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Forced Labour Convention, 1930 (No. 29) - Eritrea (RATIFICATION: 2000)

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La commission prend note des observations de l’Organisation internationale des employeurs (OIE) reçues le 30 août 2017, ainsi que de la réponse du gouvernement à ces observations, reçue le 26 octobre 2017.
Article 1, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 1, de la convention. Service national obligatoire. Dans le cadre de leurs précédents examens de l’application de la convention, tant la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail que cette commission ont instamment demandé au gouvernement de modifier ou d’abroger la Proclamation relative au service national (no 82 de 1995) et la déclaration de 2002 concernant la Campagne de développement Warsai Yakaalo afin de mettre un terme à la pratique généralisée et systématique d’imposition de travail obligatoire à la population dans le cadre des programmes liés à l’obligation de service national.
La commission a noté que, sur le plan législatif, la Constitution prévoit l’obligation pour les citoyens d’accomplir leur devoir de service national (art. 25(3)), et la Proclamation relative au service national précise que cette obligation concerne tous les citoyens âgés de 18 à 50 ans (art. 6). Cette obligation englobe le service national actif et le service dans la réserve. Le service national actif, qui concerne tous les citoyens âgés de 18 à 40 ans, est divisé en deux périodes: six mois de service national actif dans le Centre d’entraînement du service national; et douze mois de service militaire actif et de tâches liées au développement dans les forces militaires (art. 8). Le service national vise à établir une force de défense forte, basée sur la population, en vue de garantir une Erythrée libre et souveraine. Il a également pour objectifs de créer une nouvelle génération, caractérisée par l’amour du travail et de la discipline, et prête à servir et à participer à la reconstruction de la nation, ainsi que de développer et de renforcer l’économie de la nation en «investissant dans le développement du travail de la population en tant que richesse potentielle» (art. 5). Par ailleurs, la commission a noté que, dans la pratique, la conscription de tous les citoyens âgés de 18 à 40 ans pour une période indéterminée a été institutionnalisée avec la Campagne de développement Warsai Yakaalo, qui a été approuvée par l’Assemblée nationale en 2002. A cet égard, le gouvernement a confirmé que, dans le cadre de leur service national, les conscrits peuvent être appelés à s’acquitter d’autres tâches et que, dans la pratique, ils ont participé à de nombreux programmes, notamment de construction de routes et de ponts, de reforestation, de préservation des sols et de l’eau, de reconstruction, ainsi qu’à des activités visant à améliorer la sécurité alimentaire.
Tant cette commission que la Commission de la Conférence ont souligné que les travaux imposés à la population dans le cadre de l’obligation de service national, en incluant une large gamme d’activités relevant pour certaines d’entre elles du développement national, ne revêtent pas un caractère purement militaire. Ces travaux vont par conséquent au-delà de l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2 a), de la convention, aux termes de laquelle les travaux ou services exigés en vertu des lois sur le service militaire obligatoire ne sont exclus du champ d’application de la convention qu’à la condition qu’ils revêtent un caractère purement militaire. Cette condition vise expressément à empêcher la réquisition de conscrits pour la réalisation de travaux publics, et a son corollaire à l’article 1 b) de la convention (nº 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957, qui interdit le recours au travail obligatoire «en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique». La commission a également conclu, à la lumière des informations sur la durée et l’étendue du travail imposé dans le cadre de l’obligation de service national et sur les fins auxquelles les autorités y recourent, que cette obligation va au-delà du pouvoir de mobiliser de la main-d’œuvre prévue à l’article 2, paragraphe 2 d), de la convention, dans la mesure où ce pouvoir doit se limiter aux véritables situations d’urgence ou de force majeure, c’est-à-dire un événement soudain et imprévisible appelant des contre-mesures immédiates.
La commission note que le gouvernement réitère que la durée du service national a été prolongée en raison des menaces incessantes qui pèsent sur le pays et l’état de belligérance avec l’Ethiopie. La campagne Warsai Yakaalo constitue une stratégie nationale pour l’éradication de la pauvreté et la protection du bien-être des citoyens et vise à atteindre une politique d’autosuffisance qui s’appuie sur le dévouement de la population. Le gouvernement se réfère à cet égard aux objectifs qui ont été assignés au service national, tels que prévus à l’article 5 de la Proclamation relative au service national, à savoir la participation à la reconstruction de la nation et le renforcement de l’économie nationale. Le gouvernement indique également que, malgré les menaces de guerre, il a pris plusieurs mesures pour démobiliser les conscrits et pour les réintégrer dans la fonction publique. Une échelle de salaire appropriée a été établie pour les membres du service national ayant mené à bien leurs tâches. Leur statut de membre de la fonction publique démontre qu’ils ne font plus partie du service national. Alors que le processus de démobilisation a été initialement mis en œuvre avec succès, les phases ultérieures ont été interrompues en raison de l’état de belligérance avec l’Ethiopie. Le gouvernement réitère qu’il n’a pas d’autres options que de prendre les mesures nécessaires d’autodéfense proportionnelles aux menaces auxquelles l’Erythrée fait face. Compte tenu de cette situation factuelle, le gouvernement considère que le pouvoir de mobiliser la main-d’œuvre est lié à une véritable situation de force majeure dans la mesure où ce pouvoir est conçu pour un futur événement soudain et imprévu, conformément à l’article 2, paragraphe 2 d), de la convention.
