National Legislation on Labour and Social Rights
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La commission prend note des discussions qui ont eu lieu à la Commission de la Conférence en 1990, du rapport du gouvernement pour la période se terminant le 30 juin 1990, qui a été reçu le 7 février 1991, de la documentation jointe (y compris le règlement sur les enquêtes de sécurité du 8 mars 1990) et des observations annexées en date du 20 août 1990 qui ont été reçues de la Confédération turque des associations d'employeurs, observations qui indiquent que l'application de la convention n'a posé aucun problème dans le secteur privé et que l'application de la loi no 1402 relative à la loi martiale ne cause plus de difficultés pour ce qui est des pratiques utilisées en matière d'emploi dans la fonction publique. La commission a aussi examiné les traductions de la documentation annexée au précédent rapport du gouvernement reçu en février 1990 (y compris la décision du Conseil d'Etat en date du 7 décembre 1989 ainsi que la législation et les arrêts des tribunaux concernant les mesures disciplinaires prises contre les fonctionnaires).
1. Situation des fonctionnaires licenciés ou mutés entre 1980 et 1987 pendant la période de la loi martiale
i) A la suite de son examen de la décision du Conseil d'Etat en date du 7 décembre 1989, la commission note avec satisfaction la conclusion de la décision en vertu de laquelle:
- les fonctionnaires et autres agents et travailleurs des services publics dont l'emploi a pris fin à la demande des commandants de la loi martiale, en application de l'article 2 de la loi no 1402, devront être réintégrés dans leurs services par les institutions intéressées lorsque la loi martiale aura été levée dans la région où il a été mis fin à leur emploi, pour autant qu'ils n'aient pas perdu les qualifications requises au moment de leur première nomination;
- on envisage d'unifier la jurisprudence dans le même sens.
La commission note également avec intérêt, au vu de l'opinion de l'avocat général du Conseil d'Etat, que les décisions prises par les commandants de la loi martiale au sujet des licenciements et mutations en matière d'emploi, en vertu de la loi no 1402, ont été jugées non conformes aux dispositions de l'article 4 de la convention parce que les personnes en cause n'ont pas eu le droit de recourir devant les tribunaux administratifs; que l'autorité conférée aux commandants de la loi martiale par la loi no 1402 pouvait donner lieu à des pratiques fondées sur des évaluations subjectives, arbitraires et contraires à l'intérêt public, du fait que les raisons d'exercer un tel pouvoir n'avaient pas été clairement définies par la loi et qu'aucune disposition n'avait été prise pour protéger les agents des services publics; et, au surplus, que la raison selon laquelle "leur service est inutile" n'avait rien à voir avec les raisons constitutionnelles nécessitant la proclamation de la loi martiale.
La commission note la convergence de ces vues avec celles qui ont été exprimées dans ses observations antérieures. Elle espère fermement que la décision sera pleinement appliquée au profit de toutes les personnes dont l'emploi a été affecté par les décisions prises en application de la loi no 1402, et aussi que la teneur de la décision sera prise en considération dans les amendements à la loi relative à la loi martiale dont il est question au point 2 ci-après.
ii) Dans sa précédente observation, la commission invitait le gouvernement à fournir des statistiques sur la réintégration ou le retour des fonctionnaires licenciés ou mutés, ainsi que des informations sur les mesures prises en vue d'une indemnité pour perte de gains et d'autres prestations au cours de la période où ils avaient été privés de leur emploi ou mutés.
La commission relève avec intérêt d'après le rapport du gouvernement que, sur 9.400 fonctionnaires qui ont vu leur emploi affecté du fait de l'application de la loi martiale, 4.530 ont été licenciés et que, parmi eux, 4.097 ont été réintégrés dans la fonction publique, tandis que 75 autres n'ont pas sollicité leur réintégration. Le gouvernement indique aussi que la réintégration a été refusée à 358 fonctionnaires. La commission note d'après le rapport du gouvernement que les obstacles légaux s'opposant à la réintégration sont ceux indiqués aux articles 48 et 98 de la loi no 657 sur la fonction publique qui ont trait aux conditions de nomination dans la fonction publique et aux motifs de licenciement. La commission prie le gouvernement de préciser le sens de l'expression "ne devant pas être privés de droits civiques" qui figure à l'article 48 et aussi, pour ce qui est des 358 fonctionnaires dont la réintégration a été refusée, de fournir des informations sur leurs fonctions antérieures, sur les motifs précis pour lesquels leur réintégration a été refusée et sur la possibilité qu'ils ont ou non de faire appel de ces décisions.
iii) La commission a pris note précédemment de la circulaire adressée le 11 décembre 1989, par le Conseil supérieur de l'éducation aux doyens des universités, les informant qu'en vertu de la décision du Conseil d'Etat les membres licenciés des facultés avaient droit à une réintégration et les priant de donner la priorité à ces personnes dans le pourvoi des postes vacants et de demander au conseil de créer des postes supplémentaires s'il n'y avait pas de postes disponibles.
