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La commission prend note des observations de la Confédération syndicale internationale (CSI), reçues le 1er septembre 2022, portant sur les matières examinées dans le présent commentaire, notamment les allégations concernant la persistance de mesures antisyndicales contre l’Association des enseignants jordaniens (AEJ). La commission prie le gouvernement de formuler ses commentaires à cet égard.
La commission note également que le Comité de la liberté syndicale a attiré son attention sur les aspects législatifs du cas no 3337 se rapportant à la convention (rapport no 397, mars 2022, paragr. 478). Ces questions sont discutées ci-après.
Articles 1 à 6 de la convention. Champ d’application de la convention. Travailleurs étrangers. Dans ses précédents commentaires, la commission avait observé que l’incapacité juridique des travailleurs étrangers, qui les empêche de créer des organisations syndicales ou d’y exercer des mandats représentatifs, peut constituer un obstacle au libre exercice des droits que leur reconnaît la convention, et elle avait prié le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, y compris par la voie législative, pour permettre le plein exercice par les travailleurs étrangers des droits reconnus par la convention. La commission note que le gouvernement indique à cet égard que: i) le Code du travail limite le droit de créer des organisations syndicales aux Jordaniens et, suivant la décision no 1 de 2020 de la Cour constitutionnelle, la Constitution prime sur les conventions et traités internationaux; ii) 44 conventions collectives ont été conclues en 2021 et 33 en 2022, couvrant respectivement 115 332 et 183 033 travailleurs jordaniens et non-jordaniens. S’agissant de la hiérarchie entre la convention et le Code du travail jordanien, la commission note que le texte de la décision de la Cour constitutionnelle précitée insiste sur le fait que la législation nationale ne peut contredire les conventions internationales ratifiées par le royaume, une position conforme aux principes fondamentaux du droit international. La commission note en outre que, suivant l’article 98(f) du Code du travail, les travailleurs étrangers n’ont pas le droit de constituer des organisations syndicales; suivant l’article 45 des statuts unifiés des organisations syndicales sectorielles reconnues de 2020, ils ne peuvent être élus au conseil d’administration, et; suivant l’article 7(a) de la loi no 14 de 2011 sur l’Association des enseignants jordaniens (ci-après la loi sur l’AEJ), ils ne peuvent adhérer à l’AEJ, alors que, selon les informations communiquées par le gouvernement, le nombre des travailleurs étrangers dans l’enseignement était de 929 en 2021. S’agissant du droit des travailleurs étrangers à la pratique de la négociation collective, la commission note que, suivant les informations communiquées par le gouvernement, en 2021, les travailleurs étrangers titulaires d’un permis de travail représentaient 19,5 pour cent de la population active. Elle prend également note des indications du gouvernement sur le nombre total des travailleurs, y compris les travailleurs étrangers, couverts par des conventions collectives signées en 2021 et 2022. Elle note à ce sujet que, d’après le rapport de la Banque mondiale intitulé Jobs Diagnostic Jordan (2020), les étrangers représentent près de 36 pour cent de l’emploi total. Le marché du travail jordanien est extrêmement segmenté en fonction des nationalités, les étrangers étant concentrés de manière disproportionnée dans l’économie informelle et les emplois non qualifiés. En 2016, la quasi-totalité des travailleurs domestiques, 70 pour cent des ouvriers agricoles et 60 pour cent des travailleurs du bâtiment étaient des étrangers. Selon le rapport 2022 de Better Work Jordan (ci-après le rapport BWJ), les travailleurs étrangers sont aussi 75 pour cent de la main-d’œuvre dans l’industrie de l’habillement. La commission note que dans les faits, à l’exception du secteur de l’habillement, aucune négociation collective marquante n’a eu lieu dans aucun des secteurs précités où les travailleurs étrangers sont fortement représentés. Le travail domestique et l’agriculture n’étaient pas repris dans la liste des secteurs couverts par les 17 syndicats sectoriels reconnus jusqu’en juillet 2022 et, selon la Fédération jordanienne des syndicats indépendants, en 2008, le gouvernement a refusé de reconnaître un syndicat indépendant de travailleurs agricoles (Comité de la liberté syndicale, cas no 3337, rapport no 393, mars 2021, paragr. 