Aucune atteinte n'aurait été portée aux droits acquis des syndicats et les deux principaux syndicats intéressés auraient repris les négociations avec les employeurs et conclu des accords avantageux.
    6. 116 Au sujet de cette deuxième allégation, le Comité, à sa deuxième session (mars 1952), avait abouti aux conclusions qui figurent au paragraphe 125 ci-dessous. Quant à la première allégation, le Comité, avant de formuler ses recommandations au Conseil d'administration, avait par contre estimé nécessaire de demander au gouvernement des renseignements complémentaires sur les circonstances dans lesquelles des personnes auraient été tuées ou blessées ainsi que sur toute enquête entreprise par la suite par les autorités et sur les jugements intervenus dans les cas des personnes traduites en justice pour actes de violence et de pillage ou pour incendies volontaires après la proclamation, en février 1951, par le gouvernement de l'état d'exception. Le Directeur général a envoyé au gouvernement du Royaume-Uni une lettre en date du 20 mars 1952 lui demandant des renseignements complémentaires sur ces points et le gouvernement a répondu par lettre du 23 mai 1952.
    7. 117 Dans sa deuxième réponse en date du 23 mai 1952, le gouvernement déclare que, comme il l'a indiqué dans ses observations antérieures, la grève ne s'est pas déroulée en bon ordre mais fut accompagnée de nombreux actes de violence et de pillage ainsi que d'incendies volontaires qui ont obligé le gouvernement à proclamer l'état d'exception. Le 23 février 1951, une foule hostile en train de piller attaqua un petit détachement de police qui fut contraint d'ouvrir le feu; deux personnes furent blessées. Le 5 mars, un maraudeur attaqua un gardien de nuit en service avec une machette et un policier le tua d'une balle afin de sauver la vie du gardien. Le 15 mars, de nombreuses personnes en train de piller des fermes furent arrêtées par la police et traduites sur-le-champ devant un juge qui les condamna à l'emprisonnement. Une foule hostile s'assembla et se mit en marche contre le siège du tribunal proférant des cris, menaçant de brûler vif le juge qui s'y trouvait. La police qui barrait la route fut attaquée à coups de pierres, de bouteilles et de sabres et, après avoir vainement tenté de disperser la foule à l'aide de matraques et de gaz lacrymogènes, fut obligée de tirer une fois. Trois personnes furent tuées et trois blessées. Après cet incident, environ la moitié des policiers durent être hospitalisés à la suite des blessures reçues. Ce furent là les seuls cas dans lesquels des personnes ont été tuées ou blessées à la suite d'une action de police. Aucune enquête générale n'a été entreprise mais une procédure normale fut engagée devant les tribunaux compétents (Coroner's Court) pour éclaircir les circonstances dans lesquelles des personnes avaient perdu la vie. Après l'incident du 5 mars, le jury déclara que «la personne décédée fut tuée par un policier intervenu pour protéger le gardien de nuit » et, après l'incident du 15 mars, le jury reconnut que « les pertes de vies humaines résultaient de l'action entreprise en vue de disperser un rassemblement séditieux». Dans les deux cas, aucune faute ne fut retenue contre la police.
    8. 118 Deux cent trente cas au total résultèrent des désordres dont les détails sont donnés ci-dessous.
  • Cas ayant Cas ayant Poursuites
  • fait l'objet d'un donné lieu à ayant abouti à
  • rapport poursuites à une condamnation
  • Actes de violence, y compris usage d'armes à feu,
  • blessure, brigandage, obstruction et voies de
  • fait . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 35 31
  • Incendies criminels .. . . . . . . . . 16 1 1
  • Vols, y compris violation de domicile, vols de
  • bétail, maraudage de récoltes, recel, possession
  • illicite . . . . . . . . . . . . . . . . 111 40 36
  • Autres infractions, y compris réunions illicites,
  • port d'armes prohibées, violation de droit de
  • propriété, menaces caractérisées . . . . . 45 41 31
  • Total. . . 230 117 99
  • Au total, 197 personnes ont été condamnées dans les 99 cas qui figurent dans la troisième colonne. Sur ces personnes, 153 ont été condamnées à une amende et 44 à des peines de prison. Les amendes allaient de 20 à 1.000 dollars dans un cas de recel. Les condamnations à l'emprisonnement furent prononcées pour un mois au moins et pour cinq ans au plus, à l'exception d'une condamnation à dix ans d'emprisonnement infligée dans un cas de tentative de meurtre. Seize condamnations à l'emprisonnement ne dépassaient pas trois mois, la durée moyenne de l'emprisonnement était d'un peu moins de deux ans dans les autres cas d'infractions graves.