La commission prend note de la déclaration faite par le membre travailleur de la Turquie devant la commission à la Conférence en 1990, indiquant que la circulaire n'avait eu aucun effet parce qu'il n'y avait aucun poste vacant et que les personnes intéressées devraient attendre jusqu'à ce qu'il y en ait de nouveau. Elle note aussi que les cas particuliers de jugements incompatibles réexaminés dans le cadre de la décision du Conseil d'Etat sont en grande partie fondés sur des demandes de réintégration présentées par le personnel des universités.
La commission prie le gouvernement d'indiquer les mesures adoptées pour donner suite dans les universités à la décision prise par le Conseil d'Etat, au travers de la circulaire, en vue de réintégrer les personnes licenciées en application de la loi no 1402 pendant la période de la loi martiale, et de préciser en particulier si des demandes de création de postes supplémentaires ont été soumises ou approuvées par le conseil dans les cas où il n'existait aucun poste disponible pour donner suite aux demandes de réintégration. La commission prie également le gouvernement de fournir des informations complémentaires sur le nombre de membres des facultés des universités qui ont été réintégrés et sur le nombre de ceux dont les demandes de réintégration ont été refusées, en précisant les motifs de ce refus.
iv) En ce qui concerne les personnes mutées dans d'autres régions pendant l'application de la loi martiale, la commission relève dans le rapport du gouvernement que la décision du Conseil d'Etat a éliminé les obstacles qui empêchaient ces personnes de retrouver leur lieu d'origine. La commission prie à nouveau le gouvernement de fournir, au sujet des 4.870 personnes qui ont été mutées, des informations et des statistiques précises sur le nombre de personnes qui ont retrouvé leur région et leurs fonctions antérieures.
v) En ce qui concerne l'indemnité aux personnes dont l'emploi a été affecté par les décisions prises en application de la loi no 1402 pendant la période de la loi martiale, le gouvernement indique dans son rapport que tous les fonctionnaires qui ont sollicité leur réintégration ont le droit de demander, par l'entremise des tribunaux compétents, une indemnité pour les pertes de gains et d'autres prestations.
La commission prend note de cette information. Elle prie le gouvernement de donner des précisions sur le nombre de personnes - non seulement celles qui ont sollicité leur réintégration, mais toutes celles qui ont été affectées par les décisions prises en vertu de la loi no 1402 - qui ont demandé une indemnité pour les pertes subies lorsqu'elles étaient privées d'emploi ou mutées, et sur le nombre de personnes qui ont bénéficié de jugements pris en leur faveur, ainsi que des informations sur l'application de tels jugements.
2. Amendements proposés à la loi no 1402 relative à la loi martiale
La commission note que le projet de loi visant à amender la loi no 1402 est encore à l'étude à la Grande assemblée nationale turque. D'après le rapport du gouvernement, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale a, pour la deuxième fois, en janvier 1991, adressé une communication écrite au président de la Commission de la justice de la Grande assemblée nationale pour appeler l'attention sur les vues de la commission d'experts concernant le projet de loi et qu'il a aussi sollicité la coopération des membres de la commission pour faire valoir les vues de la commission d'experts lors de l'amendement de la loi. Le gouvernement a indiqué précédemment que le projet de loi permettrait de procéder à des réexamens périodiques de la situation des personnes affectées par les mesures prises au cours de la période où la loi martiale était en vigueur et que, conformément à l'article 125 de la Constitution, il serait possible de faire appel devant les tribunaux des décisions prises par les institutions pertinentes.
La commission rappelle cependant que le projet de loi n'empêcherait pas de prendre des mesures affectant l'emploi contre les personnes considérées comme "dangereuses ou indésirables du point de vue de la sécurité de l'Etat" et que la possibilité de faire appel devant les tribunaux en vertu de l'article 125 de la Constitution se bornerait à déterminer la conformité avec la loi des actes et décisions de l'administration. La commission rappelle que le fait de prévoir un droit de recours ne suffirait pas à répondre aux exigences de l'article 4 de la convention, à moins que les mesures visant à protéger la sécurité de l'Etat soient suffisamment bien définies et délimitées afin de ne pas conduire à une discrimination fondée, entre autres, sur l'opinion politique.
La commission réitère fermement l'espoir que le texte définitif du projet de nouvelles dispositions législatives concernant la loi martiale tiendra pleinement compte des considérations mentionnées ci-dessus, qui se trouvent d'ailleurs reflétées dans l'opinion de l'avocat général du Conseil d'Etat. Elle prie le gouvernement d'indiquer les progrès accomplis en vue d'une modification appropriée de la loi relative à la loi martiale.
3. Mesures prises sur la base des enquêtes de sécurité
La commission a pris note de la réglementation sur les enquêtes de sécurité qui a été adoptée par la résolution no 90/245 du Conseil des ministres du 8 mars 1990 remplaçant l'ancienne réglementation sur les enquêtes de sécurité invalidée récemment par décision du Conseil d'Etat.