518). S’agissant du secteur de la construction, la commission note que, d’après les listes des conventions collectives depuis 2015, publiées sur le site Web du ministère du Travail, aucune convention collective de grande importance n’a eu lieu dans le secteur entre 2015 et 2022, et les rares à avoir été signées ne concernaient que des entreprises en particulier et pour quelques centaines de travailleurs. Dans le secteur de l’habillement, la commission note que, d’après le rapport BWJ, la convention collective de 2019 fut la plus inclusive connue à ce jour, puisque les représentants des travailleurs de nombreuses nationalités différentes ont été consultés et que des questions essentielles pour les travailleurs ont été abordées dans la négociation. Quoi qu’il en soit, ce processus a débouché sur une réglementation des conditions d’emploi à deux vitesses, les conditions des travailleurs étrangers étant moins favorables. À titre d’exemples, le salaire minimum des travailleurs étrangers est moindre, le contrat unifié pour les Jordaniens prévoit un congé de maternité payé et limite le nombre d’heures supplémentaires par jour, des dispositions qui ne figurent pas dans la convention des travailleurs étrangers. Au vu de ce qui précède, la commission ne peut que noter que dans les faits, il n’y a que dans un des secteurs où les travailleurs étrangers constituent l’essentiel de la main-d’œuvre que leurs conditions de travail sont régies par des conventions collectives. En conséquence, la commission note avec préoccupation que les entraves juridiques à la liberté syndicale des travailleurs étrangers, auxquelles s’ajoute le monopole du syndicat dominant, ont largement contribué à une situation dans laquelle, dans de nombreux secteurs, tout accès à la négociation collective leur est fermé, tandis que dans d’autres, leur pouvoir de négociation est largement restreint dans la pratique. Considérant la part importante des travailleurs étrangers dans la population active, la commission note que ce problème porte atteinte de manière significative à l’exercice de la liberté syndicale et du droit de négocier collectivement dans l’ensemble de l’économie jordanienne. Au vu de ce qui précède, la commission prie instamment le gouvernement de: i) abroger les articles 98(f)1 du Code du travail et 7(a) de la loi sur l’AEJ; et ii) dans l’attente de la réforme législative, prendre toutes les mesures nécessaires afin de promouvoir la négociation collective dans les secteurs où les travailleurs étrangers constituent l’essentiel de la main-d’œuvre et encourager les syndicats existants à adopter une démarche inclusive par laquelle les représentants des travailleurs étrangers participent au processus de négociation collective et leurs revendications et préoccupations sont effectivement prises en compte. La commission prie le gouvernement de fournir des informations détaillées sur les mesures législatives ainsi que les mesures de promotion de négociation collective prises; et également de fournir de l’information concernant les changements dans le champ d’application et les termes des conventions collectives applicables aux travailleurs étrangers.
Travailleurs agricoles et travailleurs domestiques. Le gouvernement indique que la Réglementation du travail agricole a été adoptée par la Chambre des représentants le 14 mars 2021, au terme d’une procédure de consultation d’organisations de travailleurs, d’employeurs et de la société civile. La commission note que cette réglementation renferme des dispositions régissant divers aspects du travail agricole et s’applique à tous les travailleurs, y compris aux non-jordaniens. Elle note avec intérêt que son article 16 impute au Code du travail tous les éléments des relations de travail qu’elle ne traite pas, notamment le droit des travailleurs agricoles à la liberté syndicale et de négociation collective. La commission note en outre que le gouvernement indique que la décision no 2022/45 du ministère du Travail datée du 18 juillet 2022, modifiant la décision relative aux catégories d’industries et d’activités économiques dans lesquelles les travailleurs sont autorisés à constituer des syndicats, inclut les travailleurs agricoles parmi les professions pouvant adhérer au syndicat des industries de l’alimentation, dès lors appelé Syndicat général des travailleurs de l’eau, de l’agriculture et des industries alimentaires.