    1. 119 Ces détails montrent clairement, fait observer le gouvernement, quelle était la situation à l'époque de la grève. Des édifices publics et privés d'une valeur d'environ 18.000 livres furent détruits par des incendies criminels et il y eut de nombreuses autres tentatives infructueuses d'incendie volontaire. Le total des dommages occasionnés pendant la grève fut estimé à 65.000 livres mais, étant donné l'ampleur prise par le maraudage des récoltes, aucune estimation précise ne peut être formulée. A la fin de la grève, et plusieurs jours après la levée de l'état d'exception, de nombreuses bandes composées d'hommes armés de bâtons et de sabres dont les effectifs semblent avoir atteint jusqu'à 70 personnes s'adonnèrent au brigandage et exigèrent la remise d'argent ou de marchandises emballées, prêtes pour la vente. Malgré les grands efforts demandés à cette occasion aux forces de police, le gouvernement local repoussa les demandes tendant à faire débarquer la troupe dans l'île de la Grenade.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 120. Le gouvernement du Royaume-Uni a ratifié en ce qui concerne l'île de la Grenade la convention de 1947 sur le droit d'association (territoires non métropolitains).
  2. 121. En ce qui concerne la première allégation, les versions des événements fournies par le plaignant et par le gouvernement ne concordent pas. Alors que le plaignant déclare qu'à la suite d'une grève «imposante par sa discipline», la police, renforcée par des troupes, aurait traité les grévistes « avec une brutalité inouïe », et que les troupes auraient ouvert le feu sur ceux-ci avec les conséquences déjà mentionnées, le gouvernement a, dans sa première réponse, donné certains détails quant aux circonstances dans lesquelles les incidents se sont produits.
  3. 122. Dans sa deuxième réponse, le gouvernement donne des renseignements précis sur des cas de pillage ; dans un cas, un groupe de pillards attaquèrent la police et dans l'autre un maraudeur attaqua un gardien de nuit. Dans ce dernier cas, le maraudeur fut tué par un agent de police et le jury (Coroner's jury) estima que « la personne décédée avait été tuée par un policier intervenu pour protéger le gardien de nuit ». Plus tard, lorsque des pillards étaient en train d'être jugés, une foule hostile menaça de mettre feu au tribunal et la police préposée à sa défense fut attaquée à coups de pierres, de machettes, etc. ; ayant vainement utilisé les matraques et les gaz lacrymogènes, pour disperser la foule, elle fut contrainte à faire feu, tuant trois personnes. Le jury (Coroner's jury) estima que ces pertes de vies humaines «résultaient de l'action entreprise en vue de disperser un rassemblement séditieux». Lors de ces deux cas ayant entraîné des issues fatales, le jury ne retint aucune faute contre la police.
  4. 123. Le gouvernement donne également d'abondants détails sur les 230 cas de poursuites qui furent engagées en raison d'actes de violence, y compris usage d'armes à feu, blessures, vols, obstruction, voies de fait, incendies volontaires, brigandage, violation de domicile, réunions illicites, port d'armes prohibées, etc. - 197 personnes furent condamnées à des peines de prison ou à des amendes. Des dommages s'élevant à une valeur d'au moins 65.000 livres furent causés au cours de ces désordres et notamment des dommages d'une valeur de 18.000 livres occasionnés du fait d'incendies volontaires de bâtiments publics et privés.
  5. 124. Tout en soulignant les avantages d'une enquête spéciale immédiate et indépendante dans les cas pouvant influer sur l'exercice des droits syndicaux et ayant entraîné mort d'homme, le Comité note que, dans le cas présent, la procédure judiciaire régulière a été appliquée et que les jurys (Coroner's furies) ont estimé que l'action de la police avait été justifiée. Dans ces conditions, le Comité estime que les plaignants n'ont pas apporté la preuve d'une violation des droits syndicaux qui appellerait un examen plus approfondi de la question.
  6. 125. En ce qui concerne la deuxième allégation, le Comité a noté que, d'après la réponse du gouvernement, les deux dirigeants syndicalistes avaient été détenus à titre temporaire et non déportés, conformément aux pouvoirs extraordinaires résultant de la proclamation de l'état d'exception et qu'ils avaient été libérés dès la levée de l'état d'exception, mais que le gouvernement n'indiquait pas qu'ils eussent été impliqués dans des actes d'intimidation, de sabotage ou de menaces de violence, raisons pour lesquelles l'état d'exception avait été proclamé, et qu'il se bornait à déclarer que la détention constituait une « mesure préventive ». Dans ces conditions, le Comité, tout en estimant que les faits allégués et reconnus par le gouvernement auraient pu mériter un examen plus approfondi s'ils avaient continué à exister, estime qu'étant donné le rétablissement de la situation normale, il n'y a plus lieu de recommander au Conseil d'administration de poursuivre l'examen de cette partie de la plainte.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 126. Dans ces conditions, le Comité, sous réserve des observations qui figurent aux paragraphes 124 et 125 ci-dessus, recommande au Conseil d'administration de décider que le cas dans son ensemble n'appelle pas un examen plus approfondi.
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