La commission prend note de la large portée de la réglementation sur les enquêtes de sécurité de 1990. En vertu des articles 1 et 2, il faut procéder à de telles enquêtes non seulement pour les personnes qui doivent être recrutées ou mutées à des postes donnant accès à des documents confidentiels et à des domaines hautement protégés, mais aussi pour les personnes devant être employés dans les ministères et autres institutions et organisations publiques. Selon les fonctions, institutions et catégories de personnes intéressées, les enquêtes peuvent consister en "recherches sur archives" à partir des dossiers existants, qui sont exécutées par l'Organisation nationale du renseignement, par la Direction générale de la sécurité ou par les autorités civiles locales, ou bien elle peuvent consister en "enquêtes de sécurité" à partir des dossiers existants et d'observations sur place effectuées par la Direction générale de la sécurité (art. 3E et F). Le personnel devant faire l'objet d'une recherche sur archives, en vertu de l'article 5 de la réglementation, comprend la plupart des personnes travaillant dans l'administration et dans les institutions et associations publiques; les magistrats et procureurs de l'Etat; les recteurs et doyens d'université et les membres des facultés; ainsi que les employeurs d'entreprises et de banques d'Etat et aussi les étudiants qui souhaitent aller étudier à l'étranger. Les enquêtes de sécurité, aux termes des articles 7, 8 et 9, sont requises notamment pour les magistrats et procureurs de l'Etat et les inspecteurs lors de leur nomination initiale, de leur promotion ou de leur changement d'institution, et elles doivent être renouvelées périodiquement ou chaque fois que nécessaire. En vertu des définitions données à l'article 3E et F du règlement, les "recherches sur archives" et les "enquêtes de sécurité" consistent à déterminer (et à apprécier) si les forces de sécurité recherchent ou non une personne ou s'il existe une restriction quelconque ou un rapport émanant des forces de sécurité ou des services de renseignement contre cette personne.
La commission note que les questions relevant de l'enquête de sécurité comprennent les activités idéologiques et subversives et les relations avec des étrangers (art. 3F, J, et 10C et E de la réglementation); que les activités subversives comprennent notamment la participation à des activités où le fait d'avoir été membre ou d'avoir entretenu des rapports étroits avec un membre d'une association ou d'un organe local ou étranger se livrant à des activités visant, entre autres, à porter atteinte à l'intégrité nationale de l'Etat ou aux droits et libertés fondamentaux; à établir le pouvoir d'une personne ou d'un parti sur l'Etat ou à amener la domination d'une classe sociale; ainsi que tout comportement contraire aux principes et révolutions instaurés par Ataturk.
La commission note également qu'en vertu de l'article 15 de la réglementation, une commission d'évaluation sera constituée pour juger, sur la base des conclusions de l'enquête de sécurité et de la recherche sur archives, si la personne doit être engagée comme fonctionnaire ou mutée de manière à l'éloigner des secteurs sensibles. Elle note également qu'aucun droit d'appel de la décision de la Commission d'évaluation ne figure dans la réglementation.
La commission relève que les termes généraux des définitions données dans la réglementation pour la "recherche sur archives" et l'"enquête de sécurité", ainsi que pour les activités subversives, ne semblent pas énoncer de critères suffisamment précis sur la base desquels doit être prise la décision d'engager ou non ou de muter une personne afin d'assurer qu'il ne s'exerce aucune discrimination fondée sur l'opinion politique.
La commission tient à appeler l'attention du gouvernement sur les indications données aux paragraphes 135 et 136 de son Etude d'ensemble de 1988 sur l'égalité en matière d'emploi et de profession, à savoir: i) que la protection conférée par la convention n'est pas limitée aux divergences d'opinion dans le cadre des principes ou institutions reconnus, pour autant qu'on ne fasse pas appel à des méthodes violentes; et ii) que l'application des mesures visant à protéger la sécurité de l'Etat doit être examinée à la lumière des répercussions que les activités prises en considération peuvent avoir sur l'accomplissement de l'emploi, de la tâche ou de la profession des personnes concernées.
La commission rappelle que, conformément à l'information communiquée en 1989 par la Confédération des syndicats turcs (TURK-IS), des mesures affectant l'emploi dans la fonction publique ont aussi été prises et, même après abrogation de la loi martiale, continuent d'être prises en application de la réglementation sur les enquêtes de sécurité afin de recueillir des informations politiques et autres données subjectives dont il est tenu compte dans les décisions prises en matière d'emploi, y compris les nouvelles nominations, les mutations et les promotions.
La commission prie le gouvernement d'indiquer dans quelle mesure les rapports sur les enquêtes de sécurité sont établis et utilisés pour ce qui a trait à l'emploi et pour toute autre décision pertinente et d'indiquer les mesures prises pour assurer que le rejet ou la mutation résultant de l'application de la réglementation n'est pas fondé sur l'opinion politique ou sur tout autre motif qui constituerait une discrimination aux termes de la convention.
La commission prie le gouvernement d'indiquer si les personnes affectées par les décisions prises sur la base d'enquêtes de sécurité bénéficient du droit de recours, conformément aux dispositions de l'article 4 de la convention.