S’agissant des travailleurs domestiques, le gouvernement confirme que l’article 3(b) du Code du travail les exclut de son champ d’application, et que leurs droits et obligations sont définis dans la Réglementation no 90 de 2009, modifiée par la Réglementation no 64 de 2020. Toutefois, la commission note avec préoccupation que le gouvernement indique que, cette réglementation ne comportant pas de clause renvoyant aux dispositions du Code du travail dont elle ne traite pas, les travailleurs domestiques restent exclus des dispositions relatives à la liberté syndicale et la négociation collective. Néanmoins, le gouvernement précise que la décision no 2022/45 du ministère du Travail précitée a ajouté les travailleurs domestiques aux catégories professionnelles couvertes par l’Union des services généraux et professions libres, leur permettant ainsi de s’affilier à ce syndicat. Il ajoute ne pas disposer de données statistiques sur le nombre de ceux qui s’y sont affiliés, en signalant pour terminer que les propriétaires d’agences spécialisées dans le recrutement et l’emploi des travailleurs domestiques étrangers se sont réunis en association. La commission note que, dans ses observations, la CSI confirme l’inclusion, sur décision ministérielle, des travailleurs agricoles et domestiques dans les secteurs de l’alimentation et des services. Elle note aussi que la décision ministérielle no 2022/45 a permis aux travailleurs agricoles et domestiques de s’affilier aux syndicats sectoriels qu’elle a désignés, ce qui ne permet à ces travailleurs d’exercer leur droit de s’organiser et de négocier collectivement que dans les limites très étroites du système de monopole syndical en place et dont ils étaient exclus jusqu’alors. Au vu de ce qui précède, et tout en prenant dument note de la première mesure prise par le biais de la décision ministérielle no 2022/45, la commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin de: i) réviser le Code du travail ou la Réglementation du travail domestique dans le but de reconnaître de manière explicite le droit des travailleurs domestiques de s’organiser et de négocier collectivement; ii) encourager et promouvoir la négociation collective dans les secteurs de l’agriculture et du travail domestique; et iii) fournir des informations sur toute convention collective conclue dans ces deux secteurs, et sur le nombre de travailleurs couverts. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur les mesures prises.
Travailleurs âgés de 16 à 18 ans. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté que les mineurs âgés de 16 à 18 ans ont accès à l’emploi mais qu’il leur est interdit de se syndiquer, et elle avait prié le gouvernement de réviser la loi de telle sorte que ces personnes puissent jouir de leurs droits inscrits dans la convention. Le gouvernement indique à cet égard que le but poursuivi en limitant à 18 ans le droit de créer des syndicats et de s’y affilier est de protéger la volonté des travailleurs et qu’une modification de l’article 98(f) irait à l’encontre des dispositions du droit civil jordanien relatives à la majorité et à la capacité à exercer les droits civils. Le gouvernement indique en outre que le ministère du Travail a consulté la Chambre de commerce jordanienne sur la question et que celle-ci a donné son accord sur la limite d’âge actuelle. La commission prie à nouveau instamment le gouvernementde prendre les mesures nécessaires pour modifier les articles 98(e)2 et 98(f) du Code du travail, afin de garantir que les mineurs ayant atteint l’âge légal d’accès à l’emploi, qu’ils soient travailleurs ou apprentis, puissent être pleinement protégés dans l’exercice de leurs droits couverts par la convention. Elle le prie de fournir des informations sur les mesures prises ou envisagées à cet égard.
Travailleurs de l’enseignement. Dans son précédent commentaire, la commission avait prié instamment le gouvernement de garantir le droit d’organisation et de négociation collective dans le secteur de l’enseignement ainsi que le respect total de l’indépendance des organisations de travailleurs de ce secteur, et de fournir des informations sur l’issue des procédures judiciaires dans lesquelles l’AEJ est impliquée et sur toute convention collective ou tout accord conclu dans le secteur de l’enseignement, y compris avec l’AEJ. La commission note que le gouvernement indique que l’AEJ a été créée par la promulgation d’une loi spéciale, la loi sur l’AEJ, qu’elle n’est pas soumise aux dispositions du Code du travail et que le ministère du Travail n’a aucun rôle dans les conflits qui la concernent. La commission note aussi que la loi sur l’AEJ ne contient aucune disposition relative à la négociation collective ou au règlement des conflits du travail. Elle note aussi que le gouvernement indique que l’Union générale des travailleurs de l’enseignement privé (UGTEP) a conclu en 2019 une convention collective avec l’Organisation des propriétaires d’écoles privées, sans mentionner aucune convention collective conclue par l’AEJ. Cependant, la commission note que l’UGTEP ne couvre que l’enseignement privé, alors que l’effectif de l’AEJ se compose essentiellement d’enseignants du secteur public. Au vu de ce qui précède et en l’absence d’un cadre réglementaire pour l’AEJ en matière de négociation collective, force est de constater qu’en dépit de l’existence d’un syndicat auquel ils peuvent s’affilier, les enseignants du secteur public ainsi que ceux du privé qui choisissent de s’affilier à l’AEJ ne semblent pas jouir du droit de négocier collectivement, que ce soit en droit ou dans la pratique.