La commission note que, dans ses observations, l’Organisation internationale des employeurs (OIE) indique qu’elle est profondément préoccupée par la situation décrite par la commission depuis un certain nombre d’années ainsi que par les constats de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Erythrée établie par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et par un nombre considérable d’organisations non gouvernementales qui font état d’une pratique répandue et systématique d’imposition de travail obligatoire à la population pour une durée indéterminée dans le cadre du service national obligatoire. L’OIE souligne qu’il doit être mis fin de toute urgence à cette situation qui a été critiquée au sein de plusieurs forums internationaux. Réitérant les préoccupations exprimées par les membres employeurs au sein de la Commission de la Conférence en ce qui concerne l’application de la convention par l’Erythrée, l’OIE observe que, bien qu’il se soit engagé à travailler en vue de l’élimination du travail forcé, le gouvernement n’a pas recherché l’assistance technique du Bureau ni démontré la volonté de coopérer avec l’OIT.
En réponse aux observations de l’OIE, le gouvernement réitère les explications fournies dans son rapport sur les raisons pour lesquelles le processus de démobilisation a été interrompu et le service national a été prolongé. Il souligne également que le travail exigé de la population dans le cadre des programmes de la Campagne Warsai Yakaalo n’est réalisé que dans l’intérêt de la communauté et non au profit d’entreprises privées ou d’individus. Dans l’ensemble, les objectifs poursuivis par ces programmes se limitent à ce qui est strictement nécessaire pour répondre aux exigences de la situation en Erythrée. Ainsi, selon le gouvernement, il est donc loin de la vérité de prétendre que la réalité en Erythrée relève d’une pratique systématique d’imposition de travail obligatoire à la population.
Enfin, la commission constate que, dans leurs derniers rapports, tant la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Erythrée que la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Erythrée, nommées par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, ont constaté l’absence d’amélioration s’agissant de la réforme des programmes du service national militaire/civil (respectivement documents A/HRC/32/47 et A/HRC/32/CRP.1 des 9 mai et 8 juin 2016 et A/HRC/35/39 du 7 juin 2017). La commission observe que ces deux rapports continuent à se référer à la durée indéterminée et arbitraire de la conscription, qui dépasse les dix-huit mois prévus dans la proclamation de 1995, se prolongeant bien souvent de plusieurs années; à l’utilisation de conscrits pour accomplir du travail obligatoire dans tout un éventail d’activités économiques, y compris dans la fonction publique ou pour le compte d’entreprises privées; au caractère non volontaire du service militaire accompli au-delà de la durée légale de dix-huit mois. La commission d’enquête souligne entre autres que «les programmes actuels servent principalement à renforcer le développement économique, à augmenter les bénéfices des entreprises soutenues par l’Etat et à maintenir le contrôle sur la population érythréenne, en violation du droit international». Par ailleurs, la commission observe que la rapporteuse spéciale reconnaît que l’absence de mise en œuvre de la décision de 2002 de la Commission du tracé de la frontière entre l’Erythrée et l’Ethiopie constitue une source de préoccupation toute particulière, mais considère néanmoins que le défaut d’application de la décision de cette commission ne peut servir de justification à la durée indéterminée et au caractère arbitraire des programmes du service national militaire/civil.
La commission rappelle que, si la convention a expressément prévu un nombre limité de cas dans lesquels les Etats l’ayant ratifiée peuvent imposer du travail obligatoire à leur population – notamment dans le cadre des obligations civiques normales, du service militaire obligatoire ou dans des situations de force majeure –, les conditions dans lesquelles le travail obligatoire est imposé sont strictement encadrées et ce travail doit répondre à des exigences précises pour qu’une telle imposition ne relève pas du travail forcé. A la lumière des considérations qui précèdent et de l’ensemble des informations dont elle dispose, la commission réaffirme que, par sa durée, son ampleur, ses objectifs (reconstruction, lutte contre la pauvreté et renforcement de l’économie nationale), et le large éventail d’activités réalisées, le travail exigé de la population dans le cadre de l’obligation de service national va au-delà des exceptions autorisées par la convention no 29 et constitue du travail forcé. Il est également contraire à l’article 1 b) de la convention no 105 qui interdit le recours au travail obligatoire «en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique». La commission constate avec profonde préoccupation qu’aucun progrès n’a été réalisé, tant sur le plan législatif que dans la pratique, pour limiter strictement le recours au travail obligatoire aux exceptions autorisées par la convention. Par conséquent, la commission prie instamment le gouvernement de prendre dans les plus brefs délais les mesures nécessaires pour modifier ou abroger la Proclamation no 82 de 1995 relative au service national et la déclaration de 2002 concernant la Campagne de développement Warsai Yakaalo, afin de: a) limiter le travail imposé à la population dans le cadre de l’obligation de service national à la formation militaire et aux tâches revêtant un caractère purement militaire; et b) limiter l’imposition de travail ou de services obligatoires à la population aux véritables cas d’urgence ou de force majeure (à savoir, un événement imprévisible et soudain), en s’assurant que la durée et l’étendue de ce travail ou de ces services sont limitées à ce qui est strictement nécessaire eu égard à la situation.
La commission rappelle que le gouvernement peut se prévaloir de l’assistance technique du BIT pour aider à traiter les questions soulevées.
La commission soulève d’autres questions dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 107e session et de répondre de manière complète aux présents commentaires en 2018.]
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