S’agissant des procès dans lesquels l’AEJ est impliquée, la commission note l’observation de la CSI qui indique que, bien que la Cour d’appel d’Amman ait invalidé la décision administrative de dissolution de l’AEJ, il lui est toujours impossible de fonctionner et de représenter les travailleurs dans le pays, étant donné qu’aucun membre de son conseil n’a pu reprendre ses activités syndicales. Elle note également que le gouvernement indique que le conseil exécutif de l’AEJ a déjà été dissous sur décision de justice et que la Cour de cassation a été saisie. Le gouvernement cite aussi une procédure pénale en cours concernant l’AEJ et portant sur des chefs d’accusation d’incitation à la haine, de troubles dans une institution d’enseignement, et d’instigation à un rassemblement illégal. Toutefois, le gouvernement n’indique pas qui est poursuivi dans cette affaire ni quels sont les actes matériels justifiant une inculpation. Elle note aussi que la CSI signale que le 5 octobre 2021, les forces de sécurité jordaniennes ont arrêté et détenu quatorze membres de premier plan de l’AEJ qui manifestaient pacifiquement à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants, en dénonçant la répression des droits syndicaux. À cet égard, la commission souligne que l’arrestation, la détention et les poursuites pénales contre des adhérents et dirigeants syndicaux en raison de leurs activités syndicales constituent un déni de la liberté syndicale et, de ce fait, du droit de négociation collective et que l’État doit donc garantir un climat exempt de violence, de pressions ou de menaces de quelque nature que ce soit à l’encontre des dirigeants et membres des organisations syndicales. Elle souligne qu’il incombe aux autorités compétentes d’assurer que les mesures prises contre des membres et des responsables d’organisations syndicales ne l’ont pas été en raison de leur activité syndicale. Au vu des considérations qui précèdent et rappelant que la convention concerne tous les enseignants, à la fois du secteur public et du privé, la commission prie instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris par la voie législative, pour que le droit de négociation collective de l’AEJ et de tous les travailleurs de l’enseignement public et privé soit explicitement reconnu en droit et effectivement respecté dans la pratique. La commission prie encore le gouvernement de fournir des informations sur l’identité et les fonctions syndicales des membres de l’AEJ poursuivis ainsi que sur les faits matériels ayant conduit à leurs inculpations, afin de s’assurer que les poursuites qui les visent ne découlent pas de leurs activités syndicales. Elle prie également le gouvernement de fournir des informations sur l’issue de toutes les procédures judiciaires dans lesquelles l’AEJ est impliquée.
Travailleurs non inclus dans les 17 secteurs reconnus par le gouvernement. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté que le nombre de secteurs dans lesquels des syndicats peuvent se créer est fixé à 17, et elle avait prié le gouvernement de veiller à ce qu’aucune catégorie de travailleurs, hormis les exceptions prévues à la convention, ne puisse être exclue de l’exercice du droit d’organisation et de négociation collective. Le gouvernement indique que le ministère du Travail a entamé une procédure de modification de la décision précédente classant les industries et activités économiques dans lesquelles des syndicats pouvaient se créer sur décision de la Commission tripartite des relations de travail régie par l’article 43 du Code du travail et par la décision ministérielle 2022/45 du 18 juillet 2022, sur recommandation de l’Enregistrement des syndicats. La commission prend note de la copie de la décision ministérielle no 2022/45, qui contient la liste complète et à jour des industries et activités économiques de chacun des 17 secteurs d’activité autorisés aux syndicats sectoriels reconnus. La commission prend également note des statistiques sur le nombre des travailleurs jordaniens et non-jordaniens ventilé suivant le secteur économique, qui ne correspond toutefois pas à la classification des secteurs contenue dans la décision 2022/45. Elle note que le changement le plus notable apporté par la nouvelle classification est l’ajout du travail agricole et du travail domestique parmi les secteurs, et par conséquent les syndicats de l’alimentation et des services. Compte tenu des informations à sa disposition, la commission n’est pas en mesure d’évaluer dans quelle mesure la décision 2022/45 couvre l’ensemble de l’économie jordanienne ni quels sont les secteurs et les activités économiques laissés de côté. Or, elle note que le principe inscrit à l’article 98(d) du Code du travail jordanien, qui prescrit une liste limitative des industries et activités économiques dans lesquelles des syndicats peuvent se créer, est incompatible avec les principes de la convention pour les travailleurs concernés. Elle note que jusqu’en juillet 2022, des secteurs aussi importants que l’agriculture et le travail domestique étaient exclus de cette classification et que, devant l’évolution de l’économie et l’apparition incessante de nouvelles activités, une liste fermée aura nécessairement pour conséquence d’exclure des catégories entières de travailleurs du droit de créer des organisations et d’y adhérer et, par conséquent, d’exercer le droit de négociation collective. Rappelant que la convention couvre tous les travailleurs, à la seule exception des forces armées, de la police et des fonctionnaires commis à l’administration de l’État, la commission prie instamment le gouvernement d’abroger l’article 98(d) du Code du travail et de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les travailleurs de tous les secteurs de l’économie puissent exercer leur droit de s’organiser et de négocier collectivement et librement par l’intermédiaire de l’organisation de leur choix. Elle prie le gouvernement de fournir des informations sur les mesures prises à cet égard.
Article 2. Protection adéquate contre les actes d’ingérence. Dans son précédent commentaire, la commission avait prié le gouvernement de fournir des informations sur tout progrès dans l’adoption de l’amendement à l’article 139 du Code du travail et sur les sanctions encourues par les employeurs en cas d’ingérence. Le gouvernement indique que le projet de loi est actuellement devant la Chambre des représentants et que, dans l’article 139 modifié, les amendes les plus lourdes pour infraction à la législation du travail sont passées de 100 à 1 000 dinars, soit 1 400 dollars des ÉtatsUnis. Rappelant que les sanctions contre les actes d’ingérence doivent être efficaces et suffisamment dissuasives, la commission note qu’une amende qui ne dépasse pas mille dinars, qui ne peut être ajustée à l’inflation ni adaptée à la taille de l’entreprise n’est peut-être pas suffisamment dissuasive à long terme ni lorsque l’employeur dispose de moyens financiers considérables. En conséquence, la commission prie le gouvernement de revoir le projet qui est soumis au parlement afin de renforcer les sanctions pour ingérence, de sorte qu’elles soient suffisamment dissuasives. Elle prie le gouvernement fournir des informations sur les mesures prises à cet égard.
Articles 4 et 6. Droit de négociation collective. Monopole syndical. Dans son précédent commentaire, la commission avait rappelé que le fait d’imposer un monopole syndical est incompatible avec le principe de la négociation libre et volontaire et elle avait prié le gouvernement de faire en sorte que plus d’une organisation syndicale puisse être créée dans un secteur et de permettre l’exercice effectif de la négociation libre et volontaire. La commission note que le gouvernement indique que la situation de monopole syndical et le refus d’enregistrer des syndicats indépendants se fondent sur les articles 98(d) et 102(c) du Code du travail ainsi que sur la Décision relative à la classification des industries et activités économiques dans lesquelles la création de syndicats est autorisée. Le gouvernement indique en outre que le refus de l’Enregistrement des syndicats et associations d’employeurs d’enregistrer toute nouvelle organisation syndicale ayant les mêmes objectifs et fins qu’un syndicat existant sert à éviter d’exposer le secteur à la fragmentation et aux conflits d’intérêts. Selon le gouvernement, le droit jordanien n’empêche pas la liberté de créer des organisations syndicales, il la réglemente de telle manière qu’elle soit compatible avec les dispositions de la Constitution jordanienne et avec les conventions des Nations unies sur les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels. La commission rappelle à cet égard que sa fonction consiste à examiner si les dispositions de la convention no 98, que le Royaume de Jordanie a ratifiée, sont respectées en droit comme dans la pratique et que, pour ce faire, elle est guidée par les normes inscrites dans cette Convention exclusivement. La commission note que, suivant les observations de la CSI, aucune nouvelle organisation syndicale n’a vu le jour depuis 1976. En outre, la décision no 2022/45 ne permet pas la création de tout autre syndicat, et se limite à recomposer les secteurs couverts par des syndicats préexistants, en leur ajoutant quelques activités qui étaient exclues auparavant (principalement l’agriculture et le travail domestique), ou en faisant passer une activité de la compétence d’un syndicat sectoriel à un autre.
Au vu de ce qui précède,rappelant que le droit des travailleurs à une négociation collective libre et volontaire doit comporter le droit d’être représenté dans la négociation collective par une organisation de son choix, la commission prie instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éliminer les obstacles au pluralisme syndical en droit comme dans la pratique, notamment en abrogeant l’article 98(d) du Code du travail et la Décision relative à la classification des industries et activités économiques dans lesquelles des syndicats peuvent être créés (Décision ministérielle no 2022/45), de telle sorte que tous les travailleurs puissent exercer pleinement leur droit à une négociation collective libre et volontaire.
Négociation collective dans le secteur public. Dans son précédent commentaire, la commission a indiqué vouloir croire que les mesures gouvernementales contribueraient de manière positive à l’adoption de textes législatifs ou réglementaires reconnaissant expressément le droit de négociation collective dans le secteur public. À cet égard, la commission note l’observation de la CSI pour laquelle la loi interdit toujours aux travailleurs du secteur public l’exercice du droit de négocier collectivement. La commission prie le gouvernement de faire connaître ses commentaires à ce propos. La commission note par ailleurs que le gouvernement indique que le Code du travail (article 3) exclut les agents de la fonction publique de son champ d’application. Quoi qu’il en soit, le gouvernement insiste sur le fait que tous les travailleurs jordaniens, qu’ils relèvent du secteur public ou privé, ont le droit constitutionnel de s’organiser dans les limites de la légalité. Le gouvernement a aussi transmis un arrêt de la Cour constitutionnelle (décision interprétative no 6 de 2013) établissant que les salariés du secteur public, dont les fonctionnaires, ont le droit de constituer des syndicats dans le cadre de la loi que définiront les autorités compétentes au sens de la Constitution, à savoir le Conseil des ministres et le Roi. La commission note que la Cour constitutionnelle s’est référée aux conventions no 87, 98 et 151 de l’OIT comme étant les fondements juridiques internationaux du droit d’organisation dans le secteur public, et a déclaré que, sur la base de ces instruments, la création d’une «organisation d’agents de la fonction publique» bénéficiant de toutes les infrastructures nécessaires peut être envisagée avec pour objet la définition et la défense des intérêts des travailleurs du secteur. La commission avait noté dans son précédent commentaire que le Règlement de la fonction publique no 9 de 2020 n’arrête pas de cadre pour la négociation collective, et le gouvernement ne fait état d’aucune nouveauté de nature législative à ce sujet. Au vu de ce qui précède, la commission note qu’en Jordanie, l’exercice du droit de négocier collectivement dans le secteur public n’est toujours pas possible en l’absence d’un cadre légal qui reconnaîtrait expressément ce droit et en réglementerait l’exercice. Considérant que, suivant les informations communiquées par le gouvernement, en 2021, les salariés du secteur public constituaient 38,8 pour cent des ressortissants jordaniens ayant un emploi, la commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, par exemple en révisant le Règlement de la fonction publique no 9 de 2020 ou en élargissant le champ d’application du Code du travail, pour faire en sorte que tous les travailleurs du secteur public qui ne sont pas commis à l’administration de l’État disposent d’un cadre effectif dans lequel ils puissent négocier collectivement leurs conditions de travail et d’emploi par l’intermédiaire du syndicat de leur choix. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur les mesures prises à cet égard. Elle le prie en outre de fournir des informations sur tous syndicats du secteur public existants en dehors de l’AEJ et sur les textes réglementaires régissant leur création et leur fonctionnement.
[Le gouvernement est prié de répondre de manière complète aux présents commentaires en 2023.]
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